Canal atrioventriculaire







Jean Kachaner: Professeur de pédiatrie, université Paris V, praticien hospitalier, chef du service de cardiologie pédiatrique
Hôpital Necker-Enfants-malades, 149, rue de Sèvres, 75743 Paris cedex 15 France
11-041-B-20 (1995)



Résumé

Le canal atrioventriculaire (CAV) désigne la zone étranglée qui conduit de l'oreillette primitive au ventricule primitif dans le tube cardiaque de quatre semaines. Ce terme s'étend en France à toutes les anomalies des structures qui se développent dans l'aire de ce canal : dérivés des bourgeons endocardiques (valves auriculoventriculaires et septum atrioventriculaire) et zones adjacentes des cloisons interventriculaire et interauriculaire. Les termes d'anomalies des bourgeons endocardiques [ 31 ] ou de défauts septaux atrioventriculaires [ 3 ] sont synonymes. Ces lésions sont fréquentes, souvent graves mais accessibles à un traitement chirurgical qui a beaucoup progressé ces dernières années.

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Plan

Rappel embryologique
Anatomie pathologique
Physiopathologie
Canal atrioventriculaire complet
Canaux atrioventriculaires partiels

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Trois processus convergents sont impliqués dans la transformation du CAV [ 31 ] : le développement des bourgeons endocardiques, le cloisonnement de l'oreillette primitive et le cloisonnement ventriculaire.
Vers la 4e semaine de vie embryonnaire, deux petites masses mésenchymateuses apparaissent aux bords antérieur et postérieur du CAV : ce sont les bourgeons endocardiques. Elles fusionnent en un " septum intermedium " qui divise le CAV en deux orifices droit et gauche, et s'incurve en un arc à convexité postérieure vers les oreillettes. Enfin, une 2e paire de bourgeons endocardiques apparaît aux bords droit et gauche du canal. Ainsi, chaque orifice auriculoventriculaire est équipé de trois bourgeons : un latéral et la moitié droite ou gauche de l'extrémité renflée des bourgeons antérieur et postérieur fusionnés. Ces masses contribuent à la formation des valves auriculoventriculaires (fig. 1).

Simultanément, un renflement endocardique apparaît au toit de l'oreillette primitive et prolifère vers le bas et l'avant sous forme d'un croissant qui divise l'oreillette en deux cavités : c'est le septum primum. Son bord libre délimite avec le septum intermedium du CAV un orifice interauriculaire : l'ostium primum. Celui-ci est bientôt oblitéré par fusion du septum primum avec la partie centrale du septum intermedium. Dans le même temps, la partie céphalique du septum primum se résorbe partiellement : c'est l'ostium secundum, dont l'occlusion, partielle, sera plus tardive par apparition d'une 2e ébauche septale à droite du septum primum, le septum secundum.
Enfin, la partie droite du septum intermedium joue un rôle important dans le cloisonnement ventriculaire en s'incurvant dans un plan de plus en plus sagittal, parallèle à celui du septum interventriculaire avec lequel elle fusionne. Cette fusion oblitère le foramen interventriculaire secondaire et forme le septum atrioventriculaire séparant l'oreillette droite du ventricule gauche.

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Les anomalies décrites sous le terme générique de CAV résultent d'un arrêt plus ou moins précoce de la morphogenèse rappelée ci-dessus. Elles sont d'autant plus complexes qu'elles correspondent à des interruptions plus archaïques du développement. Nous décrirons d'abord les lésions élémentaires caractéristiques ; puis nous verrons comment elles se groupent en autant de variétés anatomiques.

Les principales structures atteintes sont la partie basse du septum interauriculaire, les valves auriculoventriculaires, et la partie haute et postérieure du septum interventriculaire.

Septum interauriculaire
Une vaste déhiscence de la partie caudale du septum interauriculaire est quasi constante. On lui donne le nom d'ostium primum, bien qu'elle résulte plus d'un défaut de progression de la partie centrale du septum intermedium que d'un sous-développement du septum primum [ 31 ]. C'est le bord inférieur " en croissant " du septum interauriculaire qui en forme la limite supérieure ; en bas, elle s'arrête aux valves auriculoventriculaires dans les formes partielles, mais se poursuit par la communication interventriculaire dans les formes complètes.

Septum interventriculaire
Il s'agit d'une communication interventriculaire très postérosupérieure dans le septum " d'admission " à extension antérieure vers le septum membraneux. Elle siège sous les valves auriculoventriculaires [ 29 ], s'ouvre à droite au-dessous en avant et en arrière de la crête supraventriculaire et à gauche au contact de la valve mitrale antérieure mais à distance des valves aortiques. Elle est entièrement bordée de tissu musculaire sauf en haut où elle est limitée par la tricuspide.

Valves auriculoventriculaires
A gauche, le défaut de fusion des bourgeons sagittaux divise la grande valve mitrale antérieure en deux éléments médiaux, antérieur et postérieur, de taille sensiblement égale, séparés par une fente d'étendue variable : simple commissure ou vaste perte de substance. Les bords de cette fente sont souvent irréguliers, épaissis, ourlés et parfois attachés au septum sous-jacent par quelques cordages courts. Dans tous les cas, l'appareil auriculoventriculaire gauche devient un système à trois valves [ 4 ], les deux éléments médiaux s'attachant par des cordages normaux aux piliers correspondants du ventricule gauche, sauf en cas de convergence de tous les cordages sur un pilier antérolatéral unique, réalisant une valve en parachute [ 23 ]. La valve postérieure qui provient du bourgeon endocardique latéral gauche est en règle normale.
A droite, la lésion élémentaire est un sous-développement de la valve septale, issue des bourgeons endocardiques sagittaux, ce qui crée une véritable lacune entre elle et la valve antérieure d'origine conale.

La réalité hémodynamique et chirurgicale invite à distinguer formellement le CAV complet des formes partielles de la malformation [ 23], [29 ].

Canal atrioventriculaire complet
C'est la forme qui réunit toutes les lésions élémentaires, en raison essentielle de l'absence de fusion des bourgeons endocardiques entre eux et avec les structures septales, d'où une vaste communication au centre du coeur entre oreillettes et ventricules (fig. 1).
L'ostium primum et la communication interventriculaire sont en continuité l'un avec l'autre et forment un cercle sagittal dont l'arc supérieur est le bord inférieur de la communication interauriculaire, et l'arc inférieur la crête du septum interventriculaire.
Les anomalies des valves auriculoventriculaires sont majeures. On ne reconnaît plus qu'un orifice auriculoventriculaire dessinant un cercle horizontal perpendiculaire au cercle des défauts septaux qu'il coupe à l'union de son tiers inférieur et de ses deux tiers inférieurs [ 30 ]. Au pourtour de cet orifice s'attachent quatre à cinq éléments valvulaires [ 20], [29 ] :

- une valve antérieure, fusion de la composante antérieure de la grande valve " mitrale " et de la valve antérieure de la " tricuspide ", parfois divisée par une fente dont les bords s'attachent directement sur la crête du septum interventriculaire ou sur un pilier du ventricule droit adjacent au septum (types A et B de Rastelli), mais souvent intacte, en pont " flottant " au-dessus du septum interventriculaire (type C) [ 21], [23 ] ;
- deux valves latérales issues des bourgeons endocardiques latéraux (petite valve " mitrale " et valve postérieure de la " tricuspide ") ; elles ont des attaches normales et ne sont pas impliquées dans la malformation ;
- une valve postérieure, fusion de la composante postérieure de la grande valve " mitrale " et de la valve septale de la " tricuspide ", le plus souvent rudimentaire et non divisée, mais parfois trifoliée ou fendue en son milieu.
Formes partielles
Quand les valves communes antérieure et postérieure sont réunies par une languette qui divise l'orifice auriculoventriculaire en deux orifices distincts, on parle de CAV partiel. Le plus souvent, la languette en question est fermement attachée à la crête du septum interventriculaire et ce dernier est intact. La malformation est un ostium primum de surface variable, pouvant aller jusqu'à l'oreillette unique où le septum interauriculaire n'est plus qu'un vestige musculaire céphalique appendu au toit de l'oreillette [ 25], [29 ]. Dans presque tous les cas, il s'y associe l'anomalie élémentaire de la valve auriculoventriculaire gauche, trifoliée, tandis que la droite est soit normale, tricuspide, soit lacunaire entre ses valves antérieure et septale. Parfois, la languette de séparation des deux anneaux auriculoventriculaires n'est pas attachée à la crête du septum interventriculaire, mais le défaut septal ventriculaire qui en résulte est soit de petite taille, soit obstrué par des formations fibreuses provenant des valves. En revanche, les communications interventriculaires de " type CAV " sont considérées aujourd'hui comme des défauts du septum périmembraneux à extension postérieure, même en cas de chevauchement tricuspide associé [ 3], [20 ]. Enfin, on peut observer des défauts qui font communiquer le ventricule gauche avec l'oreillette droite. Dans toutes les formes de CAV, le ventricule gauche est anormal du fait d'une bascule de l'anneau auriculoventriculaire gauche vers le bas et l'avant : d'où une réduction de longueur de la chambre de remplissage et un allongement de la chambre de chasse qui se trouve horizontalisée et étirée en un véritable canal sous-aortique [ 30 ], éventuellement obstructif [ 8 ]. Quand l'obstruction est sévère, l'isthme et l'aorte horizontale sont souvent hypoplasiques. Les deux ventricules sont en général bien équilibrés mais l'un d'entre eux, le droit plus souvent que le gauche, peut être dominant, ce qui signifie surtout une hypoplasie relative du ventricule controlatéral. Le système de conduction du canal atrioventriculaire se singularise par un déplacement postérieur du noeud auriculoventriculaire, du faisceau de His et de sa branche gauche [ 9], [28 ]. Enfin, de nombreuses anomalies extracardiaques ou cardiovasculaires sont éventuellement associées à toutes les formes de CAV. Leur nature et leur gravité varient avec la variété en cause : elles seront étudiées plus loin.
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Trois phénomènes diversement associés selon la forme anatomique gouvernent la physiopathologie du CAV.
- Des shunts dits " facultatifs " [ 26 ] entre les oreillettes et/ou les ventricules sont habituels. Leur direction et leur importance dépendent de la taille des défauts septaux qu'ils traversent et du rapport des résistances vasculaires pulmonaires/systémiques. Le cas le plus banal est celui de la communication interventriculaire des formes complètes où un shunt gauche-droite ventriculaire massif apparaît vers la fin du premier mois, dès que les résistances pulmonaires, élevées chez le nouveau-né, se sont abaissées. De même, l'altération de la compliance du ventricule droit au profit de celle du ventricule gauche fait apparaître dans les mêmes délais un shunt gauche-droite auriculaire à travers l'ostium primum, commun à presque tous les cas.
- Ces shunts contribuent à élever le débit pulmonaire mais une hypertension artérielle pulmonaire n'apparaît précocement que dans les formes complètes ; elle est rare et en général modeste dans les formes partielles même en cas de gros débit pulmonaire.
- L'inversion de la direction de ces shunts dans le sens droite-gauche ne se produit qu'en cas d'élévation majeure des résistances vasculaires pulmonaires, ce qui n'est presque jamais le cas des formes partielles mais peut compliquer l'évolution d'une forme complète plus vite que s'il s'agissait d'une communication interventriculaire banale de même taille.
- Des fuites des valves auriculoventriculaires sont quasi constantes. Il s'agit surtout d'une régurgitation " mitrale " du ventricule à l'oreillette gauche, qui contribue à l'altération du lit vasculaire pulmonaire en majorant la pression auriculaire gauche, et, partant, le shunt gauche-droite auriculaire. Il faut souligner l'absence de liaison entre l'importance de cette fuite et la sévérité apparente des lésions, des lacunes valvulaires importantes ne produisant parfois que des fuites minimes [ 4 ].
- Les shunts dits " obligatoires " parce que non influencés par le rapport des résistances vasculaires pulmonaires/systémiques [ 26 ] font l'originalité de ces malformations. L'un s'établit entre le ventricule gauche à hautes pressions et l'oreillette droite à basses pressions, à travers le vaste défaut central des formes complètes, ou la déhiscence de la valve gauche puis l'ostium primum des formes partielles : il contribue encore à l'élévation du débit pulmonaire. L'autre va du ventricule droit à l'oreillette gauche et est facteur de cyanose.

Ainsi, les formes complètes de CAV réunissent chez le même patient beaucoup de facteurs d'hypertension artérielle pulmonaire évolutive et d'insuffisance cardiaque globale : les risques de mortalité précoce et de développement rapide d'une maladie vasculaire obstructive pulmonaire y sont très grands, plus grands que dans les formes analogues de communications interventriculaires. En revanche, les formes partielles ressemblent beaucoup à de banales communications interauriculaires : l'augmentation du débit pulmonaire, même quand elle est importante et majorée par une fuite " mitrale " associée, y est souvent bien tolérée pendant longtemps. Il faut les étudier séparément.

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Les formes complètes ne réunissent que 20 % des cas de CAV, mais ce sont les plus graves. Elles peuvent être associées à d'autres malformations comme la tétralogie de Fallot, le ventricule droit à double issue, le syndrome de coarctation. Fréquentes sont également les malformations extracardiaques associées, rénales et squelettiques surtout. Enfin, le CAV complet est la cardiopathie privilégiée de certaines trisomies, 18 et surtout 21 : un tiers des mongoliens en sont affectés et un tiers des cas de cette cardiopathie s'observent chez des mongoliens.

La malformation se révèle toujours très tôt, plus de 2 fois sur 3 avant 3 mois [ 17 ], par des signes non spécifiques d'hyperdébit et/ou d'hypertension pulmonaire : difficultés alimentaires, arrêt de la croissance, infections répétées des voies aériennes, difficultés respiratoires permanentes.
A l'examen, le nourrisson est hypotrophique, son thorax déformé comme dans un shunt gauche-droite, son précordium très actif. Tachypnée et dyspnée sont évidentes et une cyanose discrète n'est pas rare. Les pouls périphériques sont normaux ou affaiblis. Le foie est gros.
L'auscultation fait entendre un souffle systolique latérosternal gauche bas, parfois intense et frémissant, devenant plus doux et moins intense à la pointe, suivi d'un 2e bruit dédoublé avec éclat de la composante pulmonaire. Un roulement diastolique est parfois entendu à la xiphoïde. En fait, l'hypertension artérielle pulmonaire appauvrit souvent cette auscultation en ne laissant plus subsister qu'un souffle systolique bref et un éclat du 2e bruit. Quand la maladie vasculaire pulmonaire obstructive est apparue, ce qui peut se voir dès 1 an, la cyanose est plus nette, le coeur se calme, le souffle systolique disparaît et l'éclat du 2e bruit pulmonaire domine l'auscultation.
Sur le cliché de thorax, la cardiomégalie est constante, développée aux dépens de toutes les cavités, surtout l'oreillette droite qui donne un aspect bossu caractéristique à la partie supérieure du bord droit en raison du shunt obligatoire d'origine ventriculaire gauche. La vascularisation pulmonaire est pléthorique et les artères pulmonaires dilatées dans les hiles. Un éclaircissement de la périphérie pulmonaire fait craindre une maladie vasculaire obstructive.
Enfin, l'électrocardiogramme est très caractéristique [ 18 ] et le diagnostic est vite évoqué quand on découvre un allongement de l'espace PR confinant au bloc auriculoventriculaire du premier degré ; une surcharge auriculaire ; une déviation axiale gauche de QRS à -90° (+/-30°) ; un bloc de branche droite incomplet ; des signes de surcharge biventriculaire à prédominance droite.

L'imagerie bidimensionnelle fournit des informations si caractéristiques qu'elle permet de porter beaucoup d'indications opératoires en dehors de toute exploration endocavitaire [ 11], [27 ].
Les coupes apicale et sous-costale des quatre cavités montrent très clairement l'ostium primum, en continuité avec un vaste défaut du septum atrioventriculaire, et le passage en pont des valves auriculoventriculaires au-dessus de la crête du septum interventriculaire (fig. 2). De même, on peut reconnaître la déformation en " col de cygne " que dessine la racine de l'aorte avec la voie sous-aortique, cette dernière étant facilement obstruée par l'apposition de la valve auriculoventriculaire antérieure sur le septum interventriculaire pendant une grande partie de la systole. En coupe " petit axe ", la valve auriculoventriculaire gauche montre trois feuillets (antéro-supérieur, postéro-inférieur et mural) qui envoient des cordages vers des piliers, habituellement au nombre de deux, postéro-médial en position normale et antérolatéral déplacé vers l'avant [ 5 ], parfois fusionnés en un pilier unique (valve parachute).

L'échocardiographie précise encore que les valves antérieure et postérieure sont séparées, insérées autour d'un orifice unique. Elle statue sur l'équilibre des dimensions ventriculaires et décrit les malformations associées.
L'évaluation Doppler est capitale pour quantifier les fuites et mesurer les gradients de pressions, systoliques et diastoliques au travers des quatre valves du coeur. Le codage couleur reconnaît la direction des shunts et dépiste d'éventuelles communications interventriculaires trabéculées associées.

Les investigations endocavitaires ne sont indiquées dans les formes complètes de CAV qu'en cas de données échographiques atypiques ou de doute sur l'état des résistances vasculaires pulmonaires.

Cathétérisme
Mené par voie droite [ 19 ], il est déjà évocateur quand la sonde décrit trop facilement des trajets intracardiaques atypiques.
Il y a toujours un shunt gauche-droite auriculaire, puis ventriculaire, d'autant plus important que les résistances pulmonaires sont moins élevées : une saturation du sang en oxygène (SaO2) inférieure à 85 % dans l'artère pulmonaire fait craindre une maladie vasculaire obstructive pulmonaire. Mais d'autres facteurs (obstruction des voies aériennes supérieures, troubles de ventilation, vasoconstriction pulmonaire) peuvent compliquer l'interprétation des résultats et c'est ici que les tests explorant la réactivité du lit vasculaire pulmonaire (oxygène, vasodilatateurs, monoxyde d'azote) trouvent leurs meilleures indications.
Les pressions systoliques sont en règle égales dans les deux ventricules et les deux gros vaisseaux. L'égalité des pressions diastoliques et moyennes dans l'artère pulmonaire et l'aorte est plus inquiétante mais demande aussi à être testée vis-à-vis des vasodilatateurs.

Angiocardiographies
L'injection sélective du ventricule gauche est la plus intéressante [ 1], [22 ]. En oblique droite, le bord antéro-droite du ventricule gauche s'inscrit comme une concavité antérieure régulière, profonde, éventuellement dentelée par les attaches des moitiés gauches des valves communes au septum interventriculaire ; le bord supérieur de cette concavité délimite en bas un véritable chenal sous-aortique, étiré, étroit, horizontal : c'est la partie inférieure du classique " col de cygne " dont l'aorte initiale dessine la partie supérieure (fig. 3 A). De plus, le ventricule gauche s'évacue dans trois directions : en haut vers une " petite " aorte ; en arrière vers les deux oreillettes ; en avant vers l'infundibulum et l'artère pulmonaire dilatée par le défaut septal ventriculaire (fig. 3 B).

Le siège postéro-supérieur de ce dernier apparaît clairement dans l'incidence des quatre cavités (fig. 3 C) qui renseigne aussi sur l'intégrité du septum trabéculé sous-jacent : il ne faut pas confondre des petits défauts dans ce septum avec l'aspect en " dents de peigne " que donne le contraste " trappé " dans les insertions de cordages sous-valvulaires déplacés vers l'avant.
L'oblique gauche permet encore d'apprécier le volume du ventricule gauche, d'autant plus réduit que la longueur du septum interventriculaire entre le bord inférieur de la concavité et la pointe est plus petite.

Le pronostic spontané est très sombre. Le plus souvent, l'insuffisance cardiaque est vite irréductible, malgré d'incontestables progrès médicaux comme les vasodilatateurs dont l'indication est formelle en cas de fuite auriculoventriculaire dominante. Un grand nombre de ces enfants meurent dans les 2 premières années ; chez les survivants, une maladie vasculaire obstructive pulmonaire se développe rapidement [ 7 ] : la tolérance fonctionnelle s'améliore mais l'espérance de vie n'est que de quelques années.
Le traitement ne peut donc être que chirurgical. La technique de réparation de Rastelli [ 24 ] donne d'excellents résultats chez le grand enfant à résistances vasculaires pulmonaires peu élevées et non fixées. La mortalité est faible [ 13 ], les complications conductives et les fuites mitrales résiduelles significatives rares, sans doute grâce à l'approche visant à réparer l'appareil auriculoventriculaire gauche comme un système trifolié [ 4 ].
Chez le nourrisson, le cerclage pulmonaire fait place aujourd'hui à la chirurgie radicale [ 2], [6], [16 ]. Loin d'être péjoratif, le très jeune âge du patient est un facteur de bon résultat car l'hypertension artérielle pulmonaire a peu de chances d'être fixée par des résistances pulmonaires élevées avant 6 mois. Les formes régulières ont toutes chances d'être guéries à long terme par une cure complète dès le premier semestre au prix d'une mortalité et d'une morbidité très faibles. Seules les formes très complexes, avec double orifice gauche, pilier gauche unique, déhiscences commissurales sévères, ou avec hypoplasie ventriculaire gauche très marquée, ou encore obstruction sous-aortique significative isolée ou associée à une coarctation aortique, défauts septaux ventriculaires multiples, restent du domaine de la palliation par cerclage ou dérivation cavopulmonaire totale ou transplantations.

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Les formes partielles de CAV sont beaucoup plus fréquentes et nettement moins graves que les formes complètes. Nous n'envisagerons sous ce titre que deux cardiopathies : la communication interauriculaire de type ostium primum et l'oreillette unique.

On groupe sous cette appellation deux tiers de tous les cas de CAV. Elle est souvent associée à des anomalies cardiovasculaires mineures comme un autre défaut septal auriculaire de type ostium secundum, une veine cave supérieure gauche drainée au sinus coronaire, une sténose valvulaire pulmonaire. La trisomie 21 ne lui est associée que dans 5 % des cas [ 17 ].

Clinique
La tolérance fonctionnelle est en règle excellente et dépend de l'importance de la fuite auriculoventriculaire gauche : si elle est minime, la cardiopathie est asymptomatique et n'est en général découverte qu'après 2 ans, sur l'auscultation d'un souffle ; si la fuite est importante, une dyspnée d'effort et des infections pulmonaires à répétition peuvent survenir dès les premiers mois.
L'auscultation fait entendre un souffle systolique éjectionnel d'intensité modérée, maximal au deuxième espace intercostal gauche : il correspond à l'accroissement de débit à travers l'orifice pulmonaire. Il est fréquemment suivi d'un dédoublement du 2e bruit, parfois fixe, mais sans éclat de la composante pulmonaire tant qu'il n'y a pas d'hypertension pulmonaire, cas habituel de l'enfant ; puis d'un bruit diastolique roulant sur la xiphoïde par gros débit transtricuspide lié au shunt gauche-droite auriculaire. Enfin, il est fréquent d'entendre à la pointe un souffle holosystolique doux de fuite mitrale irradiant vers l'aisselle et le dos ; il est généralement peu intense mais peut dominer, voire résumer, l'auscultation et être accompagné d'un roulement diastolique.

Radiographie
Sur la radio, le volume du coeur peut être normal mais, plus souvent que dans les communications interauriculaires de type ostium secundum, il est augmenté au prorata du degré de fuite auriculoventriculaire. La vascularisation pulmonaire n'est augmentée qu'en cas d'hyperdébit pulmonaire significatif.

Electrocardiographie
Les anomalies électrocardiographiques sont assez voisines de celles des CAV complets [ 18 ] : PR long, surcharge auriculaire dans près de 60 % des cas, déviation axiale gauche de QRS presque constante, retard droit d'autant plus fréquent que l'enfant est plus jeune. Il n'y a de surcharge ventriculaire gauche qu'en cas de fuite mitrale significative.

Echocardiographie
Les images bidimensionnelles sont très suggestives [ 11], [27 ]. L'ostium primum est évident. Au lieu de passer en pont au-dessus de la crête du septum interventriculaire, les deux valves auriculoventriculaires antérieure et postérieure sont unies par une languette médiale de tissu valvulaire solidaire de cette crête : ainsi, elles paraissent s'insérer au même niveau du septum interventriculaire. Au-dessous de cette attache, il n'y a aucun défaut, tout au plus du tissu accessoire d'origine tricuspide venant combler une petite communication interventriculaire. L'aspect de la valve auriculoventriculaire gauche est le même que dans les formes complètes, à trois feuillets avec une commissure supplémentaire, dirigée vers le ventricule droit, entre les feuillets antéro- et postéromédiaux.
Comme plus haut, l'écho-doppler renseigne parfaitement sur la direction et l'importance du shunt auriculaire, le degré de régurgitation auriculoventriculaire gauche, et l'état du lit artériel pulmonaire.

Cathétérisme et angiocardiographie
Les investigations endocavitaires n'ont plus guère d'intérêt sauf quand les méthodes non invasives sont prises en défaut ou que l'on soupçonne des anomalies associées difficiles à documenter aux ultrasons (retours veineux anormaux) ou insolites (hypertension artérielle pulmonaire).
La sonde de cathétérisme décrit des trajets souvent analogues à ceux des formes complètes. Un shunt gauche-droite auriculaire apparaît à l'oxymétrie. Les pressions sont en règle normales. Le rapport des débits pulmonaire/systémique est autour de 3 avec des résistances normales [ 19 ]. Contrairement aux formes complètes, il n'y a jamais de maladie vasculaire obstructive pulmonaire par ostium primum chez le jeune enfant et toute hypertension pulmonaire significative invite à rechercher des anomalies associées.
L'angiocardiographie ventriculaire gauche dans les deux obliques fournit des images identiques à celles décrites dans les formes complètes à quelques détails près : la fuite systolique ne se fait que vers les oreillettes et il n'y a en principe aucun passage direct vers le ventricule droit ; le chenal sous-aortique est moins étroit ; le ventricule gauche est le plus souvent de dimensions normales, sauf chez certains nourrissons où une hypoplasie " fonctionnelle " par défaut de précharge ventriculaire gauche peut être associée à un vaste ostium primum shuntant massivement gauche-droite, et peut disparaître après cure chirurgicale.

Pronostic et traitement
La tolérance est en général excellente pendant les premières années de la vie. Mais plus souvent et plus vite que dans les autres défauts septaux auriculaires, on finit par voir apparaître dans la deuxième enfance ou l'adolescence une insuffisance cardiaque ou des troubles du rythme. Il est ainsi souhaitable d'opérer ces enfants électivement vers l'âge de 5 à 6 ans.
L'intervention consiste à fermer l'ostium primum par une pièce et à réparer la valve auriculoventriculaire gauche soit par suture de la " fente " soit, plus logiquement, par plastie trivalvulaire [ 4 ], en tenant compte d'anomalies associées comme un double orifice mitral [ 12 ]. La mortalité actuelle n'est pas nulle puisqu'on l'estime à 3 % [ 12], [14 ]. On doit également connaître la possibilité de complications postopératoires : blocs auriculoventriculaires complets [ 15 ], et surtout fuites mitrales résiduelles qu'on trouve dans toutes les mains et qui peuvent conduire à des réinterventions, voire un remplacement valvulaire à terme. Cela dit, la grande majorité des opérés peuvent être considérés comme définitivement guéris.

L'oreillette unique est une malformation rare, ne comptant que pour 5 % des CAV. On la rencontre communément dans le syndrome d'Ellis-Van Creveld. Elle a les mêmes caractères morphologiques que la cardiopathie précédente à ceci près que le septum interauriculaire est totalement absent. De plus, elle fait très souvent partie d'un complexe qui associe des anomalies du retour veineux systémique (veine cave supérieure gauche au sinus coronaire, à la veine cave inférieure ou à la partie gauche de l'oreillette ; continuation azygos de la veine cave inférieure ; drainage cave inférieur à la partie gauche de l'oreillette) et des anomalies de positions ou de connexions (dextrocardie, hétérotopies abdominales, lévo-isomérisme avec syndrome de polysplénie plus souvent qu'asplénie).
La tolérance clinique est en général altérée par des symptômes apparus dès la première année de vie, infections respiratoires à répétition surtout. La séméiologie est la même que celle de l'ostium primum, mais il faut y ajouter une cyanose, quasi constante mais généralement discrète ; et, parfois, des signes d'un situs inversus ou ambigu, de type lévo-isomérisme surtout.
Les données échocardiographiques sont celles d'un CAV mais on ne parvient pas à identifier le septum interauriculaire. La recherche des connexions veineuses, caves et pulmonaires, est un temps très important du bilan préopératoire et bénéficie grandement de l'écho-doppler.
L'investigation endocavitaire reste souvent indiquée pour la même raison. Elle se doit d'abord de décrire avec précision la topographie des abouchements veineux à l'oreillette. L'oxymétrie est singulière par un shunt bidirectionnel important dès l'oreillette au point que les " quatre " cavités du coeur et les deux grosses artères ont la même désaturation modérée (autour de 85 %). Les pressions droites sont plus souvent élevées que dans l'ostium primum à l'âge égal, du fait d'un plus gros débit pulmonaire, mais surtout d'une élévation plus précoce des résistances vasculaires pulmonaires.
Cette tendance à l'hypertension artérielle pulmonaire explique qu'on doive opérer ces enfants dès la première enfance, même quand tout va bien. Cette chirurgie expose aux mêmes risques que celle de l'ostium primum ; elle devient assez complexe quand il faut corriger dans le même temps les anomalies de retours veineux [ 10 ]. Mais, là encore, le pronostic postopératoire d'ensemble est bon.

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