Fibrinolytiques : mécanisme d'action et utilisation dans l'infarctus et dans l'embolie pulmonaire



Bernard Charbonnier: Professeur des Universités, praticien hospitalier
Cardiologie D et urgences et soins cardiaques intensifs, hôpital Trousseau, avenue de la République, 37170 Chambray-les-Tours France
Gérard Pacouret: Praticien hospitalier
11-917-A-10 (1997)



Résumé

Les thrombolytiques ont d'abord été testés dans l'embolie pulmonaire (EP), puis utilisés de façon courante dans le traitement de l'infarctus du myocarde (IDM) à partir du début des années 1980. Streptokinase (SK) et urokinase, thrombolytiques de première génération, sont progressivement supplantées par de nouveaux thrombolytiques. Ceux-ci sont fabriqués par génie génétique, l'activateur tissulaire du plasminogène (t-PA) (altéplase), ou des mutants comportant des modifications de la structure de la molécule originale (retéplase, lanotéplase). La pro-urokinase (pro-UK) (saruplase), synthétisée par génie génétique, est encore en cours d'étude à la fois dans le traitement de l'IDM et de l'EP. Dans l'IDM, la thrombolyse est une avancée thérapeutique majeure. La mortalité hospitalière, qui était de l'ordre de 13 % au début des années 1980 avec le traitement conventionnel, a été diminuée aux environs de 6 à 8 % avec l'association altéplase, héparine, aspirine. Toutefois, des progrès considérables doivent être faits pour améliorer la prise en charge et le traitement précoce des patients ayant un IDM. En effet, seulement 30 à 40 % seulement sont thrombolysés, un délai d'admission supérieur à 6 heures ou 12 heures est la raison la plus fréquente de ne pas thrombolyser ces patients. Dans l'EP, modèle initial de l'utilisation des thrombolytiques, l'emploi de la thrombolyse est beaucoup plus rare. En effet, si la thrombolyse a montré une efficacité supérieure à l'héparine standard quant à la rapidité et l'importance de la revascularisation pulmonaire et l'amélioration hémodynamique, la réduction de la mortalité n'a jamais été démontrée lors de grands essais comme dans l'IDM. Cependant, le traitement thrombolytiques est bénéfique chez les patients ayant une EP massive mal tolérée sur le plan hémodynamique avec état de choc. Comme dans l'IDM, l'altéplase semble être plus efficace que SK ou UK au prix d'un risque hémorragique, notamment cérébral, probablement supérieur.

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Plan

Introduction
Médications thrombolytiques (fig 1)
Complications de la thrombolyse
Contre-indications des thrombolytiques
Surveillance des traitements thrombolytiques
Thrombolytiques dans le traitement de l'infarctus du myocarde
Thrombolytiques dans le traitement de l'embolie pulmonaire

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La thrombose coronaire est le mécanisme physiopathologique principal de l'IDM. La migration d'un thrombus veineux dans les artères pulmonaires à partir d'une veine périphérique est à l'origine du tableau clinique de l'EP. Bien que de structure et de taille très différentes dans ces deux affections cardiovasculaires, la thrombose joue un rôle majeur. Depuis près de 30 ans, la découverte des premiers thrombolytiques a suscité une recherche dynamique et abondante, d'abord dans l'EP et plus récemment dans l'IDM. Les résultats spectaculaires déjà obtenus, par rapport au traitement anticoagulant par héparine malgré un risque hémorragique supérieur, font de la thrombolyse " le traitement conventionnel " de l'IDM ; les indications sont encore discutées en revanche dans l'EP.

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Streptokinase
Elle est formée d'une chaîne polypeptidique de 47 000 à 50 000 Da de poids moléculaire. Produite par plusieurs variétés de streptocoques, elle n'a pas d'activité enzymatique propre et ne peut transformer le plasminogène en plasmine qu'après formation d'un complexe équimoléculaire SK-plasminogène dit complexe activateur. Elle n'a aucune fibrinospécificité. La consommation du plasminogène plasmatique et la formation de quantité importante de plasmine provoquent une chute des alpha-2 antiplasmines, du fibrinogène circulant, des facteurs V et VIII.

La SK est antigénique. Les taux d'anticorps restent élevés plusieurs mois, contre-indiquant les traitements répétés dans un délai inférieur de 6 à 12 mois. La demi-vie plasmatique est de l'ordre de 30 minutes.

Anistreplase
L'anistreplase ou APSAC (anisoylated plasminogen streptokinase activator complex) est un complexe équimoléculaire de SK et de plasminogène humain. Le site catalytique est bloqué par un groupement p-anisoyl. Cette manipulation chimique ralentit la transformation du plasminogène en plasmine. En revanche, l'affinité de l'anistreplase pour la fibrine du thrombus est assez limitée. L'intérêt de l'anistréplase est une augmentation de la demi-vie de la SK, de l'ordre de 90 minutes, permettant l'administration intraveineuse unique. Les problèmes antigéniques sont les mêmes qu'avec la SK.


Urokinase
Extraite de l'urine humaine ou produite à partir de cultures de cellules rénales, elle est formée de deux chaînes polypeptidiques ; elle existe sous deux formes, soit haut poids moléculaire 55 000 Da, soit bas poids moléculaire 33 000 Da après protéolyse. L'UK transforme directement le plasminogène circulant ou fixé sur le thrombus en plasmine active ; celle-ci dégrade la fibrine du thrombus et le fibrinogène plasmatique.
L'UK n'est pas antigénique ; les traitements itératifs sont donc envisageables. La demi-vie plasmatique est d'environ 15 minutes, nécessitant le plus souvent l'administration en perfusion intraveineuse prolongée.

Pro-urokinase ou single-chain urokinase type plasminogen activator (scu-PA)
Synthétisée par génie génétique, la recombinant scu-PA ou saruplase est un polypeptide monocaténaire précurseur de l'UK, de poids moléculaire 55 000 Da. En présence de fibrine, elle devient capable d'activer le plasminogène en plasmine, ce qui lui confère une fibrinospécificité relative. Toutefois, aux doses utilisées en thérapeutique, elle provoque une baisse importante du fibrinogène comparable à celle obtenue par l'UK. La demi-vie plasmatique est de l'ordre de 6 minutes. Elle est administrée par perfusion intraveineuse. Elle n'est pas antigénique.

Le t-PA synthétisé par les cellules endothéliales est présent à l'état de traces dans le plasma, son poids moléculaire est d'environ 70 000 Da. Produit par génie génétique, le recombinant-PA (rt-PA ou altéplase) est une glycoprotéine monocaténaire. En présence de fibrine, le rt-PA devient un activateur puissant et rapide du plasminogène. Après modification de sa structure, il se fixe sur la fibrine du thrombus. Ainsi, le rt-PA a une action puissante sur la fibrine du thrombus et l'action lytique plasmatique est plus faible que les autres thrombolytiques. Cette action bénéfique est cependant plus limitée en thérapeutique étant donné les fortes doses utilisées. L'altéplase n'est pas antigénique. La demi-vie est de l'ordre de 6 minutes, nécessitant l'administration le plus souvent par perfusion intraveineuse.

La molécule originale du t-PA fait l'objet de multiples modifications de structure (mutants de t-PA) pour augmenter l'affinité pour le plasminogène, pour augmenter la demi-vie ou la résistance à l'inhibition plasmatique. La fibrinospécificité peut être modifiée par la manipulation génétique.

- La retéplase diffère du rt-PA par la disparition du kringle 1, du finger domain et du growth factor domain. Le principal résultat est une diminution de la clairance plasmatique avec une demi-vie plasmatique de l'ordre de 14 à 18 minutes et la possibilité d'administration en bolus intraveineux. Expérimentalement, le pouvoir thrombolytique est cinq fois plus important que le rt-PA [ 27 ].
- Le TNK t-PA comporte plusieurs modifications au niveau de la chaîne des acides aminés. Le résultat est une augmentation de la demi-vie de la molécule (multipliée par 8) une résistance au PAI 1 (plasminogen activator inhibitor 1) (multipliée par 200) et une augmentation de la fibrinospécificité et du pouvoir thrombolytique multiplié par 8 par rapport au t-PA natif [ 6 ].
La staphylokinase, produite par certaines variétés de staphylocoques, est maintenant fabriquée par génie génétique (staphylokinase recombinante). Elle forme avec le plasminogène un complexe activateur plasminogène-straphylokinase inactif qui, converti en plasmine-staphylokinase, active le plasminogène circulant. Le pouvoir thrombolytique est comparable à celui du rt-PA. Elle est antigénique ce qui interdit l'administration répétée.
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Les complications des thrombolytiques sont avant tout hémorragiques et les hémorragies cérébrales sont les plus redoutables. Les traitements adjuvants, héparine, antiagrégants plaquettaires, nouveaux antithrombotiques, ainsi que la réalisation d'explorations invasives contribuent à l'augmentation de la fréquence des hémorragies. Ils représentent la complication majeure de la thrombolyse ; la fréquence est de l'ordre de 1,2 % contre 0,8 % sous héparine [ 9 ]. Cette différence (0,4 %) est due essentiellement aux hémorragies cérébrales plus fréquentes sous thrombolytiques avec un taux de mortalité d'au moins 60 %. La méta-analyse [ 19 ] des essais GISSI 2 [ 17 ] et ISIS 3 [ 23 ] fait apparaître un excès d'accidents vasculaires cérébraux sous rt-PA par rapport à la SK de l'ordre de 4/1 000 (2p < 0,001) et des hémorragies cérébrales 3/1 000 (2p < 0,00001). Dans l'étude GUSTO 1 (global utilization of streptokinase and tissue plasminogen activator for occluded coronary arteries) [ 39 ], avec le rt-PA administré rapidement associé à l'aspirine et l'héparien intraveineuse, l'excès d'accidents vasculaires cérébraux par rapport au traitement classique avec SK et héparine sous-cutanée et aspirine a été confirmé. Cette augmentation du risque d'hémorragies cérébrales a également été constatée avec la retéplase. Aucune étude randomisée dans l'EP ne permet d'avoir une estimation du risque d'hémorragies cérébrales. En colligeant les résultats des différentes études randomisées, la fréquence est de 0,5 % (3/608) avec l'UK et de 1,7 % (8/469) avec le rt-PA [ 30 ]. Ainsi, comme dans l'IDM, l'efficacité du rt-PA est acquise au prix d'une augmentation du risque d'accidents vasculaires cérébraux. Leur fréquence nécessitant transfusion ou constituant un risque vital dépend beaucoup de la réalisation ou non de techniques invasives. La fibrinolyse [ 9 ] en elle-même comporte une augmentation du risque d'hémorragies graves, 1,1 % versus 0,4 % dans les groupes contrôles (2p < 0,00001). La réalisation d'une coronarographie peut faire augmenter ce taux jusqu'à 12 à 15 % [ 4 ]. Dans l'EP, la fréquence est variable selon les essais et dépend également de la réalisation d'examens invasifs. Ainsi dans l'UPET [ 41 ], la fréquence est de 27 % sous UK mais aussi de 15 % sous héparine ; en revanche, la fréquence de ces hémorragies n'a été que de 3 à 5 % dans l'étude européenne [ 40 ]. Avec le rt-PA, ces mêmes accidents ont été notés dans 11 à 24 % après administration soit en bolus soit de 100 mg/2 h. En fait, quel que soit le thrombolytique utilisé, la tendance est à la diminution de la fréquence avec des chiffres de 8 à 15 %. La suppression de l'angiographie pulmonaire, selon Stein [ 36 ], permettrait de diminuer le risque d'hémorragies majeures de 14 à 4,2 %. Le bénéfice de l'association SK-aspirine dans l'IDM a été largement démontré [ 22 ]. En revanche, l'adjonction d'héparine sous-cutanée ne modifie pas le taux de mortalité au 35e jour mais augmente le risque d'hémorragies graves (3/1 000) et notamment d'hémorragies cérébrales (1/1 000). Le risque hémorragique de l'association rt-PA -héparine intraveineuse ou sous-cutanée versus placebo d'héparine n'a fait l'objet d'aucun essai d'envergure. La justification de cette association a été établie à partir d'études de perméabilité coronaire précoce. Ils sont surtout le fait de la SK et de l'anistreplase. Les réactions anaphylactiques graves avec état de choc sont exceptionnelles ; dans les grandes séries, ce risque est inférieur à 0,5 % [ 22 ]. En revanche, les réactions allergiques minimes, fièvre, arthralgies, éruptions cutanées, voire maladie sérique et insuffisance rénale, sont possibles et compatibles avec la formation et l'augmentation des immuns complexes immunoglobulines (Ig) G-SK. Des réactions allergiques ont été notées exceptionnellement avec l'UK dans le traitement des EP. Dans une série ancienne [ 26 ] avec la SK, une baisse de 35 mmHg en moyenne avait été notée et 35 % des patients avaient eu de façon transitoire une pression artérielle systolique inférieure ou égale à 90 mmHg. L'importance de la chute de pression artérielle dépend beaucoup de la rapidité d'injection de la SK. Dans les grands essais GISSI 2 [ 17 ] et ISIS 3 [ 23 ], la fréquence des hypotensions artérielles sévères a été de 4,4 % et 6,8 % avec la SK, 7,2 % avec l'anistreplase et 2 % et 4,3 % avec le rt-PA.
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Dans l'étude GUSTO, à partir de 286 patients ayant eu un accident vasculaire cérébral, les facteurs prédictifs ont été dans l'ordre : l'âge, le faible poids, les antécédents d'accident vasculaire cérébral ischémique ou d'accident transitoire, l'hypertension artérielle, l'association SK-rt-PA. Sont également à prendre en compte les antécédents de traumatisme crânien et l'état de démence. À partir de ces données, une liste de contre-indications peut être établie (tableau I).
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Elle a été beaucoup simplifiée au fil des années, elle est utile surtout au décours immédiat de la thrombolyse pour adapter les anticoagulants. Il permet de dépister une éventuelle anomalie de la coagulation ; les résultats sont souvent connus après la mise en route du traitement. Certaines anomalies sont des contre-indications à la thrombolyse : temps de Quick spontané inférieur à 50 %, taux de fibrinogène inférieur à 1 g/L, chiffre de plaquettes inférieur à 100 × 109/L. Le taux de fibrinogène circulant reflète l'état lytique systémique et a été corrélé au risque hémorragique. En fait, les hémorragies périphériques surviennent surtout aux points de ponction et le risque d'hémorragie cérébrale est difficile à apprécier. Les taux de fibrinogène, des D-dimères et des produits de dégradation de la fibrine n'ont jamais été bien corrélés avec l'efficacité thérapeutique. Le risque de réocclusion coronaire est assez peu prévisible par la biologie. En effet, ni les dosages du fibrinopeptide A, des fragments de prothrombine ni du PAI 1 ne sont corrélés avec la fréquence des réocclusions. En revanche, l'augmentation du complexe thrombine-antithrombine semblerait être corrélée soit à la rethrombose coronaire, soit à l'inefficacité thérapeutique.
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L'intérêt de la thrombolyse par rapport au traitement classique par héparine n'est plus discutable. Chaque thrombolytique disponible a été testé contre placebo dans au moins un grand essai depuis plus de 10 ans : la SK dans les essais GISSI 1 [ 11 ], ISIS 2 [ 22 ], l'anistreplase dans l'étude AIMS [ 1 ] et enfin le rt-PA dans l'essai ASSET [ 47 ]. Il en résulte une réduction de l'ordre de 28 % de la mortalité précoce par rapport au traitement classique en cas de traitement dans les 3 premières heures après le début de la douleur. Le bénéfice diminue à 18 % entre la quatrième et la sixième heure et à 14 % entre la septième et la douzième heure. À l'inverse, un traitement précoce dans la première heure diminue la mortalité de 50 %. Les critères de sélection habituels sont : douleur angineuse évoluant depuis au moins 30 minutes et moins de 6 heures avec un sus-décalage du segment ST dans deux dérivations contiguës chez un patient de moins de 75 ans. Le respect strict de ces critères aboutit à ne traiter qu'un tiers des patients environ. En 1994, une méta-analyse des principaux essais a été publiée [ 9 ] à partir des essais randomisés incluant plus de 1 000 patients avec un groupe contrôle, soit au total 51 600 patients. Globalement, la thrombolyse est bénéfique chez les patients ayant un tableau clinique faisant suspecter un IDM avec un sus-décalage du segment ST ou un bloc de branche sur l'électrocardiogramme, évoluant depuis moins de 12 heures. Selon le délai de traitement, 20 à 30 vies pour 1 000 patients traités sont sauvées au prix de deux accidents vasculaires cérébraux non mortels. Thrombolyse et syndromes coronariens aigus sans sus-décalage du segment ST : la méta-analyse [ 9 ] a montré clairement l'absence de bénéfice de la thrombolyse dans cette éventualité (mortalité 7,5 % versus 7,4 %). L'étude TIMI IIIB [ 42 ] (1 473 patients) dans l'angor instable et l'IDM sans Q a montré les risques de la thrombolyse avec une mortalité de 8,9 % (rt-PA) contre 6,9 % (traitement conventionnel). Thrombolyse et arrêt cardiorespiratoire : classique contre-indication de la thrombolyse, cette attitude doit être révisée ; en effet, trois essais récemment publiés n'ont pas montré de majoration du risque de la thrombolyse en cas de réanimation cardiorespiratoire brève (moins de 10 minutes) [ 18 ]. Il y a 20 ans, Reimer et al [ 33 ] avaient montré les corrélations entre la taille de l'IDM et la durée de l'occlusion coronaire. L'analyse des sous-groupes des grands essais avait montré une diminution de la mortalité en cas de traitement précoce. Dans l'étude GUSTO, chaque heure gagnée réduit la mortalité de 0,5 à 1 %. Thrombolyse précoce et préhospitalière : trois essais centrés sur les délais de traitement ont testé l'efficacité et l'intérêt de la thrombolyse préhospitalière (EMIP [ 37 ], GREAT [ 16 ], MITI [ 46 ]). Dans l'étude EMIP [ 37 ], 5 469 patients ont été traités soit à l'admission, soit en préhospitalier (gain de temps 55 minutes) par l'anistreplase. La mortalité respective dans les deux groupes a été de 11,1 % et 9,7 %, soit 13 vies sauvées pour 1 000 patients traités (ns). Cependant, le bénéfice devient significatif si le gain de temps entre les deux groupes est supérieur à 90 minutes, la réduction de la mortalité à 30 jours atteint 42 % (p = 0,047). Dans l'essai GREAT [ 16 ], le gain de temps en préhospitalier est de 130 minutes ; de ce fait, la mortalité entre les deux groupes est très différente à 1 an, 10,4 % versus 21,6 % (diminution de 52 % - p = 0,007). Dans l'étude MITI [ 46 ] (360 patients) avec le rt-PA, le gain de temps est minime, 33 minutes ; les résultats ne sont pas différents entre les deux groupes avec une mortalité de 5,7 % et 8,1 % (ns). En revanche, en cas de traitement précoce avant la 70e minute, quel que soit le lieu d'administration, la mortalité est réduite, 1,7 % versus 8,7 % (p = 0,04). Thrombolyse entre la sixième et la douzième heure : deux essais ont été consacrés à ce problème, l'un avec la SK (EMERAS - 8), l'autre par le rt-PA (LATE - 25). Incluant respectivement 4 534 patients et 5 711 patients, ils ont montré une tendance non significative avec une réduction de la mortalité avec la SK (11,7 % versus 13,2 %) et une réduction significative avec le rt-PA (8,9 % versus 12 % - p = 0,02). Ces données pourraient être un argument de choix du thrombolytique en fonction du délai. Ainsi, la précocité du traitement est essentielle quel que soit le thrombolytique utilisé [ 29 ]. Tous les efforts doivent porter sur l'amélioration des délais de prise en charge de l'IDM avec un raccourcissement des délais de traitement. Trois thrombolytiques à ce jour sont disponibles : SK, anistreplase, altéplase. L'UK n'est pratiquement plus utilisée dans l'IDM. Plusieurs sont encore à l'étude avec des résultats encourageants : la saruplase, la retéplase.
Comparaison SK-eminase-rt-PA
Deux essais, GISSI 2 [ 17 ] et son complément international et ISIS 3 [ 23 ], ont comparé les thrombolytiques entre eux. Dans l'essai GISSI 2 [ 17 ], les patients avaient un IDM de moins de 6 heures ; la SK était administrée à la dose classique de 1,5 MU (30 à 60 minutes) et le rt-PA 100 mg pendant 3 heures (10 mg bolus + 50 mg première heure + 40 mg les 2 heures suivantes). L'héparinothérapie 12 500 UI deux fois par jour sous-cutanée était administrée à partir de la 12e heure. Dans l'essai ISIS 3 [ 23 ], le délai de traitement étant reporté jusqu'à la 24e heure, la SK était administrée en 60 minutes, l'anistréplase 30 U en 3 minutes et le rt-PA (dutéplase) sur 4 heures après un bolus. L'héparine 12500 UI sous-cutanée était commencée à partir de la quatrième heure. Dans les deux essais, tous les patients recevaient de l'aspirine (300-325 mg GISSI 2 ou 162 mg ISIS 3). Aucune différence quant à la mortalité n'a été notée (tableau III) ; en revanche, il était constaté un excès d'accidents vasculaires cérébraux dans les groupes t-PA. Toutefois, ces résultats allaient à l'encontre de l'hypothèse de l'artère ouverte et du sauvetage myocardique et donc de la diminution de la mortalité. De nombreuses critiques méthodologiques et la confirmation d'une plus grande efficacité du t-PA administré rapidement ont été à l'origine de la conception de l'essai GUSTO 1 [ 39 ]. Dans ce dernier essai géant (41 021 patients), les patients ayant un IDM de moins de 6 heures ont été traités selon l'un des quatre schémas suivants : SK 1,5 million d'UI/60 min et héparine sous-cutanée, SK 1,5 million d'UI/60 min et héparine intraveineuse, rt-PA 100 mg/90 min (15 mg bolus + 0,75 mg/kg 30 min + 0,5 mg/kg 60 min) et héparine intraveineuse ou l'association rt-PA 1 mg/kg/60 min + SK 1 million d'UI/60 min et héparine intraveineuse. Tous les patients recevaient de l'aspirine 160 mg/j à 325 mg/j. Le t-PA accéléré associé à l'héparine intraveineuse permet une diminution de la mortalité globale de 14 % (6,3 % versus 7,2 %) par rapport au traitement conventionnel par SK au prix d'une augmentation du taux d'accidents vasculaires cérébraux de 0,3 % (p<0,05) et d'hémorragies cérébrales de 0,2 % (p<0,03). Au cours de cet essai, 2 431 patients ont eu un contrôle angiographique [ 38 ] soit à 90 minutes et à 5-7 jours, soit à 180 minutes, soit 24 heures après traitement. Cette analyse a confirmé le bien-fondé de l'hypothèse de l'artère ouverte et du sauvetage myocardique. La fraction d'éjection ventriculaire gauche était normale en cas d'artère ouverte (TIMI 3) à 90 minutes et au cinquième-septième jour de l'ordre de 60 % ; en revanche dans les autres groupes (TIMI 0-1-2), elle est plus basse et le reste au contrôle cinquième-septième jour (55 % environ). La mortalité est moindre en cas de fraction d'éjection supérieure à 45 % : 3,9 % contre 14,7 % en cas de fraction d'éjection égale ou inférieure à 45 % (p<0,001). Globalement, la mortalité diminue de 8,9 % en cas d'artère occluse TIMI 0-1, à 4,4 % en cas d'artère parfaitement perméable TIMI 3 (p = 0,009). La saruplase (r-scu-PA ou pro-urokinase) a déjà été testée chez plusieurs milliers de patients, la perméabilité coronaire précoce (60e min) avec 80 mg/60 min est supérieure à celle obtenue avec la SK, 71 % versus 48 % [ 32 ]. La saruplase s'est révélée aussi efficace que le rt-PA 100 mg/3 h avec un taux de perméabilité précoce à 90 minutes de l'ordre de 80 % (TIMI 2-3) [ 3 ]. La retéplase semble plus efficace que le rt-PA à la 90e minute avec 62 % contre 44 % d'artères perméables TIMI 3 (p<0,5) [ 34 ]. L'étude de mortalité [ 21 ] a été réalisée chez 6 010 patients ayant un IDM de moins de 12 heures en comparaison avec la SK. La mortalité au 35e jour est identique dans les deux groupes, 9 % versus 9,5 %, avec un taux d'accidents vasculaires cérébraux légèrement supérieur dans le groupe retéplase, 1,56 % versus 1,23 % et des hémorragies cérébrales 0,77 % versus 0,37 % (ns). L'essai GUSTO III [ 43 ] a comparé la retéplase en double bolus à 30 minutes d'intervalles au rt-PA 100 mg/90 min chez 15 060 patients. La mortalité dans les deux groupes est comparable, 7,43 versus 7,22 %, de même que l'incidence des hémorragies graves (0,72 versus 0,82 %) et la fréquence des accidents vasculaires cérébraux (1,67 % retéplase versus 1,83 % rt-PA). Les résultats des divers essais " géants " de thrombolyse dans l'IDM peuvent être résumés ainsi : nécessité d'obtenir le plus précocement possible par rapport au début des symptômes un flux coronaire aussi proche que possible de la normale (TIMI 3) au prix d'un risque hémorragique limité. Les traitements par altéplase accéléré (100 mg/90 min) ou la retéplase (double bolus) avec héparinothérapie efficace et adaptée répondent à ce jour le mieux à cet objectif. Toutefois, de gros progrès doivent être faits car 3 % seulement des patients sont traités au cours de la première heure et seulement 30 % des patients ayant un IDM sont thrombolysés. De plus, la perfusion post-thrombolyse est satisfaisante (TIMI 3) dans environ 50 à 60 % des cas avec un risque d'hémorragies cérébrales de 0,5 à 0,7 %. Malgré cela, la thrombolyse par voie intraveineuse utilisable partout et par tous a permis de diminuer considérablement la mortalité de l'IDM traité avant la sixième heure de près de 13 % [ 22 ] au début des années 1980, à 6,3 % avec le rt-PA associé à l'héparine intraveineuse et l'aspirine [ 39 ].
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Depuis le début des années 1980, la démarche diagnostique de l'EP a évolué vers la diminution des examens invasifs. De plus, la thrombolyse tend à se simplifier à la fois dans les modalités d'administration et la surveillance. Dans l'EP massive, l'obstruction aiguë de l'artère pulmonaire provoque une augmentation importante des résistances artérielles pulmonaires. Cette augmentation de type exponentiel se fait très rapidement à partir d'un chiffre d'obstruction de l'ordre de 50 % en l'absence de pathologie cardiorespiratoire associée [ 20 ]. Cette élévation des résistances a pour corollaire une dilatation des cavités cardiaques droites avec une dysfonction du ventricule droit bien étudiée par l'échographie transthoracique. Les signes échographiques ont été corrélés à l'obstruction angiographique (index de Miller) ; ainsi, le rapport des diamètres ventricule droit/ventricule gauche supérieur à 0,6 est le plus souvent associé à une EP massive de plus de 50 % [ 10 ]. Les anomalies de la cinétique du ventricule droit sont notées dans plus de 90 % des cas ayant un déficit de perfusion supérieur à 30 % sur la scintigraphie [ 48 ]. Cette dysfonction cardiaque droite, et gauche par retentissement, contribue à l'état de choc avec baisse du débit cardiaque et coronaire dans les formes graves, cause du décès dans les premières heures. En effet, la mortalité des EP est d'autant plus élevée que l'obstruction pulmonaire est importante, 3 à 8 % [ 5 ] dans les formes minimes ou submassives, à 30 % dans les formes massives avec choc [ 2 ]. L'objectif de la thrombolyse est donc d'améliorer au plus vite et au mieux cet état hémodynamique en diminuant rapidement l'obstruction artérielle pulmonaire, et par ce biais diminuer la mortalité immédiate. L'héparinothérapie standard ou de bas poids moléculaire n'a aucun pouvoir fibrinolytique. En revanche, elle prévient les récidives et permet à la fibrinolyse physiologique de dissoudre les caillots cruoriques intrapulmonaires. Toutes les études cliniques randomisées comparant héparine et thrombolytiques (UK, SK, altéplase) ont démontré la supériorité de la thrombolyse quant à la rapidité et l'importance de l'amélioration hémodynamique et de la revascularisation pulmonaire. La première étude randomisée (UPET - 41) comportait seulement 160 patients, la majorité souffrait d'EP non massives. Elle confirme la supériorité de l'UK avec 23,7 % de revascularisation à la 24e heure, contre seulement 7,4 % pour l'héparine, en revanche sans différence de mortalité (7,3 % UK, 9,5 % héparine). Avec le rt-PA, deux essais plus récents ont montré la supériorité de la thrombolyse par rapport à l'héparine standard, soit à partir de contrôles invasifs (cathétérismes, angiographies) [ 7 ], soit à partir de contrôles non invasifs (échographies, scintigraphies) [ 13 ]. Dans les EP massives au début des années 1970, trois études randomisées avec la SK versus héparine (86 patients au total) ont été réalisées. La mortalité au 15e jour a été de 4,4 % SK contre 9,1 % héparine. Plus récemment, un nouvel essai randomisé SK versus héparine [ 24 ] avait été mis en route dans les EP massives graves avec choc ; il a été rapidement interrompu après huit patients ; en effet, quatre patients traités par héparine étaient morts, aucun dans le groupe SK. Trois thrombolytiques ont actuellement reçu l'approbation de la FDA (Food and Drug Administration) selon les protocoles indiqués (tableau IV). Ces protocoles ont été établis à partir des études randomisées contre l'héparine avec l'UK (UPET - 41). La SK, moins coûteuse que l'UK, a été testée lors de l'étude USPET [ 44 ]. Cet essai a comparé l'UK à la posologie de 4 400 U/kg pendant 12 ou 24 heures après injection d'un bolus de 4 400 U/kg à la SK. Ces trois protocoles de traitement ont permis d'obtenir la même revascularisation angiographique précoce, en moyenne 43 % avec une mortalité de 7 % (UK 12 h) à 9 % UK et SK 24 heures au 15e jour. Un essai européen [ 40 ] a comparé des doses modérées d'UK 2 000 U/kg/h, associée à l'héparine adaptée, à l'UK à doses fortes pendant 12 heures selon l'USPET. Les résultats étaient comparables dans les deux groupes avec une revascularisation pulmonaire précoce de 26 % (UK 2 000) et 20 % (UK 4 400). L'utilisation de bolus d'UK 15 000 U/kg en 20 minutes dans les EP graves permet une amélioration hémodynamique rapide avec une baisse des résistances artérielles pulmonaires de 25 à 30 % à la troisième heure [ 31 ]. Le rt-PA, utilisé à la dose de 100 mg/2 h, provoque une lyse importante et plus rapide que l'UK administrée pendant 24 heures (doses UPET) avec, à la deuxième heure, une revascularisation de 22,6 % contre 8,5 % pour l'UK (index de Walsh) [ 14 ]. La comparaison des traitements UK pendant 12 heures et rt-PA 100 mg/2 h lors d'un essai européen a montré une baisse plus importante et plus rapide des résistances pulmonaires atteignant 36 % à la deuxième heure (rt-PA) contre 18 % (UK) [ 28 ]. Cette différence disparaît à la 12e heure et la revascularisation entre la 12e - 18e heure est identique dans les deux groupes, 30 +/- 26 % rt-PA versus 24 +/- 18 % UK. Cependant, cette supériorité du rt-PA disparaît en cas d'administration de forte dose d'UK (3 MU) en 2 heures [ 15 ]. Afin de diminuer le risque hémorragique et le coût de la thrombolyse, et au vu des premiers résultats expérimentaux, il a été proposé l'administration du t-PA en bolus de 0,6 mg/kg (maximum 50 mg). Deux essais randomisés ont été menés simultanément, l'un en France [ 35 ] avec des critères et des contrôles hémodynamiques et angiographiques, l'autre multinational coordonné par Goldhaber [ 12 ] comparant le mode d'administration en bolus au traitement classique 100 mg/2 h. Il n'y a eu aucune différence entre les deux traitements, tant du point de vue revascularisation pulmonaire que du point de vue hémodynamique, avec une baisse des résistances pulmonaires de 30 à 35 % dès la première heure. Ainsi, dans le traitement de l'EP encore plus que dans l'IDM, l'indication de la thrombolyse doit être appréciée en fonction du risque hémorragique et de la gravité potentielle de l'EP. La thrombolyse est clairement indiquée en l'absence de contre-indications dans l'EP massive, hémodynamiquement instable, d'autant plus qu'il existe des signes cliniques de mauvaise tolérance. Dans les EP graves, une amélioration hémodynamique peut être obtenue avec l'altéplase soit en bolus, soit 100 mg/2 h, voire encore avec de fortes doses d'UK en 2 heures. Dans les autres cas, même en cas d'EP sévères ou massives, l'efficacité du traitement anticoagulant est indéniable au prix de risque limité. De plus, à long terme, la supériorité des thrombolytiques par rapport à l'héparinothérapie n'est pas clairement établie quant à la revascularisation, la prévention des récidives et la mortalité.

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