Hypertension artérielle et ménopause







Anne-Marie Brisac: Docteur d'État es sciences, chargée de recherche
Inserm U337, faculté de médecine Broussais, Hôtel Dieu, 15, rue de l'École de médecine, 75006 Paris France
11-301-L-10 (1998)



Résumé

La prévalence de l'hypertension artérielle (HTA) augmente avec l'âge ; elle serait de 50 % chez la femme de plus de 60 ans, mais les modifications de pression artérielle strictement dépendantes de la ménopause restent difficiles à évaluer. La pression artérielle de la femme ménopausée se caractérise par une augmentation de la pression systolique et de la réactivité tensionnelle au stress ainsi que par un accroissement de la pression pulsée qui représente un facteur de mortalité coronarienne chez la femme de plus de 55 ans.
Le traitement hormonal substitutif (THS) ne semble pas modifier significativement la pression artérielle des femmes normotendues ou hypertendues. Cependant, des résultats récents provenant d'études en ouvert, suggèrent que 30 à 50 % des femmes normotendues ou hypertendues présenteraient une susceptibilité individuelle au THS, se manifestant par une augmentation tensionnelle et dont les mécanismes restent inconnus. Aucune donnée n'est disponible concernant les effets du THS sur la pression pulsée.
Dans le cadre de la prise en charge de la femme ménopausée hypertendue, la question des possibilités d'association du THS à un traitement antihypertenseur reste posée, en termes d'efficacité et de tolérance.

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Plan

Introduction
Influence de la ménopause sur la pression artérielle
Caractéristiques de la pression artérielle chez la femme ménopausée
Traitement hormonal substitutif et pression artérielle
Conclusion

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Chez la femme jeune, jusqu'à 50 ans, la prévalence de l'HTA est faible, inférieure à celle des hommes. Elle augmente en fonction de l'âge, mais de façon plus marquée après la cinquantaine.
Ainsi, dans l'étude américaine NHANES (National Health and Nutrition Examination Survey [ 2 ]), réalisée aux États-Unis pendant la période 1988-1991, la prévalence de l'HTA est inférieure à 20 % chez la femme blanche de moins de 50 ans et passe à 38 % pour la tranche d'âge comprise entre 50 et 59 ans et à 50 % chez la femme de plus de 60 ans (60-74 ans).
En France, les données de prévalence de l'HTA chez la femme sont peu nombreuses. Toutefois, les études régionales publiées font état d'une augmentation nette de la prévalence après 50 ans [ 13], [20], [27 ] et dans certaines études, à partir de 60 ans, la proportion de femmes hypertendues a tendance à être supérieure à celle des hommes [ 13 ].
La prévalence de l'HTA varie, selon ces études et selon la définition de l'HTA, de 20 à 28 % après 50 ans pour atteindre des valeurs supérieures à 35 % à partir de 60 ans. Dans ces études, l'HTA est définie par une pression artérielle supérieure à 140/90 mmHg ou supérieure à 160/95 mmHg et/ou par la prise d'un traitement antihypertenseur.
Dans une étude très récente, réalisée en France auprès de 31 732 femmes ayant consulté dans un centre d'examens de santé au cours de l'année 1995-1996, la prévalence de l'HTA, définie par une pression supérieure ou égale à 160/95 mmHg ou par un traitement antihypertenseur, varie de 14,4 % chez la femme âgée de 46 à 50 ans, à 22,7 % pour la tranche d'âge comprise entre 51 et 55 ans pour atteindre des valeurs proches de 40 % (38,9 %) chez la femme de 66 à 70 ans (Brisac AM, Vol S, Pannier B, Lecocq B, Tichet J, Asmar R, manuscrit soumis pour publication).
De telles données conduisent à discuter l'influence de la ménopause sur la pression artérielle.

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La ménopause, particulièrement la ménopause chirurgicale, semble favoriser l'augmentation du risque cardiovasculaire global. Les femmes en période d'activité génitale présentent, en effet, moins d'affections cardiovasculaires que les hommes du même âge. Cette protection diminue cependant, voire disparaît, après 50 ans, âge qui correspond à l'âge moyen de la ménopause [ 15 ]. Les maladies de l'appareil circulatoire, plus particulièrement les maladies vasculaires cérébrales et les cardiopathies ischémiques, principales conséquences de l'HTA, deviennent alors la première cause de décès chez la femme âgée [ 7 ].
D'une façon générale, la pression artérielle augmente avec l'âge mais les données de prévalence citées précédemment suggèrent que la carence estrogénique qui apparaît à la ménopause pourrait influencer l'augmentation tensionnelle âge dépendante. Cependant, les modifications de pression artérielle strictement liées à la ménopause sont difficiles à évaluer, d'une part parce que la ménopause coïncide avec le vieillissement, et d'autre part parce que la ménopause et la pression artérielle sont influencées par les mêmes facteurs que sont l'index de masse corporelle, la classe socio-économique et le tabac [ 29 ].
De plus, les résultats obtenus dans différentes études épidémiologiques sont contradictoires. Ainsi, les données des études longitudinales [ 30 ] suggèrent que la ménopause n'est pas associée à une augmentation de la pression artérielle et à une plus grande incidence d'HTA, alors que les résultats de certaines études transversales montrent, au contraire, une association positive, indépendante de l'âge entre ménopause et élévation tensionnelle [ 28 ]. Ainsi, certaines données, toutefois encore limitées, suggèrent que la carence estrogénique qui conduit à une perte des effets périphériques et centraux [ 3 ] des estrogènes dans la régulation cardiovasculaire, associée notamment à l'augmentation de l'index de masse corporelle et surtout à la redistribution androïde des graisses qui apparaissent à la ménopause, accélère l'augmentation âge dépendante de la pression artérielle [ 9], [28 ].

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La pression artérielle de la femme ménopausée se caractérise par :

- une augmentation de la pression artérielle systolique ;
- une augmentation de la pression pulsée (ou pression différentielle ; différence entre la pression systolique et la pression diastolique) ;
- une augmentation de la réponse tensionnelle au stress émotionnel.
La ménopause majore différents facteurs de risque cardiovasculaires dont un des plus étudiés est le métabolisme lipidique. En revanche, très peu d'études se sont intéressées au retentissement artériel de la carence estrogénique. Il apparaît cependant, dans une étude récente [ 12 ], que la réduction ou l'absence d'estrogènes circulants conduit à une diminution de la distensibilité artérielle qui s'accompagne, au niveau des artères centrales, d'une augmentation des ondes de réflexion artérielles qui sont un élément déterminant de la post-charge cardiaque. De tels effets artériels pourraient, au moins en partie, expliquer :
- la prévalence d'une hypertension systolique et d'une hypertrophie cardiaque qui se traduit, chez la femme ménopausée, par une augmentation de l'épaisseur de la paroi ventriculaire gauche [ 10], [19 ] ;
- l'augmentation de la pression pulsée [ 26], [28 ] qui représente, de façon spécifique chez la femme de plus de 55 ans, un facteur péjoratif de risque d'hypertrophie ventriculaire gauche et de mortalité coronarienne, indépendant de la pression artérielle moyenne [ 4 ].

La ménopause, naturelle ou chirurgicale, influence, de plus, la réponse au stress émotionnel mais ne modifie pas la réponse au stress physique. Ainsi, l'élévation de pression artérielle observée chez la femme ménopausée, normotendue ou hypertendue, en réponse à un stress mental, est significativement plus importante que celle enregistrée respectivement chez la femme non ménopausée ou chez la femme ménopausée normotendue [ 17], [18 ].
Cette hyperréactivité au stress s'accompagne, chez la femme ménopausée hypertendue, d'une altération de la sensibilité du baroréflexe. Ces deux facteurs, réactivité tensionnelle et sensibilité baroréflexe, pourraient être liés à la carence estrogénique [ 14 ] et jouer un rôle dans la physiopathologie de l'HTA de la femme ménopausée [ 17 ].

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L'objectif de l'hormonothérapie substitutive est de recréer une imprégnation estrogénique proche de celle qui existe chez la femme en période d'activité génitale et de réduire ainsi les symptômes climatériques.
Le THS est constitué d'un estrogène qui, en France, est essentiellement le 17-estradiol qui peut être administré per os, par voie percutanée ou par voie transdermique et qui est associé à un progestatif pendant au moins 12 jours par mois, de façon à prévenir toute hyperplasie endométriale.
Diverses études épidémiologiques suggèrent un effet protecteur du THS sur le risque cardiovasculaire et certaines recommandations récentes [ 5 ] proposent son utilisation en prévention primaire et secondaire du risque coronarien. Cependant, seuls les dérivés équins, administrés per os, ont actuellement une action cardioprotectrice préventive bien documentée. Pour cette classe d'estrogènes, il semble que l'amélioration du profil lipidique qui apparaît en traitement chronique ne soit responsable que de 25 à 50 % de ses effets bénéfiques sur la morbi-mortalité cardiovasculaire, ce qui conduit à poser la question du retentissement de ces molécules sur d'autres facteurs de risque cardiovasculaires, notamment aux niveaux tensionnel et artériel.

Les estrogènes, quelle que soit leur voie d'administration, qu'ils soient ou non associés à un traitement progestatif, modifient peu, voire réduisent légèrement la pression artérielle de femmes ménopausées normotendues [ 6], [8], [16], [21], [23], [24 ] ou hypertendues [ 8], [11], [16 ] et, dans le cas où un traitement antihypertenseur est associé, il n'est pas observé de modification du nombre d'antihypertenseurs prescrits [ 11 ]. Cependant, les études réalisées chez la femme hypertendue sont essentiellement des études prospectives, en ouvert, et leur nombre est trop faible pour en tirer des conclusions générales. Aucun essai randomisé n'a été réalisé dans de telles conditions d'administration du THS.
Il n'existe aucune donnée concernant le retentissement du THS sur la pression pulsée.

Une étude très récente, prospective et non randomisée [ 1 ], attire cependant l'attention sur un certain nombre de points. Ainsi, après 6 mois de traitement, alors que la pression artérielle, enregistrée en ambulatoire pendant 24 heures (MAPA) n'est pas modifiée par un traitement estrogénique administré per os ou est abaissée par une administration transdermique, dans l'ensemble du groupe de femmes normotendues étudié, l'analyse des réponses individuelles montre qu'il existe une grande variabilité de l'effet tensionnel et qu'une augmentation significative (supérieure à 5 mmHg) de la pression artérielle apparaît chez 30 à 50 % des femmes, sous chacun des deux traitements.
Des données comparables sont rapportées chez la femme hypertendue [ 11 ] ; l'étude des données individuelles montre que, comme chez la femme normotendue, 30 % environ des femmes hypertendues sous THS (quelle que soit la voie d'administration, en présence ou non d'un progestatif) présentent une augmentation de la pression systolique et/ou diastolique, supérieure à 5 mmHg, même en présence d'un traitement antihypertenseur. Certaines augmentations tensionnelles, plus importantes (de l'ordre de 20 mmHg), ont conduit à l'arrêt du THS dans ce groupe de femmes.
De plus, toujours dans une étude prospective, en ouvert, l'arrêt du THS chez la femme hypertendue s'accompagne chez 30 % des patientes d'une chute de la pression artérielle, ce qui suggère un possible effet hypertenseur du traitement estrogénique [ 31 ] chez certaines patientes.
Ces données sont à confirmer dans des études randomisées.
L'étude du suivi de la pression artérielle par la MAPA [ 1 ] souligne de plus l'existence d'effets tensionnels différents selon la durée d'administration du THS, notamment dans le groupe de femmes normotendues recevant un traitement estrogénique oral, où il est observé, après 3 mois de traitement, une réduction significative de la pression artérielle qui disparaît à 6 mois.
Les estrogènes administrés par voie orale induisent une élévation de l'angiotensinogène, liée à leur impact hépatique. Il n'apparaît pas, cependant, de corrélation entre les taux plasmatiques d'angiotensinogène et la pression artérielle sous THS [ 6 ].
Les effets vasodilatateurs des estrogènes auxquels pourraient être associés de possibles effets sur l'activité plasmatique de l'enzyme de conversion [ 22], [25 ] et/ou sur le système nerveux central [ 3 ], pourraient expliquer, au moins en partie, leurs effets hypotenseurs. En revanche, aucun élément ne permet, actuellement, de comprendre pourquoi l'estrogénothérapie substitutive peut, dans une population non négligeable des femmes traitées, majorer les chiffres tensionnels ou aggraver une hypertension préexistante et ne permet d'identifier, a priori, les femmes pouvant présenter cette " susceptibilité tensionnelle " au THS.

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De nouvelles études cliniques apparaissent donc nécessaires pour améliorer la prise en charge de la femme hypertendue ménopausée. Elles devront permettre de définir :

- l'intérêt et la possibilité d'une prise en charge thérapeutique spécifique de cette population ;
- la prise en charge de la femme ménopausée prenant un THS et les possibilités de prévenir ou d'identifier les femmes susceptibles de développer une élévation tensionnelle sous THS ;
- les possibilités d'association THS-traitement antihypertenseur et l'identification des meilleures associations qui devraient préserver, au mieux, les bénéfices de chacun de ces deux traitements.
Les réponses à ces questions sont indispensables pour améliorer l'approche thérapeutique de cette population qui, compte tenu de la prévalence élevée de l'HTA chez la femme ménopausée et des conséquences connues de ce facteur de risque en termes de morbi-mortalité cardiovasculaire, représente un réel problème de santé publique.

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