Stimulation transoesophagienne




Gilles Lascault
service de cardiologie du Pr Grosgogeat, hôpital Jean-Rostand, 39-41, rue Jean-Le-Galleu, 94200 lvry-Sur-Seine France
11-006-B-10 (1992)



Résumé

Les rapports anatomiques étroits existant entre l'oesophage et le coeur gauche expliquent la possibilité de stimuler l'oreillette gauche par voie oesophagienne. Cette technique, non invasive, utilisant un matériel simple et relativement peu coûteux, permet la réalisation d'explorations à visée diagnostique ou thérapeutique qui dispensent parfois d'utiliser la voie endocavitaire. Toutefois, cette méthode n'autorise que des explorations électrophysiologiques simples. Elle ne permet pas d'étudier de façon approfondie la conduction auriculoventriculaire et ne permet pas non plus, sauf cas particulier, une stimulation ventriculaire.

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Plan

Technique et réalisation
Indications de la stimulation oesophagienne
Complications de la stimulation oesophagienne

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Cette technique fait appel à un stimulateur et à des sondes particulières.

Le stimulateur oesophagien est un appareil spécial, dédié spécifiquement à cet usage. Plusieurs paramètres de stimulation sont modulables : la tension de sortie (0-30 V), l'intensité (0-20 mA), la durée de l'impulsion (0-30 ms), la fréquence de stimulation (0-600 c/m). La plupart des stimulateurs oesophagiens ne possèdent pas de circuit de détection des potentiels cardiaques. Toutefois, les appareils les plus récents ont cette capacité et offrent la possibilité de stimulation auriculaire prématurée sur rythme spontané ou imposé (méthode de l'extrastimulation). Des explorations électrophysiologiques auriculaires complètes peuvent donc être faites. D'autre part, les appareils les plus anciens, peuvent habituellement être couplés à un stimulateur orthorythmique et permettre quand même une stimulation auriculaire prématurée.
Les sondes utilisées sont des sondes très souples, constituées d'un conducteur entouré d'un isolant de silicone, proches des sondes de stimulateurs cardiaques. Il s'agit de sondes bipolaires. De même que les sondes de stimulateurs, elles possèdent un mandrin rigide qui facilite la mobilisation de la sonde et sa progression dans l'oesophage. La distance interélectrode est de l'ordre de 20 à 30 mm. D'autres électrodes sont également commercialisées : elles ressemblent à une pilule (" pill electrode ") fixée à l'extrémité d'un fin fil métallique que le patient avale comme un comprimé avec une gorgée d'eau. Il semble que ce type d'électrodes puisse être laissé en place dans l'oesophage pendant plusieurs heures.

L'examen est de réalisation simple. Il doit être précédé d'une explication au patient de la procédure employée. Celui-ci doit être prévenu des raisons pour lesquelles cet examen est effectué, et de la façon dont il est réalisé. Cette mise en confiance préalable permet d'éviter la plupart des échecs.
Après anesthésie locale de la région naso-oropharyngée au moyen d'un spray, la sonde enduite de xylocaïne visqueuse est introduite dans une narine et poussée jusqu'à la région pharyngée. Le mandrin de la sonde doit être poussé jusqu'à son extrémité afin de la rendre suffisamment rigide et mobilisable. Lorsque le patient perçoit la sonde, il lui est demandé de déglutir afin de la faire progresser dans l'oesophage. Un verre d'eau peut en faciliter la déglutition. A une distance d'environ 40 cm de l'orifice narinaire, l'extrémité distale de la sonde est généralement située en arrière de l'oreillette gauche. Le mandrin peut alors être retiré. Un enregistrement unipolaire sur l'une des électrodes précordiales de l'électrocardiographe, du potentiel auriculaire recueilli, permet de vérifier la bonne position de celle-ci ; le potentiel auriculaire enregistré doit être biphasique et d'une amplitude suffisante (fig. 1).

Le seuil de stimulation est vérifié. On utilise d'emblée une largeur d'impulsion maximale et une sortie (intensité ou voltage) progressivement croissante (en augmentant les milliampères ou les volts). Dans tous les cas, il faut obtenir une stimulation auriculaire efficace sans provoquer de douleur oesophagienne importante. Le malade perçoit l'impulsion, mais elle est peu ou pas douloureuse, entraînant tout au plus une gêne. Si tel n'est pas le cas, cela signifie que la position de la sonde est inadéquate et qu'il faut la replacer correctement en se repérant à nouveau grâce au potentiel auriculaire. Lorsque l'on augmente l'intensité de stimulation plutôt que la largeur, on risque des stimulations douloureuses.
La capture obtenue avec un seuil de stimulation bas (inférieur à 10-15 mA) confirme la bonne position de la sonde. L'examen proprement dit peut commencer. La plupart des stimulateurs oesophagiens sont assez rudimentaires et dénués de capacités de détection des potentiels cardiaques. On ne peut donc faire avec eux que de la stimulation auriculaire asynchrone. Les stimulateurs plus récents ont, par contre, cette fonction de détection qui autorise des explorations plus sophistiquées : envoi d'extrastimuli à couplage déterminé sur rythme sinusal ou sur rythme imposé (méthode de l'extrastimulus) ; envoi d'extrastimuli auriculaires multiples sur rythme auriculaire spontané ou imposé dans le but de déclencher un trouble du rythme.
Les cas où la stimulation oesophagienne ne peut être pratiquée, ne sont pas très fréquents. Il s'agit des cas où la sonde n'est pas tolérée par le patient, soit parce qu'elle induit un réflexe nauséeux très marqué au passage de l'oropharynx et de l'oesophage, soit parce que la stimulation est ressentie douloureusement par le malade.

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Les utilisations de la stimulation oesophagienne sont multiples et sont d'ordre diagnostique ou thérapeutique. Disons d'emblée que c'est dans le domaine du diagnostic que la stimulation oesophagienne trouve ses applications les plus intéressantes (fig. 2).

L'électrode oesophagienne peut être utilisée pour mieux identifier les ondes P lorsque celles-ci ne sont pas visibles sur l'électrocardiogramme de surface. Ceci est particulièrement utile dans le diagnostic des tachycardies où, du fait du rythme très rapide, les oreillettes sont en général très mal visibles. La visualisation des ondes P aide au diagnostic de l'origine supraventriculaire ou ventriculaire d'une tachycardie. Elle suffit, en général, à assurer le diagnostic sauf quand il s'agit d'une tachycardie à QRS larges avec autant d'oreillettes que de ventricules, tachycardie qui peut être soit ventriculaire avec conduction rétrograde ventriculoatriale, soit supraventriculaire avec conduction auriculoventriculaire 1/1 et aberration ventriculaire. Dans ces conditions, on peut essayer, par des manoeuvres vagales ou l'ATP, de dissocier les oreillettes des ventricules et ainsi de préciser le diagnostic.

L'exploration de la fonction sinusale repose classiquement sur la mesure du temps de récupération sinusale corrigé. C'est la mesure du temps écoulé entre la dernière dépolarisation auriculaire stimulée et la première dépolarisation auriculaire spontanée, ou du plus long des 8 cycles auriculaires spontanés qui font suite à l'arrêt de la stimulation auriculaire. Cette mesure est faite après stimulation auriculaire pendant une minute, à fréquence fixe. Différentes fréquences de stimulation sont employées : de 90 à 190/min par paliers de 20 c/min (90/min pendant 1 min, puis 110/min pendant 1 min et ainsi de suite). Le temps de récupération sinusale corrigé retenu est le plus long des temps mesurés aux différentes fréquences. L'exploration de la fonction sinusale par voie oesophagienne est parfaitement superposable à l'exploration par voie endocavitaire [ 1-8 ]. Le temps de récupération sinusale corrigé normal n'excède pas 525-550 millisecondes.

Une évaluation de la conduction nodale est possible par stimulation oesophagienne. A l'état normal, la stimulation auriculaire à fréquence progressivement croissante induit un allongement progressif de l'intervalle spike-R par retard progressif de la conduction nodale, dont les propriétés de conduction sont dites décrémentielles. Pour une fréquence de stimulation plus élevée, qui correspond au point de Wenckebach, apparaissent des périodes de Luciani-Wenckebach, une onde P sur n ondes P étant bloquée. pour une fréquence de stimulation supérieure, le noeud auriculoventriculaire ne laisse passer qu'une onde P sur deux, et la fréquence ventriculaire apparaît alors, égale à la moitié de la fréquence atriale. Ce type de réponse caractérise le comportement normal du noeud auriculoventriculaire. Le point de Wenckebach normal est supérieur à 150/min ou à 220 moins l'âge du patient. On considère généralement comme pathologiques et témoins d'un trouble de conduction nodale, des points de Wenckebach inférieurs à 130/min.
Lorsque l'on étudie la conduction nodale par cette méthode, il ne faut toutefois pas oublier que l'on étudie, en fait, tout le système de conduction auriculoventriculaire et que le niveau du blocage de la conduction auriculoventriculaire enregistré peut se situer aussi au niveau du faisceau de His ou de ses branches. Ceci est d'autant plus vrai que des périodes de Luciani-Wenckebach peuvent être dues à un bloc intra- ou infrahisien. Lorsque par stimulation auriculaire à fréquence croissante, on observe un blocage inopiné de la conduction auriculoventriculaire, faisant suspecter une conduction non décrémentielle, il faudra penser à la possibilité d'un bloc de siège intra- ou infrahisien ou à une voie accessoire. C'est dire l'importance de l'analyse concomitante de la morphologie des complexes QRS. En cas de doute, il sera nécessaire de recourir à une exploration électrophysiologique endocavitaire. Les résultats de la stimulation oesophagienne dans l'exploration de la conduction nodale sont bien corrélés à ceux de l'exploration endocavitaire [ 1], [8 ].

Une étude précise de la vulnérabilité auriculaire comprend non seulement les tentatives de déclenchement de troubles du rythme auriculaire mais également les mesures des périodes réfractaires des 2 oreillettes en différents sites et à différentes fréquences de stimulation atriale. L'analyse porte sur l'adaptation des périodes réfractaires selon la fréquence, les différences de périodes réfractaires selon le site étudié et la conduction d'un site à l'autre d'une même oreillette ou d'une oreillette à l'autre. Ce type d'exploration ne peut être de façon complète que par stimulation auriculaire par voie endocavitaire au moyen de plusieurs sondes de recueil et de stimulation. A l'heure actuelle, le sujet " vulnérabilité auriculaire " fait l'objet d'études prospectives tendant à déterminer si un profil électrophysiologique particulier est associé au développement de tachycardies atriales chroniques, et cela avec une spécificité et une sensibilité acceptables.
Avec la stimulation oesophagienne, l'exploration est plus limitée et ne permet pas vraiment de définir le profil électrophysiologique auriculaire. Toutefois, il est possible avec les stimulateurs oesophagiens les plus récents, de mesurer la période réfractaire auriculaire gauche et son adaptation à la fréquence, et de déclencher, par stimulation auriculaire programmée, des troubles du rythme auriculaire. Ceci peut n'être pas dénué d'intérêt lorsque l'on étudie les effets d'une drogue antiarythmique, et si l'on souhaite vérifier si la drogue a allongé la période réfractaire auriculaire.

La pratique courante de la stimulation oesophagienne a grandement modifié l'approche des syndromes de Wolff-Parkinson-White [ 3 ]. On peut même dire que l'exploration électrophysiologique endocavitaire est devenue, la plupart du temps, inutile. Son seul intérêt et donc sa seule indication est la localisation précise de la voie accessoire ou l'étude de la conduction rétrograde par cette voie accessoire. Les renseignements de nature pronostique concernant la voie accessoire sont facilement obtenus par la stimulation oesophagienne. Ce sont les mesures de la période réfractaire de la voie accessoire, du point de blocage du Kent, correspondant à la fréquence atriale au-delà de laquelle la voie accessoire ne conduit plus en 1/1 mais en 2/1, de l'espace RR le plus court en fibrillation auriculaire induite par stimulation auriculaire rapide. Le terme " période réfractaire " est souvent employé de façon impropre car, par définition, la période réfractaire varie en fonction de la fréquence cardiaque. Au repos, elle devrait donc être mesurée à une fréquence atriale fixe, le plus souvent 100/min. A l'effort, la mesure précise de la période réfractaire est impossible, dépendant là encore de la fréquence sinusale au moment de la mesure. C'est ce dernier paramètre qui semble le plus intéressant d'un point de vue pronostique. Il est important que ces mesures soient effectuées au repos et à l'effort, car l'effort raccourcit, et parfois de façon spectaculaire, la période réfractaire [ 5 ]. Ainsi, telle voie accessoire ayant une période réfractaire relativement longue au repos peut en fait se révéler dangereuse à l'effort ou après induction d'une fibrillation auriculaire. On voit l'avantage pris par la stimulation oesophagienne lorsqu'il s'agit de faire des mesures à l'effort.

L'intérêt de la stimulation auriculaire programmée à fin d'induction de troubles du rythme auriculaire est en cours d'évaluation. L'inductibilité d'un trouble du rythme auriculaire n'est peut-être pas le meilleur critère prédictif de tachycardie atriale chronique ultérieure.
Il n'en est pas de même en ce qui concerne les tachycardies jonctionnelles. Chez un patient ayant des épisodes de tachycardies jonctionnelles intranodales ou de tachycardies réciproques orthodromiques (empruntant une voie accessoire de façon rétrograde), il est possible de déclencher la tachycardie dans une proportion proche de 100 %. L'induction de la tachycardie permet d'en étudier le mécanisme et de différencier les tachycardies intranodales des tachycardies réciproques orthodromiques empruntant une voie accessoire ne conduisant que dans le sens rétrograde. L'analyse de la relation entre les auriculogrammes et les ventriculogrammes en tachycardie aide à localiser le circuit responsable [ 2 ]. Dans les 2 cas, le temps de conduction AV est généralement plus long que le temps VA. Par contre un temps VA très court (inférieur à 70 millisecondes) oriente vers une tachycardie intranodale. Un temps de conduction VA assez long, supérieur à 120 millisecondes, oriente vers une voie accessoire. Des temps intermédiaires ne permettent pas de trancher à eux seuls.
La non-inductibilité sous traitement, par stimulation oesophagienne, du trouble du rythme traduit un blocage pharmacologique efficace du circuit de réentrée. Cet examen peut donc s'avérer très utile pour contrôler à distance l'efficacité thérapeutique.

C'est l'une des applications les plus courantes de la stimulation oesophagienne [ 4], [6], [7], [9 ]. En dehors de la fibrillation auriculaire, tous les troubles du rythme supraventriculaire peuvent être réduits par stimulation atriale. Les succès de la stimulation oesophagienne sont moins fréquents que ceux de la stimulation endocavitaire. Les chances de réduction dépendent surtout du type du trouble du rythme avec des chances proches de 100 % pour les tachycardies jonctionnelles, de l'ordre de 50 % pour le flutter auriculaire. Les chances de réduction sont bien moindres en ce qui concerne les tachycardies atriales rapides telles que la classique tachysystolie auriculaire. Elles sont nulles pour la fibrillation auriculaire, dans laquelle les oreillettes ne sont pas stimulables. Il est indispensable, pour garantir une bonne probabilité de réduction, que la sonde oesophagienne soit parfaitement placée et recueille des potentiels auriculaires de bonne amplitude. Dans ces conditions, il n'est point besoin de stimuler l'oreillette avec une sortie forte. La méthode de réduction est une stimulation auriculaire rapide à fréquence supérieure à la fréquence de la tachycardie (" overdrive "). Parfois, dans le cas de tachycardies jonctionnelles ou de certains flutters, un, deux ou plusieurs extrastimuli peuvent réussir à interrompre le trouble du rythme. Dans le cas de flutter, la réduction n'est souvent obtenue qu'après une phase transitoire de fibrillation auriculaire de quelques secondes à quelques heures. Un traitement antiarythmique préparatoire de plusieurs semaines facilite indiscutablement la réduction du trouble du rythme. Un traitement anticoagulant efficace préalable est généralement préconisé pour diminuer les risques d'embolie artérielle au moment de la réduction.

Une application récente de la stimulation oesophagienne concerne l'évaluation des cardiopathies ischémiques et porte sur l'analyse de la cinétique segmentaire par échocardiographie, sous stimulation oesophagienne à différentes fréquences.
Une autre application paraît être la stimulation ventriculaire transoesophagienne, mais la capture ventriculaire par cette méthode est toutefois trop aléatoire pour être proposée de façon routinière.
Bien qu'elle ne soit pas habituellement employée dans ce sens, une stimulation cardiaque temporaire pourrait être envisagée en cas de dysfonction sinusale sévère symptomatique nécessitant une stimulation temporaire, en attendant par exemple la mise en place d'un stimulateur définitif. En fait, la plupart des auteurs n'utilisent pas cette option, craignant probablement de perdre la capture auriculaire par instabilité de la sonde.

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Ses complications sont exceptionnelles [ 10 ]. Il n'a pas été rapporté de complications liées au passage de la sonde oesophagienne dans le nez (parfois la bouche), le pharynx ou l'oesophage. Les incidents les plus fréquents sont d'ordre digestif : vomissements par activation du réflexe nauséeux, avec risque de fausses routes. Ceci implique la réalisation de cet examen à jeun. Ce sont également les douleurs oesophagiennes ou douleurs thoraciques liées à la stimulation elle-même, d'autant plus fréquentes et intenses que l'intensité du stimulus est forte. On peut aussi rencontrer des difficultés à capturer l'oreillette chez certains sujets malgré un positionnement apparemment satisfaisant de la sonde, voire une impossibilité de stimuler l'oreillette chez les transplantés cardiaques, le stimulus ne réussissant à capturer que l'oreillette native.
D'autres complications sont directement liées à l'accélération des oreillettes par la stimulation : apparition de crises d'angor ou aggravation de l'ischémie myocardique chez les sujets coronariens, déclenchement d'un flutter ou d'une fibrillation auriculaire avec risque embolique potentiel. Enfin, dans des cas très exceptionnels, on a pu observer l'induction de tachycardie ou de fibrillation ventriculaire. Ceci est toujours possible, notamment quand la sonde est poussée un peu loin, et implique de toujours stimuler d'abord à fréquence lente afin de vérifier s'il y a capture ventriculaire.

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