Introduction
Le dermatologue et le
cosmétologue sont souvent confrontés au
symptôme de la peau « sèche »,
dont les manifestations cliniques
sont bien caractérisées :
contrastant avec l’aspect lisse et doux d’une
peau bien « hydratée », la
peau sèche est rêche, rugueuse,
quelquefois blanchâtre,
quelquefois enflammée, fait l’objet de
démangeaisons et desquame. La
couche cornée, moins flexible, tend
à se fissurer, diminuant ainsi
la fonction barrière. Une sensation
d’inconfort accompagne souvent
ces manifestations.
Depuis les années 1950 et les
travaux de Blank [3], on sait que l’eau
joue un rôle dominant dans les
propriétés physiques de la couche
cornée. Cependant, ainsi que
le note justement Piérard [10], la notion
de peau « sèche » n’a jamais
fait l’objet d’une définition précise. Le
terme « sec » implique, par
déduction, un déficit en eau qui n’a
jamais pu être prouvé de façon
définitive, mais qui est corroboré
par l’effet pharmacologique d’un
apport de ce même liquide.
Ajoutant à la confusion, le
terme de « peau sèche » recouvre des
états cliniques ayant des
origines aussi différentes que des désordres
de la cohésion des
cornéocytes, des troubles de la kératinisation ou
de la fixation de l’eau par le
stratum corneum, ou une
désorganisation des bicouches
lipidiques intercornéocytaires. Ces
états peuvent également être
induits par des facteurs ambiants tels
une exposition au soleil ou
certaines conditions climatiques, par des
facteurs extérieurs d’origine
professionnelle (exposition à des agents
détergents) ou par des
facteurs d’origine naturelle tel le
vieillissement.
Notions de base
La couche cornée n’est pas
homogène vis-à-vis de l’eau. La base est
bien hydratée, alors que la
surface, au contact de l’air ambiant,
présente une concentration en
eau plus faible. Il existe donc un
gradient d’hydratation à l’intérieur
même du stratum corneum.
D’un autre côté, on distingue
différents types de molécules d’eau [8].
Environ 70 % de l’eau absorbée
dans le stratum corneum est dite
« libre », car cette eau est
congelable et contient de nombreux
composés à l’état dissous tels
des ions, des acides aminés, de l’urée
etc, tous matériaux rassemblés
sous la dénomination de natural
moisturizing factor. Environ 30 % des molécules d’eau
se trouvent
dans le domaine dit de l’eau «
liée », non congelable, dont une partie
(environ 7 %) est dite «
fortement liée », le reste étant plus faiblement
lié.
Le traitement d’une peau sèche
reste ainsi symptomatique dans la
plupart des cas. C’est le rôle
des innombrables crèmes hydratantes
plus ou moins grasses appelées
aussi moisturizers, dont Kligman a
donné en 1978 la définition
suivante : « produits utilisés pour
combattre les signes et les
symptômes de la peau sèche » [6].
Méthodes d’évaluation
de l’hydratation
cutanée
De nombreuses techniques ont
été développées pour évaluer
l’hydratation de la couche
cornée. Une mesure directe de la teneur
en eau du stratum corneum ne
peut s’effectuer qu’in vitro sur un
spécimen isolé. In vivo, cette
évaluation demeure difficile et la
plupart des méthodes employées
ne permettent pas une mesure
directe. Ceci est un point
important, car il implique que seuls des
résultats relatifs peuvent
être obtenus.
Parmi les techniques qui
peuvent être utilisées in vivo, on distingue,
à côté de l’évaluation
clinique pure, les techniques de bio-ingéniérie
telles que la conductivité
thermique ou électrique, les propriétés
viscoélastiques de la peau, l’évaluation
de son relief ou la
quantification de la
desquamation. L’interprétation des résultats
obtenus par ces méthodes reste
cependant grevée par une inconnue
d’importance, car la relation
exacte entre la variation de la teneur en
eau de la couche cornée et les
changements des différents
paramètres mesurés n’est pas
connue. Des méthodes plus récentes,
directement reliées à la
molécule d’eau telles la spectroscopie
infrarouge, la radiométrie
transitoire d’émission opticothermique
OTTER ou l’imagerie par
résonance magnétique nucléaire peuvent
aussi être employées in vivo.
Ces dernières méthodes restent
cependant lourdes dans leur
utilisation et exigent quelquefois des
appareils de pointe réservés
aux laboratoires de recherche. C’est
pourquoi, à côté de l’évaluation
clinique classique (abordée dans le
fascicule n° 50-140-B-10 de l’Encyclopédie
Médico-Chirurgicale,
intitulé « Mesure de la xérose
et de la desquamation »), seules les
méthodes les plus courantes et
utilisant des appareils dont le
développement a dépassé le
stade du laboratoire sont décrites ici.
MÉTHODES DE BIO-INGÉNIERIE
UTILISANT
LES PROPRIÉTÉS ÉLECTRIQUES DE
LA COUCHE CORNÉE
Parmi les méthodes de
bio-ingénierie, celles faisant appel aux
propriétés électriques de la
couche cornée sont parmi les plus
courantes. La dépendance
étroite de la conductivité électrique de la
couche cornée vis-à-vis du
contenu en eau de cette dernière est
connue depuis longtemps. De
nombreuses études ont été effectuées,
qui ont permis de cerner la
relation entre l’impédance Z (ou
l’admittance Y = 1/Z), la
conductance G (ou la résistance R = 1/G)
et la capacitance C de la
couche cornée, lorsqu’un courant alternatif
de fréquence f est appliqué à
la surface de la peau. Le modèle le
plus simple sensé représenter
de façon correcte le comportement
électrique de la peau est
constitué par un condensateur et une
résistance en parallèle [7]. Il permet de définir l’équation
suivante :
Z = [R2 + (1/2pfC)2]1/2
De nombreux facteurs influent
sur la mesure de ces propriétés
électriques. La couche cornée
est un milieu à constante diélectrique
faible. La valeur de cette
constante diélectrique dépend étroitement
de la teneur en eau libre, qui
influence ainsi le terme capacitif de
l’équation ci-dessus. D’un
autre côté, tout changement de charge
électrique, dû à une variation
des ions en solutions, par exemple,
influence la conductivité.
Ceci signifie que les propriétés électriques
de la couche cornée dépendent
non seulement de son contenu en
eau et de la présence de
nombreux autres composés chargés
électriquement et dissous dans
l’eau libre tels ions, acides aminés,
mais aussi de la répartition
de l’eau entre les fractions libre et liée,
qui peut être influencée par
la présence de protéines plus ou moins
hydratées, telles les
kératines ou autres matrices cornéocytaires.
D’autres paramètres comme la
température ont une influence
globale sur ces phénomènes et
sont aussi à prendre en compte.
À côté de ces facteurs
biologiques, des facteurs purement physiques
et liés à l’appareil de mesure
utilisé, comme la fréquence du courant
électrique appliqué sur la
surface cutanée (certains appareils utilisent
plusieurs fréquences pour les
mesures), le mode de mesure
(conductance ou capacitance,
ou les deux), la géométrie et le matériel
de l’électrode ou sonde de
mesure, la profondeur de mesure à
l’intérieur de l’épiderme, la
pression d’application de l’électrode et
le contact avec la surface
cutanée influent aussi sur les résultats.
¦ Appareils de mesure
Plusieurs appareils de mesure
sont commercialisés. Citons, dans
l’ordre chronologique de leur
commercialisation : le Skicon-200y, le
Cornéomètre CM 825y, le NOVA DPM 9003y et le Dermalaby (liste
non exhaustive. Adresse des
fournisseurs(1)). Ces appareils évaluent
tous les propriétés
électriques de la couche cornée, mais d’une
manière différente :
– le Skicon-200y mesure la conductance et
fournit des résultats en
unités microSiemens (μS) ;
– le Cornéomètre CM 825y mesure la capacitance, les
unités de
mesure sont arbitraires ;
– le NOVA DPM 9003y utilise la méthode de
réactance capacitive,
les unités de mesure sont
arbitraires ;
– le Dermalabt mesure la conductance et
fournit des résultats en
unités microSiemens (μS).
Une description détaillée de
ces différents appareils et de leur mode
de mesure a été publiée
récemment [1]. Une comparaison entre les
résultats est difficile car,
pour chaque instrument, le mode de
mesure, la géométrie de la
sonde, le contact avec la peau (galvanique
ou non) et les valeurs
exprimées sont différents. Mise à part une
calibration simplifiée sur un
modèle rudimentaire de la couche
cornée pour l’un des appareils
(Cornéomètrey), la calibration in vivo
des différentes sondes n’est
pas réalisable. La figure 1 montre un
exemple de données obtenues en
mesurant le même site anatomique
dans les mêmes conditions. En
fait, malgré ces différences, les
résultats fournis par ces
appareils sont étroitement corrélés entre
eux [4].
¦ Sources d’erreur,
conditions de mesure
La variabilité des résultats
obtenus avec les appareils de bioingéniérie
dépend aussi du contrôle de
différents paramètres
externes comme les conditions
ambiantes, la saison (la peau est plus
sèche en hiver), le site
anatomique mesuré et l’état de la surface
cutanée (par exemple, présence
de poils à l’endroit de la mesure), la
présence ou non de produits
appliqués sur la peau (par exemple,
lors de la mesure, de l’effet
de crèmes hydratantes), une
transpiration du sujet d’étude
etc, ces facteurs devant faire l’objet
d’une standardisation
rigoureuse [1, 12].
En pratique, le contrôle des
facteurs environnementaux implique
d’effectuer les mesures dans
une pièce climatisée, à température et
humidité constantes. Le
contrôle des facteurs individuels est assuré
par une relaxation préalable
des sujets et leur adaptation aux
conditions environnementales
pendant au moins 20 minutes avant
le début des mesures. La prise
d’aliments épicés ou autres, pouvant
provoquer une transpiration,
doit être évitée. Le stress psychique,
pouvant lui aussi provoquer
une transpiration, est minimalisé par
une information adéquate et la
relaxation. Le lecteur est invité à
consulter la récente
proposition du Groupe européen pour la mesure
de l’efficacité des produits
cosmétiques (EEMCO) pour standardiser
l’évaluation de la peau sèche
à l’aide de méthodes utilisant les
propriétés électriques de la
couche cornée [2].
MESURE DE LA DESQUAMATION
Le contenu en eau de la couche
cornée, la rugosité et la
desquamation de la surface
cutanée peuvent être reliés entre eux.
L’épiderme se renouvelle
complètement en l’espace de 20 à 30 jours,
suivant le site anatomique. La
desquamation, phénomène naturel,
est définie comme la perte des
cornéocytes, suite au renouvellement
de l’épiderme [5, 9]. Lorsque la peau est sèche,
les cornéocytes peuvent
adhérer entre eux sous forme
de pellicules plus ou moins
importantes [5, 11].
Il existe plusieurs techniques
pour quantifier la desquamation [5, 9].
Ces techniques sont abordées
dans le fascicule n° 50-140-B-10 de
l’Encyclopédie
Médico-Chirugicale, intitulé « Mesure de la xérose et
de la desquamation ».
Conclusion
La mesure directe et absolue
du contenu en eau de la couche cornée n’est
possible qu’avec des
appareils de haute technicité et de coût prohibitif,
accessibles uniquement à
quelques laboratoires de recherche. La mesure
indirecte du degré d’hydratation
de cette même couche cornée, en
revanche, est rendue possible
pour une majorité d’utilisateurs par les
multiples appareils basés sur
les propriétés électriques du stratum
corneum. La facilité d’utilisation
de ces derniers ne doit cependant pas
masquer la nécessité d’une
grande rigueur dans l’établissement de
conditions de mesure
standardisées, et surtout dans l’interprétation des
résultats, car les chiffres
obtenus ne sont pas directement en rapport
avec la quantité d’eau
contenue dans la couche cornée. Enfin, il est
nécessaire de toujours
conserver l’évaluation clinique comme mesure
accompagnatrice, même si,
maintenant, les appareils de mesure peuvent
détecter des changements qui
ne sont pas visibles à l’oeil nu.
Références
[1] Barel AO, Clarys P, Gabard B. In vivo evaluation of
the
hydration state of the skin. In : Elsner P, Merk HF,
Maibach
HI eds. Cosmetics: controlled efficacy studies and
regulation.
Berlin : Springer-Verlag, 1999 : 57-80
[2] Berardesca E. EEMCO guidance for the assessment of
stratum corneum hydration: electrical methods. Skin Res
Technol 1997 ; 3 : 126-132
[3] Blank IH. Factors which influence the water content
of the
stratum corneum. J Invest Dermatol 1952 ; 18 : 433-440
[4] Clarys P, Barel AO, Gabard B. Non-invasive
electrical measurements
for the evaluation of the hydration state of the
skin: comparison between three conventional instruments
- the Corneometer, the Skicon and the Nova DPM.Skin Res
Technol 1999 ; 5 : 14-20
[5] Edwards C, Marks R. Methods to determine
desquamation
rate. In : Serup J, Jemec JB eds. Handbook of
non-invasive
methods and the skin. Boca Raton : CRC Press, 1995 :
143-148
[6] Kligman AM. Regression method for assessing the
efficacy
of moisturizers. Cosmet Toilet 1978 ; 93 : 27-35
[7] LévêqueJL,DeRigal J.Impedancemethodfor studying skin
moisturization. J Soc Cosmet Chem 1983 ; 34 : 419-428
[8] Lévêque JL, Ribaud CH, Garson JC. Caractérisation
biophysique
du stratum corneum : relation entre sa structure et
ses propriétés. Pathol Biol 1992 ; 40 : 95-108
[9] Marks R. Quantification of desquamation and stratum
corneum cohesivity. In : Lévêque JL ed. Cutaneous
investigation
in health and disease: non-invasive methods and
instrumentation. New York : Marcel Dekker, 1989 : 33-47
[10] Piérard GE. Assessment of environmental « dry skin
».
Bioeng Skin 1986 ; 2 : 31-37
[11] Schatz H, Altmeyer P, Kligman AM. Dry skin and
scaling
evaluated by image analysis. In : Serup J, Jemec JB eds.
Handbook of non-invasive methods and the skin. Boca
Raton : CRC Press, 1995 : 153-157
[12] Wilhelm KP. Possible pitfalls in hydration
measurements.
Curr Probl Dermatol 1998 ; 26 : 223-234