Cosmétologie du sujet âgé

Introduction
Les progrès réalisés au cours des dernières décennies ont amené la
cosmétologie (du grec kosmx = orner) au rang d’une véritable
discipline scientifique rassemblant tout ce qui concerne les produits
d’hygiène et de beauté.
La sixième modification de la directive du Conseil européen (juin
1993) définit le cosmétique comme étant « toute substance ou
préparation destinée à être mise en contact avec les différentes
parties superficielles du corps humain (épiderme, cheveux, poils,
ongles, lèvres, organes génitaux externes, dents et muqueuses
buccales) dans le but exclusif ou essentiel de les nettoyer, parfumer,
protéger pour les maintenir en bon état, d’en modifier l’aspect ou
de corriger les odeurs corporelles ».
Le vieillissement cutané, processus physiologique inévitable, se
traduit par l’apparition au fil des années d’altérations du revêtement
cutané plus ou moins inesthétiques et parfois désagréables.
L’allongement de la durée de vie a conduit nombre de chercheurs à
se pencher sur ce problème, et a permis de mettre au point des
traitements dont l’efficacité apparaît de plus en plus indiscutable.
Les cosmétiques destinés au sujet âgé sont essentiellement des
produits d’hygiène et d’hydratation destinés à combattre la
sécheresse cutanée liée au vieillissement intrinsèque et à maintenir
l’intégrité de la peau et du film cutané de surface.
Particularités de la peau du sujet âgé
Le vieillissement cutané intrinsèque et extrinsèque entraîne des
modifications de l’ensemble du tégument. L’une des caractéristiques
cliniques essentielles de la peau du sujet âgé est la sécheresse
cutanée (xérose), génétiquement programmée, aggravée par des
facteurs extrinsèques (soleil, climat, etc) et variable d’un individu à
un autre. La xérose se traduit cliniquement par une peau de
consistance rêche et parfois même rugueuse au toucher. Sa fréquence
est estimée à 75 % chez les sujets de plus de 65 ans [10]. Ce n’est que
dans un tiers des cas qu’elle entraîne un inconfort, voire un prurit
dit « prurit sénile ». La xérose seule ne suffirait pas à expliquer le
prurit [5] ; une anomalie de la kératinisation [8] ou une dégénérescence
des terminaisons nerveuses périphériques cutanées pourraient être
également en cause [3].
L’altération de la cohésion des cornéocytes accroît la desquamation
cellulaire. La fraction liposoluble du film cutané de surface d’origine
sébacée et épidermique (triglycérides, acides gras, céramides,
squalènes) est diminuée, ce qui enlève à la peau une protection
contre les irritations. La baisse du taux d’acides aminés libres dans
la couche cornée entraîne une accentuation de la perte en eau
transépidermique [7]. Il s’y associe une diminution de la sécrétion
sudorale eccrine qui aggrave la sécheresse cutanée. Le froid,
provoquant une vasoconstriction, est responsable d’une
recrudescence hivernale des manifestations cliniques.
Xéroses iatrogènes
Certains médicaments très utilisés chez la personne âgée aggravent
la xérose physiologique comme les hypolipémiants oraux,
l’allopurinol, l’hydroxyurée et la cimétidine [6]. Les produits de
nettoyage de la peau peuvent eux aussi induire une xérose, par un
effet délipidant et une modification du pH. L’eau calcaire, les
toilettes répétées et l’utilisation fréquente de produits détergents
(savons) lors des hospitalisations ou des séjours en maisons de
retraite contribuent à l’amenuisement du film lipidique cutané. Les
déficits en acides gras essentiels, en vitamines du groupe B (en
particulier chez les éthyliques chroniques), en vitamines E, PP, C et
A, en zinc, en magnésium ainsi que les états de malnutrition
protéinoénergétiques fréquents chez la personne âgée malade,
peuvent se traduire par une xérose.

Cosmétiques hydratants
De nombreuses préparations cosmétiques disponibles comportent
dans leur composition des molécules dont le rôle actif dans le
maintien de l’hydratation du stratum corneum est démontré.
Les approches cosmétiques de l’hydratation cutanée sont soit de
ralentir l’évaporation de l’eau intrinsèque, soit d’apporter de l’eau
exogène et de la fixer au niveau du stratum corneum, soit enfin de
combiner ces deux méthodes.
La rétention d’eau peut se faire à l’aide de polymères filmogènes
hydrophiles et/ou à l’aide d’agents filmogènes hydrophobes. Le
mécanisme d’action de ces deux types de composants est différent.
Les premiers régulent la perte insensible en eau (PIE), les seconds
ont un effet plus ou moins occlusif qui diminue la PIE.
Les agents filmogènes hydrophiles sont représentés, soit par des
polymères d’origine naturelle (collagène, acide hyaluronique,
élastine, chitine, chitosane, glycosaminoglycanes) qui agissent
comme un antidéshydratant, soit des polymères d’origine
synthétique tels les polymères dérivés de l’alcool polyvinylique.
Quelle que soit la nature de ces polymères hydrophiles, ils jouent
un rôle important dans la fixation des agents hygroscopiques (ayant
une forte affinité pour l’eau) sur la peau et en prolongent les effets.
Les agents filmogènes hydrophobes, encore appelés « agents
occlusifs », sont très nombreux et les plus anciennement connus en
cosmétologie. Ils s’opposent à la déshydratation en formant un film
lipidique à la surface de la peau, limitant la PIE. Les plus utilisés
sont les hydrocarbures (vaseline, huile de paraffine,
perhydrosqualène), les cires (d’abeille, de karité, la lanoline), les
huiles animales (vison, tortue, flétan), les huiles végétales (amande
douce, germe de blé), les huiles de silicone et les alcools gras
(stéarylique, cétylique). Ces produits ne sont jamais utilisés seuls
car leurs qualités cosmétiques sont insuffisantes et leur effet occlusif
trop important, mais employés sous forme d’émulsions « eau dans
huile ».
La fixation de l’eau est assurée par les agents dits « humectants »
représentés principalement par des substances hygroscopiques
proches des constituants des « facteurs naturels d’hydratation » ou
natural moisturizing factors (NMF) [9]. En fixant l’eau jusqu’à ce que
leur niveau de saturation soit atteint, ces substances sont capables
de réduire partiellement la perte hydrique. Grâce à ses trois
groupements hydroxyles, le glycérol est l’un des agents humectants
les plus actifs [4] et le plus utilisé dans les préparations hydratantes
disponibles sur le marché.
Les additifs entrent aussi dans la composition des émollients avec
pour objectifs d’être des conservateurs, des anti-inflammatoires ou
d’améliorer les qualités hydratantes du topique. C’est le cas de
l’urée, composant physiologique de la couche cornée, qui, à faible
concentration, permet une hydratation plus grande. Elle agit
indirectement en modifiant la structure des protéines qui peuvent
fixer l’eau. L’acide lactique et le lactate de sodium sont également
des composants majoritaires normaux du NMF doués d’un très fort
pouvoir de capture d’eau [9] se traduisant par une rémanence de leur
efficacité, même après lavage de la surface cutanée.
L’addition de photoprotecteurs externes peut prévenir certains effets
néfastes des rayons ultraviolets (UV), mais cette utilisation est
actuellement controversée.
Éviter la déshydratation d’une part, et fixer l’eau d’autre part sont
deux approches complémentaires qu’il est logique d’associer afin
d’optimiser l’efficacité « hydratante » des produits cosmétiques chez
le sujet âgé.
Choix d’un émollient
Hormis les préparations magistrales et le Dexerylt, les produits
hydratants ne sont pas remboursés par l’assurance maladie. Le prix
de revient d’un produit est très important à prendre en compte chez
certains patients. En effet, le coût des produits est souvent un
obstacle à l’observance de la prescription.
Les émulsions E/H existent sous diverses formes galéniques allant
des crèmes aux laits corporels, avec des baumes ou des pommades
pour des zones sèches localisées. On utilise habituellement des
crèmes sur le visage, alors que les fluides sont préférés sur le corps,
car ils permettent de couvrir de grandes surfaces et possèdent un
pouvoir de pénétration rapide. Contrairement à la vaseline, corps
anhydre, les émulsions autorisent les échanges entre le milieu
extérieur et l’épiderme, tout en maintenant une certaine teneur en
eau dans l’épiderme.
Cosmétiques dépigmentants
Les lentigos séniles représentent une plainte fréquente de la part de
beaucoup de femmes. Ils apparaissent sur les parties découvertes
(visage et mains) chez le sujet âgé et sont dus au cumul de faibles
doses répétées de rayonnement solaire.
L’hydroquinone est l’agent dépigmentant auquel le plus grand
nombre de travaux a été consacré, mais il est sans efficacité sur les
lentigos séniles. Depuis la directive européenne du 1er mars 2000
retirant cet agent de la composition des spécialités pharmaceutiques
dépigmentantes, plusieurs autres produits actifs ont été développés
et sont autorisés dans la formulation des cosmétiques
dépigmentants.
Il existe des actifs mineurs comme la vitamine C, antioxydant qui
réduit la mélanine déjà oxydée en mélanine plus claire, l’acide
azélaïque peu efficace sur les taches séniles, et le rucinol, double
inhibiteur de la tyrosinase et de la tyrosinase-related-protein-1 (TRP).
Ce dernier semble être plus efficace que l’hydroquinone et mieux
toléré. De nombreux autres actifs comme l’acide kojique, l’acide
thioctique, l’acide rétinoïque sont utilisés seuls ou associés, soit dans
des préparations magistrales, soit dans différentes spécialités afin
d’optimiser l’effet dépigmentant.
Produits d’hygiène
L’hygiène de la peau a pour but d’éliminer les déchets de la surface
de la peau, qu’ils soient physiologiques (sécrétions organiques,
micro-organismes, desquamation de la peau) ou provenant de
l’environnement (poussière, pollution, cosmétiques).
Sous le terme de « détergent », on désigne les substances capables
de nettoyer la peau, c’est-à-dire d’enlever toutes les impuretés. Le
lavage à l’eau n’élimine pas toutes les impuretés présentes à la
surface de la peau. Certaines sont seulement solubles dans les corps
gras, ce qui nécessite le recours à des produits capables d’émulsifier
ces lipides en fines gouttelettes qui pourront alors être entraînées
par le rinçage.
Les détergents agissent en réduisant la tension de surface entre l’eau
et l’air, et donnent lieu à un effet moussant qui n’est pas directement
corrélé aux propriétés de lavage du détergent. En règle générale,
plus l’effet moussant est important, plus l’effet agressif est grand
sur le revêtement cutané. L’action moussante s’accompagne toujours
d’une action décapante sur la couche cornée, surtout si le pH est
alcalin. L’utilisation des produits de toilette chez le sujet âgé doit
respecter l’épiderme et ne pas irriter la peau. L’emploi des
détergents doit être prudent. On recommande l’usage de savons
surgras enrichis en agents hydratants. Ces derniers ont montré leur
efficacité dans la prise en charge de la xérose [12].
Les savons surgras sont obtenus par le traitement d’un corps gras
(animal ou végétal) par un alcoolé et existent sous forme solide ou
liquide. Ils contiennent des tensioactifs peu agressifs et une forte
proportion d’agents surgraissants et adoucissants. Les syndets ou
pains dermatologiques sont les plus utilisés par les patients et les
soignants. Les savons liquides sont tous des syndets ; on apprécie
leur utilisation facile. Ils contiennent obligatoirement un antiseptique
conservateur. Mais appliqués en trop grande quantité, ils participent
à l’assèchement de la peau…

Hygiène du visage
Les laits de toilette assurent au visage un nettoyage doux et un
démaquillage de qualité. L’application de ces produits doit être
suivie d’un rinçage soigneux, de préférence avec des eaux thermales
en brumisation. Un séchage agressif est évité ; on tapote la peau sans
la frotter.
Conseils pratiques
La cosmétique de la peau sénescente doit avoir pour objet de
maintenir l’hydratation, de favoriser l’activité épidermique pour
corriger l’amincissement de l’épiderme, de pallier l’insuffisance du
film lipidique et d’apporter une amélioration sensible du relief
cutané.
Le nettoyage de l’épiderme est effectué à l’aide de formules
spécifiques pour les peaux sèches (savons surgras). Il est préférable
d’utiliser des émulsions eau dans huile car elles sont plus occlusives,
la xérose sénile résultant en grande partie d’une insuffisance du film
lipidique. Les eaux du robinet sont souvent dures, calcaires et
entraînent une irritation cutanée, en particulier après une douche
(rôle du jet) ou des bains prolongés.
La question des bains se pose fréquemment. Bien que leur effet
apaisant transitoire sur le prurit les fasse rechercher par certains
patients, on ne doit pas en autoriser plus de deux par semaine chez
la personne âgée souffrant de sécheresse cutanée. Ces bains tièdes,
de courte durée, sont pris de préférence le matin afin de permettre
l’accumulation de sébum pour la nuit suivante. Le prurit a en effet
une recrudescence vespérale. L’utilisation d’huile de bain chez la
personne âgée n’est pas recommandée en raison du risque de
glissade et de chute. Quand cela est possible, il est préférable d’avoir
recours à des douches. Après le bain ou la douche, on applique une
émulsion eau dans huile sur l’ensemble du corps pour pallier la
dissolution du film hydrolipidique protecteur. Il est utile de
maintenir un degré hygrométrique ambiant suffisant dans
l’habitation ou la chambre en utilisant si nécessaire un
humidificateur. La température doit être réglée au niveau le plus
bas compatible avec le confort du patient. En cas de prurit, il
convient d’écouter et de rassurer le malade sur sa crainte éventuelle
d’avoir un cancer ou une parasitose cutanée. Les mesures
préconisées pour lutter contre la sécheresse cutanée sont mises en
application ou renforcées. Le rythme des bains est réduit à un par
semaine. En cas de prurit important, l’adjonction d’avoine, de son
de blé ou d’amidon est possible.
On recommande l’éviction des vêtements ou sous-vêtements en
fibres synthétiques ou en laine auxquels on substitue des habits en
coton. Les agressions externes et internes responsables de la
sécheresse cutanée sont réduites.
Références
[1] Boquet H, Poli F. Nettoyage de la peau et du cuir chevelu.
EncyclMédChir (Éditions Scientifiques et Médicales Elsevier
SAS, Paris), Dermatologie, 12-905-B-10,1996 : 1-6
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