Introduction
La photoprotection interne
tente de remplacer ou de renforcer les
mécanismes de photoprotection
naturelle défaillants ou insuffisants.
Jusqu’à présent, elle s’adressait
essentiellement aux sujets atteints
de photodermatoses. On fonde
maintenant de grands espoirs sur la
photoprotection interne du
sujet sain.
Photodermatoses
PRODUITS UTILISÉS
¦ Antipaludéens de
synthèse (APS)
Les produits utilisés
appartiennent à la famille des quatre
aminoquinoléines : sulfate de
chloroquine (Nivaquinet) et sulfate
d’hydroxychloroquine
(Plaquenilt).
Après absorption dans l’iléon
proximal, le pic sérique est atteint en
8 à 12 heures, mais le plateau
d’équilibre des concentrations
plasmatiques n’est obtenu qu’au
bout de 6 mois de prise continue.
Le stockage tissulaire est
important (100 à 200 fois plus élevé dans
la peau que dans le plasma). L’élimination
rénale est lente (demi-vie
d’élimination : 40 jours).
Les mécanismes d’action sont
nombreux mais mal connus :
– interaction avec l’acide
désoxyribonucléique (ADN) : les APS se
lient à l’ADN en s’intercalant
entre deux bases, ce qui a pour effet
de stabiliser la molécule d’ADN
et d’inhiber sa dénaturation ;
– liaison à la mélanine avec
formation d’un complexe agissant
comme capteur d’électrons ;
– effet anti-inflammatoire par
stabilisation des membranes
lysosomiales et inhibition
directe de leur enzyme, inhibition de la
synthèse des prostaglandines,
du chimiotactisme des polynucléaires
et des macrophages.
¦ Caroténoïdes
Ce sont des pigments naturels
du monde animal et végétal, dont
plus de 300 espèces ont été
identifiées. En photoprotection, sont
essentiellement utilisés les
carotènes dont le bêtacarotène précurseur
de la vitamine A, les
xanthophylles dont la canthaxanthine. En
pratique, est seule utilisée l’association
bêtacarotène 10 mgcanthaxanthine
15 mg/gélule (Phénorot).
Le bêtacarotène est presque
totalement transformé en vitamine A au
cours de son passage à travers
la muqueuse intestinale, et seule une
faible fraction arrive
inchangée à la peau et participe à sa coloration.
Ingéré de façon importante et
de façon prolongée, il provoque une
coloration jaune orangé de la
peau par accumulation dans le tissu
graisseux. La toxicité des
caroténoïdes est très faible et les doses
maximales qui peuvent être
prises pendant des années sans risque
sont 5 mg/kg/j pour le
bêtacarotène, et 25 mg/kg/j pour la
canthaxanthine. Le mode d’action
repose avant tout sur les
propriétés antioxydantes : en
absorbant l’énergie provenant des
radicaux libres photo-induits,
ils inhibent la peroxydation lipidique
et préviennent la
photodégradation des membranes cellulaires.
¦ Acide
para-aminobenzoïque (PABA)
L’action photoprotectrice du PABA
par voie externe est bien connue.
Il a été proposé de l’utiliser
par voie interne à la dose de 1 comprimé
à 500 mg/10 kg de poids. La
toxicité du produit est pratiquement
nulle.
¦ Vitamines
La vitamine PP ou nicotinamide
n’est indiquée qu’en cas de pellagre
(exceptionnelle en France), de
même que la vitamine B6. Les autres
vitamines (C et E) n’ont pas d’intérêt
dans la photoprotection des
photodermatoses.
Antihistaminiques,
anti-inflammatoires, immunodépresseurs ont
leur utilité dans certaines
photodermatoses, mais ne sont pas à
proprement parler des
photoprotecteurs.
INDICATIONS
Elles sont résumées dans le
tableau I.
Photoprotection
interne du sujet sain
Elle vise à protéger du coup
de soleil et des effets nocifs à long terme
de l’exposition solaire :
cancers et vieillissement cutané. Ces
phénomènes sont
essentiellement en rapport avec la génération
photochimique d’espèces
réactives de l’oxygène : anion superoxyde,
peroxyde d’hydrogène, radical
hydroxyle, oxygène singulet. Les
produits utilisés sont donc
des antioxydants qui ont démontré leur
activité in vitro et chez l’animal
[25].
BÊTACAROTÈNE
Le bêtacarotène par voie
systémique protège contre l’apparition des
tumeurs cutanées induites chez
la souris, de l’érythème et de
l’immunosuppression de contact
chez l’homme [9]. Mathews-Roth [18]
a également montré une
augmentation de la dose érythémale
minimale (DEM) après
absorption quotidienne de 180 mg de
bêtacarotène pendant 10
semaines, mais d’une façon trop minime
pour avoir un intérêt en
pratique. En revanche, Wolf [28] n’a trouvé
aucun effet favorable d’une
supplémentation de 150 mg/j en
bêtacarotène sur 4 semaines
quant à la DEM et aux dégâts de l’ADN.
Ceci a été confirmé par un
travail de Garmyn [10] qui a montré
l’inefficacité du bêtacarotène
sur la DEM et sur le nombre de cellules
photodyskératosiques, soit en
dose unique (120 mg), soit à la dose
de 90 mg/j pendant 23 jours.
En outre, Greenberg [12] a évalué l’effet d’une
supplémentation en
bêtacarotène (50 mg/j pendant
5 ans) sur l’apparition d’un deuxième
cancer cutané chez des
patients qui avaient déjà présenté au moins
un carcinome ; 1 805 patients
ont été inclus. La supplémentation
augmente les taux plasmatiques
de dix fois, mais ne modifie pas
l’incidence de nouveaux
carcinomes.
Hennekens [13] a traité par 50 mg/j de
bêtacarotène ou placebo
22 071 médecins américains
pendant 12 ans. Au terme de cette étude,
il n’y avait aucune différence
entre les deux groupes quant au
nombre de cancers cutanés.
VITAMINE E (ALPHATOCOPHÉROL)
Le taux cutané d’alphatocophérol
est diminué après exposition aux
ultraviolets (UV). De
nombreuses études ont montré que le produit
était protecteur vis-à-vis de
la peroxydation lipidique, la
tumorogenèse, l’érythème, la
formation de cellules
photodyskératosiques, les
altérations de l’ADN, la génotoxicité.
Chez l’homme, l’équipe de
Gilchrest [27] a évalué l’effet protecteur
de la prise orale de vitamine
E à raison de 400 UI/j pendant 6 mois
versus placebo. La DEM et l’évaluation
des cellules
photodyskératosiques ont été
pratiquées au début du traitement,
puis à 1 et 6 mois : aucune
modification n’a été observée.
SÉLÉNIUM
Les glutathion peroxydases
jouent un rôle majeur dans la
détoxication cellulaire du
peroxyde d’hydrogène et des
hydroperoxydes lipidiques et
organiques. La synthèse et l’activité
de cette enzyme, très
importante dans la photoprotection,
nécessitent le sélénium qui
est incorporé au niveau du site actif sous
la forme de sélénocystéine. L’apport
de sélénium permet de ce fait
d’optimiser la fonction
glutathion peroxydase. Chez la souris [19], un
déficit en sélénium induit une
chute en glutathion peroxydase
cutanée et augmente la photocarcinogenèse.
L’apport de sélénite de
sodium protège de façon
significative les fibroblastes cutanés
humains exposés aux UVA ; chez
la souris, l’apport de sélénium
dans l’eau de boisson protège
vis-à-vis des effets aigus (érythème),
subaigus (pigmentation) et
chroniques (carcinomes) liés à
l’irradiation UV [21]. Ces résultats n’ont pas été
retrouvés chez
l’homme. Clark [7] a traité par 200 mg/j de
sélénium ou de placebo,
pendant au moins 4 ans, 1 312
sujets aux antécédents de carcinomes
cutanés baso- ou
spinocellulaires ; 377 nouveaux cas de carcinomes
basocellulaires et 218
nouveaux cas de cancers spinocellulaires ont
été observés dans le groupe
sélénium, contre 350 et 190 dans le
groupe placebo. En revanche,
le nombre de cancers viscéraux
(prostate, côlon, poumon) a
été réduit de façon significative dans le
groupe sélénium par rapport au
groupe placebo.
ZINC
Le rôle antioxydant du zinc a
été largement étudié [22]. Différentes
études in vitro et chez la
souris ont montré que la supplémentation
du milieu en zinc peut
prévenir des effets aigus des UV [16]. En
clinique humaine, les études
restent à faire.
VITAMINE C
Chez la souris [20], un régime enrichi en acide
ascorbique prévient la
génotoxicité, la peroxydation
lipidique et l’inflammation, les lésions
cutanées et les tumeurs. L’application
topique s’est également
montrée efficace. En revanche,
aucune étude n’a été entreprise chez
l’homme. En effet, outre son
action antioxydante directe vis-à-vis
des espèces réactives de l’oxygène,
l’acide ascorbique permet une
régénération des radicaux
tocophéroxyles, de même que les
caroténoïdes, d’où la
justification d’utiliser ces produits en
association.
ASSOCIATION D’ANTIOXYDANTS
L’intérêt des associations d’antioxydants
a été démontré in vitro.
Boehm [4] a mesuré sur des cultures de
fibroblastes humains irradiés
en UVA ou en UVB la protection
apportée par différentes
Tableau I. –
Lucite estivale
bénigne
Lucite polymorphe Porphyrie
cutanée
tardive
Protoporphyrie
érythropoïétique
Urticaire solaire Dermatite
actinique
chronique
APS 2/3 cp/j 2/3 cp/j 0,5 mg/j
PABA 4/6 cp/j
Phénorot 4/6 gel/j 4/6 gel/j 4/6 gel/j
4/6 gel/j
Anti-Ht 2/4 cp/j
Imurelt 2 cp/j
PABA : acide para-aminobenzoïque ; APS :
antipaludéens de synthèse ; cp : comprimés ; gel : gélules.
associations. La protection
vis-à-vis des UVA a été multipliée par un
facteur de 4,68 par l’association
bêtacarotène-alphatocophérolvitamine
C, 4,19 par l’association
bêtacarotène-alphatocophérol, et
3,96 par l’association
bêtacarotène-acide ascorbique. En revanche,
aucune protection n’a été
observée vis-à-vis des UVB.
L’association vitamine
C-vitamine E a été testée chez l’homme par
l’équipe de Przybilla [8]. Dix sujets ont absorbé tous
les jours 2 g
d’acide ascorbique et 1 g d’alphatocophérol
ou un placebo. La DEM
a été mesurée avant et après
traitement, ainsi que le flux sanguin
cutané. L’association vitamine
C-vitamine E a fait passer la DEM
moyenne de 80 à 96,5 mJ/cm2 (p < 0,01), tandis que dans le groupe
placebo, elle baissait de 80 à
68,5 mJ/cm2. Le flux sanguin cutané
diminuait de façon
significative dans le groupe vitamine (p < 0,05),
alors qu’il augmentait dans le
groupe placebo.
L’association sélénium 150
mg-cuivre 16 mg-vitamine A 1 000 UIvitamine
C 60 mg-vitamine E 15 UI, a
montré une certaine efficacité
dans une étude de Cesarini [6]. Après 28 jours de
traitement, la moitié
des sujets ont vu leur DEM
augmenter de 25 %. Il existait également
une réduction des
lipoperoxydes cutanés induits par les UV.
FLAVONOÏDES
De très nombreuses études
épidémiologiques ont été consacrées aux
relations cancer et régime
riche en flavonoïdes.
L’application topique de
flavophérol avant irradiation UVB prévient
complètement l’induction de
carcinomes spinocellulaires à
25 semaines chez la souris,
alors que tous les animaux non traités
ont développé des tumeurs dans
ce délai [5].
L’étude de Steerenberg [26] confirme chez la souris la
prévention sur
la photo-immunosuppression de
contact procurée par un régime
riche en flavonoïdes. Deux
études récentes sur la souris SKH1
confirment que l’administration
orale de thé vert ou noir prévient
significativement l’incidence
et le volume des tumeurs UV
induites [17]. Chez l’homme, une vaste
enquête japonaise
(8 552 individus) a montré une
corrélation négative entre la
consommation de plus de dix
tasses de thé par jour et la survenue
des cancers, surtout chez la
femme [14]. En revanche, le rôle
protecteur de la consommation
de thé chez l’homme reste à faire.
GRAISSES
Chez la souris, un régime
comportant 20 % de graisses saturées les
protège presque complètement
vis-à-vis de la photocarcinogenèse, à
l’inverse des animaux dont le
régime comporte 20 % de graisses
insaturées.
De même, chez l’opossum, un
régime riche en graisses saturées
réduit la survenue de mélanome
après irradiation UV, mais pas celle
de carcinomes [17].
Chez l’homme, il a été
démontré que les patients atteints de
carcinomes cutanés qui
réduisaient de moitié leur prise totale de
graisses sans réduire leur
apport calorique avaient une incidence
réduite de kératoses solaires [2] et de carcinomes [3]. De même, un
régime riche en acides gras polyinsaturés
oméga-3 entraîne un
doublement de la DEM au bout
de 6 mois, mais, parallèlement, la
susceptibilité de la peau à la
peroxydation lipidique est
augmentée [24]. Il semble donc que ces
acides omega-3 agissent
comme des tampons qui
protègent les structures cellulaires vitales
des dommages provoqués par les
espèces réactives de l’oxygène.
Un tel régime pendant 3 mois
peut entraîner, chez le sujet porteur
d’une lucite polymorphe, une
réduction de la réponse au test de
provocation aux UVB [23].
Une étude cas-témoin a montré
une réduction significative du risque
de mélanome chez les sujets
qui consomment plus de 15 g/j de
poisson [1].
POLYPODIUM LEUCOTOMOS
Une étude humaine récente [11] montre qu’après prise orale de
cette
fougère, la DEM est augmentée d’un
facteur 2,8 ± 0,58 et la dose
minimale phototoxique après
PUVAthérapie de 2,75 ± 0,05 avec de
plus protection des cellules
de Langerhans sous PUVAthérapie.
Conclusion
Si la photoprotection interne
des photodermatoses est assez codifiée et
l’efficacité des différents
traitements démontrée dans certaines
dermatoses, il n’en est pas
de même de la photoprotection interne du
sujet sain. Nous ne disposons
à l’heure actuelle d’aucun produit
susceptible de remplacer la
photoprotection externe. On peut cependant
fonder quelques espoirs dans
l’association d’antioxydants.
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