Définition du cosmétique : frontières entre cosmétiques et médicaments

Introduction
Reflets du monde de la beauté, les cosmétiques (grec kosmeticos, de
cosmos [parure]) ont été longtemps considérés comme des produits
anodins, sans risque. Ainsi, aucune réglementation spécifique
française n’était définie en dehors des méthodes officielles d’analyse.
Ce vide juridique disparaît en 1975 avec l’affaire du talc Morhange
et l’apparition d’une réglementation française des cosmétiques par
la loi 75604 du 10 juillet 1975 (Journal Officiel [JO] du 11/07/1975).
Cette loi avant-gardiste définit le produit cosmétique, fixe des règles
sur la fabrication, le conditionnement, l’importation et la mise sur le
marché des cosmétiques et des produits d’hygiène corporelle. En
1976, les pays membres de la CE publient la première directive
européenne relative aux produits cosmétiques (directive du conseil
76/768 CE du 17/07/1976). Le Comité scientifique de cosmétologie,
comité consultatif d’experts de tous les pays membres de la CEE, est
créé en 1978 et aura, au fil des ans, un rôle essentiellement
toxicologique (révision des données toxicologiques disponibles et
sécurité de la majorité des ingrédients susceptibles d’entrer dans la
composition des cosmétiques). Amendée six fois depuis sa parution,
la directive modifiée du conseil du 14/06/1993 (JO du 26/06/1993)
a été transcrite en droit français par la loi 98535 du 1/07/1998 (JO
du 02/07/1998).
Les arrêtés nécessaires à l’application de cette loi viennent d’être
publiés par le décret no 2000-569 du 23 juin 2000 modifiant
définitivement le Code de la santé publique et annulant la loi
française de 1975 (JO du 27/06/2000).

Définition
La définition du cosmétique apparaît dès l’article premier de la
directive : « On entend par produit cosmétique toute substance
destinée à être mise en contact avec diverses parties superficielles
du corps humain, notamment l’épiderme, les systèmes pileux et
capillaire, les ongles, les lèvres et les organes génitaux externes, ou
avec les dents et les muqueuses buccales, en vue, exclusivement ou
principalement, de les nettoyer, de les parfumer, d’en modifier
l’aspect, de les protéger, de les maintenir en bon état ou de corriger
les odeurs corporelles. »
En annexe de la directive est publiée une liste selon l’inventaire
européen des matières premières cosmétiques, où figurent en annexe
I toutes les substances utilisables, en annexe II les substances
prohibées, en annexes III, IV, VI, VII celles soumises à restriction
d’usage (III) ou bien réglementées telles que les colorants (IV), les
conservateurs (VI), les filtres solaires (VII).
Classification
La classification des cosmétiques peut être établie à partir de
l’énumération des substances de l’annexe I de la directive, mais l’on
peut aussi choisir une classification fonctionnelle, plus explicite,
basée sur les propriétés définies dans l’article I [1] :
cosmétiques d’hygiène : savons, pains, shampooings, bains
moussants, laits de toilette, toniques, dentifrices… ;
cosmétiques de parure : fards, poudres, fonds de teint, rouges à
lèvres, vernis à ongles, parfums… ;
cosmétiques de protection : crèmes de jour, de nuit, crèmes de
protection solaire, cosmétiques pour le corps, huiles de bain, écrans
labiaux… ;
cosmétiques de promesse : crèmes hydratantes, régénératrices,
nutritives, antirides, raffermissantes… ;
cosmétiques de correction : dépilatoires, déodorants, produits de
frisage et de défrisage, teintures capillaires…
Cosméceutiques ou cosmétiques
« actifs »
La vocation première d’un cosmétique est donc d’« embellir »
(kosmos [parure]), de nettoyer, fonction renforcée par la définition
de la directive qui fait du cosmétique un produit à usage local sans
activité thérapeutique curative.
Ainsi, en cosmétologie, toute référence à un produit, même
d’hygiène, pour le soin des peaux malades est théoriquement, selon
la définition européenne, interdite. Mais, progressivement, les firmes
dermocosmétologiques ont développé des produits cosmétiques de
soin ou d’hygiène revendiquant un rôle cosmétique complémentaire
ou traitant des maladies cutanées. Ces produits, dont l’utilisation
serait bénéfique pour le patient et le risque cutané très faible,
appartiennent à la cosmétologie « de soin » (à effet durable) [7]. C’est
en 1961 que Raymond Reed, un des pères fondateurs de la société
des chimistes cosméticiens, inventa le terme de « cosméceutiques »,
qu’il définit comme [2, 9, 10] :
– des produits scientifiquement définis pour l’application externe
sur la peau humaine ;
– utiles et recherchés par la clientèle ;
– comportant des propriétés cosmétiques ;
– une standardisation rigoureuse à la fois chimique, physique et
médicale.
C’est ainsi que le ministère de la Santé en France a créé le visa « PP »
(produit publicité), reconnaissant à certains cosmétiques « autres
qu’un médicament » le pouvoir d’atténuer, d’améliorer, de modifier
des fonctions organiques avec des réserves restrictives de langage
publicitaire. Ce visa PP est valable pour certains cosmétiques de soin
en complément des traitements des peaux « à tendance acnéique »
et pour l’« hypersudation ». La frontière entre le médicament et le
cosmétique devient alors ambiguë. Dans le Code de la Santé
publique, article L511, le médicament est défini comme « toute
substance ou composition représentée comme possédant des
propriétés curatives ou préventives à l’égard des maladies humaines
ou animales, ainsi que tout produit pouvant être administré à
l’homme ou à l’animal en vue d’établir un diagnostic médical ou de
restaurer, de corriger ou de modifier leurs fonctions organiques. »
Devant ce vide juridique, la différence entre un médicament et un
cosmétique « actif » ou de « soin » n’est plus basée sur l’activité
revendiquée puisque les deux produits peuvent posséder des
propriétés curatives ou préventives en fonction de la catégorie à
laquelle ils appartiennent, ni même sur les ingrédients qui les
constituent (certains principes actifs sont communs aux cosmétiques
et aux médicaments ; néanmoins, il existe en annexe II une liste de
substances interdites en cosmétologie comprenant des
médicaments), mais sur la simple revendication [4]. Aussi, les
fabricants de dermocosmétiques jonglent avec la composition de
leur produit afin de ne pas être dans le monde du médicament. C’est
ainsi que sont multipliés les dérivés actifs de la vitamine A. L’acide
rétinoïque, aux propriétés antiacné et antiâge, dans un produit
cosmétique, fait systématiquement de lui un médicament, alors que
tout ester de vitamine A, le rétinol ou le rétinaldéhyde, bien que
précurseurs de vitamine A acide, sont autorisés en cosmétologie.
De même, la simple revendication publicitaire peut faire d’un
produit un médicament ou un cosmétique. En 1991, la cour de
justice de Hertogenbosch (Pays-Bas) estima que l’alopécie
hippocratique n’était pas une maladie et que le minoxidil n’était pas
un médicament. Le laboratoire Upjohn fit alors appel auprès de la
cour de justice de l’Union européenne qui statua qu’une substance
est un médicament si elle a pour but de modifier la structure ou une
fonction de l’organisme sans pour autant avoir l’intention d’agir sur
l’état morbide. Comme le minoxidil montre une action sur la
croissance du cheveu, la cour stipula qu’il s’agissait d’un
médicament. Il en résulte qu’un cosmétique peut être rebaptisé
médicament.
Mise sur le marché
La différence entre le médicament et le cosmétique dit actif est
parfois minime, concernant les revendications publicitaires, mais elle
est fondamentale pour les firmes dermocosmétiques et la mise sur
le marché du produit.
Depuis la loi française de 1975 et la directive européenne,
l’obligation de réaliser un dossier pour tout nouveau produit
cosmétique est imposée au fabricant ou à son mandataire ou à la
personne pour le compte de laquelle un produit cosmétique est
fabriqué. Le monde de la cosmétique évoluant très vite (on considère
en France que 30 % des cosmétiques sont renouvelés chaque année),
ce dossier peut être constitué dans des délais très courts,
contrairement au dossier d’autorisation de mise sur le marché des
médicaments. En effet, pour ces derniers, la procédure est longue
(une dizaine d’années), coûteuse et rigoureuse, avec des études
d’innocuité et d’efficacité réalisées en double insu contre placebo,
puis contre le produit de référence sur animal, puis les
volontaires sains, et enfin les malades.
Le dossier cosmétique, quant à lui, doit être à la disposition des
autorités de contrôle, à l’adresse mentionnée sur l’étiquette, et
contenir les informations suivantes [6] :
– formule qualitative et quantitative du nouveau produit ;
– spécifications physicochimiques et microbiologiques ;
– conditions de fabrication et de contrôle ;
– évaluation de la sécurité humaine ;
– effets indésirables de ce produit cosmétique ;
– preuves des effets revendiqués lorsque la nature de l’effet ou du
produit le justifie.
Les études du dossier cosmétique ne doivent plus être réalisées sur
l’animal en application de l’article de la directive 76/768 CE qui
stipule que les États membres interdisent la mise sur le marché de
produits cosmétiques comprenant « des ingrédients ou combinaison
d’ingrédients expérimentés sur animaux », sauf « s’il y a eu des
progrès insuffisants dans la mise au point de méthodes pouvant se
substituer de manière satisfaisante à l’expérimentation animale…» .
Cette décision, applicable à partir du 1er janvier 1998 dans tous les
pays de la CEE, a été repoussée par la directive 97/18 CE au 30 juin
2000 [3]. Cependant la commission européenne vient de proposer un
« projet de directive du Parlement européen et du conseil »
(7e modification) sur l’interdiction des essais sur animaux, projet
reportant la date de l’interdiction de commercialisation.
L’évaluation de la sécurité pour la santé humaine d’un médicament
inclut des études de phase I avec la connaissance des risques de
mutagénicité, de carcinogenèse, de passage systémique et de phase
II avec celle de la dose maximale administrable. Pour un cosmétique,
l’évaluation de la sécurité humaine n’obéit pas à des lignes
directrices aussi strictes. Elle doit être exécutée en conformité avec
les « bonnes pratiques de laboratoire » et par des tests « appropriés »
(laissés au libre-arbitre du fabricant) de toxicité transcutanée et de
tolérance cutanée et muqueuse. L’évaluation de la sécurité humaine
doit-elle être la même pour les cosméceutiques revendiquant des
activités bénéfiques ou préventives ou bien appliqués sur des peaux
pathologiques ? L’absorption cutanée d’un produit appliqué sur
l’épiderme est sous la dépendance de la nature chimique du
véhicule, de l’intégrité de la peau, du poids moléculaire, des
substances actives et de leur degré de concentration, leur degré de
dissociation, du pH, de leur volatilité, de leur solubilité dans des
lipides et dans de l’eau, et enfin de la quantité appliquée sur la peau
et de la surface d’application [8]. Un cosmétique est par définition
« appliqué à la surface de l’épiderme », sans préjuger de son devenir
dans la peau ou dans le sang. Mais dans certains cas, des données
de pénétration semblent souhaitables.
Un produit cosmétique appliqué sur une peau pathologique avec
altération de la barrière cutanée a très probablement un risque de
passage cutané accru, voire peut-être un risque d’effet systémique.
Ces produits ne devraient-ils pas être évalués comme des
médicaments topiques ?
Afin de protéger le consommateur contre la publicité mensongère, il
est demandé de déposer, dans le dossier cosmétique, « les preuves
des effets revendiqués par le produit lorsque la nature le justifie »,
mais il n’est donné aucune précision sur la preuve qui doit être
fournie ni de son mode d’évaluation ; elle dépend de la volonté du
fabricant. Là encore, on est loin de la rigueur du médicament avec
des études d’efficacité en double insu, contre placebo et contre le
produit de référence.
Cette nécessité de « preuves » impose de créer un document qui
pourra être consulté par l’autorité chargée du contrôle et par toute
entité juridique remettant en cause le message publicitaire, mais
encore faut-il pour cela que les modes d’évaluation soient définis.
C’est ainsi qu’en 1994, un groupe d’experts européens, l’European
group for the Efficacy Measurements on Cosmetics and Other topical
products (EEMCO group), autorité scientifique non contestable, a
eu pour mission de valider la preuve fournie, surtout dans le
domaine des méthodes instrumentales (bon usage, avantages et
limites de la méthode, validité des informations) [5].
De même, sous l’instigation de la Direction générale de la
concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes
(DGCCRF), un groupe d’experts a apprécié les différents types
d’essai (méthodologie, choix des volontaires, conditions de l’essai)
permettant de constituer la preuve d’efficacité revendiquée et la
nature des informations (critères d’appréciation retenus, expression
des résultats, interprétation), qu’il faut nécessairement retrouver
dans les rapports d’étude. La preuve doit être faite sur les
« ingrédients actifs », mais aussi sur le produit fini, en égard de
l’influence de la galénique sur la pénétration transcutanée.
L’apparition, dans le monde de la beauté, de cosmétiques dits « de
soin » ou de « cosméceutiques » a entraîné une reconnaissance tacite
d’une activité aux produits cosmétiques, avec le pouvoir d’atténuer,
de modifier. Malgré l’apparition d’une législation française puis
européenne avec obligation d’un dossier pour mise sur le marché
des produits cosmétiques, avec évaluation de la sécurité et preuves
de l’efficacité, le cosméceutique mériterait une place définie entre la
réglementation en vigueur et rigoureuse des médicaments et de la
cosmétologie d’hygiène, de simple protection, et de parure ou de
camouflage.
L’ère de la cosmétologie active n’en est qu’à ses balbutiements et la
législation doit protéger le consommateur, à la fois du risque
thérapeutique et du message publicitaire. Les firmes
dermocosmétologiques ont institué un service de qualité, assurance
proche de la pharmacovigilance des médicaments, afin de suivre les
effets indésirables des cosmétiques et de protéger au mieux le
consommateur.
Références
[1] Baran R, Maibach H. Cosmetic dermatology. London :
Martin Dunitz, 1998
[2] Epstein H. Factors in formulating cosmeceutical vehicles.
Cosmet Toilet 1997 ; 112 : 91-99
[3] Joubert JP, Chesne C, Marty JP. Produits cosmétiques et
tests sur les animaux : quelles perspectives ? Méd Lég Hosp
1999 ; 2 : 86-87
[4] Kligman AM. Cosmeceuticals as a third category. Cosmet
Toilet 1998 ; 113 : 33-40
[5] Masson P. L’EEMCO, garant de l’évaluation des cosmétiques.
Cosmétologie 1996 ; 12 : 47-48
[6] Poli F.Réglementationdescosmétiques.Bull Esthétique Dermatol
Cosmétol 1994 ; 65 : 364-367
[7] Reynier JP. La cosmétologie de soin : cosméceutiques. Bull
Esthétique Dermatol Cosmétol 1990 ; 61 : 7-12
[8] Smith EW, Maibach HI. Percutaneous penetration enhancers.
The fundamentals ERC Press, 1995
[9] Vermeer BJ, Gilchrest B. Cosmeceuticals. A proposition for
rational definition evaluation and regulation. Arch Dermatol
1996 ; 132 : 337-140
[10] Waleski MC. Letter to the editor. Cosmet Toilet 1996 ;
116 : 8