Xérose, ichtyose, kératose pilaire

Introduction
Xérose, ichtyose et kératose pilaire sont trois variantes pathologiques
de la peau sèche. La xérose est simplement une sécheresse excessive.
L’ichtyose est caractérisée par des squames visibles plus ou moins
étendues ; elle peut être liée à une absence de desquamation
(ichtyose par rétention) ou une accélération du turnover épidermique
avec production accrue de squames (ichtyose par prolifération). La
kératose pilaire est une kératinisation anormale des follicules
pilosébacés qui produit une impression de râpe à la palpation.
Xérose
DÉFINITION
La sécheresse cutanée est en partie génétiquement déterminée, elle
est une part du phénotype de chaque individu. Elle se modifie au
cours de la vie : la peau est grasse chez le nouveau-né au moment
de la crise génitale car il y a une hyperproduction de sébum sous
l’influence des hormones sexuelles. Elle devient sèche ensuite dans
la petite enfance, jusqu’au moment de la prépuberté, vers 10 ou
11 ans, période où la production de sébum débute, puis devient
intense. La peau redevient sèche après la ménopause chez la femme
en l’absence de traitement hormonal substitutif et dans le grand âge
dans les deux sexes.
La sécheresse cutanée varie aussi selon les zones du corps : les
grands plis sont rarement secs en raison de la perspiration et de la
transpiration. Le visage, le tronc, le cuir chevelu sont le siège d’une
sécrétion sébacée à partir de l’adolescence. Les zones de plus grande
sécheresse cutanée sont donc les membres et l’abdomen.
La peau sèche peut être finement squameuse, parfois elle est
épaissie, en particulier chez les vieillards. Elle provoque un inconfort
et souvent un discret prurit, parfois celui-ci peut être intense.
Certaines circonstances pathologiques sont responsables de
sécheresse cutanée particulière : insuffisance rénale chronique,
hypothyroïdie, syndrome sec, dermatite atopique, troubles
nutritionnels [17]. Certains médicaments peuvent aussi être en cause,
les rétinoïdes en particulier, mais aussi des traitements locaux [9].
SOINS ÉMOLLIENTS
Les produits émollients, du latin amollir, visent à rendre la peau plus
souple et plus lisse [11] en rétablissant une couche cornée (stratum
corneum) bien hydratée. C’est l’état de la couche cornée qui
conditionne une peau souple et lisse. Les cornéocytes, c’est-à-dire
les cellules de la couche cornée, contiennent des natural moisturing
factors (NMF) qui sont un mélange de substances hygroscopiques et
d’acides aminés provenant de la dégradation de la filaggrine. Ils
assurent une hydratation correcte de cette couche superficielle de
l’épiderme. Les membranes des cornéocytes et les desmosomes qui
assurent la cohésion des cellules épidermiques doivent assurer une
cohésion suffisamment lâche au niveau de la couche cornée pour
que la desquamation s’effectue facilement [15]. Les lipides
intercellulaires (céramides, cholestérol, acides gras, phospholipides,
glucosylcéramides) participent à la cohésion de la couche cornée,
mais surtout s’opposent à la perte d’eau transépidermique.
On peut améliorer l’hydratation du stratum corneum de plusieurs
façons :
– l’effet occlusif s’oppose à la déshydratation en créant un film de
surface avec des corps gras : cires, huiles, alcools gras, huiles de
silicone ;
– l’effet humectant est obtenu grâce à des substances avides d’eau
(qui vont maintenir l’eau à la surface de la peau : fractions du NMF,
allantoïne, polyols, glycérine) ;
– si la sécrétion sébacée est insuffisante, elle peut être compensée
par des produits lipidiques : émulsions huile dans l’eau, eau dans
l’huile, systèmes anhydres à base d’huile.
Les émollients sont en pratique très variés :
– les émollients solubles dans l’eau sont la glycérine, le sorbitol, le
propylène glycol... ;

– les émollients solubles dans l’huile sont les huiles hydrocarbonées,
les huiles végétales, les graisses, les alkylesters, les huiles et cires
siliconées...
Cela aboutit à de nombreux produits commercialisés sous forme de
crèmes pour le visage, pour les mains ou le corps, d’huiles de bain.
Les effets secondaires sont minimes, c’est surtout l’effet occlusif qui
peut favoriser la prolifération de bactéries cutanées ou, parfois, des
allergies de contact [16].
Ichtyoses
DÉFINITION
Les squames visibles sur la peau ont été comparées à des écailles de
poisson d’où le terme « ichtyose » qui vient du grec ichtyus, qui
veut dire poisson.
Il existe quatre types principaux d’ichtyoses.
¦ Ichtyose vulgaire
Les squames apparaissent dans la petite enfance ; elles sont fines,
blanches ou grises. Elles sont présentes, surtout à la face antérieure
des jambes, en hiver. Les grands plis sont respectés. Les paumes et
les plantes sont hyperstriées. Le cuir chevelu est finement
squameux ; la transmission héréditaire est de type autosomique
dominant. La prévalence est évaluée à 1/250. Il y a une association
fréquente à la dermatite atopique. À l’examen de la peau, on trouve
une hyperkératose orthokératosique ; la couche granuleuse est
d’épaisseur diminuée, voire absente par endroits. La cause de
l’hyperkératose est une rétention des cellules de la couche cornée.
La filaggrine et son précurseur, la profilaggrine, sont absents ou
diminués dans l’épiderme [18].
¦ Ichtyose liée à l’X
Les squames sont brunes, touchant surtout les jambes (fig 1),les
creux poplités, l’abdomen, le cou. Il y a des squames du cuir
chevelu. Aux genoux, aux coudes, à la nuque, on observe une
hyperkératose épaisse. Les paumes et les plantes sont normales ; des
opacités cornéennes sont présentes dans la moitié des cas [13], une
cryptorchidie dans un quart des cas. Le début est précoce, souvent
vers l’âge de 6 mois ; il n’y a pas d’amélioration au cours de la vie.
La transmission est autosomique liée à l’X. Seuls les garçons sont
atteints ; l’incidence chez eux est comprise entre 1/2 000 et 1/10 000.
À l’examen histologique, l’hyperkératose est orthokératosique, avec
quelques zones d’hyperkératose. La cause est une rétention de la
couche cornée par retard à la dissolution des desmosomes. Il existe
un déficit en stéroïde sulfatase ou en arylsulfatase C qui entraîne
une augmentation du sulfate de cholestérol dans le stratum corneum
et donc une modification du ciment intercellulaire [2].
¦ Ichtyoses autosomiques récessives
Ce groupe comprend les ichtyoses lamellaires (IL) et l’érythrodermie
ichtyosiforme congénitale sèche (EICS). Ce groupe est de
classification encore imprécise, malgré les études en microscopie
électronique et l’obtention de localisations géniques [1, 4]. Le début
est souvent très précoce, soit par un aspect de bébé collodion, soit
par une ichtyose diffuse congénitale. L’EICS comporte un érythème
diffus et des squames multiples sur tout le corps, y compris le
visage ; les paumes et les plantes sont hyperkératosiques, le cuir
chevelu est squameux. L’IL est moins érythémateuse, les squames
sont grises. Dans les deux cas, un ectropion est possible ; les grands
plis sont atteints. La transmission est autosomique récessive.
L’incidence est inférieure à 1/100 000. En microscopie optique, on
trouve un épaississement de la couche cornée. Des vacuoles ou des
lamelles peuvent être observées en microscopie électronique. Il y a
une augmentation du turnover épidermique, il s’agit d’une ichtyose
par prolifération. Des localisations géniques ont été trouvées.
¦ Érythrodermie ichtyosiforme congénitale bulleuse
(EICB)
À la naissance, la peau est érythémateuse avec de grands
décollements. Le fond des grands plis est macéré, hyperstrié, couvert
d’un enduit blanc. Après une période d’amélioration, une
hyperkératose grise, épaisse, apparaît, respectant le visage. Des
décollements bulleux apparaissent ça et là, puis tendent à disparaître
alors que l’hyperkératose, spontanément, pourrait devenir très
épaisse. La transmission héréditaire est autosomique dominante. Un
des parents peut avoir une forme localisée à type de nævus
épidermique acanthokératolytique. À l’examen histologique, il y a
une hyperkératose compacte et des espaces clairs
acanthokératolytiques intraépidermiques donnant naissance aux
décollements. En microscopie électronique, les tonofilaments sont
disposés en « coquille » autour des noyaux [12] ; il y a des anomalies
d’attachement desmosomal. La cause est une anomalie des kératines
avec production excessive et prématurée de kératohyaline,
acantholyse, dégénérescence cytolytique de kératinocytes.
¦ Autres ichtyoses
De nombreux autres types d’ichtyoses existent. Ils sont très rares. Il
peut s’agir de formes liées à des manifestations neurologiques
(syndrome de Sjögren-Larsson [7], maladie de Refsum [10], syndrome
de Dorfman-Chanarin [6]) ou de formes cliniques particulières
(syndrome de Netherton, ichtyose folliculaire, peeling skin syndrome),
parfois localisées (pityriasis rotunda, génodermatose en
« cocardes »).
Certaines ichtyoses sont acquises [5], pouvant être liées à la prise de
médicaments, un cancer, la lèpre.
EXAMENS NÉCESSAIRES
Toute ichtyose qui ne correspond pas à l’ichtyose vulgaire mérite
d’être analysée :
– description clinique précise ;
– dessin des localisations ;
– réalisation d’un arbre généalogique ;
– biopsie cutanée et, si nécessaire, examen en microscopie
électronique ;
– examen de cheveux en polarisation ;
– examens biologiques, selon le cas envisagé.
TRAITEMENT
Dans les formes par rétention, on utilise des émollients et des
kératolytiques contenant de l’urée, de l’acide lactique. On évite les
produits contenant de l’acide salicylique qui peuvent être
responsables d’une acidose métabolique. Le propylène glycol peut
1 Ichtyose liée à l’X : squames grises
de la jambe.

être utilisé chez l’adulte ou l’adolescent, dilué dans l’eau à 30 ou
60 %, sous un vêtement de sudation. Les bains chauds, la sudation
exercent une action favorable. Ces traitements ont leur efficacité
maximale en cas d’ichtyose par rétention.
Les rétinoïdes par voie générale sont un apport indiscutable dans
les EICS, IL et EICB. On utilise l’acitrétine [8], y compris chez le jeune
enfant, à la dose de 0,5 mg/kg/j au début. Une surveillance
régulière est requise.
Le diagnostic anténatal peut se faire par étude du liquide
amniotique ou par étude histologique de biopsie foetale. Les
indications sont peu nombreuses : EICB, syndrome de Sjögren-
Larsson ou encore foetus Arlequin.
Kératoses pilaires
DÉFINITION
Les kératoses pilaires sont caractérisées par de petites surélévations
kératosiques au niveau des follicules pileux ; cela donne une
sensation râpeuse à la palpation. Certaines sont acquises, d’autres
héréditaires, de transmission autosomique dominante.
¦ Kératose pilaire simple
La palpation de la face externe des bras, parfois des cuisses, des
jambes ou des avant-bras trouve une peau rugueuse. À l’examen,
on observe des éléments gris à l’orifice des follicules pileux. Cela est
plus fréquent chez les filles, débute dans la petite enfance, s’améliore
après la puberté [8]. Presque toujours, un des deux parents a ou a eu
une kératose pilaire identique. Un aspect cyanotique du membre,
voire une acrocyanose, sont possibles.
¦ Kératose pilaire rouge
L’aspect peut être voisin de la kératose pilaire simple avec
simplement un érythème de chaque follicule kératosique et une
atrophie séquellaire de chaque follicule à l’âge adulte. Il peut aussi
s’y associer une hyperkératose rouge des joues, des sourcils ; cet
aspect est nommé ulérythème ophryogène. Il aboutit à l’âge adulte
à des joues rouges, une barbe peu fournie chez l’homme, une
alopécie des sourcils. La transmission est autosomique dominante.
¦ Kératose folliculaire spinulosique décalvante
La kératose folliculaire devient généralisée, y compris au cuir
chevelu, et aboutit à une alopécie des sourcils, une disparition des
cils et des sourcils.
¦ Kératoses pilaires secondaires à d’autres affections
Ces affections sont rares, mais multiples.
– Dermatoses folliculaires : lichen plan folliculaire, psoriasis
folliculaire, ichtyose folliculaire, dermatomyosite, en particulier de
type Wong.
– Déficit vitaminique : vitamines A, C.
– Causes externes : utilisation de certains cosmétiques, contact avec
des huiles industrielles, des goudrons, une maladie génétique :
syndrome de Noonan, atrophodermie folliculaire (chondrodysplasie
ponctuée, syndrome de Bazex et Dupré) [3].
TRAITEMENT
Les traitements ne sont que symptomatiques, sauf en cas de déficit
en vitamines A ou C. Les émollients seuls sont insuffisants. Il faut
utiliser des crèmes kératolytiques contenant 10 à 30 % d’urée, voire
sur de grandes surfaces, de l’acide lactique ou, sur de petites
surfaces, de l’acide salicylique.
Références
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