Cosmétovigilance

Introduction
La sensibilisation aux cosmétiques est un motif de consultation assez
fréquent en dermatologie. Le dermatologue a donc un rôle
primordial à jouer dans la cosmétovigilance qui consiste à donner le
conseil le plus performant qui soit à son patient, mais également à
informer la communauté scientifique et les firmes fabriquant le
produit des constatations découlant de son examen clinique et de
ses investigations dermatoallergologiques. L’émergence d’un
problème de sensibilisation immédiate ou d’hypersensibilité retardée
liée à un composant d’un cosmétique, mise en évidence par une
action de cosmétovigilance, peut conduire à modifier la formule
d’un produit ou à faire éviter l’utilisation d’une molécule
sensibilisante dans les formulations ultérieures.
Structures de cosmétovigilance
existantes
Avant sa commercialisation, la tolérance d’un cosmétique est étudiée
par le laboratoire qui le fabrique et le commercialise.
Après sa commercialisation, il n’existe pas actuellement de
réglementation particulière quant au suivi de tolérance d’un produit.
Contrairement à ce qui existe pour les médicaments, il n’y a pas à ce
jour de disposition légale imposant au dermatologue de déclarer les
observations d’allergie aux cosmétiques qu’il est amené à
diagnostiquer.

Il faut noter qu’il faudra suivre dans les mois à venir les décrets
d’application de la loi n° 98-535 du 1er juillet 1998 relative au
renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité
sanitaire et du contrôle des produits destinés à l’homme, qui
concerne les médicaments, les aliments, les produits d’origine
humaine dont les produits sanguins et les produits cosmétiques [8].
COSMÉTOVIGILANCE DES LABORATOIRES
¦ Tests de cosmétotolérance avant commercialisation
Après études in vitro, voire chez l’animal, pour évaluer le risque
qu’a un cosmétique d’induire une allergie de contact, un test
proposé in vivo chez l’homme est l’Human Repeat Insult patch test
(HRIP) [4]. L’objectif de cette technique est, par des concentrations
élevées et des applications répétées, de tenter de prévoir le potentiel
allergisant d’un produit s’il est mal utilisé ou appliqué dans des
conditions d’usage de la vie quotidienne, c’est-à-dire avec usage
d’autres produits éventuellement irritants comme les savons.
L’HRIP est réalisé chez 80 à 120 volontaires sains. Il comporte une
phase d’induction et une phase de révélation d’une éventuelle
sensibilisation. Durant la phase d’induction, des tests épicutanés
sont appliqués neuf fois de suite sur le même site, à des intervalles
réguliers de 24 heures (48 heures le week-end). Une phase de repos
est ensuite observée durant 14 à 17 jours, puis la réexposition est
effectuée. Elle consiste en une application unique d’un patch test
durant 24 heures, sur le site où a été réalisée l’induction et sur un
site qui n’a jamais été exposé au cosmétique testé. Les lectures du
test sont effectuées 24 et 72 heures après la pose des tests servant à
la réexposition. Les concentrations auxquelles sont effectuées ces
tests sont déterminées selon différents critères, le plus souvent la
concentration la plus élevée qui n’entraîne pas d’irritation est
choisie. Elle est donc souvent proche de la concentration irritante ce
qui explique les difficultés parfois rencontrées pour interpréter ce
test dans lequel les réactions d’irritation sont fréquentes. Les choix
des concentrations testées sont faits à partir des données
antérieurement déterminées à partir d’études chez l’animal et les
précédents HRIP réalisés chez l’homme.
¦ Suivi du produit après sa commercialisation
Le laboratoire qui commercialise un cosmétique après sa mise sur le
marché ne peut être informé de sa tolérance qu’à partir des données
émanant des utilisateurs ou des dermatologues qui observent des
effets secondaires. Les responsables de cosmétovigilance des
laboratoires assurent l’interface entre la firme, les utilisateurs et les
dermatologues. Le recueil et l’analyse des données cliniques
transmises, ils informent éventuellement sur la composition du
produit en cause, supervisent l’envoi des matières premières entrant
dans la composition d’un cosmétique pour qu’un détail de test
épicutané ou de prick test positif soit réalisé, et recueillent les
résultats des tests cutanés effectués par le dermatoallergologue.
COMITÉ NATIONAL DE LA SÉCURITÉ SANITAIRE.
LOI RELATIVE AU RENFORCEMENT DE LA VEILLE
SANITAIRE ET DU CONTRÔLE DE LA SÉCURITÉ
SANITAIRE ET DES PRODUITS DESTINÉS À L’HOMME [8]
Un Comité national de la sécurité sanitaire a été créé en 1998 pour
analyser les événements susceptibles d’affecter la santé de la
population et de confronter les informations disponibles. Un institut
public de l’État appelé Institut de veille sanitaire a été créé et placé
sous la tutelle du ministre chargé de la santé (art L 792-1). Cet
institut participe au recueil et au traitement des données sur l’état
de santé de la population à des fins épidémiologiques. Il rassemble,
analyse et actualise les connaissances sur les risques sanitaires, leurs
causes et leur évolution. Il détecte tout événement modifiant ou
susceptible d’altérer l’état de santé de la population et en alerte les
pouvoirs publics.
Par produit cosmétique on entend toute substance destinée à être
mise en contact avec les diverses parties superficielles du corps
humain, notamment l’épiderme, les systèmes pileux et capillaires,
les ongles, les lèvres, la muqueuse buccale. Ces produits sont utilisés
en vue de nettoyer, parfumer, modifier l’aspect, protéger, maintenir
en bon état ces parties superficielles du corps ou de corriger les
odeurs corporelles (art L 658-1).
Les produits à finalité cosmétique ou d’hygiène corporelle sont
concernés par cette loi (art L 793-1). L’agence procède à l’évaluation
des bénéfices et des risques liés à l’utilisation de ces produits et
assure la mise en oeuvre des systèmes de vigilance.
Sur l’emballage des cosmétiques doit figurer la composition
nominale du produit, la liste des ingrédients conforme à la
nomenclature commune arrêtée par la Commission européenne (art
L 658-7). L’obligation d’indiquer la formule du produit, y compris
celle fournie aux autorités de contrôle, ne s’applique pas aux
parfums proprement dits ni aux compositions parfumantes (art
L 658-4). Selon la décision DG n° 99-1 du 10 mars 1999, non parue
au Journal officiel, les dispositions d’organisation de l’Agence du
médicament sont applicables à l’Agence française de sécurité
sanitaire des produits de santé.
STRUCTURE DERMATOLOGIQUE
DE COSMÉTOVIGILANCE : LE REVIDAL [9, 10]
Le Revidal, réseau de vigilance en dermatoallergologie sera très
probablement amené à collaborer avec les structures mises en place
lors de l’Organisation nationale de la cosmétovigilance.
Le Revidal a été fondé en 1996 par le Groupe d’étude et de recherche
en dermatoallergologie (GERDA) à l’initiative des docteurs
G Ducombs (Bordeaux) et M Vigan (Besançon). Outre les membres
du GERDA, ce réseau est composé de dermatologues français,
belges et suisses, particulièrement impliqués en dermatoallergologie.
Tout dermatologue peut participer à cette vigilance en contactant un
membre du Revidal.
Devant tout diagnostic d’une sensibilisation de contact de cause
inhabituelle le membre informe un référent du réseau (branche
cosmétique, branche médicamenteuse, branche professionnelle). Une
synthèse des messages reçus est faite par le référent de chaque
branche et le coordinateur du réseau puis ces messages sont analysés
lors de réunions de travail biannuelles rassemblant tous les
membres. Entre ces réunions, si un message important émerge du
réseau, l’information est immédiatement transmise par le référent
de la branche concernée au coordinateur qui en avise par courrier,
fax ou e-mail immédiatement tous les membres du réseau.
Les informations sont synthétisées et les firmes commercialisant les
produits détectés comme fréquemment sensibilisants sont informées.
Durant ces dernières années, ce réseau a permis de déceler très
rapidement une sensibilisation au phospholipide PTC qui était
contenu, entre autres crèmes commercialisées, dans un produit pour
peaux intolérantes. Le fabricant informé a immédiatement modifié
la formule de son produit, voyant ainsi disparaître les cas de
sensibilisation après commercialisation de la nouvelle
formulation [10]. Une telle collaboration, entre le réseau et les firmes,
en bonne intelligence est profitable à la communauté et tout
particulièrement aux utilisateurs de cosmétiques.
Dans la branche recueillant les informations sur les allergies
médicamenteuses, la collaboration avec les centres régionaux de
pharmacovigilance (CRPV) est étroite. Tout message déclaré au
Revidal est également transmis au CRPV du médecin qui déclare le
cas. Une collaboration identique pourrait être envisagée en cas de
constitution d’une agence nationale chargée de la cosmétovigilance.
Le Revidal permet de faire circuler très rapidement les informations
concernant l’émergence de nouveaux allergènes parmi les
dermatologues, permettant ainsi de rendre leurs bilans plus
pertinents et de colliger rapidement des observations détaillées et
comparables entre elles. Le Revidal ne se substitue pas aux
structures de vigilance officielles et des firmes mais en est un
partenaire indépendant permettant de dynamiser la circulation de
l’information entre tous les partenaires de dermatovigilance et les
dermatologues.
Place du dermatologue
dans la cosmétovigilance
CONNAISSANCE DES ALLERGÈNES DES COSMÉTIQUES
Les cosmétiques sont sensibilisants par leurs principes actifs, leurs
excipients, conservateurs, antioxydants ou colorants. Des études
récentes dans l’allergie de contact aux cosmétiques montrent que les
allergènes en cause changent ou que le pourcentage de
sensibilisation à certains allergènes évoluent dans le temps [5, 6]. Ces
variations sont liées aux modifications d’utilisation de certains
excipients et conservateurs par les fabricants ou par la mise sur le
marché de nouveaux allergènes. Barker [2] a par exemple fourni les
caractéristiques de 37 molécules récemment introduites dans les
cosmétiques, passant du beurre de karité dont la dénomination en
code INCI (International nomenclature of cosmetic ingredients) est
Butyrospermum parkii aux microéponges qui remplacent les
microsomes.
Les différentes étapes de la cosmétovigilance auxquelles tout
dermatologue peut participer sont :
· connaître les allergènes potentiels présents dans les cosmétiques ;
· faire une description sémiologique et chronologique de
l’événement constaté et, si possible, pratiquer un bilan
dermatoallergologique adapté ;
· conseiller au mieux son patient et l’aider à obtenir une éviction de
contact avec le ou les allergènes en cause ;
· informer la communauté dermatoallergologique, le fabricant et les
structures officielles de l’effet néfaste observé.

Il est également nécessaire que tous les dermatologues se
familiarisent avec la nomenclature INCI et l’expliquent aux patients.
Depuis 1997, la législation européenne a imposé un étiquetage
complet sur l’emballage des produits cosmétiques. La nomenclature
qui doit être utilisée est l’INCI. Il faut prendre soin de donner au
patient le nom sous lequel il pourra retrouver la ou les molécules
auxquelles il est sensibilisé lorsqu’il regardera l’étiquetage en code
INCI. Sans être soigneusement informé, il est en effet difficile de
reconnaître le baume du Pérou sous l’appelation de Myroxylon
pereirae, de l’aluminium sous celle de CI 77000, de l’huile de jojoba
sous celle de Buxus chinensis ou des colorants qui sont listés selon
le code colour index (CI). Outre les publications européennes
officielles, on peut trouver dans la publication de De Groot et
Weijland [3] une très utile liste alphabétique de conversion des noms
des principaux ingrédients des cosmétiques en code INCI.
BILAN DERMATOALLERGOLOGIQUE
En cas d’eczéma de contact, les tests épicutanés sont réalisés sur le
dos avec le produit cosmétique pur ou dilué s’il contient des
substances irritantes comme des surfactants ou des acides. Les tests
épicutanés sont laissés en place 48 heures, des lectures sont faites au
minimum à 48 et 96 heures. En cas de négativité du test épicutané
un test d’application répétée ou repeated open application test (ROAT)
peut être réalisé. Il consiste à appliquer, sans occlusion le cosmétique
sur l’avant-bras, à proximité du pli de coude, sur une surface
d’environ 5 cm ´ 5 cm, matin et soir durant 1 semaine. Le test est
bien sûr interrompu en cas de déclenchement d’une réaction locale
eczémateuse ou érythématopapuleuse. Le plus souvent le ROAT
positif est caractérisé par un prurit, une infiltration et peu de
vésicules. Un essai de standardisation du scorage de ce test est en
cours [7].
Selon les données disponibles sur la composition du cosmétique
suspecté le dermatoallergologue peut, grâce aux batteries de tests
commercialisées, rechercher une sensibilisation aux conservateurs,
antioxydants, excipients ou surfactants.
Les cosmétiques peuvent aussi induire des accidents allergiques
immédiats urticariens. Ceci a par exemple été décrit avec l’huile de
sésame ou le collagène quaternisé des shampooings et embellisseurs
capillaires enrichis en protéines. Dans les cas d’urticaire, les tests
cutanés utiles sont les tests épicutanés avec lecture à 20 minutes et
surtout les prick tests avec des dilutions progressivement croissantes
du cosmétique incriminé.
Devant une réaction positive sur un test épicutané, un prick test ou
un ROAT effectués avec un produit d’hygiène, le responsable de
cosmétovigilance du laboratoire fabricant doit être contacté pour
que soient fournies au dermatoallergologue les différentes molécules
entrant dans la composition du cosmétique.
Différentes modalités d’envoi de cette décomposition du produit fini
sont adoptées par les laboratoires :
– envoi des molécules pures ;
– envoi des molécules pures diluées à la concentration à laquelle
elles sont dans le produit commercialisé ;
– envoi des molécules pures à une dilution et dans un excipient
choisis par le laboratoire ;
– envoi de molécules pures diluées dans des flacons portant un code
ne permettant de connaître ni la nature de la molécule à tester ni sa
concentration ou l’excipient utilisé pour sa dilution.
Cette dernière solution doit être refusée par le dermatoallergologue
qui doit connaître la composition de tout produit qu’il teste.
Lorsque les molécules pures sont fournies prédiluées et/ou aux
concentrations retrouvées dans le produit fini il faut exiger un
descriptif précis du matériel fourni (nature, concentration, véhicule
et pH) et contrôler le pH avant la pose des tests. En effet, aux
concentrations retrouvées dans le produit fini, une molécule acide
peut être neutralisée par une base présente dans la formule. Cette
neutralisation acidobasique disparaît lorsque les molécules sont
testées séparément.
La meilleure méthode de décomposition d’un test cutané positif avec
un cosmétique est d’obtenir les molécules qui le composent pures,
accompagnées d’informations sur leur nature donnée en code INCI,
sur leur solubilité dans l’eau, la vaseline voire d’autres excipients. Il
faut ensuite se référer aux données de la littérature pour déterminer
les concentrations et les excipients les plus adéquats pour pratiquer
les tests. Pour les solutions, une mesure du pH par bandelettes doit
toujours être réalisée avant la pose des tests.
Il est important de transmettre ces résultats en respectant la
nomenclature INCI :
– au patient auquel ils seront expliqués ;
– à un réseau de vigilance comme le Revidal pour informer la
communauté dermatologique ;
– à la firme qui commercialise le cosmétique et, dans le futur
probablement, à l’institut de veille sanitaire.
Si une comparaison est faite avec les accidents cutanés liés aux
topiques médicamenteux, il faut noter qu’une vigilance n’est utile
qu’avec une collaboration étroite de tous les partenaires. Outre la
déclaration faite par l’utilisateur qui présente un effet secondaire
cutané, le dermatologue doit décrire précisément l’accident observé,
essayer de préciser le diagnostic par les examens complémentaires
adéquats comme les tests épicutanés pour les allergies de contact.
Même pour les topiques en cas d’accident médicamenteux sévère [1],
la déclaration aux structures officielles de vigilance obligatoire
permet, si de multiples cas d’intolérance sont déclarés, de mettre en
route une enquête nationale mettant le produit sous surveillance
avec la collaboration des médecins et du fabricant. Après
concertation entre les membres des structures officielles de vigilance,
les médecins experts et les représentants du fabricant, une telle
enquête peut aboutir à la prise de mesures visant à changer la
formulation, la présentation ou les modes d’utilisation d’un produit.
La firme productrice doit être prévenue pour mettre en oeuvre
rapidement les mesures permettant de diminuer l’effet secondaire
observé.

Références
[1] Barbaud A, Tréchot P, Schmutz JL. Pharmacovigilance des
accidents cutanés de contact aux médicaments. Ann Dermatol
Vénéréol 1997 ; 124 : 474-475
[2] Barker MO. Newer cosmetic ingredients - new patch
testing problems. Am J Contact Dermat 1998 ; 9 : 130-135
[3] De Groot A, Weijland W. Conversion of common names of
cosmetic allergens to the INCI nomenclature. Contact Dermatitis
1997 ; 37 : 145-150
[4] Gerberick GF, Sikorski E. In vitro and in vivo testing techniques
for allergic contact dermatitis. Am J Contact Dermat
1998 ; 9 : 111-118
[5] Goossens A, Beck MH, Haneke E, McFadden JP, Nolting S,
Durupt G et al. Adverse cutaneous reactions to cosmetic
allergens. Contact Dermatitis 1999 ; 40 : 112-113
[6] Goossens A, Claes L, Drieghe J, Put E. Antimicrobials: preservatives,
antisepticsanddisinfectants. Contact Dermatitis
1998 ; 39 : 133-134
[7] Johansen JD, Bruze M, Andersen KE, Frosch PJ, Dreier B,
White IR et al. The repeated open application test: suggestions
for a scale of evaluation. Contact Dermatitis1998;39:
95-96
[8] Loi n° 98-535 du 1er juillet 1998 relative au renforcement
de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire et
ducontrôle des produits destinés àl’homme. Journal officiel
02 07 98 : 10056-10075
[9] Vigan M. Réseau de vigilance en dermato-allergologie mis
en place par le GERDA. Nouv Dermatol 1996 ; 15 : 546-547
[10] Vigan M. Les nouveaux allergènes des cosmétiques, la cosmétovigilance.
AnnDermatolVénéréol1997;124:571-575