Introduction
Il existe en France une
importante population d’origine afroantillaise
dont la peau est naturellement
pigmentée. Le terme de « peau
noire », bien que consacré par
l’usage, est en fait peu approprié, leur
couleur variant du brun clair
au brun foncé en fonction du métissage
ou de l’origine ethnique.
Ces peaux pigmentées sont
adaptées à des climats tropicaux, chauds
et humides, ce qui entraîne un
certain nombre de réactions
anormales lorsque les patients
vivent sous un climat tempéré comme
en France métropolitaine. Ces
« pathologies d’adaptation »
nécessitent une approche
cosmétique particulière, à laquelle les
patients répondent souvent de
façon inadaptée.
Les médecins ont donc un rôle
de conseil important pour aider les
patients à répondre au mieux
aux défis que posent les peaux noires
sous les climats européens.
Spécificité
structurelle
La structure de la peau noire
possède certaines particularités
importantes à connaître [1, 2].
La coloration est due non pas
à une augmentation du nombre de
mélanocytes, mais à une
hyperactivité de ceux-ci. Elle se manifeste
par un aspect particulier des
mélanosomes : ceux-ci sont plus gros
que dans les phototypes
clairs, et en majorité de type IV, mature. Ils
existent sous forme libre au
lieu d’être regroupés en complexes, et
persistent jusque dans la
couche cornée au lieu d’être dégradés dans
l’épiderme.
La couche cornée est également
différente. Elle n’est pas plus
épaisse, mais plus dense, avec
un nombre de couches cellulaires plus
important que dans les peaux
blanches.
Spécificités
fonctionnelles
Les études sur l’importance
des glandes sébacées et sudoripares sont
anciennes et peu concluantes,
car ne tenant pas compte du climat
où les études ont été faites.
Il existe cependant deux
grandes caractéristiques de la peau noire
sous les climats tempérés :
– une xérose souvent marquée, maximale aux
membres inférieurs
où elle peut donner un aspect
ichtyosique. La peau est terne et
grisâtre du fait d’une fine
desquamation. Ce phénomène se voit
principalement en hiver ;
– une hyperséborrhée très fréquente, peut-être par
réaction au
dessèchement cutané. Il s’agit
d’une plainte récurrente des patients
qui trouvent que leur visage
brille tout au long de l’année.
On peut y ajouter une certaine
irritabilité
de la
peau, dont il est
difficile de dire si elle est
intrinsèque ou liée à des conditions
climatiques défavorables.
Cette tendance est responsable de la
fréquence des inflammations
superficielles, qui évoluent vers une
hyperpigmentation, très lente
à disparaître.
Enfin, il existe également une
hyperactivité
des fibroblastes, peut-être
responsable de la tendance de
certaines peaux noires aux chéloïdes.
Habitudes cosmétiques
Les populations noires en
France ont des habitudes cosmétiques
particulières, en réponse à
plusieurs problèmes :
– sécheresse de la peau ;
– pigmentations du visage ou
des jambes ;
– hyperséborrhée, dilatation
des pores ;
– souhait d’éclaircissement du
teint, surtout marqué pour les
immigrés de première
génération, originaires d’Afrique centrale.
Elles utilisent souvent des
produits cosmétiques spécifiques, vendus
dans des circuits de
distribution adaptés : salons de coiffure et
instituts de beauté
afroantillais, marché africain de Paris (au métro
Château-Rouge). La plupart de
ces produits sont d’origine
américaine, destinés à l’origine
aux populations afroaméricaines,
mais des laboratoires
européens ou français commencent à
s’intéresser à ce marché et à
promouvoir des gammes spécifiques
pour peau noire.
En dehors des grandes marques,
la qualité des produits est souvent
médiocre, avec des problèmes d’irritation
ou de comédogénicité
fréquents.
L’utilisation de produits «
bas de gamme » est liée au contexte
économique souvent défavorable
des populations de couleur en
France, d’autant que le poste
cosmétique occupe une place
importante dans le budget des
femmes noires.
Soins du visage
Ils sont finalement assez
proches de ceux des populations blanches.
Afin de lutter contre l’aspect
brillant dû à l’hyperséborrhée, les
femmes se lavent soigneusement
le visage deux fois par jour, avec
des savons souvent agressifs.
Il s’ensuit fréquemment un tiraillement
et une sécheresse de la peau,
qui peuvent être ressentis comme
bénéfiques car limitant la
séborrhée. L’utilisation de laits ou lotions
nettoyantes se voit dans les
catégories plus aisées de la population,
avec dans ce cas le recours à
des gammes spécifiques.
Après la toilette, beaucoup de
femmes ne s’hydratent pas le visage
car elles ont peur d’aggraver
leur séborrhée. Sinon, elles utilisent
des produits peu gras, laits
ou émulsions légères, qui ne permettent
le plus souvent pas une
protection suffisante contre la
déshydratation intrinsèque des
peaux noires.
Une attitude fréquemment
retrouvée est le recours aux gommages
et aux masques, toujours dans
le but de lutter contre l’aspect
séborrhéique de la peau. L’abus
des gommages peut être
responsable d’une irritation
cutanée qui aboutit à la longue à un
noircissement «
postinflammatoire » du visage.
Bien que les conseils à donner
dépendent en partie des
caractéristiques
individuelles, il est possible d’adopter des
recommandations générales :
– le nettoyage du visage doit
être fait par des syndets (sous forme
de lotions nettoyantes, pains
dermatologiques, démaquillants, etc),
afin de limiter l’irritation
de la peau et de ne pas accentuer la
sécheresse cutanée. Il doit
être suivi d’un rinçage à l’eau. Les
produits des laboratoires de
cosmétique dermatologique sont
souvent suffisamment adaptés.
Afin de favoriser l’adhésion des
patientes, il est souhaitable
de leur expliquer que ces produits sont
d’aussi bons nettoyants et qu’il
est de toute façon inutile de décaper
la peau pour diminuer la
séborrhée ;
– l’utilisation d’une crème
hydratante biquotidienne est parfois plus
difficile à faire admettre. Il
est pourtant souhaitable d’utiliser des
crèmes très hydratantes, en
tenant compte de la demande constante
des patients d’avoir une crème
« non grasse ». Les produits doivent
être non comédogènes et autant
que possible testés
dermatologiquement pour
limiter les risques d’irritation. Il est tout
à fait possible d’utiliser les
gammes hydratantes non spécifiques, en
choisissant les produits les
plus hydratants, voire les émulsions eau
dans huile lorsque la
sécheresse du visage est sévère. Il est
indispensable de bien
expliquer aux patientes que la sensation de
produit gras ne va pas
aggraver leur séborrhée mais, au contraire,
est susceptible de l’améliorer
;
– les crèmes aux acides de
fruit peuvent être utilisées. Elles ont
l’avantage d’éliminer la
superficie de la couche cornée, ce qui peut
améliorer l’aspect terne et
finement squameux du visage. Elles sont
souvent mal tolérées sur les
peaux pigmentées, et il est préférable
de commencer par des produits
faiblement dosés, quitte à
augmenter ultérieurement en
fonction des résultats ;
– les gommages ont peu d’intérêt
et devraient être arrêtés ou
fortement diminués, pour
éviter le risque d’irritation.
Maquillage
La grande majorité des femmes
noires n’utilisent pas de fond de
teint ni de poudre. Ceux-ci
sont en revanche très utilisés en cas de
dyschromies, en particulier de
pigmentations postacnéiques.
Les gammes utilisées sont
toujours spécifiques, les colorations des
gammes cosmétiques usuelles ne
répondant pas aux problèmes des
peaux noires. Il s’agit
souvent de cosmétiques de médiocre qualité,
dont le pouvoir comédogène
risque d’aggraver le problème d’acné
et donc celui des taches ! Il
est souhaitable d’expliquer ce problème
et de conseiller d’utiliser
les gammes spécialisées de qualité (Naomi
Simsy, Fashion fairy…) ou de tester les produits
les plus foncés des
gammes cosmétiques
dermatologiques.
Le maquillage des lèvres et
des paupières pose moins de problèmes,
avec une fréquence des eczémas
de contact peut-être moins grande
que sur les peaux blanches.
Éclaircissement
De nombreuses patientes d’origine
africaine cherchent à s’éclaircir
le teint par tous les moyens
possibles. La mode est venue d’Afrique
centrale (Zaïre et
Congo-Brazzaville), mais touche maintenant des
femmes issues de pays d’Afrique
de l’Ouest.
Dans les pays concernés, les
produits utilisés étaient assez rustiques
(mélange de décapants
ménagers, de ciment et autres irritants…)
mais, en France, les
populations concernées utilisent des produits
plus sophistiqués, qu’elles
obtiennent facilement sur les marchés
africains des grandes villes
ou dans le réseau des salons de coiffure
afroantillais.
Les plus utilisés sont les
dermocorticoïdes, sous des noms de
marque souvent étrangers :
Dermovatet, Movatet, Topiframt, etc.
Les patients utilisent ces
produits au long cours, sur le visage et les
mains, mais parfois sur tout
le corps. Ils obtiennent ainsi un
éclaircissement marqué, avec
une coloration brun rouge assez
caractéristique. Les
complications sont fréquentes : acné,
noircissement paradoxal des
phalanges et des pommettes, atrophie
et couperose, vergetures et
ochronose du visage dans les cas ultimes.
Bien souvent, ces
complications (en particulier l’acné) n’arrêtent pas
les patients qui veulent à la
fois continuer leur dépigmentant et
traiter leurs boutons… L’arrêt
des corticoïdes est suivi d’une
repigmentation rapide (sauf
dans le cas des ochronoses) souvent mal
tolérée par les patients.
Les crèmes à l’hydroquinone à
2 % sont également très utilisées, car
accessibles plus facilement et
réputées sans complications. Elles sont
souvent utilisées durant de
nombreuses années, ce qui peut
entraîner des dépigmentations
en « confettis », voire également une
ochronose, surtout lorsqu’elles
sont associées aux dermocorticoïdes.
Il est donc important de
reconnaître ces dépigmentations et de
sensibiliser les patients aux
risques des dépigmentants.
Les patients se tournent d’ailleurs
de plus en plus vers le
dermatologue pour tenter d’obtenir
un éclaircissement sans risque.
Les dépigmentants classiques
peuvent être utilisés : trétinoïne, acide
azélaïque et hydroquinone, à
condition de limiter strictement les
durées d’utilisation de cette
dernière (qui devrait être prochainement
retirée du marché cosmétique),
peelings
aux
alpha-hydroxy-acides
(AHA). Il est très important d’expliquer
aux patients que
l’éclaircissement obtenu sera
limité et bien inférieur à celui des
corticoïdes, mais qu’aucun
produit ne peut actuellement apporter
de dépigmentation importante
sans aucun risque.
Vieillissement cutané
La protection solaire induite
par la coloration de la peau explique
pourquoi les stigmates cutanés
du vieillissement frappent beaucoup
moins souvent les peaux noires
que les peaux blanches. La demande
de cosmétiques « antiâge » est
donc moins fréquente et retardée dans
le temps. Ils peuvent
néanmoins tout à fait être utilisés sur les peaux
noires, sachant que les études
d’efficacité ont généralement porté
sur des phototypes plus
clairs.
La trétinoïne est souvent très
irritante sur les peaux pigmentées. Elle
a l’avantage de régulariser le
teint en diminuant les
hyperpigmentations. Elle doit
être débutée en suivant les
recommandations d’usage, qui
doivent être bien expliquées aux
patients : application en
couche très mince, en augmentant très
progressivement les fréquences
d’application et en associant un
produit très hydratant.
Les crèmes aux AHA ont un
effet « coup d’éclat » comme sur les
peaux blanches, mais sont
souvent moins bien tolérées.
Les autres produits
disponibles (rétinol, vitamine C, etc) doivent
encore faire la preuve de leur
efficacité.
Les produits de comblement des
rides (collagène, acide
hyaluronique) peuvent être utilisés,
en respectant les précautions
d’usage. En pratique, les
rides étant généralement peu marquées
avant un âge relativement
avancé, ils sont utilisés principalement
pour la correction des sillons
nasogéniens ou des cicatrices d’acné.
Soins du corps
Les peaux pigmentées étant
généralement très sèches, les patients
utilisent spontanément des
produits hydratants tous les jours. Il
s’agit le plus souvent de
laits corporels dont la facilité d’étalement
va malheureusement de pair
avec un pouvoir émollient insuffisant.
Beaucoup de patients utilisent
des huiles corporelles, comme l’huile
d’amande douce, supposée être
très hydratante. En pratique, la
phase grasse continue des
huiles ne permet que de graisser la
surface de la couche cornée,
lui donnant un aspect velouté
satisfaisant pour la patiente,
mais de courte durée et sans réelle
portée sur la xérose cutanée.
Enfin, les patients utilisent
parfois des produits réputés plus
traditionnels tels que le
beurre de karité (émulsion grasse extraite
de la noix du karité), le
beurre de cacao ou diverses huiles
corporelles. Quoique dits «
naturels », ces produits ne sont pas
exempts de risque d’allergie,
comme par exemple les photoallergies
au beurre de karité.
L’hygiène corporelle est
assurée par des savons ou gels douche
classiques, qui aggravent
souvent la sécheresse cutanée et peuvent
entraîner un prurit ou même
des eczématides. De nombreux patients
utilisent traditionnellement
un gant de crin ou divers « racloirs »
après la douche. Ceci est
souvent responsable d’irritations cutanées.
Les soins corporels à
recommander ne sont en fait qu’une simple
adaptation de ces attitudes,
afin d’assurer une meilleure hydratation
et une moindre irritation du
tégument :
– le corps doit être hydraté
quotidiennement, voire deux fois par
jour en hiver, avec des
émulsions suffisamment grasses. En cas de
sécheresse importante, les
émulsions lipophile/hydrophile sont
préférables ;
– il est préférable d’utiliser
des syndets pour la toilette, afin de
limiter l’irritation et le
dessèchement de la peau. De même,
l’utilisation de gants de
crins, gommages ou autres abrasifs est à
éviter.
« Peelings » et lasers
L’utilisation des techniques
esthétiques dermatologiques sur les
peaux noires doit être
prudente.
« PEELINGS »
Les peelings profonds et moyens risquent de
léser les mélanocytes et
d’entraîner des
dépigmentations importantes, qui peuvent être
définitives. En revanche, les peelings aux AHA peuvent être
pratiqués, avec en particulier
un bon effet sur les pigmentations
postacné du visage. Cependant,
les peaux noires sont beaucoup plus
réactives aux AHA que les
peaux blanches et quelques précautions
doivent être prises :
– il faut commencer les
premières séances avec de faibles
concentrations ;
– la progression des
concentrations doit être limitée, même si le
patient semble bien tolérer
les séances de départ ;
– une crème très hydratante
doit être utilisée matin et soir, voire
plus en cas de desquamation
importante. Un dépigmentant est utile
pour diminuer le risque d’hyperpigmentation
en cas d’irritation ;
– le risque principal est
celui de brûlures superficielles qui vont
entraîner des zones croûteuses
superficielles, suivies d’une
dépigmentation ou d’une
hyperpigmentation. Ces dyschromies sont
généralement transitoires,
mais peuvent être longues à disparaître.
LASERS
La demande de laser sur les
peaux pigmentées concerne
principalement les
hyperpigmentations et l’épilation. Le resurfacing
est totalement contre-indiqué
devant le risque important de
dépigmentation définitive.
Les lasers épilatoires ne
peuvent être utilisés aux doses habituelles
car ils entraîneraient des
lésions des cellules pigmentaires et des
dyschromies. À des énergies
inférieures, leur efficacité dépilatoire
est nettement compromise. La
technique n’est donc pas
recommandée actuellement. Si l’on
veut néanmoins tenter
l’expérience, un test
préalable est indispensable, sur une zone
dissimulée, en utilisant de
faibles énergies.
Les lasers dépigmentants
présentent le même risque de
dépigmentation, car il est
techniquement très difficile de prévoir le
degré exact de la
dépigmentation que l’on obtiendra. Il est pour le
moment préférable de recourir
à d’autres techniques ou de pratiquer
un test préalable, et d’intervenir
en plusieurs séances de faible
intensité, ce qui enchérit le
coût de l’intervention.
Conclusion
La cosmétologie de la peau
noire nécessite donc une approche
particulière qui comprend à
la fois une connaissance des
caractéristiques intrinsèques
des peaux pigmentées et une
compréhension des habitudes
cosmétiques des peaux noires. Les conseils
à donner sont finalement
assez simples, le bon sens médical étant le
plus souvent la meilleure
direction à prendre !
Références
[1] La Ruche G, Cesarini JP. Histologie et physiologie
de la peau noire. Ann Dermatol Vénéréol
1992 ; 119 : 567-574
[2] Montagna W, Prota G, Kenney JA. Black skin,
structure and function. San Diego : Academy
press, 1993