Cosmétologie du nourrisson

Introduction
À la naissance, l’enfant entre en contact avec le milieu extérieur :
l’air, les changements de température, les bactéries et éventuellement
les gestes spécifiques aux mesures de réanimation néonatale. Ce
changement de milieu nécessite des soins de peau à adapter à l’âge
gestationnel de l’enfant. Le nouveau-né et le nourrisson justifient
certains soins cutanés spécifiques (cordon, soins du siège) qui seront
détaillés dans cet article. Les produits pour la peau du nourrisson
représentent une part importante du marché des cosmétiques, sans
que la composition de chacun de ces produits ne soit toujours bien
connue. Nous aborderons les produits nettoyants et les crèmes
émollientes en développant leurs caractéristiques et leur intérêt.
Nous insisterons sur les propriétés physiques de la peau du
nouveau-né, en mettant en garde contre les potentiels effets toxiques
des topiques appliqués chez les tout-petits.
Peau du nouveau-né et du nourrisson
PEAU DU NOURRISSON : ASPECTS CLINIQUES [26]
À la naissance, la peau du nouveau-né est érythémateuse et
recouverte d’un enduit blanchâtre et gras d’origine épidermique et
sébacée : le vernix caseosa. L’épaisseur du vernix est variable d’un
enfant à l’autre sans que la cause de ces variations soit connue. Les
enfants nés prématurés ont moins de vernix que les enfants nés à
terme ; il est quasiment ou totalement absent chez les enfants
post-terme.
Une desquamation physiologique survient à partir du 3e jour de vie
et peut se prolonger jusqu’à 3 semaines. Un livedo physiologique
(cutis marmorata) apparaît au cours des 24 premières heures et
disparaît rapidement, en dehors de certaines situations
pathologiques où il peut persister (hypothyroïdie congénitale,
infection maternofoetale). Ce livedo est souvent associé à un défaut
transitoire de l’adaptation vasomotrice positionnelle se traduisant
par un érythème de la partie déclive du corps (aspect « arlequin »).
La peau du nouveau-né est souvent recouverte d’un duvet, le lanugo
qui disparaît en 2-3 mois pour laisser place à la pilosité définitive où
les follicules ont des cycles asynchrones. Les glandes sébacées sont
fonctionnelles chez l’enfant à terme ; les orifices pilosébacés peuvent
être obstrués transitoirement, principalement sur le nez, par des
petits bouchons de kératine correspondant au milium congénital. La
stimulation des glandes sébacées par les androgènes maternels peut
entraîner une acné du nourrisson.
Enfin, la fonction sudorale de thermolyse par évaporation n’est pas
acquise avant l’âge de 2-3 ans. La régulation thermique du
nouveau-né et du nourrisson repose donc essentiellement sur la
vasomotricité cutanée, avec comme conséquence une certaine
poïkilothermie.

CARACTÉRISTIQUES PHYSIQUES DE LA PEAU
ET PROPRIÉTÉS DE LA BARRIÈRE CUTANÉE
La structure et les propriétés de barrière de la peau du nouveau-né
à terme sont équivalentes à celle de l’adulte. En revanche, chez
l’enfant né prématuré, et notamment avant la 32e semaine
d’aménorrhée, la structure et les propriétés biochimiques de la peau
sont immatures, lui conférant ainsi une plus grande perméabilité
[2, 8]. Différents facteurs sont impliqués dans la fonction de barrière
de l’épiderme mais l’épaisseur de la couche cornée est l’élément
fondamental. L’épaisseur de la couche cornée chez les enfants
prématurés est nettement inférieure à celle des enfants nés à terme
et des adultes (tableau I) [9]. Les lipides de surface (cholésterol et
céramides) participent également à la fonction barrière de la
peau [16] ; chez le prématuré, la synthèse lipidique cutanée est très
faible, en raison de l’immaturité des glandes sébacées. L’immaturité
de la couche cornée et de la fonction des glandes sébacées est à
l’origine de la plus faible teneur en eau et en lipides de l’épiderme,
et se traduit non seulement par une xérose mais surtout par une
perméabilité accrue de la barrière cutanée. Les pertes d’eau
transépidermiques se trouvent donc majorées, avec un risque accru
de déperdition hydrique et calorique et l’absorption des substances
appliquées sur la peau est nettement augmentée. Le peu d’efficacité
de la barrière cutanée majore également les difficultés de
thermorégulation, auxquelles participe aussi la faiblesse des réserves
de graisse sous-cutanée.
D’autres paramètres viennent influer la perméabilité cutanée :
l’épaisseur épidermique, le développement de la vascularisation des
papilles dermiques, l’épaisseur et l’architecture du derme. Chez le
prématuré, ces différents éléments sont insuffisamment développés,
facilitant encore l’absorption percutanée. Les fibres et les filaments
d’ancrage ainsi que les hémidesmosomes de la jonction
dermoépidermique sont moins nombreux et plus petits que chez le
nouveau-né à terme, rendant la peau plus fragile face aux agressions
mécaniques (tableau I).
À la naissance, y compris chez l’enfant à terme, la barrière
photonique est immature ; les mélanocytes sont présents en nombre
mais contiennent peu ou pas de mélanosomes ; de même, les
kératinocytes basaux ne renferment pas de mélanosomes [9]. Le
nouveau-né noir est rose à la naissance et se pigmente en quelques
semaines après stimulation mélanocytaire par les ultraviolets. Chez
les nourrissons caucasiens, les mélanocytes épidermiques ne
deviennent fonctionnels qu’au cours de la première année de vie,
les mélanocytes des follicules pileux le sont encore plus tardivement
(les cheveux foncent avec le temps).
RAPPORT SURFACE/POIDS ET PARTICULARITÉS
PHARMACOCINÉTIQUES CHEZ L’ENFANT
La différence essentielle entre le nouveau-né, le nourrisson et
l’adulte, outre l’immaturité fonctionnelle de la couche cornée chez
le prématuré, réside dans le rapport entre la surface et le poids. Un
enfant né à terme et un prématuré présentent une surface corporelle
respectivement 3 et 7 fois supérieure par unité de poids à celle d’un
adulte. Un nourrisson et a fortiori une nouveau-né prématuré ont
un volume de distribution plus faible en raison de leur faible poids
[2, 30]. Ainsi, pour un même pourcentage de surface cutanée traitée, la
concentration sérique du produit est nettement supérieure chez un
enfant de faible poids présentant un petit volume de distribution,
que chez un adulte de 60 kg. De plus, l’application d’un topique
chez un nouveau-né ou nourrisson couvre rapidement un fort
pourcentage de la surface corporelle.
Par ailleurs, le nouveau-né prématuré ne possède pas la graisse
sous-cutanée permettant un stockage des drogues appliquées. Ses
systèmes de transport et de détoxication sont immatures : taux
d’albumine plasmatique bas, faible activité enzymatique de
l’épiderme, clairance rénale et conjugaison hépatique immatures [15].
COLONISATION BACTÉRIENNE
La peau joue un rôle de barrière contre les infections. À la naissance,
la peau est stérile. Elle est colonisée en 48 heures par une flore
aérobie à partir de la filière génitale et de l’environnement. Les
staphylocoques coagulase négative représentent l’espèce bactérienne
la plus fréquente. Ils sont rarement pathogènes, hormis chez le
prématuré ou l’immunodéprimé. La présence de Staphylococcus
aureus relève d’une contamination par la mère ou le personnel
soignant. Le cordon ombilical est colonisé par S. aureus dans 50 %
des cas [28]. L’hospitalisation est un facteur favorisant le portage de
S. aureus qui est retrouvé dans les gîtes narinaires chez 70 % des
nouveau-nés hospitalisés. La colonisation par les staphylocoques
coagulase négative est suivie par celle des corynébactéries, dont la
plupart sont lipophiles et siègent dans les plis. Les levures du genre
Malassezia peuvent coloniser précocement et transitoirement la peau
du nouveau-né, accompagnant l’hyperplasie sébacée des deux
premiers mois de vie ; elles sont impliquées dans la pustulose
néonatale transitoire [21]. La flore commensale est vulnérable ; elle
peut être déstabilisée par des lavages trop agressifs, favorisant ainsi
l’émergence d’une souche pathogène. Les bacilles à Gram négatif
n’appartiennent pas à la flore résidente mais peuvent être présents
de manière transitoire dans la région périnéale, à partir d’une
contamination digestive. Le lavage permet de les éliminer.
Risques des traitements locaux
Les caractéristiques physiques de la peau du nouveau-né favorisent
la pénétration transépidermique des topiques. Celle-ci est encore
majorée sur certains sites où la couche cornée est plus fine. Par
exemple, le coefficient d’absorption cutané passe d’un facteur 1 à 42
entre l’avant-bras et le scrotum [5]. Les facteurs mécaniques et les
conditions d’utilisation jouent aussi un rôle. En effet, l’absorption
cutanée est plus importante si le topique est appliqué sur une peau
lésée ou « strippée » (suite à l’application d’adhésifs) [14], dans les
plis ou sur la zone des couches où interviennent des phénomènes
Tableau I. – Caractéristiques physiques de la peau et propriétés de la barrière cutanée [9].
Structure Prématuré Nouveau-né à terme Adulte
Couche cornée 5-6 couches 15 couches 15 couches
Épaisseur de l’épiderme 27,4 μm 50 μm 50 μm
Nombre de mélanosomes 1/3 de l’enfant à terme peu normal
Desmosomes peu normaux normaux
Hémidesmosomes peu et petits normaux normaux
Jonction dermoépidermique complète mais horizontale complète mais horizontale normale
Fibres élastiques dermiques visibles uniquement en microscopie électronique fines, plus matures normales

d’occlusion responsables d’une hyperhydratation de la couche
cornée. L’hyperhydratation cornée multiplie par 5 à 10 la pénétration
d’un topique. De même, la chaleur et la vasodilatation cutanée
(situation retrouvée immédiatement après un bain) augmente
l’absorption cutanée jusqu’à un facteur 10.
Il convient donc d’être très prudent dans l’utilisation de topiques
chez le nouveau-né et a fortiori le prématuré [1]. Certaines molécules
utilisées en topiques sont à proscrire en raison de leur toxicité
systémique potentielle : l’acide borique (retrouvé dans
l’Homéoplasminet et l’Eau précieuset par exemple), le camphre ou
l’hexachlorophène (molécule antiseptique encore utilisée à de faibles
concentrations sous forme de poudre, mais responsable de
l’encéphalopathie vacuolaire à des concentrations 10 fois
supérieures [23]). D’autres molécules doivent être utilisées avec
prudence en ayant à l’esprit les conditions risquant de majorer le
passage transcutané du produit : l’acide salicylique, l’alcool
éthylique [7], l’iode (risque d’hypothyroïdie) [23], les corticoïdes, le
nitrate d’argent (néphrotoxicité, argyrie, méthémoglobinémie), ou
encore la lidocaïne-prilocaïne (crème Emlat, risque de
méthémoglobinémie) [19].
À côté des risques toxiques systémiques, il existe des risques de
sensibilisation comme cela a été bien montré par l’étude de Bruckner
et al. Les allergènes le plus souvent en cause, dans cette étude
portant sur 85 enfants de 6 mois à 5 ans sont le nickel (11 cas) suivi
du thiomersal (8 cas). Des tests positifs avaient aussi été notés avec
le cathon CG (2 cas), le cobalt (1 cas) et la néomycine (1 cas) ; 24,5 %
(20/85) des enfants avaient au moins un test positif, quatre avaient
deux tests positifs. Leur âge moyen étaient de 30,4 mois et la moitié
avait moins de 18 mois [3]. Ces données incitent à la prudence et
doivent faire limiter le nombre de topiques chez le nourrisson.
Il faut également se méfier des agents photosensibilisants pouvant
être contenus dans des cosmétiques, notamment les huiles
essentielles parfumées à la lavande, vanille, cèdre, citron vert et, bien
sûr, bergamote.
Enfin, le caractère caustique sur l’épiderme de certains topiques,
notamment des antiseptiques, de l’alcool et des colorants doit être
souligné [7, 27]. Leur utilisation sur le siège conduit à des dermites
caustiques souvent érosives, d’autant que les antiseptiques sont
utilisés sur un épiderme déjà fragilisé (érythème fessier), et très
souvent en association (cf infra).
Soins de peau
SOINS DE CORDON
Le tissu nécrotique du cordon ombilical exposé à l’air libre est
rapidement colonisé par des bactéries pathogènes : S. aureus dans
50 % des cas [28]. Une infection du cordon expose au risque
d’impétigo néonatal, d’omphalite, de cellulite, de septicémie ou
d’abcès du sein chez la mère. Autrefois, il existait également des
risques de tétanos néonatal. L’antisepsie systématique du cordon a
considérablement réduit le nombre des infections cutanées
néonatales, et notamment de l’impétigo bulleux à point de départ
ombilical, affection épidémique en maternité dans les années 1960
(fig 1). Plusieurs études ont montré que les soins antiseptiques du
cordon diminuaient la colonisation et par-là même le risque
d’infection [22, 25]. Il existe une grande diversité dans la réalisation
pratique des soins du cordon selon les pays, mais aussi en France
selon les maternités. Une étude réalisée dans le Sud de la France par
Lacour et al montre que différents produits sont utilisés : l’éosine (le
plus fréquent), l’alcool, la chlorhexidine, l’hexamidine, le nitrate
d’argent en solution, le bleu de Millian ou encore l’Ektogan [12]. Ces
produits sont utilisés en association dans 70 % des cas. L’éosine est
souvent associée à un autre antiseptique, au premier rang desquels
on retrouve l’alcool, mais aucune étude n’a montré la supériorité de
ces associations. En revanche, une étude prospective, contrôlée,
réalisée auprès de 72 nouveau-nés a comparé l’efficacité de quatre
schémas d’antisepsie de cordon : éthanol 70 %, éosine à 2 % en
solution d’éthanol à 70 %, chlorhexidine 0,5 % en solution d’éthanol
à 70 %, et povidone iodée. La chlorhexidine présentait la meilleure
activité antimicrobienne ; quatre cas d’omphalite étaient observés
dans le groupe éthanol. Les auteurs ont montré que la réduction de
la colonisation bactérienne était significativement associée à un
retard de la chute du cordon, probablement en raison de l’absence
d’infiltration leucocytaire [22]. Cependant, cet « effet secondaire » ne
nous semble pas poser un réel problème. À côté de l’efficacité, le
risque potentiel de toxicité doit être pris en compte. La toxicité
neurologique de l’hexachlorophène (encore utilisé à 0,33 % dans les
pays anglo-saxons) est bien documentée. Son utilisation doit donc
être évitée, surtout chez les prématurés. L’éthanol est peu rémanent ;
il comporte surtout un risque local caustique (brûlure et nécrose) et
systémique d’intoxication [7, 27]. Les produits iodés sont efficaces mais
présentent un risque d’hypothyroïdie.
Ainsi, il semble raisonnable de recommander l’usage de la
chlorhexidine en solution aqueuse à 0,05-1 % en raison de son
efficacité antiseptique démontrée et de sa bonne tolérance.
BAIN [18]
À la naissance, le nouveau-né est recouvert de vernix caseosa.
Celui-ci doit être essuyé avec un linge stérile puis l’enfant reçoit son
premier bain. Par la suite, les bains et shampoings sont
généralement quotidiens. En fait, le renouvellement de la peau lui
confère un mécanisme d’ « autonettoyage ». Un bain quotidien n’est
donc pas rigoureusement indispensable (hormis la toilette du siège)
mais il représente un rituel de plaisir et sa réalisation s’inscrit plutôt
dans la relation mère-enfant que dans une réelle nécessité d’hygiène.
Les agents nettoyants sont des tensioactifs. Ils agissent en diminuant
la tension de surface entre l’eau et les particules présentes à la
surface de la peau. Ils permettent ainsi d’émulsifier et de piéger les
graisses et impuretés présentes sur la peau, puis de les éliminer lors
du rinçage. Les savons classiques résultent d’une saponification
(action d’un sel alcalin sur un corps gras animal ou végétal). Ils ont
un pH très alcalin (9,5 - 10,5) pour la peau, dont le pH à la naissance
est de 6,5- 7,5 et de 4,0- 5,5 à 1 mois de vie (pH identique à celui de
la peau adulte). L’alcalinité de ces savons a été mise en cause dans
leur effet délipidant et asséchant. Cet effet irritant a motivé la
formulation de savons « surgras » comportant un excès d’acides gras
(huile d’amande douce par exemple) qui vient compenser l’effet
irritant en laissant un film lipidique sur la peau. Il existe aussi des
1 Impétigo bulleux à point de départ ombilical.

savons dits « neutres » qui ne contiennent pas d’alcalins libres en
excès par rapport aux acides gras ; leur pH est de 8,9 à 9,2.
L’industrie cosmétique a également contourné l’effet délipidant lié à
l’alcalinité des savons naturels en produisant des détergents
synthétiques (« syndets ») dont le pH a été ramené soit à la neutralité
(pH = 7), soit à un pH légèrement acide. Dans les détergents
synthétiques, les corps gras naturels sont remplacés par le lauryl
sulfate ou ses dérivés. Le lauryl sulfate est un acide gras à chaîne
moyenne comportant un sulfate à la place du gaz carbonique. Il est
chargé négativement. La réaction du lauryl sulfate ou de ses dérivés
avec un sel alcalin crée le « syndet ». Il existe également des agents
nettoyant dits sans savon à base de glycérine ou de cétyl ou stéryl
alcool, qui agissent en hydratant des molécules insolubles.
Les savons surgras et les syndets seront donc préférés au classique
savon de Marseille pour la toilette d’un nourrisson.
Après la toilette, les détergents doivent être rincés. L’enfant est
ensuite bien séché, notamment dans les plis, en tamponnant sans
frotter. En effet, dans le bain, les couches superficielles du stratum
corneum s’hydratent et gonflent, réduisant ainsi leur cohésion. La
peau hyperhydratée est donc plus fragile et une friction trop
appuyée peut être traumatique. La durée du bain d’un nourrisson
ne doit pas excéder 5 à 10 minutes, afin d’éviter la macération et un
contact trop prolongé avec le savon, même dilué dans l’eau. La
température de l’eau doit être inférieure à 37 °C. L’adjonction d’huile
dans l’eau du bain permet d’adoucir une eau très calcaire ; elles sont
intéressantes en cas de xérose cutanée, notamment chez l’atopique.
Il faut bien garder à l’esprit que les baignoires sont rendues très
glissantes par les huiles de bain, et recommander encore et toujours
à la mère de ne lâcher l’enfant sous aucun prétexte.
Les shampoings sont des savons liquides ou des détergents
synthétiques formulés spécifiquement pour le nettoyage des
cheveux et du cuir chevelu. Ils doivent avoir un pH identique à
celui des larmes pour ne pas piquer les yeux, et leur viscosité est
contrôlée afin qu’ils ne coulent pas. La plupart contiennent des
agents tensioactifs anioniques assurant un bon effet moussant et
nettoyant. La dermite séborrhéique du scalp (ou croûtes de lait) peut
être traitée par des émollients simples (huile végétale, crème
émolliente), des topiques antifungiques formulés en crème ou en
shampoings (par exemple kétoconazole) ou des anti-inflammatoires
(lotion Kélualt, dermocorticoïde de niveau 3).
ÉMOLLIENTS
Les émollients représentent une catégorie cosmétique dont le but est
de rendre la peau plus souple et douce au toucher en hydratant la
couche cornée. Ils intéressent les peaux saines, mais surtout les
peaux sèches ou affectées par un trouble de la kératinisation. Les
émollients contiennent une phase aqueuse et une phase grasse. La
phase grasse crée un film lipidique dont l’effet occlusif diminue la
déperdition hydrique. La phase grasse peut contenir de la vaseline,
de la paraffine liquide, des acides et alcools gras, des cires, des huiles
végétales, de la lanoline et des céramides. L’émollient est obtenu en
incorporant les phases grasse et aqueuse dans une émulsion, le plus
souvent huile dans l’eau (plus légère) ou parfois eau dans huile (plus
grasse). Des conservateurs, des agents kératolytiques (urée, acides
de fruits) et des parfums peuvent être ajoutés. Il faut souligner que
la composition exacte des « crèmes hydratantes » pour nourrissons
n’est pas toujours précisée. Il est en effet étonnant de voir le nombre
de molécules différentes, potentiellement aussi allergisantes chez
l’enfant que chez l’adulte, pouvant entrer dans leur composition. Il
est donc préférable d’utiliser des émollients dont la composition est
bien connue, en évitant ceux qui contiennent des parfums et des
conservateurs.
Les émollients sont utiles chez le nouveau-né lors de la
desquamation physiologique (fig 2) et bien sûr en cas de xérose
cutanée chez l’enfant atopique. Chez l’enfant « normal », les
émollients ne sont pas nécessaires. Ils présentent éventuellement
l’intérêt du contact tactile entre la mère et l’enfant. L’efficacité de
l’émollient sera optimisée en l’appliquant sur une peau légèrement
humide après le bain. D’autre part, une étude a montré que
l’application biquotidienne d’un émollient au cours des deux
premières semaines de vie chez des nouveau-nés prématurés de
moins de 33 semaines d’aménorrhée (SA) prévenait les infections
systémiques. Les nouveau-nés du groupe traité présentaient
seulement 3,3 % d’hémocultures et/ou de cultures de liquide
céphalorachidien positives contre 26,7 % dans le groupe non
traité [20]. Il existait aussi une différence significative en termes de
colonisation cutanée des régions axillaires au cours de la première
semaine et à j14 du traitement. Par ailleurs, les auteurs ont montré
que les pertes d’eau transépidermiques étaient significativement
diminuées au cours des 6 heures suivant l’application de l’émollient
et, que les scores traduisant l’état cutané étaient meilleurs à j7 et à
j14. La restauration du stratum corneum par l’émollient permet
probablement une diminution des portes d’entrées cutanées et du
risque infectieux, les infections à point de départ cutané (le plus
souvent à S. epidermidis) étant les plus fréquentes chez le prématuré.
L’utilisation d’émollient semble donc intéressante pour les
prématurés de moins de 33 SA, au cours du premier mois de vie et
chez les nouveau-nés présentant une peau sèche, desquamative ou
fissuraire. Cependant, ces résultats doivent être validés par d’autres
études.
En revanche, l’utilisation d’émollient sur le visage peut favoriser le
développement de la levure lipophile Malassezia furfur, impliquée
dans la pustulose céphalique transitoire [21]. Cette dermatose très
fréquente touche des nourrissons au cours de leur deuxième mois
de vie. Il s’agit d’une éruption faite de papulopustules sur une base
discrètement érythémateuse, affectant le visage (joues, front,
menton) et parfois le cou (fig 3). L’éruption guérit spontanément en
quelques semaines mais les topiques imidazolés sont efficaces et
permettent une disparition complète des lésions. La pustulose
céphalique transitoire est fréquente chez les nourrissons ; elle est
favorisée par l’application de corps gras. Elle peut aussi être
prévenue par une toilette quotidienne du visage à l’eau et au savon
(doux, pH neutre) qui, en éliminant la séborrhée, prévient la
multiplication des levures.
L’acné néonatale diffère de la pustulose céphalique transitoire par la
présence majoritaire d’éléments rétentionnels identiques à ceux
retrouvés dans l’acné de l’adolescent : les comédons et microkystes.
L’acné néonatale est liée la présence chez le nouveau-né
d’androgènes d’origine maternelle. Cette acné disparaît
2 Desquamation physiologique.

spontanément à 2 ou 3 mois de vie et ne nécessite aucun soin
particulier. Parfois, l’acné néonatale est plus importante et/ou plus
prolongée ; elle peut alors être à l’origine de petites cicatrices
déprimées, punctiformes. Il devient, dans ce cas, légitime de la
traiter ; les antibiotiques topiques (par exemple érythromycine à
4 %), voire un peroxyde de benzoyle à 2,5 % peuvent être utilisés.
SOINS DU SIÈGE
La zone du siège est fragile chez le nouveau-né et le nourrisson en
raison de l’humidité et du contact avec les selles et les urines. Le pH
alcalin des urines et l’activation des protéases et lipases d’origine
fécale en milieu alcalin se combinent pour induire une irritation
cutanée (2 ou 3 heures de contact avec les selles peuvent suffire). La
dermite caustique ou irritative du siège prend l’aspect
caractéristique en «W », atteignant les zones convexes et respectant
le fond des plis (fig 4). Elle réalise un érythème luisant, douloureux,
d’autant plus que les lésions sont érosives. Elle est souvent
surinfectée par le Candida, ce qui modifie l’aspect clinique en
entraînant une extension de l’érythème aux plis inguinaux et
interfessiers et l’apparition de pustulettes.
La meilleure prévention des érythèmes fessiers repose sur des
changes réguliers, en s’attachant à bien sécher la peau lors de chaque
change. La toilette à chaque change se fait à l’eau et éventuellement
au savon doux qu’il faut rincer. Les laits de toilette doivent
également être rincés. Les lingettes nettoyantes peuvent être
irritantes ; leur usage est à réserver à une peau saine lorsqu’une
toilette à l’eau est impossible. Les crèmes émollientes, les spécialités
comportant des vitamines A ou D ou encore les pâtes à l’eau
permettent d’isoler la peau des matières fécales, et peuvent aider
dans la prévention de ces dermites irritatives. Les talcs dont le rôle
théorique est l’absorption de l’humidité sont à proscrire en raison
du risque d’inhalation [17].
En cas d’érythème fessier, il faut augmenter la fréquence des
changes et utiliser une crème antifungique en raison de la fréquence
des surinfections à Candida : kétoconazole (Kétodermt) ou ciclopirox
olamine (Mycostert), intéressant par son action également
antibactérienne. On peut aussi améliorer le confort avec des couches
en coton (Cotocouchest). L’usage des antiseptiques est à modérer.
En pratique, une toilette fréquente à l’eau et au savon et l’utilisation
d’antifungiques topiques sont suffisantes. Les antiseptiques et les
colorants présentent un risque caustique et ils viennent souvent
majorer l’irritation, d’autant plus que leur usage est répété et qu’ils
sont prescrits en association (fig 5).
PHOTOPROTECTION
Bien que la densité des mélanocytes soit identique à celle de l’adulte,
les mécanismes de production de la mélanine sont immatures chez
le nourrisson. Les enfants d’origine caucasienne sont
particulièrement fragiles vis-à-vis des rayonnements ultraviolets. Les
effets secondaires des expositions solaires sont immédiats (érythème,
nécrose épidermique) et retardés (héliodermie, cancers cutanés
épithéliaux et mélanomes). Le nombre de « coups de soleil » et la
quantité globale d’exposition solaire au cours de l’enfance sont des
facteurs prédictifs pour le développement d’un mélanome, de même
que le phototype clair et les antécédents familiaux de mélanome [29].
Une photoprotection efficace de l’enfant apparaît donc
fondamentale. Elle doit être systématique pour tous les caucasiens,
surtout de phototype clair avec impossibilité à bronzer, et chez les
enfants ayant des antécédents familiaux de mélanomes
[11, 24].
3 Pustulose céphalique transitoire à « Malassezia furfur ».
4 Dermite irritative du siège.
5 Dermite irritative aggravée par les topiques colorants.

La photoprotection repose sur un mode de vie vis-à-vis du soleil :
éviter les heures les plus chaudes, penser à la protection
vestimentaire, se méfier des irradiations indirectes (le nourrisson
sous le parasol est irradié par réflexion sur le sable) et enfin
appliquer régulièrement un écran solaire. Il en existe de multiples
sur le marché qui combinent les écrans minéraux réfléchissant et les
filtres chimiques absorbant les ultraviolets. Certains laboratoires ont
développé des écrans organiques qui associent réflexion et
absorption. Les antisolaires doivent, pour le nourrisson, présenter
un indice de protection maximal vis-à-vis des UVB et UVA. Leur
application doit être renouvelée toutes les 2 à 3 heures. En aucun
cas, des applications, même répétées, d’écran solaire ne doivent
servir à augmenter le nombre d’heures d’exposition. Il devrait,
idéalement, protéger les régions qui ne peuvent pas l’être par des
vêtements.
Conclusion
La limite entre cosmétologie et soins n’est pas toujours facile à
appréhender. Néanmoins, elle doit rester clairement présente à l’esprit,
même si la pression commerciale entretient volontairement la
confusion. En effet, tout topique appliqué sur la peau d’un nouveau-né
ou d’un nourrisson doit l’être pour une raison précise, en ne sousestimant
pas les gammes de soins dites pour nourrisson (« bébé ») dans
leurs effets secondaires potentiels. De même, la multiplication des
topiques est à éviter. Le choix du produit de toilette doit se porter sur les
savons surgras ou les syndets au pH neutre et un enfant « normal » n’a
pas besoin d’une application quotidienne d’émollient. Nous insistons
sur les soins de cordon et les soins du siège où les antiseptiques ne
doivent pas être inutilement multipliés par inquiétude ou
méconnaissance.
Références
[1] Amoric JC. Absorption cutanée et accidents toxiques des
traitements locaux chez l’enfant. Rev Fr Allergol Immunol
Clin 2000 ; 40 : 747-753
[2] Barker N, Hadgraft J, Rutter N. Skin permeability in the
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