Conservateurs

Introduction
Ce sont des substances d’origine naturelle ou synthétique capables
de s’opposer à l’altération d’un produit.
Cette altération, de type physicochimique, peut être due à la
présence de micro-organismes ou à l’oxygène de l’air. Elle peut se
manifester par un changement des caractères organoleptiques
(odeur, couleur, toucher), par un dégagement gazeux, par une
prolifération fongique visible, mais également par une variation du
pH, de la viscosité, et même par une déstructuration des systèmes
dispersés.
En cosmétique, on différencie deux groupes de substances : les
conservateurs antimicrobiens agissant sur les micro-organismes
(bactéries, levures, champignons) et les antioxydants capables de
s’opposer à tous les phénomènes d’oxydation et à l’apparition de
radicaux libres.
Conservateurs antimicrobiens
Leur présence est indispensable dans la plupart des produits
cosmétiques. En effet, 80 % d’entre eux contiennent une proportion
d’eau notoire constituant la phase aqueuse des émulsions, ou sont
presque totalement aqueux lorsqu’il s’agit de gels ou de lotions. Par
ailleurs, le rôle du conservateur consiste à protéger le produit non
seulement pendant la fabrication mais aussi et surtout au cours de
l’utilisation, la pollution apportée par les prélèvements étant souvent
majeure.
Les germes responsables de la contamination sont de natures
diverses selon leur provenance. Certains sont apportés par les
matières premières ou l’atmosphère ambiante, d’autres sont
caractéristiques de la flore cutanée. Les bactéries à Gram positif sont
représentées par divers Staphylococcus, Streptococcus et des
Micrococcus, Les bactéries à Gram négatif par des Pseudomonas et
des entérobactéries telles que Escherichia coli. Les champignons sont
des Aspergillus, des Pénicillium, mais aussi des dermatophytes tels
que les trichophytons. Les levures sont des Saccharomyces, des
Pityrosporum, des Candida.

Le niveau tolérable de la contamination a été établi . Il est de
1 000 UFC (unités formant colonie)/g pour les produits courants, de
100 UFC/g pour les produits pour les yeux et les produits pour
bébés. Lorsque les fabrications sont effectuées selon les règles dites
de bonnes pratiques de fabrication (BPF), ces limites supérieures
sont rarement atteintes. Par ailleurs, il est imposé une absence totale
de germes pathogènes qui doivent être systématiquement
recherchés, en particulier Staphylococcus aureus, Pseudomonas
aeruginosa, Streptococcus faecalis, Escherichia coli, Candida albicans,
Aspergillus niger.
Le choix d’un conservateur antibactérien s’appuie sur divers critères.
Législation. Il existe une liste positive des conservateurs
antimicrobiens inscrite à l’annexe VI de la Directive cosmétique
européenne 76/768/CEE, modifiée 93/35/CEE, constamment mise
à jour et reprise intégralement par la législation française. Il est
impératif de s’y conformer. Cette liste d’une cinquantaine de
substances indique les limites de concentration à ne pas dépasser,
ainsi que les limites d’utilisation ou les interdictions d’emploi.
Spectre d’activité. Il existe peu de conservateurs universels.
Certains sont actifs préférentiellement sur les bactéries à
Gram positif, d’autres sont plutôt fongicides. Il est donc primordial
de déterminer la valeur de la concentration minimale inhibitrice
(CMI) de la substance pour chaque germe. Ces essais, bien codifiés,
sont généralement effectués par le fabricant qui en communique les
résultats aux utilisateurs. Il est ainsi possible de choisir le
conservateur en fonction de la contamination initiale supposée ou
réellement définie.
Milieu à protéger. Il conditionne lui aussi le choix. Interviendront :
la solubilité de la substance, son coefficient de partage huile-eau
(H/E) s’il s’agit d’un milieu émulsionné, le pH du milieu, sa richesse
en éléments nutritifs, son degré d’activité d’eau.
Conditionnement. Il entre également dans les critères de choix. Les
produits finis conditionnés en pots et soumis à une contamination
importante lors de l’utilisation doivent être protégés en conséquence.
En revanche, les sprays ou aérosols divers peuvent, dans certains
cas, se passer de conservateur.
Tolérance. Elle doit être prise sérieusement en compte.
Théoriquement, tout produit inscrit sur la liste positive légale se dit
dénué de toxicité aux concentrations inférieures à la concentration
maximale imposée. Toutefois la liste n’est pas statique. Quelques
substances admises pendant un temps ont été retirées de la liste à la
suite d’études plus approfondies et défavorables. D’autre part, les
réactions de sensibilisation n’apparaissent qu’après un temps
d’utilisation relativement long et lorsque le conservateur a touché
un très grand nombre de sujets. Elles sont en général la rançon du
succès.
Les conservateurs antimicrobiens les plus employés sont les suivants
[1, 6].
– Les esters de l’acide 4-hydroxybenzoïque, sous les noms de
parahydroxybenzoate de méthyle, d’éthyle, de propyle, de butyle,
ou encore de méthyl, éthyl, propyl ou butyl parabens, se trouvent
sous forme acide ou sodée, et le plus souvent en mélange. La
concentration maximale autorisée en cosmétique est de 0,4 % pour
un seul ester, 0,8 % pour les mélanges (exprimée en acide) (il n’y a
pas de dose seuil en pharmacie pour la voie topique). L’obligation
depuis le 01-01-1997 de détailler la liste des composants d’une
formule permet de les reconnaître facilement. Les parabens entrent
dans la composition d’environ 80 à 85 % des formulations
cosmétiques pour leur large spectre d’activité, pour leur faible
sensibilité aux variations de pH, pour leur solubilité diverse, et ce
depuis des dizaines d’années. En conséquence, certaines réactions
d’intolérance de type allergique se sont manifestées, relatées
largement par la littérature. Ils n’en restent pas moins très utilisés
parce que difficilement remplaçables [18].
– L’alcool phénoxyéthylique ou phénoxétol est le plus souvent associé
aux parabens dont il potentialise l’action. Concentration maximale
autorisée : 1 %.
– L’acide sorbique n’est actif qu’en milieu acide voisin de pH 5 et se
comporte comme fongicide. Utilisé sous forme de sel (sorbate de
potassium), il perd environ 50 % de son activité. On lui a reproché
une certaine toxicité oculaire sans que ces études déjà anciennes
aient été confirmées. Il peut provoquer un eczéma de contact.
Concentration maximale autorisée : 0,6 % exprimée en acide.
– Le 2-bromo-2-nitro-propane-1,3-diol ou Bronopolt est un donneur
de formol. Il accompagne parfois les parabens mais est aussi utilisé
seul. La présence d’un groupement nitré qui peut se transformer en
groupement aminé lui confère un certain potentiel allergisant. Dans
les études réalisées depuis 10 ans, il se positionne tantôt comme plus
fréquemment allergisant que le formol, tantôt comme tout à fait
acceptable avec une incidence de seulement 0,4 à 0,6 % sur les
eczémas de contact. Concentration maximale autorisée : 0,1 %.
Exigences : éviter la formation de nitrosamines. Mentionner la
présence de formol sur l’étiquetage si la concentration en formol
libre dépasse 0,05 %. Son succès provient de son large spectre
d’activité et du fait qu’il ne génère pas de résistance [7, 17].
– Le 5-bromo-5-nitro-1,3-dioxane ou Bronidoxt est utilisé
exclusivement dans les produits rincés : shampooings, bains
moussants, gels douche. C’est aussi un donneur de formol.
Concentration maximale autorisée : 0,1 %. Exigences : éviter la
formation de nitrosamines.
– Le 1,2-dibromo-2,4-dicyanobutane ou méthyldibromoglutaronitrile,
parce que largement employé, est à l’origine d’assez nombreuses
réactions. Il serait actuellement le conservateur le plus allergisant
aux États-Unis sous la dénomination d’Euxyl K 400t, où il se trouve
associé à du phénoxyéthanol [3, 4, 8, 10, 11, 19-21]. Concentration maximale
autorisée : 0,1 %. Exigences : ne pas employer dans les produits de
protection solaire à une concentration supérieure à 0,025 %.
– La chlorhexidine base et ses sels (dichlorhydrate, digluconate,
diacétate) sont utilisés non seulement comme antiseptiques mais
aussi comme conservateurs. Leur potentiel allergisant semble faible.
Concentration maximale autorisée : 0,3 % exprimée en chlorhexidine.
– L’imadazolidinyl urée Germall 115t et son dérivé le Germall IIt sont
bien tolérés. Ils sont souvent associés aux parabens [18].
Concentration maximale autorisée : 0,6 %. Ce sont des donneurs de
formol et l’étiquetage doit le mentionner si la concentration en
formol résiduel dépasse 0,05 %.
– Le 5-chloro-2-méthylisothiazolinone + le 2-méthylisothiazolinone,
additionnés de sels de magnésium ou Kathon CGt [16], est un
conservateur souvent masqué sous les noms chimiques du mélange
qui le constitue. Il est de moins en moins employé par suite de la
reconnaissance d’un assez grand nombre de réactions allergiques
dénoncées par les dermatologues. Il est cependant un excellent
conservateur, quasi universel, à des concentrations très faibles.
Concentration maximale autorisée : 0,0015 % d’un mélange dans un
rapport 3/1 des deux principaux constituants. Il a été victime de
son succès au cours des années 1980.
– Le formol, allergisant connu [16], n’est pratiquement plus employé
dans les produits qui demeurent en contact avec la peau. Par
ailleurs, la législation de certains pays, en particulier le Japon,
l’interdisant totalement, sa présence gêne les exportations. Les
concentrations maximales autorisées en Europe sont de 0,2 % pour
l’ensemble des produits, 0,1 % pour les produits d’hygiène buccale,
exprimée en formaldéhyde libre. Son utilisation est interdite dans
les aérosols. De plus, les produits en contenant doivent porter la
mention « contient du formaldéhyde » lorsque la concentration
dépasse 0,05 %.
– Le 1,3-diméthylol-5,5-diméthylhydantoïne (DMDM hydantoïne) ou
Glydantt est un donneur de formol. Concentration maximale
autorisée : 0,6 %. La mention « contient du formol » doit être inscrite
sur le conditionnement si la concentration en formol libre dépasse
0,05 %.
– Le triclosan est surtout employé comme antiseptique dans les
dentifrices, les savons liquides et les déodorants. Il sert rarement de
conservateur. Il a remplacé dans toutes ses utilisations
l’hexachlorophène interdit. Concentration maximale autorisée :
0,3 %.
– Les organomercuriels (thiomersal et sels de phényl mercure) ne sont
utilisables que pour la protection des produits destinés à être mis en
contact avec les yeux. Ce sont des substances toxiques qui ne
doivent pas demeurer en contact avec la peau. Leur activité sur les
germes à Gram négatif est remarquable. Ils sont actifs plus
particulièrement sur le Pseudomonas aeruginosa, responsable
d’ulcères de la cornée, d’où la tolérance législative pour leur emploi.
Concentration maximale autorisée : 0,007 % en mercure. Il est
nécessaire d’indiquer leur présence sur le conditionnement. Ils sont
de moins en moins utilisés parce que parfois responsables de
réactions d’hypersensibilité et d’eczémas de contact, avec risques
également d’irritations de la peau [15].
– Le chlorure de benzéthonium est autorisé à la concentration
maximale de 0,1 % et uniquement dans les produits rincés. Comme
la plupart des ammoniums quaternaires, il peut être à l’origine de
réactions d’hypersensibilité.
– Le chlorure de benzalkonium, ainsi que bromure et saccharinate,
sont autorisés à la concentration maximale de 0,1 % calculée en
benzalkonium. Ils sont à l’origine d’irritations et d’eczémas de
contact. Exigences : éviter le contact avec les yeux.
– L’éthanol peut servir de conservateur à condition que sa
concentration soit supérieure à 20 %.
Il faut noter que les conservateurs sont presque toujours utilisés en
mélanges variés, les associations potentialisant l’activité
antimicrobienne et élargissant le spectre d’activité. On peut donner
comme exemple les différents Euxylt qui sont des mélanges prêts à
l’emploi :
– Euxyl K 100t = alcool benzylique + méthylisothiazolinone
+ méthylchloro-isothiazolinone ;
– Euxyl K 446t = bronopol + méthyldibromoglutaronitrile
+ dipropylène glycol ;
– Euxyl K 702t = phénoxyéthanol + acide benzoïque + acide
déhydroacétique ;
– Phénonipt et Nipastatt, mélanges de parabens extrêmement
utilisés [14].
Actuellement, la tendance consiste à diminuer considérablement la
concentration en conservateurs, par mise en application
systématique des BPF et par emploi de contenants de plus en plus
protecteurs vis-à-vis de la contamination ultérieure (flacons et tubes
operculés, flacons doseurs, pochettes unidoses, flacons pompe) [12, 13].
D’autres systèmes conservateurs ont été mis au point. L’un d’entre
eux fait intervenir un gluco-oligosaccharide qui favorise la sélection
compétitive d’une flore saprophyte aux dépens de la flore
pathogène. Il est possible également d’utiliser la lactoferrine,
glycoprotéine retirée du lait, qui complexe le fer indispensable au
développement des bactéries. Mais ces originalités demeurent
marginales.
Sont également commercialisés des produits dits « sans
conservateur », soit parce que l’agent conservateur est remplacé par
une huile essentielle plus ou moins antiseptique, soit parce que la
formulation a été conçue avec des ingrédients possédant tous une
faible activité antimicrobienne, la somme de ces activités alliée à une
basse activité d’eau assurant la protection.
La législation [5] impose, en cas de litige, l’utilisation des méthodes
officielles publiées pour le dénombrement des germes viables [6], de
même que la pharmacopée européenne décrit le test de
contamination artificielle qui permet de contrôler l’efficacité du ou
des conservateurs introduits dans un produit cosmétique. En dehors
des cas de litige, les firmes peuvent employer des méthodes qui leur
sont propres ou des méthodes reconnues scientifiquement mais non
officielles, telles que la recherche et l’évaluation quantitative des
germes par bioluminescence ou par variation de l’impédance du
milieu.
Antioxydants [9]
À la différence des conservateurs antimicrobiens, leur présence n’est
pas toujours indispensable. Ils ne sont présents que lorsque la
formulation contient des corps gras insaturés ou des actifs
éminemment oxydables.
Ce sont des molécules d’origine naturelle ou le plus souvent
synthétique pourvues d’un ou plusieurs radicaux hydroxyle qui leur
confèrent un pouvoir réducteur et les rendent capables
d’interrompre la réaction en chaîne conduisant à la formation des
hydroperoxydes ou des peroxydes. Les agents chélatants, capables
de complexer les ions métalliques, fer ou cuivre, présents dans toute
fabrication industrielle et catalyseurs des réactions d’oxydation,
peuvent être considérés comme des antioxydants à part entière. Tous
sont employés à des concentrations généralement dix fois inférieures
à celles des conservateurs antimicrobiens, une concentration trop
élevée pouvant initier l’oxydation au lieu de la limiter.
Les mélanges sont plus efficaces qu’une substance isolée et la
présence d’un complexant est indispensable.
Le choix d’un antioxydant est surtout technologique, ces substances
ne faisant pas partie d’une liste positive. Elles sont réglementées en
alimentation mais pas encore en cosmétique. On se préoccupe donc
surtout de leur solubilité et de leurs conditions d’incorporation.
Les principaux antioxydants sont les suivants.
– Les esters de l’acide gallique, propyl, octyl et dodécyl gallate : seul le
propyl gallate est hydrosoluble. Il est pour cette raison très utilisé
pour potentialiser l’action des autres antioxydants pour la plupart
liposolubles. Des réactions d’irritation ont été rapportées bien que le
produit ne soit présent qu’à des concentrations très faibles, de l’ordre
de 0,02 %.
– Le dibutylhydroxytoluène (BHT) : les études toxicologiques le
concernant portent surtout sur la toxicité par ingestion puisque cet
antioxydant est autorisé dans les produits alimentaires. Par voie
topique, on a relevé quelques eczémas de contact et des risques
d’irritations.
– Le butylhydroxyanisole (BHA) : très souvent associé au précédent,
les remarques à faire sur sa tolérance sont les mêmes.
– L’acide nordihydroguaïarétique (NDGA) : interdit dans
l’alimentation, il est peu utilisé.
– L’á-tocophérol et surtout l’acétate d’á-tocophérol, plus stables, sont
considérés comme des antioxydants d’origine naturelle. Ils sont
présents dans de très nombreuses formulations, seuls ou en
association avec le BHT ou le BHA.
– L’acide ascorbique, rare antioxydant hydrosoluble, est très souvent
associé à son sel, l’ascorbate de potassium. Le couple possède une
bonne efficacité et une solubilité convenable pour la protection des
phases aqueuses. On peut aussi le trouver sous forme d’ester
liposoluble : le palmitate d’ascorbyle.
– Les flavonoïdes type quercétine, de même que des extraits végétaux
tels que l’extrait de romarin, présentent des propriétés antioxydantes
intéressantes et sont incorporés dans les produits dits « verts » à base
d’ingrédients d’origine exclusivement naturelle.
– L’ethylene diamine tetracetic acid (EDTA), sous forme de sel di- ou
tétrasodique, est un complexant associé à la plupart des
antioxydants précités.
Des potentialisateurs tels que les acides citrique et tartrique, le
sorbitol, la lécithine sont employés avec plus ou moins de bénéfice.
Des mélanges prêts à l’emploi sont disponibles dans le commerce.
Ils sont constitués par l’association de deux ou trois antioxydants
classiques associés à un complexant et un potentialisateur. Tous les
composants de ces mélanges doivent être détaillés dans la liste des
ingrédients apposée sur le conditionnement du produit fini.
Tolérance. À quelques rares exceptions près [2], la tolérance cutanée
de l’ensemble de ces composés est généralement bonne. Leur
concentration est d’ailleurs très faible (de l’ordre de 0,02 à 0,05 %).
C’est pourquoi la législation est peu contraignante à leur sujet.

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