Méthodes quantitatives d’évaluation du relief cutané

Introduction
La peau est l’interface entre le milieu extérieur et l’organisme. Elle
est par nature l’organe majeur de protection de l’homme contre les
dangers de l’environnement. Ces derniers sont de quatre types :
mécaniques, chimiques, thermiques, électromagnétiques.
La peau n’est pas une membrane inerte, passive, mais un organe
constitutionnellement adapté à son rôle de protection, et capable de
modifier sa structure en fonction des contraintes extérieures. Son
constituant majeur en volume, le derme, est structuré en fonction
des contraintes mécaniques prévues et subies. Son constituant
mineur en volume, l’épiderme, est renouvelé chaque mois en totalité
et tous les 15 jours dans sa partie morte la plus superficielle, le
stratum corneum. L’intégrité et le bon fonctionnement de cette
couche de 10 à 15 μm d’épaisseur sont les conditions de la survie de
l’organisme, dans un environnement qui lui est complètement
étranger et hostile.
La surface de la peau n’est pas lisse. Elle présente un relief
particulier qui n’est pas dû au hasard, mais a une signification
physiologique et éventuellement pathologique. Ce sont
essentiellement les propriétés mécaniques du derme et du stratum
corneum qui s’expriment dans ce relief, fin plissement seulement
visible à la loupe chez l’enfant, mais observable à l’oeil nu, en dehors
des rides, chez le vieillard. Durant les périodes intermédiaires, les
modifications sont trop faibles pour être appréciables. La
morphologie de ce relief traduit l’état d’anisotropie des tensions
locales, les agressions de l’environnement et particulièrement les
radiations solaires, dont le rôle dans le vieillissement cutané n’est
plus à démontrer.
Il est donc très utile de pouvoir disposer d’une méthode fiable
d’analyse du relief cutané susceptible d’y discerner les altérations
minimes, et de fournir des informations qualitatives et surtout
quantitatives sur le vieillissement physiologique ou induit par
diverses thérapeutiques, avant qu’il ne devienne visible à l’oeil nu et
ne soit donc irréversible. Une telle méthode devrait également
permettre d’apprécier l’action des topiques ou cosmétiques, et
d’explorer avec précision certains processus pathologiques,
notamment la croissance des tumeurs. Connaître la morphologie du
microrelief peut aider par exemple à comprendre les caractéristiques
anatomiques et fonctionnelles d’une peau normale, à évaluer
correctement toute modification de cette surface en fonction du
vieillissement, et à déterminer objectivement les effets des
médicaments à usage topique, ainsi que des produits cosmétiques.
La peau est concernée par tous les rapports de l’homme avec le
milieu extérieur : pressions, déformations, frottements et adhérence
subis au contact des surfaces sur lesquelles le corps s’appuie (sol,
siège, outils tenus en main, pratique du sport) ou dont il se recouvre
(frottement des vêtements, des chaussures, triboélectricité, rétention
calorique et d’humidité). Une meilleure connaissance des modalités
d’appréciation des caractères physiques de la peau peut intéresser
de nombreuses activités industrielles :
– industrie textile (tribologie, colorants, occlusivité) ;
– industrie chimique (carburants, engrais...) ;
– industrie du sport (mécanique, tribologie, ergonomie) ;
– industrie cosmétique (morphologie, friction et douceur, propriétés
sensorielles, aspect de la peau...) ;
– industrie pharmaceutique ou des appareillages sanitaires.
Microscopie tridimensionnelle
et morphologie du relief cutané
Ces 30 dernières années ont été marquées par une avancée
considérable dans le domaine de la microscopie tridimensionnelle,
en particulier pour analyser la topographie des surfaces.
Initialement, on s’intéressait à contrôler la qualité des surfaces
manufacturées en mesurant leur rugosité dans une direction donnée.
Les paramètres de qualité de l’état des surfaces ont fini par être
normalisés à l’échelle internationale. Malheureusement, cette
méthodologie était limitée à une analyse bidimensionnelle, qui
quantifie la morphologie de la surface par un signal représentant la
rugosité par une ligne de relief et non pas une image. Cette
démarche a connu un nouvel élan lorsque l’on a étendu son principe
à la reconstitution du relief d’une surface sous forme d’une image
tridimensionnelle. Cette avancée technologique permet de
reconstituer des images tridimensionnelles depuis l’échelle atomique
(microscope à force atomique, microscopie confocale,
interférométrie…) jusqu’à des reliefs de quelques millimètres.
Le développement de l’informatique a permis de découvrir une
nouvelle génération d’imagerie quantitative. Celle-ci est le résultat
de la conversion d’un signal physique en une image digitale
constituée de points lumineux appelés pixels, dont la répartition en
luminosité donne une perception d’un dégradé de niveaux de gris
ou de couleurs qui peuvent être codés par des chiffres et donc
quantifiables par l’ordinateur. L’infographie et l’analyse des images
constituent aujourd’hui des outils indispensables pour quantifier le
relief de la peau d’une manière qualitative et quantitative.
Empreintes cutanées
La technique des répliques est un procédé simple de reproduction
d’une surface et un moyen pratique de l’étudier indépendamment
de son support. C’est une retranscription du relief cutané qui pourra
être soumise à diverses manipulations physiques ou mécaniques que
la peau n’aurait pas supportées.
Les produits destinés à la confection de l’empreinte négative de la
surface cutanée doivent répondre à certaines exigences qui
représentent les qualités essentielles souhaitées : la non-toxicité du
produit, la qualité de reproduction. De nombreuses études ont
permis de déterminer les meilleurs produits à utiliser pour effectuer
les prises d’empreintes et éliminer les artefacts. Le Silflot,
caoutchouc silicone, remplit les critères nécessaires et souhaités pour
le moulage de la peau.
Mesure de la topographie cutanée
par le microscope laser
à défocalisation
Ce microscope est constitué d’un capteur optique et d’un ensemble
de deux moteurs (X, Y) à courant continu. La tête de mesure optique
fonctionne sur le principe émetteur récepteur. Une diode laser
(émetteur) émet un faisceau lumineux sur la surface à mesurer, et le
signal réfléchi est renvoyé sur un ensemble de quatre photodiodes
(récepteur). Un système asservi déplace une lentille afin d’obtenir
sur les photodiodes une intensité lumineuse réfléchie maximale ; on
dit alors que le système est focalisé. À la focalisation, le diamètre du
spot sur la surface est de 1 μm. C’est la variation d’altitude du point
de focalisation qui constitue le signal topographique (fig 1).
Quelques exemples issus de morphologies tridimensionnelles sont
donnés (fig 2).
Propriétés mécaniques et relief cutané
L’organisation morphologique de la texture cutanée dépend de l’état
d’anisotropie des lignes de tension découvert par Dupuytern et
Langer. Cette dépendance a été étudiée par différents auteurs [2, 3, 6].
Lors d’un test d’extension monoaxial, on remarque une
réorganisation simultanée qui se manifeste à travers l’épaisseur
cutanée, mobilisant les fibres de collagène, les lignes de Langer et
les lignes du microrelief. L’exemple de la figure 3 montre l’incidence
de la direction d’extension sur la réorganisation des lignes cutanées,
qui est probablement la conséquence de l’anisotropie de la raideur
des fibres de collagène.
Une étude récente plus approfondie [1] a montré l’anisotropie
mécanique de la peau en déterminant le module d’élasticité de
l’avant-bras dans la direction parallèle à l’axe du corps (Ey = 0,35
MPa) et dans la direction orthogonale (Ex = 0,038 MPa), ce qui
confirme bien l’effet de l’anisotropie mécanique sur l’orientation des
lignes du relief cutané. Ces exemples montrent bien que la
topographie de la surface cutanée ne doit pas être analysée comme
une surface de l’industrie mécanique. La recherche des paramètres
significatifs doit impérativement prendre en compte le sens
physique de ce relief, et essayer de le corréler à l’état de l’élasticité
de la peau.
1 Principe de la mesure du microscope laser à défocalisation.
2 Exemples de morphologies tridimensionnelles.
A. Ride de la patte d’oie.
B. Papule.
*A *B *C *D
C. Vergeture.
D. Ulcère de jambe.
3 Incidence de la direction d’extension sur la réorganisation des lignes cutanées.
A. Relief sans extension.
B. h = 90°.
C. h = 45°.
*A
*B
*C

QUANTIFICATION DES ÉLÉMENTS MORPHOLOGIQUES
DES SILLONS
La morphologie du relief cutané se modifie avec l’âge, tout en
gardant une certaine organisation topographique. Selon les zones, la
morphologie se présente sous la forme d’un réseau de géométries
diverses : rectangles, carrés, losanges, trapézoïdes ou triangles. Aux
paumes et plantes, les crêtes diminuent de hauteur, surtout aux
pulpes digitales, comme si elles étaient usées. Ailleurs, on observe
un changement partiel d’orientation des sillons qui deviennent
moins nombreux et plus profonds, donc formant des plateaux plus
grands. Hashimoto [4] a classé les sillons de la peau en quatre
groupes.
– Les lignes primaires sont larges et ont une profondeur de l’ordre
de 20 à 100 μm selon la zone et l’âge. Elles se présentent sous forme
de parallélogrammes, rectangles ou carrés.
– Les lignes secondaires sont moins profondes (5 à 40 μm) (fig 4).
Elles sont souvent imprimées en diagonales sur les plateaux.
– Les lignes tertiaires et quaternaires nécessitent une grande
résolution du dispositif d’observation.
La répartition de ces lignes dépend de la zone du corps, comme le
montre la figure 5.
TAUX D’ANISOTROPIE DES LIGNES DE TENSION
Les lignes de tension cutanées sont identifiées dans l’imagerie
topographique par une approche mathématique, qui détermine la
cartographie des points qui appartiennent aux lignes de tension. La
distribution de l’orientation des sillons est quantifiée sous forme
d’une rose des directions. La densité d’orientation dans une certaine
tranche angulaire correspond au nombre d’éléments des sillons qui
ont cette orientation.
Si le premier bord du sillon est le point A, le fond du sillon le point
C, et le deuxième bord le point B, la direction d’un élément du sillon
doit coïncider avec la normale locale du plan constitué par les trois
points (A, B, C) (fig 6, 7).
L’exemple de la figure 8 montre la détection et la quantification de
l’anisotropie des lignes de tension d’une zone interne de
l’avant-bras.
La méthode est sensible à des fluctuations angulaires de l’ordre du
degré, et permet de quantifier le taux d’anisotropie du relief qui est
défini dans l’intervalle 0 %-100 % (0 % est un taux d’anisotropie pour
une surface parfaitement isotrope et 100 % pour une surface
parfaitement anisotrope). La figure 9 montre deux exemples de
calcul du taux d’anisotropie de l’avant-bras et du relief au niveau
de la cuisse.
PROFONDEURS ET LARGEURS DES LIGNES DE TENSION
Étant donné que toutes les informations qui définissent la
morphologie des sillons sont enregistrées, les statistiques concernant
la profondeur et la largeur de chaque ligne de tension peuvent être
présentées sous forme de densités de distribution de chaque
paramètre (fig 10).
4 Lignes du relief. 1. Secondaires ; 2. primaires.
5 Lignes de tension cutanées.
6 Morphologie des sillons.
7 Détection de la direction des sillons.

RECONSTITUTION DE L’ARBRE MORPHOLOGIQUE
DES LIGNES DE TENSION CUTANÉES
Afin de quantifier les familles des lignes dans des échelles qui sont
dans un ordre de grandeur compatible avec l’échelle des
profondeurs de lignes primaires, secondaires et des rides, nous
avons mis au point une méthode de classification des lignes cutanées
sous forme d’un arbre morphologique [7, 8, 9]. Cet arbre représente le
relief cutané depuis les lignes les plus profondes jusqu’aux lignes
imprimées sur les plateaux. Chaque branche de l’arbre représente la
densité des lignes en fonction de l’altitude et de l’orientation des
lignes (fig 11).
Cette nouvelle représentation permet de suivre l’évolution des
différentes familles de lignes dans une échelle commune à toutes les
zones du corps. L’originalité de cette représentation permet par
exemple de voir quelles évolutions subissent le microrelief, les lignes
de Langer et les rides en fonction de l’âge ou sous l’effet de
cosmétiques, dans des classes d’échelles absolues. Les figures 12 et
13 montrent des exemples d’application de la méthode pour étudier
le vieillissement et l’effet d’un hydratant. L’aspect multiéchelle de
cette approche permet de quantifier avec précision les échelles des
lignes cutanées, et de suivre leur évolution en fonction de l’élasticité
de la peau et du vieillissement (tableau I).
8 Identification des lignes de tension et quantification de la rose d’anisotropie.
9 Taux d’anisotropie de l’avant-bras et du relief au niveau de la cuisse.
A. Avant-bras.
B. Cuisse.
C. Taux d’anisotropie = 20,4 %.
D. Taux d’anisotropie = 65,5 %.
*A *B
*C
*D
10 Histogrammes de profondeurs et de largeurs des sillons.


13 Action d’un produit hydratant.
A. Peau sèche.
B. Peau hydratée.
*A *B
11 Représentation de la densité des lignes en fonction de l’altitude et de l’orientation des lignes.
12 Vieillissement du relief cutané.
A. 25 ans.
B. 85 ans.
*A *B
Tableau I. – Paramètres de l’arbre morphologique des lignes de tension cutanées.
Jeune 0 - 40 μm 40 - 80 μm > 80 μm
Densité 90,45 % 9,55 % 0 %
Profondeur moyenne 20,54 μm 45,08 μm
Largeur moyenne 132,46 μm 212,04 μm
Âgée 0 - 40 μm 40 - 80 μm > 80 μm
Densité 28,83 % 44,90 % 26,27 %
Profondeur moyenne 26 μm 56 μm 118 μm
Largeur moyenne 156 μm 271 μm 394 μm
Largeurs 0 - 100 μm 100 - 200 μm > 200 μm
Densité (jeune) 31,74 % 49,65 % 18,62 %
Densité (âgée) 8,86 % 26,43 % 64,11 %

Références
[1] Asserin J, Zahouani H, Agache P, Humbert PH. Finite
element modelling of human skin surface deformation,
International symposium of bioengineering and the skin,
20th anniversary, Miami, USA, 14-17 fev 1996
[2] Corcuff P, Gracia AM, De Lacharrière O, Lévêque JL. Image
analysis of the skin microrelief as a non-invasive method to
approach the dermal architecture. In : Pierard GE, Pierard-
FranchimontCeds.Thedermis. Liège : Monographies dermatologiques
liégeoises, 1989 : 102-113
[3] Fergusson J, Bardenel JC. Skin surface patterns and the
directional mechanical properties of the dermis. In : Marks
R, Payne PA eds. Bioengineering and the skin. London
Press, 1981 : 83-92
[4] Hashimoto K. New methods for surface ultrastructure.
Comparative studies of scanning electron microscopy,
transmission electron microscopy and replica method.
Int J Dermatol 1974 ; 13 : 357-381
[5] MakkiS,MignotJ,ZahouaniH.Statistical analysisandthree
dimensional representation of human skin surfaces. J Soc
Cosmet Chem 1984 ; 35311-35125
[6] Takahasi M, Marks R. Conformational and functional
changes in the stratum corneum after forced extension.
Bioeng Skin 1986 ; 2 : 39-48
[7] Zahouani H, Lee SE, Vargiolu R, Asserin J, Humbert PH.
Mathematical microscopy analysis of the skin relief. International
Symposium of Bioengineering and the skin,
Boston, june 25-27, 1998
[8] Zahouani H, Rougier A, Crédi P, Richard A, Humbert PH.
Interest ofa5%vitamin C W/O emulsion in the treatment
of skin aging: effects on skin relief. ISBS-EEMCO Joint
meeting, Liege, September 10-12, 1999
[9] Zahouani H, Vargiolu R, Humbert PH. 3D morphological
tree representation of the skin relief.Anewapproachof skin
imaging characterization. 20th IFSCC Congress. Cannes,
1998 ; Paper n° 30 : 69-80