Malformations du péricarde



Claude Dupuis: Professeur de pédiatrie, chef du service de cardiologie infantile
université de Lille II, hôpital cardiologique, boulevard du Professeur-Leclercq, 59037 Lille cedex France
11-041-E-10 (1995)



Résumé

Les malformations du péricarde sont rares et souvent méconnues. Les aplasies péricardiques, décrites dès 1559 par Colombus [ 3 ] ne furent dépistées du vivant du malade que 400 ans plus tard [ 5 ]. Les malformations les plus graves se manifestent dès la période néonatale, dans un contexte polymalformatif qui confine à la tératologie. Beaucoup plus intéressantes sont les malformations qui ne sont découvertes que chez le grand enfant ou même chez l'adulte, soit à l'occasion d'un examen radiologique systématique, révélant des anomalies de la silhouette cardiaque, soit à l'occasion d'un examen motivé par des douleurs cardiaques atypiques, un essoufflement ou une anomalie d'auscultation. Leur diagnostic est parfois difficile car ces malformations (en particulier, les aplasies partielles avec hernie de l'auricule gauche) peuvent simuler une cardiopathie ou en cas de kystes ou de diverticules, poser le problème d'une opacité médiastinale en radiographie.
Après un rappel embryologique, seront successivement envisagés : les aplasies péricardiques totales (avec ou sans ectopie cardiaque), les aplasies partielles, les kystes et diverticules.

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Plan

Rappel embryologique
Aplasies péricardiques
Aplasies partielles
Kystes et diverticules péricardiques

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Le développement du sac péricardique qui dérive du cloisonnement du coelome intraembryonnaire, est étroitement lié au développement des cavités pleurales. Il s'en isole avec la formation des mésocardes latéraux ou septums pleuropéricardiques. De même, il s'isole du diaphragme qui dérive, comme le foie, du septum transversum. Le développement des septums pleuropéricardiques est lié à l'évolution des veines affluentes des cornes du sinus veineux : veines vitellines, ombilicales, veines cardinales antérieures et postérieures confluentes ou canaux de Cuvier. L'involution précoce du canal de Cuvier gauche explique la possibilité de fermeture incomplète du septum pleuropéricardique gauche vers le haut : c'est à gauche, et surtout en haut, en regard de l'auricule gauche, que les aplasies péricardiques partielles sont les plus fréquentes.

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Elles ont été classées par Ellis [ 5 ] selon leur importance et leur siège en absences totale, totale gauche, totale droite, partielles droite, gauche et diaphragmatique. Les formes gauches totale et partielle sont de loin les plus fréquentes. La sévérité de ces anomalies dépend des malformations associées ou du caractère restrictif de l'aplasie qui peut favoriser la hernie, la strangulation, la compression de cavités cardiaques, en particulier de l'auricule gauche ou la pénétration des organes de voisinage avec compression du coeur. Les formes totales isolées sont donc les mieux tolérées.

Les aplasies ou defects péricardiques sont des anomalies rares. Elles se rencontrent plus volontiers dans le sexe masculin (3 garçons pour 1 fille) ; des formes familiales ont été décrites [ 20 ] ; environ 30 % des cas ont d'autres anomalies congénitales : anomalies cardiaques sévères en cas d'ectopie cardiaque, anomalies bénignes (communication interauriculaire, bicuspidie aortique, kystes bronchogéniques, séquestrations pulmonaires) dans les aplasies péricardiques simples.


Ectopie cardiaque extrathoracique et coelosomie antérieure
Ce sont des anomalies tératologiques, coexistant avec des malformations cardiaques majeures qui vouent presque toujours à l'échec les tentatives de réintégration cardiaque intrathoracique. Dans l'" ectopia cordis ", le coeur est à nu hors du thorax, d'où il sort par une large fissure sternale. Les éléments péjoratifs majeurs du pronostic sont la sévérité de la cardiopathie associée, l'exiguïté de la cage thoracique [ 22 ], et le fait que l'épicarde se déshydrate rapidement s'il n'est pas humidifié en permanence.
Dans la coelosomie antérieure, le coeur est à l'intérieur d'une omphalocèle (dysraphie antérieure thoracoabdominale, avec une paroi membraneuse et non cutanée comme dans la hernie ombilicale). La chirurgie de cette anomalie est également décourageante, car elle requiert, outre le traitement de la cardiopathie, la réparation du diaphragme et de la paroi abdominale. Il est cependant possible que la collaboration de deux équipes, l'une de chirurgie cardiaque, l'autre de chirurgie plastique, intervenant très tôt et l'emploi de composés membraneux polymérique, (" op-site ") pour recouvrir le coeur, évitant la surinfection et la déshydratation, permettent un traitement efficace si la cardiopathie sous-jacente n'est pas trop complexe.

Agénésie totale du péricarde
L'agénésie totale du péricarde est le plus souvent associée à une dysraphie antérieure [ 13], [17 ] avec malformations du septum transversum : hernie diaphragmatique, hamartome hépatique intrathoracique [ 15 ]. Lorsqu'elle est isolée ou lorsque les malformations associées ont été réparées précocement, l'absence de péricarde n'a qu'un retentissement clinique minime. Il y a parfois des palpitations et une sensation de gêne intrathoracique par torsion partielle des gros vaisseaux due à l'excès de mobilité du coeur. Mais le plus souvent c'est un examen radiologique systématique qui fait découvrir l'anomalie.
Le diagnostic peut être soupçonné sur le standard de face : le coeur est nettement déplacé vers la gauche, donnant parfois une impression de cardiomégalie ; il y a, en outre, une accentuation de certains reliefs (bouton aortique, tronc de l'artère pulmonaire) par interposition de parenchyme pulmonaire peu radio-opaque entre l'aorte et le tronc de l'artère pulmonaire et entre l'hémidiaphragme gauche et le bord inférieur du coeur (fig. 1). L'aspect est beaucoup plus évocateur à l'amplificateur de brillance, surtout si l'on fait tourner le patient ; on note alors une grande mobilité du coeur de gauche à droite et d'avant en arrière. Cet examen devrait suffire à réfuter tout autre diagnostic si le cardiologue a déjà vu des cas analogues.

L'électrocardiogramme est beaucoup moins évocateur. Il montre généralement une déviation axiale droite en raison de la lévoposition du coeur, un bloc de branche incomplet droit, un déplacement vers la gauche de la zone de transition en précordiales et des ondes P hautes et pointues en précordiales droites.
L'échocardiographie uni- ou bidimensionnelle [ 16 ] confirme l'hypercinétisme cardiaque et montre une augmentation du diamètre diastolique du ventricule droit et un mouvement systolique antérieur anormal du septum. Plus intéressante est l'échocardiographie bidimensionnelle qui peut montrer la disparition des échos péricardiques [ 10 ]. La tomodensitométrie (TDM) et l'imagerie par résonance magnétique (IRM) sont également utiles au diagnostic. En revanche, le cathétérisme avec angiocardiographie n'est indiqué qu'en cas d'anomalies cardiaques associées pouvant nécessiter une correction chirurgicale. De même, la scintigraphie pulmonaire est rarement indiquée bien qu'elle puisse contribuer au diagnostic, en montrant la présence de tissu pulmonaire entre le coeur et l'hémidiaphragme gauche [ 4 ]. Enfin, la pratique du pneumothorax à visée diagnostique, est devenue obsolète même s'il affirme le diagnostic en montrant constamment un pneumopéricarde.
L'absence totale de péricarde a longtemps été considérée comme une affection bénigne sans conséquence pathologique. Schématiquement, cela reste vrai. Toutefois, il a été démontré que l'absence totale de péricarde et aussi l'absence du péricarde droit ou gauche, fragilise le coeur car le péricarde joue vis-à-vis du coeur, le rôle de " ceinture de sécurité ". Réginato [ 17 ] a ainsi signalé qu'un infarctus du myocarde se compliquait plus facilement d'insuffisance mitrale ou de communication interventriculaire en l'absence de péricarde. Par ailleurs, lors d'accidents de la circulation, les traumatismes s'accompagnent plus facilement de contusions cardiaques, en raison de la plus grande mobilité du coeur. Mais ces deux éventualités sont rares et habituellement aucun traitement n'est justifié.

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Son aspect est très voisin de l'aplasie totale. La latence clinique est habituelle. Les circonstances de découverte sont soit l'auscultation d'un souffle systolique latérosternal gauche ayant les caractères d'un souffle anorganique et que l'on met sur le compte de la distorsion des gros vaisseaux au niveau du pédicule, soit la découverte radiologique d'une image cardiaque anormale. L'aspect radiologique est analogue à celui de l'absence totale de péricarde : déplacement en masse du coeur vers la gauche, hypermobilité du coeur lorsque l'on tourne le patient à l'amplificateur de brillance. Les examens paracliniques à visée diagnostique sont les mêmes que pour l'aplasie totale du péricarde.

Elle est beaucoup plus rare que celle du gauche et est peu documentée dans la littérature. Elle a la même latence clinique, la même mobilité du coeur lors des mouvements du patient, mais le coeur est anormalement déplacé vers la droite sur le cliché radiologique standard et à l'amplificateur de brillance.


Brèches péricardiques gauches
Ce sont les plus fréquentes (95 % des cas). Elles siègent habituellement à la partie haute du septum pleuropéricardique où elles peuvent être à l'origine d'un syndrome de hernie de l'auricule gauche [ 9], [13], [15], [19], [22 ]. Il est beaucoup plus rare qu'une brèche bas située réalise une hernie de pointe à l'origine d'un accident brutal de strangulation avec mort subite [ 18 ], ou que, plus large, elle englobe à la fois l'auricule et la partie haute du ventricule gauche qui fait hernie en diastole. Exceptionnellement c'est le poumon gauche qui fait hernie dans le sac péricardique. La hernie de l'auricule gauche s'associe, dans 30 % des cas, à d'autres malformations cardiaques ou pulmonaires. Elle peut surtout être à l'origine d'erreurs de diagnostic et simuler une cardiopathie. Paradoxalement, ce sont les brèches les plus étroites qui sont les plus symptomatiques car elles favorisent les hernies et strangulations de l'auricule gauche.

Signes fonctionnels
Des signes fonctionnels se rencontrent 1 fois sur 2 : douleurs thoraciques parfois de type angineux [ 23 ], mais plus souvent atypiques déclenchées ou non par l'effort. En cas de douleurs angineuses, on évoque une compression coronaire sur le bord de la brèche ; cette éventualité a d'ailleurs été démontrée par coronarographie. Parfois les douleurs s'accompagnent de palpitations. Plus rarement, on a décrit des épisodes inflammatoires douloureux avec épanchement pleural et péricardique et syndrome électrique de péricardite aiguë. Il s'agit alors d'un étranglement de l'auricule gauche nécessitant une intervention chirurgicale en urgence.

Aspect radiologique
L'aspect radiologique est caractéristique et permet facilement le diagnostic (fig. 2). Le coeur n'est pas déplacé vers la gauche comme dans l'agénésie complète du péricarde, mais il y a une saillie nette de la partie inférieure de l'arc moyen qui correspond à l'auricule gauche. Celle-ci est très mobile et pulsatile à l'amplificateur de brillance. La TDM et l'IRM sont également caractéristiques et permettent de se passer du pneumothorax diagnostique.


Echocardiographie
Elle confirme le diagnostic en montrant l'hypermobilité de l'auricule gauche, sa dilatation et sa situation antérieure par rapport au tronc de l'artère pulmonaire.

Cathétérisme et angiocardiographie
Ils ne sont indiqués qu'en cas de cardiopathie associée. Ils peuvent montrer un aspect particulier de l'auricule gauche dilatée : " en bouchon de champagne "en " oreille de chien " [ 15 ]. Si l'on peut passer le cathéter dans l'oreillette gauche puis dans l'auricule gauche, on peut aisément avec l'extrémité du cathéter mobiliser l'auricule gauche de haut en bas (fig. 3).


Diagnostic
Le diagnostic est en général aisé. On élimine facilement les cardiopathies congénitales qui comportent à la radiographie une saillie de l'arc moyen et aussi les dilatations idiopathiques de l'auricule gauche où l'auricule est très dilatée mais peu mobile.

Traitement
Le traitement chirurgical n'est indiqué que dans les formes symptomatiques. On a alors le choix entre l'élargissement de la brèche pour éviter le risque de strangulation, ou la fermeture de la brèche en utilisant un lambeau de plèvre médiastinale. On peut éventuellement y associer l'excision de l'auricule gauche [ 1 ].

Brèches partielles supérieures droites
Elles sont rares. Elles peuvent s'accompagner de douleurs thoraciques à l'inspiration par engagement de l'oreillette droite et du ventricule droit à travers la brèche (ce qui donne un aspect caractéristique à l'angiographie auriculaire droite) ou par hernie du poumon droit dans le sac péricardique [ 12 ], ce qui peut aboutir à une obstruction de la veine cave supérieure. Dans ces formes compliquées, la fermeture de la brèche est indiquée.

Brèches du péricarde diaphragmatique
Elles sont associées à une aplasie partielle du diaphragme sous-jacent qui favorise la hernie du grand épiploon dans la cavité péricardique et s'accompagne de douleurs thoraciques et d'une fausse cardiomégalie à la radiographie. Le traitement consiste en la fermeture des brèches péricardique et diaphragmatique après réintégration de l'épiploon dans l'abdomen [ 7 ].

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Les kystes pleuropéricardiques résultent de la fusion et de l'isolement de lacunes mésenchymateuses primitives ou de la plicature anormale du sac coelomique. Il s'agit de formations liquidiennes (contenant un liquide clair, eau de roche), à paroi mince, dont le siège est essentiellement médiastinal antérieur, au contact du diaphragme.

Elle est habituelle. La sémiologie est avant tout radiologique [ 11 ] : opacité médiastinale antérieure, siégeant le plus souvent dans l'angle cardiophrénique droit (60 % des cas) ou au contact de la pointe, exceptionnellement en position costophrénique gauche, hilaire ou médiastinale supérieure. Dense et homogène, arrondie ou oblongue, l'opacité paracardiaque n'est ni expansive, ni pulsatile mais suit rigoureusement les mouvements du diaphragme et peut se déformer en inspiration et expiration forcées. Son aspect de profil est caractéristique : au contact du sternum et du diaphragme (fig. 4), limite postéro-supérieure ogivale ou polyédrique (les angles correspondent à des spicules attirant le kyste en direction des lignes scissurales). L'évolution est bénigne.


Le diagnostic se fait avec les opacités d'origine infradiaphragmatique, les tumeurs médiastinales, les ectasies de l'oreillette droite ou de la pointe du coeur. L'échocardiographie permet de les distinguer d'une tumeur solide, d'un anévrisme [ 9 ], d'un tératome intrapéricardique. La TDM les distingue des kystes bronchiques intrapéricardiques [ 21 ].
L'exérèse est rarement indiquée [ 22 ] et la ponction transpariétale n'est pas une exploration anodine.

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