Hypertension artérielle maligne









Alain Kanfer: Médecin des hôpitaux de Paris
hôpital de jour de médecine, hôpital Tenon, 4, rue de la Chine, 75020 Paris France
11-301-K-20 (1998)



Résumé

L'hypertension artérielle maligne (HTAM), actuellement devenue rare, complique l'hypertension essentielle comme les hypertensions secondaires, notamment par sténose artérielle rénale ou néphropathies parenchymateuses, ou au cours de la sclérodermie. L'HTAM est caractérisée par des chiffres tensionnels élevés (> 200/130 mmHg) et une rétinopathie hypertensive au stade III (hémorragies, exsudats) ou IV (oedème papillaire). Des lésions viscérales diversement regroupées sont présentes : insuffisance ventriculaire gauche avec ou sans signes de coronaropathie ; insuffisance rénale aiguë, souvent associée à une anémie microangiopathique (syndrome hémolytique et urémique) ; accidents cérébraux : encéphalopathie hypertensive, accidents vasculaires ischémiques ou hémorragiques. La physiopathologie de l'HTAM comprend dans la majorité des cas : une vasoconstriction extrême par activation du système rénine-angiotensine (avec hyperaldostéronisme secondaire) ; des lésions des petites artères et des artérioles avec nécrose fibrinoïde, prolifération subintimale et microthromboses. La volémie peut être abaissée ou augmentée selon l'état des fonctions cardiaque et rénale. Le traitement antihypertenseur a pour objectif initial de ramener la pression artérielle vers 160/100 mmHg en 1 à 6 heures, au mieux en service de soins intensifs ; il est à l'origine d'une amélioration considérable de la survie des patients atteints d'HTAM, et d'une restauration complète ou partielle de la fonction rénale après plusieurs semaines ou mois.

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Plan

Introduction
Signes (tableau I)
Causes de l'hypertension artérielle maligne (tableau II) ; conduite de l'investigation étiologique
Physiopathologie
Traitement

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L'HTAM associe :

- des chiffres tensionnels généralement supérieurs à 200/130 mmHg (moindres chez la femme enceinte et l'enfant) ;
- une rétinopathie hypertensive au stade III ou IV, comportant exsudats, hémorragies, et/ou oedème papillaire ;
- une ou plusieurs autres atteintes viscérales : cardiaque, cérébrale, rénale, hématologique.
L'HTAM est distincte de l'hypertension dite " sévère " ou à chiffres élevés, isolée, dont la prise en charge thérapeutique est différente. L'efficacité des traitements antihypertenseurs, qui agissent sur la pression artérielle elle-même et sur les facteurs impliqués dans la genèse des lésions viscérales, explique la diminution de fréquence de l'HTAM, qui correspond à environ 1 % des hypertensions.
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Les troubles visuels sont fréquents : scotome, baisse de l'acuité visuelle, présents quand les lésions rétiniennes atteignent la macula et/ou se compliquent d'occlusion de l'artère ou de la veine centrale de la rétine [ 3 ]. L'atteinte cardiaque est caractérisée par une insuffisance ventriculaire gauche, affectant de façon prédominante la fonction diastolique [ 1 ], avec oedème pulmonaire patent ou latent (" radiologique "), ou par une insuffisance cardiaque globale congestive. L'oedème pulmonaire peut compliquer une cardiopathie hypertensive connue, ou, en cas de sténose artérielle rénale bilatérale, prendre la forme d'épisodes récurrents sur coeur apparemment sain, régressant après correction de la sténose [ 12 ]. Des accidents d'ischémie myocardique aiguë par athérome coronarien peuvent compliquer l'HTAM elle-même, ou son traitement. Les accidents de dissection aortique sont favorisés par les crises hypertensives et sont à rapprocher des complications cardiaques de l'HTAM. L'encéphalopathie hypertensive [ 6 ] est la traduction d'un oedème cérébroméningé diffus par perte de l'autorégulation vasculaire cérébrale avec hyperpression intra-artériolaire et intracapillaire et exsudation plasmatique dans le tissu cérébral. Elle se manifeste par des céphalées de localisation occipitale prédominante. Non traitée, l'encéphalopathie peut provoquer une torpeur, des convulsions généralisées, un coma sans signes de localisation. Les accidents vasculaires cérébraux de l'HTAM sont hémorragiques ou ischémiques [ 6 ], à l'origine de signes neurologiques localisés, le plus souvent hémiplégie accompagnée ou non de coma. Le scanner cérébral est indiqué en urgence parce qu'il permet de distinguer l'encéphalopathie hypertensive des accidents vasculaires, et parmi ceux-ci les accidents hémorragiques des accidents ischémiques. Le diagnostic précis des accidents cérébraux de l'HTAM est important par ses implications thérapeutiques (cf infra). L'HTAM est dans la majorité des cas à l'origine d'une insuffisance rénale d'installation aiguë ou subaiguë, avec à l'admission du patient élévation de la créatininémie vers 200-300 mol/L, ou plus en cas d'oligurie. Une protéinurie d'intensité variable, pouvant excéder 3 g/24 h avec syndrome néphrotique, est souvent présente, parfois associée à une hématurie microscopique. Plusieurs facteurs sont en cause :
- vasoconstriction corticale [ 10], [11 ] démontrée par l'artériographie, ou l'anglo-IRM avec injection de gadolinium non néphrotoxique ;
- ischémie glomérulaire avec rétraction du floculus au pôle vasculaire [ 10 ] (fig 1) ;
- lésions de néphroangiosclérose maligne [ 7], [13 ] associant nécrose pariétale des artérioles et des artères de petit calibre, prolifération cellulaire sous-intimale avec aspect typique en " bulbe d'oignon " (fig 2), et thrombi de fibrine intra-artériolaires et intraglomérulaires ;
- lésions de nécrose tubulaire aiguë [ 7 ].



Un syndrome hémolytique et urémique est souvent présent [ 7 ], associant à l'insuffisance rénale une anémie hémolytique microangiopathique (" mécanique ") avec : réticulocytose supérieure à 5 % ou 200 000/L, présence de nombreux schizocytes, haptoglobinémie inférieure à 0,30 g/L, lacticodéshydrogénase sérique élevée, test de Coombs négatif, thrombopénie et élévation des produits de dégradation de la fibrine circulants. Ce syndrome est la conséquence d'une coagulation intravasculaire intrarénale, par activation locale de l'hémostase avec consommation plaquettaire et fragmentation des hématies à leur passage dans les petits vaisseaux en partie thrombosés. Les lésions responsables d'insuffisance rénale aiguë ou subaiguë de l'HTAM sont en partie réversibles sous traitement.
L'ischémie corticale rénale stimule la sécrétion de rénine par l'appareil juxtaglomérulaire, avec consécutivement hyperréninémie, hyperangiotensinémie et hyperaldostéronisme secondaire avec hypokaliémie.
Une insuffisance rénale fonctionnelle par déshydratation extracellulaire et hypovolémie, par natriurèse excessive (cf infra), est présente à la phase initiale de l'HTAM chez certains patients ; elle s'accompagne d'une soif intense. Elle est réversible après réhydratation adéquate.

La crise hypertensive peut être précédée ou accompagnée d'une altération de l'état général et d'un syndrome inflammatoire avec : anorexie, amaigrissement, fièvre modérée, augmentation de la vitesse de sédimentation.
Les concentrations plasmatiques du facteur VIII et du fibrinogène sont augmentées, avec hypercoagulabilité et hyperviscosité [ 5 ] favorisant la constitution des thromboses intra-artérielles ou artériolaires.

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Causes de l'hypertension artérielle maligne (tableau II) ; conduite de l'investigation étiologique


Les fréquences respectives des diverses causes d'HTAM sont incertaines, différentes selon les séries publiées. L'hypertension artérielle essentielle (primitive) maligne d'emblée, ou, plus souvent, " malignisée " après quelques années chez des patients non ou insuffisamment traités, est la situation probablement la plus fréquente. Cependant, il est indiqué de rechercher une cause d'hypertension secondaire dont la prévalence est plus élevée en cas d'HTAM qu'en cas d'hypertension moins sévère. L'anamnèse, l'examen clinique et les examens complémentaires courants, incluant l'échographie rénale, orientent d'emblée vers le diagnostic des causes médicamenteuses, des néphropathies parenchymateuses, de la sclérodermie. Si la biopsie rénale est indiquée pour préciser la nature d'une néphropathie, elle sera faite plusieurs jours après la normalisation de pression artérielle, chez un patient non thrombopénique, ayant des reins de taille conservée. En l'absence d'une des causes précédentes, on recherche une sténose artérielle rénale (uni- ou bilatérale), en cause chez 10 à 50 % des patients (et qui peut compliquer une néphropathie préexistante). Selon le degré de suspicion, l'expérience de l'équipe médicale et les possibilités techniques, la méthode d'imagerie des artères rénales peut être :


- l'échographie-doppler, utile comme examen de dépistage chez un sujet mince, mais qui ne donne pas de visualisation directe des artères ;
- le scanner spiralé (hélicoïdal) ;
- l'angio-IRM avec injection intraveineuse de gadolinium ;
- l'artériographie numérisée, impliquant une ponction artérielle et l'injection d'un produit de contraste iodé. Cette dernière technique a l'avantage de pouvoir être immédiatement suivie par la dilatation transluminale de la sténose.
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À côté de l'élévation de pression artérielle elle-même, la vasoconstriction, les lésions pariétales artérielles et artériolaires et les modifications de la volémie sont les principaux phénomènes qui contribuent à la survenue et aux complications de l'HTAM. Quel que soit le primum movens, ils interagissent entre eux et sont à l'origine de cercles vicieux physiopathologiques. La vasoconstriction artériolaire de l'HTAM est extrême, généralisée à tout l'organisme (sauf en cas de glomérulonéphrite aiguë, où l'HTAM est liée uniquement à l'hypervolémie). La vasoconstriction est d'origine hormonale par hyperangiotensinémie et hypercatécholaminémie [ 11 ]. Le rôle d'une production excessive de vasopressine est possible mais non démontré [ 11 ] ; il en est de même de la participation d'une dysfonction endothéliale avec excès de production d'endothéline et de thromboxane A2 vasoconstrictrices et insuffisance de production de prostacycline et d'oxyde nitrique (NO) vasodilatateurs [ 14 ]. Dans l'état prééclamptique ou éclamptique la réninémie est abaissée comparativement à la grossesse normale, la vasoconstriction étant probablement due à la libération à partir du placenta de substances vasoconstrictrices mal identifiées. Deux facteurs expliquent au moins en partie les lésions pariétales artérielles/artériolaires rénales et extrarénales, notamment cardiaques et cérébrales (nécrose fibrinoïde, microthromboses et prolifération cellulaire), qui siègent dans les zones de vasoconstriction et des zones de vasodilatation intercalées. Il s'agit de :
- l'élévation de la pression artérielle elle-même, susceptible de léser par stress mécanique la paroi, et d'entraîner une fuite de liquide et de protéines plasmatiques, en particulier le fibrinogène, favorisant la nécrose fibrinoïde locale ;
- l'excès d'angiotensine II, qui, en plus de son rôle vasoactif, a un effet d'hyperperméabilité vasculaire, et un effet mitogène en stimulant la synthèse locale de facteurs de croissance facilitant la prolifération cellulaire subintimale.

Les modifications de la volémie sont variables dans l'HTAM et devront être analysées dans chaque cas individuel. Chez certains patients la volémie est abaissée en raison de l'hyperperméabilité vasculaire citée ci-dessus, et d'une fuite rénale de sodium directement en rapport avec l'hypertension artérielle : c'est l' " hypernatriurèse de pression " dont les déterminants hémodynamiques intrarénaux ne sont pas clairement identifiés. L'hypovolémie stimule la production de rénine par l'appareil juxtaglomérulaire et la vasoconstriction hormonodépendante. À l'opposé, en cas d'insuffisance rénale aiguë lésionnelle oligoanurique, d'insuffisance cardiaque sévère, ou de glomérulonéphrite aiguë, la volémie est augmentée par expansion du secteur extracellulaire due à une rétention rénale excessive de sodium.

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L'existence d'un syndrome d'HTAM conduit à l'hospitalisation du patient, de préférence en service de soins intensifs. La pression artérielle est surveillée par enregistrement automatique programmé ; chez de nombreux patients la mesure du volume sanguin par méthode isotopique, et la mesure des variables hémodynamiques par cathétérisme cardiaque droit sont utiles pour adapter au mieux le traitement. On utilisera chaque fois que possible une seringue à débit réglable en cas d'administration du médicament antihypertenseur par voie intraveineuse.

L'objectif initial du traitement est chez la majorité des patients de ramener en 1 à 6 heures la pression artérielle vers 160-170 mmHg pour la systolique, 100 mmHg pour la diastolique. L'existence d'une encéphalopathie hypertensive incite à obtenir un abaissement rapide de la pression artérielle ; à l'opposé on devra obtenir une diminution moins profonde et moins rapide des chiffres tensionnels devant un accident vasculaire cérébral, surtout ischémique, ou des signes d'insuffisance coronarienne qu'une baisse tensionnelle brusque aggraverait [ 6 ].
Les médicaments les plus commodément utilisables en urgence sont les suivants :

- par voie intraveineuse : nicardipine (Loxen®) : 1 mg puis 2-10 mg/h, ou labétalol (Trandate®) : 1 mg/kg puis 0,5-1 mg/min ;
- par voie intramusculaire : clonidine (Catapressan®) : 150 g, éventuellement renouvelable ;
- par voie orale : inhibiteur de l'enzyme de conversion de l'angiotensine d'action rapide, en commençant par une dose faible (par exemple 12,5 mg pour le captopril [Lopril®, Captolane®], ou 2,5 mg pour l'énalapril [Renitec®]) ou un bêtabloquant (aténolol [Ténormine®, Betatop®] : 25 à 50 mg).

Le labétalol et l'aténolol sont recommandés en cas d'insuffisance coronarienne et de dissection aortique, et contre-indiqués en cas d'insuffisance cardiaque. Les inhibiteurs de l'enzyme de conversion de l'angiotensine sont indiqués en cas d'insuffisance cardiaque. La nicardipine peut être utilisée dans la plupart des cas d'HTAM.
En cas d'hyprovolémie : administration de soluté physiologique (par exemple 1 L en 4 à 6 h) sous surveillance de l'état cardiaque.
En cas d'insuffisance cardiaque ou d'oedème pulmonaire : injection intraveineuse d'un diurétique de l'anse : furosémide (Lasilix®) : 40 à 80 mg, ou bumétanide (Burinex®) : 2 à 4 mg ; injection intraveineuse de trinitrine : 2 à 3 mg en 1 à 2 minutes puis 1 à 2 mg/h, ou d'isosorbide dinitrate (Risordan®) 1 mg en 1 minute puis 2 mg/h.

Le traitement médicamenteux est efficace sur les chiffres tensionnels dans la grande majorité des cas. Il est, le cas échéant, associé à la dilatation transluminale d'une sténose artérielle rénale. Dans les jours ou les premières semaines suivant son institution, la fonction cardiaque et les troubles neurologiques s'améliorent. Le traitement provoque souvent une aggravation de l'insuffisance rénale par hypoperfusion ; quelques patients non oliguriques peuvent le devenir. Ultérieurement la fonction rénale s'améliore si le contrôle de la pression artérielle est maintenu [ 4], [7], [9], [10 ] ; des biopsies rénales ont montré l'amélioration des lésions vasculaires dans ces cas. La créatininémie revient à sa valeur initiale ou à une valeur inférieure. La fonction rénale des patients dialysés peut être en partie restaurée, de telle sorte que le traitement par dialyse peut être interrompu, dans certains cas après plusieurs mois.
Le pronostic vital a été transformé par les traitements actuellement utilisés [ 4 ], au point qu'une étude récente [ 15 ] a rapporté que la moyenne de survie des patients atteints d'HTAM traités en service spécialisé était de 18 ans, très proche de celle (21 ans) des patients ayant une hypertension artérielle modérée.

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