Fibrose endomyocardique



Catherine Chapelon-Abric: Praticien hospitalier
service de médecine interne, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, 47-83, boulevard de l'Hôpital, 75651 Paris cedex 13 France
11-008-A-10 (1993)



Résumé

[ 5], [14], [33], [35], [36 ].

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Plan

Anatomie pathologique
Mécanismes physiopathogéniques [ 24], [25], [38], [50 ]
Signes cliniques
Examens paracliniques
Evolution
Traitement

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Le coeur est en règle modérément augmenté de volume, les cavités ventriculaires pouvant être dilatées ou rétrécies. Un épanchement péricardique, séreux ou sérohématique, parfois très abondant est souvent présent. Les oreillettes sont fréquemment dilatées. La lésion caractéristique est marquée par un épaississement de l'endocarde de 4 à 10 millimètres, d'aspect rétractile, réalisant une couenne blanche nacrée et dure. L'atteinte est biventriculaire dans 50 à 70 % des cas. Dans chaque ventricule, la lésion débute et prédomine à l'apex, puis s'étend à la chambre de remplissage, englobant les muscles papillaires et les cordages tout en respectant le myocarde sous-jacent. La valve auriculoventriculaire correspondante est souvent déformée et attirée vers le bas. Au niveau de la valve mitrale, seule la valve postérieure est intéressée par le processus fibrosant [ 22 ]. L'oblitération de l'apex et de la chambre de remplissage est souvent majorée par la présence de multiples thrombi fibrinocruoriques.

Au stade de fibrose, il existe un épaississement endocardique fait d'un tissu fibreux sclérohyalin dense. Ce tissu, acellulaire, est riche en fibres de collagène mais dépourvu de fibres élastiques. Il est parfois calcifié, voire ossifié. Il peut être recouvert d'une thrombose fibrinocruorique hyalinisée non inflammatoire. Plus en profondeur, un oedème interstitiel est possible, associé à une néovascularisation et à quelques infiltrats inflammatoires périvasculaires lymphoïdes sans polynucléaires éosinophiles. Des dépôts d'hémosidérine sont possibles. Le myocarde sous-jacent n'est envahi que dans une zone sous-endocardique très limitée. L'appareil sous-valvulaire est modifié par un épaississement modéré tantôt fibreux, tantôt myxoïde. Les petites artères périphériques peuvent présenter quelques lésions d'artérite inflammatoire non spécifique, par contre, les artères coronaires et les gros vaisseaux sont indemnes.
Lorsque la fibrose a évolué dans un contexte d'hyperéosinophilie, l'examen histologique au stade de début met en évidence une intense myocardite à éosinophiles, prédominant au niveau de la couche interne, associée à une nécrose et à une fréquente artérite des petits vaisseaux. A ce stade, des thrombi muraux recouvrent un endocarde normal. La durée de cette phase par rapport aux premiers signes cliniques dure moins de deux mois. Pendant une période qui peut durer dix mois, la myocardite s'atténue et quelques lésions non spécifiques de l'endocarde apparaissent recouvertes par des thrombi. Ces lésions font place ensuite à la fibrose.

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Malgré de multiples recherches, la pathogénie des FEM reste obscure. Successivement ont été évoqués, mais non confirmés, un facteur nutritionnel, malnutrition ou inversement consommation de trop de bananes plantain (riches en sérotonine), un facteur viral ou encore un facteur métabolique (des concentrations élevées de cérium ont été retrouvées dans le tissu cardiaque de patients suivis pour FEM) [ 53 ].
L'hypothèse la plus séduisante reste la cytotoxicité des éosinophiles. En effet, les études expérimentales de FEM et les constatations faites chez l'homme révèlent qu'au cours des syndromes hyperéosinophiliques, les éosinophiles circulants sont hypodenses [ 42 ] et qu'ils présentent des modifications ultrastructurales de leurs granulations [ 15], [41 ], témoin vraisemblablement de leur activation [ 15], [42], [47], [48], [50 ]. Cette activation est suivie d'une dégranulation et du relargage de substances toxiques [ 15], [42 ] comme la " Major Basic Protein ", l' " Eosinophilic Cationic Protein ", et des enzymes (éosinophile peroxydase, éosinophile neurotoxine). Les techniques d'immunocytochimie ont permis de mettre en évidence, à la phase aiguë nécrotique de la myocardite à éosinophiles, des dépôts de ces protéines, en particulier de la " Major Basic Protein " [ 15], [42 ] au niveau des tissus nécrotiques, des lésions aiguës de l'endocarde et dans la paroi des petits vaisseaux [ 50 ]. Cette " Major Basic Protein " présente également une activité stimulante des plaquettes, expliquant ainsi la fréquence des thrombi intracavitaires observés au cours des syndromes hyperéosinophiliques [ 41 ]. Une relation a été notée entre hypodensité, éosinotoxicité et la présence d'une atteinte viscérale [ 42 ]. Enfin, une étude expérimentale récente montre que ces éosinophilies hypodenses entraînent des modifications aiguës de la contractilité en association avec des lésions sévères du myocarde [ 45 ].
L'hyperéosinophilie, quelle que soit son origine (parasitaire, allergique, myéloproliférative ou idiopathique), ne peut cependant être le seul facteur impliqué dans la survenue de FEM. En effet, de nombreux cas de FEM ont été décrits chez des caucasiens indemnes de toute hyperéosinophilie et d'antécédents [ 20 ].

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Les FEM observées dans les régions subtropicales ou tropicales et dans les régions tempérées présentent, au stade de début, quelques particularités extracardiaques [ 14], [41 ]. En l'absence d'hyperéosinophilie, le début est le plus souvent insidieux avec aggravation progressive des signes cliniques qui deviennent résistants aux traitements. Chez les très jeunes, l'atteinte cardiaque s'accompagne d'une altération de l'état général, d'un retard staturopondéral ou pubertaire. Au cours des syndromes hyperéosinophiliques, les signes cardiologiques peuvent être précédés ou associés à une altération de l'état général, à des adénopathies, à une splénomégalie, à une atteinte neurologique.
Dans les pays tropicaux ou subtropicaux, les FEM sont observées essentiellement chez des sujets âgés de moins de 25 ans [ 2], [4], [33], [52 ], alors que chez les caucasiens l'âge moyen dépasse la trentaine [ 1], [7], [20], [28 ]. Le sex-ratio (homme sur femme) varie en fonction de l'origine des patients, mais aussi de l'âge au moment du diagnostic [ 2], [7], [20], [28], [33 ], le nombre d'hommes étant supérieur aux extrêmes.
Les signes cardiaques vont être fonction de la localisation monoventriculaire ou biventriculaire de la fibrose [ 4], [20], [35], [52 ]. Les fibroses du coeur droit se caractérisent par des signes de stase veineuse et d'adiastolie droite, fréquemment associés à un épanchement péricardique. Il existe une ascite, un gros foie pulsatile, des veines jugulaires dilatées et pulsatiles, et un oedème malléolaire. L'auscultation révèle un troisième bruit protodiastolique et inconstamment un souffle d'insuffisance tricuspidienne. Les fibroses du ventricule gauche sont responsables de signes moins évocateurs, parfois trompeurs. Il s'agit, le plus souvent, d'une insuffisance ventriculaire gauche associée à des signes d'hypertension artérielle pulmonaire avec dédoublement du deuxième bruit et claquement de la composante pulmonaire. Un galop protodiastolique est présent, associé fréquemment à un souffle télésystolique, témoin d'un dysfonctionnement du muscle papillaire. Une insuffisance cardiaque droite complète très vite le tableau.
Les fibroses biventriculaires, les plus fréquentes, associent les caractéristiques des deux fibroses précédentes, mais avec une prédominance des signes droits et présence, dans 80 % des cas, d'un bruit de basse fréquence protodiastolique contemporain de la remontée du dip-plateau.
Enfin, des embolies systémiques sont possibles [ 27 ] et ce, quelle que soit l'origine de l'hyperéosinophilie [ 49 ].
Dans certains cas, le tableau clinique est trompeur : il peut simuler, par la présence de troubles du rythme supraventriculaire, une maladie de l'oreillette ; un épanchement préricardique abondant peut masquer la pathologie fibrosante endocardique ; chez l'enfant, les signes cardiologiques peuvent faire évoquer une maladie d'Ebstein ou, tout simplement, une valvulopathie mitrale rhumatismale.
Dans la grande majorité des cas, les investigations permettent de redresser le diagnostic, même si aucune d'entre elles n'est pathologique.

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Les signes électriques sont souvent peu spécifiques. Dans les formes droites, il existe très souvent un microvoltage, un sous-décalage du segment ST et des troubles du rythme auriculaire. La dépression horizontale du segment ST serait un signe précoce et apparaîtrait bien avant les troubles de l'onde P et l'hypertrophie ventriculaire [ 46 ]. Une hypertrophie auriculaire sans hypertrophie ventriculaire droite doit faire évoquer le diagnostic, surtout s'il s'y associe une onde Q profonde en V1-V2 [ 4 ]. Dans les formes gauches, il existe également un microvoltage associé le plus souvent à des signes d'hypertrophie ventriculaire et auriculaire gauche. Les troubles de la repolarisation et de la conduction sont possibles alors que les arythmies auriculaires sont moins fréquentes. Le caractère bilatéral de la fibrose endomyocardique n'entraîne pas de modifications électriques particulières.

Au cours des fibroses droites, il existe un débord de l'oreillette droite, parfois très important, un infundibulum dilaté sur le bord gauche du coeur, associés à des poumons clairs. Le coeur peut être augmenté de volume par la présence d'un épanchement péricardique. Des calcifications peuvent être visibles dans la région du ventricule droit. Les fibroses gauches entraînent une hypertrophie auriculaire et ventriculaire associée à des signes de surcharge pulmonaire. Des calcifications peuvent être notées à l'apex du ventricule [ 29 ]. Les fibroses biventriculaires associent les signes radiologiques ci-dessus.

L'échocardiographie TM et bidimensionnelle a bouleversé l'approche diagnostique et la surveillance des fibroses [ 1], [8], [23], [51 ]. Dans les formes droites, il existe une oblitération apicale associée à un mouvement paradoxal du septum, souvent en créneau, une dilatation de l'infundibulum et une ouverture prématurée de la valve pulmonaire [ 16], [51 ]. Des échos anormaux intraventriculaires peuvent être notés, voire des calcifications ventriculaires [ 1], [40 ]. Les fibroses gauches [ 17 ] se caractérisent par une oblitération apicale, une dilatation auriculaire et ventriculaire gauche, un mouvement septal en M, des échos anormaux intracavitaires et des signes d'hypertension artérielle pulmonaire. Un épaississement de l'appareil mitral est possible, ainsi qu'un remaniement de la valve mitrale postérieure [ 13], [17], [26], [51 ]. Un thrombus ventriculaire gauche [ 1], [26 ] et des calcifications [ 29 ] peuvent être visualisés. Enfin, un fluttering de la valve mitrale a été observé en l'absence de régurgitation [ 23 ]. Dans les formes bilatérales, la prédominance presque constante d'un côté va induire les principaux signes indirects, mais dans la majorité des cas, le septum a un aspect en créneau qu'il soit ou non paradoxal [ 16], [51 ].
Quelle que soit la localisation, des épanchements péricardiques sont fréquemment observés.
Signalons enfin, que des faux positifs et des faux négatifs sont possibles, en particulier en présence de thrombi [ 51 ].

Les fibroses entraînent un aspect caractéristique souvent caricatural des pressions [ 4], [18], [20], [51 ]. Dans les formes droites, il existe une égalité de pression entre le ventricule droit, l'oreillette droite et les veines caves avec un aspect en dip-plateau. Cet aspect est également retrouvé au niveau du pouls veineux jugulaire. Dans les formes gauches, l'aspect en dip-plateau peut être moins marqué, par contre, la pression diastolique de l'artère pulmonaire, la pression capillaire pulmonaire moyenne et les résistances pulmonaires sont constamment élevées. Au cours des formes bilatérales, un aspect en dip-plateau droit et gauche est possible (fig. 1). Le débit cardiaque, l'index cardiaque, le volume d'éjection systolique et l'index systolique sont presque constamment diminués [ 4], [20 ].

Angiographie [ 3], [6], [10], [23], [29], [51], [52 ]

Complémentaire de l'échocardiographie, elle permet de montrer dans les formes droites une amputation de l'apex, une dilatation de l'infundibulum et de l'oreillette droite, des lacunes et des irrégularités des contours ventriculaires et une insuffisance tricuspidienne (fig. 2). Au maximum, le sang peut passer directement de l'oreillette droite dans l'artère pulmonaire [ 6 ]. Des defects intra-atriaux sont possibles, témoins de la présence de thrombi intracavitaires. Dans les formes gauches, l'aspect le plus évolué est celui d'une image d'as de coeur de carte à jouer, associé à une insuffisance mitrale sévère et une dilatation de l'oreillette gauche (fig. 3). Les formes bilatérales associent les images angiographiques des fibroses dans des proportions variables en fonction de la prédominance. Comme l'échocardiographie, l'angiographie peut surestimer et/ou sous-estimer les lésions [ 8], [20], [51 ], mais aussi conduire à des erreurs diagnostiques [ 20], [21 ]. Seule l'intervention chirurgicale permettra le bilan exact. Pendant ces explorations invasives, des biopsies endomyocardiques peuvent être réalisées [ 11], [14], [22 ].



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Dans les pays tropicaux, la fibrose endomyocardique est responsable de 15 à 25 % des décès d'origine cardiaque. L'évolution est, dans tous les cas, spontanément défavorable, le décès survenant en moyenne 3 à 5 ans après le diagnostic [ 4], [12], [27 ]. Les malades meurent d'adiastolie sévère, d'accidents emboliques, d'oedème aigu du poumon ou de mort subite par trouble du rythme [ 4], [27 ]. Dans de rares cas, les malades décèdent d'endocardite infectieuse sur endocardite pariétale [ 22], [31], [39 ]. Les facteurs de mauvais pronostic sont pour Gupta [ 27 ] : une anémie, des accidents emboliques, un axe QRS supérieur à + 90°, des troubles de la conduction intraventriculaire, une classe NYHA III ou IV, un délai court entre les signes cliniques et le diagnostic, et enfin des pressions droites élevées.

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Le traitement médical est le plus souvent rapidement décevant. Les digitalodiurétiques peuvent apporter transitoirement une amélioration [ 38 ]. Les antiarythmiques s'imposent pour maintenir un rythme sinusal afin de préserver la fonction de remplissage de l'oreillette. L'intérêt des anticoagulants n'a pas été prouvé, mais il semble légitime de les prescrire compte tenu de la grande fréquence des thrombi à la surface de l'endocarde [ 20], [38 ]. Dans tous les cas, il est important de traiter l'hyperéosinophilie et/ou sa cause.

Les études comparant l'évolution sous traitement médical ou chirurgical [ 4], [31 ] montrent que la chirurgie transforme le pronostic des fibroses endomyocardiques [ 20 ]. La décortication a été réalisée pour la première fois par le Pr Dubost en 1971 [ 18 ] et est maintenant pratiquée dans le monde entier. Sous circulation extracorporelle, la totalité de l'endocarde fibreux est réséqué par voie transvalvulaire. L'appareil valvulaire est également réséqué, suivi d'un remplacement valvulaire [ 2], [10], [28], [32], [33], [35], [52 ]. Actuellement, lorsque les conditions techniques sont favorables, une plastie est toujours tentée [ 20], [32], [34], [52], [54 ]. Dans le même temps, une plastie auriculaire peut être effectuée [ 20 ]. Dans tous les cas, il s'agit d'une intervention lourde qui comprend, outre une décortication uni- ou biventriculaire, un geste valvulaire uni- ou bivalvulaire chez des malades dont le débit cardiaque est le plus souvent effondré en préopératoire. La mortalité reste donc élevée et varie en fonction des séries entre 16 et 33 % [ 2], [10], [19], [28], [31], [32], [33], [35 ]. Les suites opératoires sont donc, le plus souvent, marquées par des troubles de la conduction [ 20], [33], [35 ] et un bas débit cardiaque imposant des inotropes positifs. Malgré ces complications, la chirurgie a transformé le pronostic fonctionnel et vital de ces patients [ 2], [4], [10], [20], [27], [28], [31], [32 ]. La seule contre-indication formelle est la présence d'une ascite récidivante avec fibrose hépatique histologique [ 4 ]. La présence en préopératoire d'une hyperéosinophilie ne contre-indique pas la chirurgie [ 12], [20 ]. Sa persistance en postopératoire ne semble pas donner lieu, en dehors de trois cas publiés [ 2], [52 ], à une récidive du processus fibrosant [ 12], [20], [33 ].

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