Embolies de cholestérol



Christian François Jacquot: Professeur des Universités, praticien hospitalier
Service de néphrologie, hôpital Broussais, 96, rue Didot, 75674 Paris cedex 14 France
Xavier Belenfant: Chef de clinique-assistant
Jérome Rossert: Ancien chef de clinique-assistant
11-620-A-10 (1996)



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Plan

Introduction
Physiopathologie et anatomopathologie
Description clinique
Traitement
Conclusion

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La migration de cristaux de cholestérol à partir de plaques athéroscléreuses ulcérées est un phénomène fréquent. Les séries autopsiques rapportent une incidence de 0 à 4 % dans la population générale, de 30 % chez les patients atteints d'un athérome aortique grave et ayant subi une aortographie dans les 6 mois précédents, de 77 % après chirurgie d'anévrisme de l'aorte abdominale avec un sex-ratio de 1 [in [ 7], [8], [32 ]]. Paradoxalement, les manifestations cliniques des embolies de cholestérol sont infiniment moins fréquentes et surviennent principalement chez l'homme. Elles sont potentiellement gravissimes et trop souvent méconnues. Une revue de la littérature anglo-saxonne publiée en 1987 [ 11 ] en dénombre 221 observations mais la plupart des séries en comportent moins de 15.
Les raisons pour lesquelles les manifestations cliniques des embolies de cholestérol ne sont observées que dans un infime pourcentage de patients qui en sont atteints et principalement chez les hommes, ne sont pas clairement identifiées. Il est évident que les symptômes sont très souvent ignorés ou attribués à un tout autre mécanisme. Il est probable que seules les embolies les plus brutales et les plus massives sont reconnues du vivant du malade. Les autres plus progressives passent inaperçues ou leurs manifestations sont rattachées arbitrairement à une autre cause.
La pratique de plus en plus fréquente, chez des sujets âgés très athéromateux, d'angiographies, d'angioplasties percutanées et d'interventions chirurgicales sur l'aorte et le coeur comporte selon toute vraisemblance un risque accru d'embolies de cholestérol graves. Il importe d'en connaître les symptômes et la gravité, mais surtout, le terrain sur lequel elles surviennent et les facteurs déclenchants.

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Le centre des plaques athéromateuses est constitué par un matériel comprenant des cristaux lipidiques lancéolés, des dépôts fibrinoïdes et des débris cellulaires, la périphérie par une coque fibreuse. La plaque athéromateuse est dite ulcérée lorsque l'endothélium qui la recouvre a disparu. Cette ulcération peut survenir spontanément ou à l'occasion d'une agression directe, cathétérisme de la lumière artérielle, manipulations ou clampage chirurgical, ou canulation aortique pour circulation extracorporelle. Le matériel contenu dans la plaque est alors en contact avec le torrent circulatoire, et peut être entraîné par celui-ci avant d'être bloqué en travers des artérioles de 100 à 200 m de diamètre, la taille des cristaux de cholestérol empêchant la plus grande partie d'entre eux d'aller au-delà [in [ 19 ]]. Mais certains atteignent occasionnellement les capillaires. Ces ulcérations, exposant le sous-endothélium qui contient des substances proagrégeantes et procoagulantes, peuvent se recouvrir de plaquettes puis d'un thrombus. Ce thrombus, souvent peu épais et peu organisé, isole la plaque athéromateuse de la circulation et prévient ou arrête la migration des cristaux [ 4 ]. Il est donc possible qu'un traitement anticoagulant ou fibrinolytique déclenche ou perpétue cette migration.
Des modèles expérimentaux ont permis d'analyser la séquence des événements histologiques survenant après une embolie de cristaux de cholestérol [in [ 19 ]]. Dans les 24 à 48 heures, un grand nombre de cellules mononucléées et de cellules géantes affluent au contact des cristaux. Celles-ci sont inconstamment accompagnées de polynucléaires éosinophiles. Une thrombose de la lumière et un embrochement de l'endothélium par un cristal peuvent être observés. Au-delà de la 48e heure surviennent une prolifération endothéliale et une fibrose intravasculaire. Les cristaux résistent à l'action des cellules macrophagiques et peuvent rester visibles pendant au moins 9 mois.
Les mêmes lésions sont observées en pathologie humaine [in [ 19], [33 ]]. Les cristaux de cholestérol siègent dans les lumières artérielles et se présentent comme des fentes biconvexes en forme d'aiguilles optiquement vides, ou biréfringentes en lumière polarisée, selon que le fixateur utilisé est un solvant des graisses ou non. Ils peuvent être isolés ou en amas. Dans le rein, viscère le plus souvent atteint, ils sont bloqués dans les artères arquées et interlobulaires. Exceptionnellement, certains peuvent atteindre les capillaires glomérulaires. Des macrophages, des cellules géantes et souvent des polynucléaires, dont des éosinophiles, affluent au contact des cristaux (fig 1). A un stade tardif, les cellules inflammatoires sont remplacées par de la sclérose mais les " fantômes " des cristaux restent visibles. La lumière vasculaire peut être obstruée par un thrombus. Une nécrose de la paroi artériolaire et, dans les glomérules, une prolifération extracapillaire [ 28 ] sont occasionnellement observées. L'ensemble de ces lésions réalise une véritable angéite ce qui explique le terme d'" angéite cholestérolique " utilisé par certains.

Les embolies de cholestérol et les éventuelles thromboses entraînent une ischémie ou une nécrose tissulaire d'aval responsables d'une partie des symptômes ; mais d'autres sont vraisemblablement liés à la réaction inflammatoire qui se développe au contact des cristaux. Les macrophages possèdent des récepteurs pour les lipoprotéines ayant une affinité toute particulière pour les low density lipoproteins (LDL) modifiées, acétylées ou oxydées. Celles-ci entraînent une vasoconstriction pouvant expliquer les fluctuations du livedo, mais aussi l'activation de lymphocytes T, l'attraction et l'activation de macrophages et l'expression par la cellule endothéliale du facteur tissulaire de la coagulation. Les macrophages activés sécrètent des cytokines dont les deux principaux représentants sont le tumor necrosis factor (TNF) et l'interleukine 1 [in [ 29 ]]. Dans les embolies de cholestérol disséminées, l'importance du recrutement et de l'activation macrophagique est très probablement responsable d'une production considérable de cytokines qui amplifient la réponse inflammatoire et participent, au moins en partie, à l'importance de l'altération de l'état général. Le complément peut être activé in vitro par le matériel extrait des plaques athéromateuses humaines. Un abaissement transitoire du C3 a été mis en évidence dans l'angéite cholestérolique expérimentale du rat [ 9 ]. Chez l'homme, les plaques athéromateuses contiennent du C3 et la séquence terminale d'activation C5 b9 [ 30 ]. Cette activation du complément, probable même si l'hypocomplémentémie est exceptionnelle chez l'homme, pourrait favoriser les thromboses, expliquer l'hyperéosinophilie, le C5 étant un facteur chémotactique pour les éosinophiles, et participer à l'amplification de la réaction inflammatoire.

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Les manifestations cliniques des embolies de cholestérol sont observées chez des sujets âgés de plus de 50 ans (âge moyen 66 ans) principalement de sexe masculin (sex-ratio : 3,5/1), fumeurs, de race blanche dans plus de 90 % des cas, porteurs d'un athérome préalablement symptomatique dans plus de 70 % des cas et touchant habituellement plusieurs territoires : artérite des membres inférieurs (33 %), cardiomyopathie ischémique (66 %), anévrisme de l'aorte (40 %), accident vasculaire cérébral (30 %). 72 % des malades sont hypertendus et la moitié des hypertendus souffrent d'insuffisance ventriculaire gauche [ 11], [15 ].

Les embolies de cholestérol peuvent survenir spontanément. Elles se manifestent beaucoup plus souvent après un ou des facteurs déclenchants : cathétérisme artériel surtout s'il y a une angioplastie [ 8], [14], [27 ], chirurgie cardiaque et chirurgie artérielle [ 11], [23 ], traitement anticoagulant [ 17 ] ou fibrinolytique [ 2 ]. Plusieurs facteurs déclenchants sont réunis sur une courte période chez certains malades sans qu'il soit possible de déterminer le principal responsable. Aucune observation n'a encore été publiée après mise en place d'une contre-pulsion aortique.
Le délai entre le facteur déclenchant et la découverte des embolies de cholestérol varie de quelques minutes à plusieurs mois. Habituellement très bref après un clampage aortique, il est de 29 +/- 24 jours après angiographie et de 90 +/- 75 jours après l'initiation d'un traitement anticoagulant [ 2], [15 ].
Lorsque l'intervalle libre est long, le facteur déclenchant est souvent méconnu et le diagnostic retardé, voire erroné. Les embolies de cholestérol sont rarement mentionnées parmi les complications des aortographies et des angioplasties coronaires et rénales.

Les embolies de cholestérol peuvent toucher tous les organes. Lorsque le point de départ est une branche de l'aorte, seul le territoire d'aval est touché. Lorsqu'il s'agit de l'aorte, tous les organes peuvent être lésés ; le risque d'atteinte encéphalique et coronarienne serait plus élevé lorsque l'aorte thoracique est concernée.

Atteintes cutanées
Les atteintes cutanées sont les plus apparentes [ 3], [10 ]. Elles se manifestent par " les orteils pourpres " et un livedo. L'aspect des orteils pourpres est réalisé par une ou plusieurs plaques pourpres installées sur la face plantaire des orteils. Elles peuvent intéresser aussi le bord externe des pieds et le talon. Elles régressent en quelques jours à quelques semaines. Certaines évoluent vers la nécrose et lorsqu'elles sont nombreuses ou coalescentes conduisent à une ou des amputations.
Les nécroses cutanées, habituellement limitées et distales, se traduisent par des placards indurés, douloureux, noirâtres, pouvant s'ulcérer. En l'absence d'artérite, les pouls périphériques sont perçus puisque seules les artérioles sont oblitérées. Des douleurs intenses, plus ou moins soulagées par la position déclive, précèdent et accompagnent souvent ces lésions. Un livedo réticulaire, ou plus rarement diffus, est fréquent. Il prédomine aux genoux et aux cuisses. Il peut toucher le tronc et les fesses, exceptionnellement le thorax et les membres supérieurs. Il s'accompagne volontiers de myalgies dans le même territoire. Des nodules dermohypodermiques et un purpura pétéchial sont possibles.
Les lésions cutanées, et tout particulièrement le livedo, évoluent sur des jours, des semaines ou des mois au gré d'éventuels nouveaux épisodes emboliques et de la situation hémodynamique. Elles peuvent être totalement absentes ou n'intéresser que le tronc, en particulier lorsque les axes artériels des membres inférieurs sont occlus. Leur pronostic est habituellement favorable.

Atteinte musculaire
Les embolies musculaires, très fréquentes, se manifestent par des myalgies. Celles-ci sont intenses et permanentes, responsables d'insomnie, ou n'apparaissent qu'après une courte marche. Les enzymes musculaires peuvent être augmentées.

Atteintes viscérales
Ce sont les lésions viscérales qui font toute la gravité des embolies de cholestérol. Tous les organes peuvent être atteints et par ordre de fréquence les reins, la rate, le pancréas, et le tube digestif.

Atteinte rénale
Les embolies de cholestérol surviennent sur des anomalies rénales préexistantes. Dans une série néphrologique de 20 cas [ 15 ], la fonction rénale était préalablement altérée dans 90 % des cas (moyenne des créatinines sériques : 178 +/- 60 mol/L). Cette insuffisance rénale est expliquée par une néphroangiosclérose, d'éventuelles embolies antérieures passées inaperçues et des lésions athéromateuses des artères rénales présentes dans 45 % des cas : sténose unilatérale avec thrombose controlatérale, sténose bilatérale, sténose ou thrombose unilatérale [ 24 ]. Pendant ou au décours des embolies et à l'admission en néphrologie, le taux de la créatinine sérique est de 500 +/- 210 mol/L. Le recours à l'épuration extrarénale est nécessaire dans 50 % des cas ; dans les autres cas, la créatinine sérique culmine à 560 +/- 190 mol/L au terme d'une phase d'aggravation qui dure en moyenne 40 jours, avant de redescendre sur plusieurs mois à des valeurs restant pathologiques [ 14], [23], [32 ]. La protéinurie, facultative, est inférieure à 3 g/j dans 90 % des cas. Une hématurie microscopique est observée dans 20 % des cas. Une hypertension artérielle est présente dans 75 % des cas. Elle est d'autant plus mal tolérée que l'insuffisance rénale est plus grave et la fonction myocardique antérieurement altérée. Ainsi, elle s'accompagne d'une défaillance ventriculaire gauche dans 75 % des cas, d'hémorragies, d'exsudats et d'oedème papillaire à l'examen du fond d'oeil dans 30 % des cas. L'hypertension artérielle peut disparaître lorsque la défaillance ventriculaire gauche est majeure.
Ce tableau d'insuffisance rénale rapidement progressive accompagnée de signes extrarénaux, est un reflet fidèle des différentes observations de la littérature [ 22 ]. Mais les embolies rénales de cholestérol peuvent aussi se manifester par une insuffisance rénale chronique d'aggravation rapide, isolée, sans signes extrarénaux patents. Dans cette présentation, si la biopsie rénale n'est pas effectuée, le diagnostic est méconnu. Le pronostic vital de ces formes indolentes serait moins péjoratif [ 12 ].

Atteinte neurologique
Une atteinte du système nerveux central est observée dans environ 15 % des cas [ 11 ]. Il s'agit de syndromes confusionnels, plus rarement de déficits focaux permanents ou transitoires, de crises convulsives, d'une amaurose fugace [ 1 ], mais aussi d'atteintes médullaires d'installation brutale avec paraplégie habituellement définitive [ 14 ]. Mono- et multinévrites sont exceptionnelles [ 3 ]. Enfin, divers syndromes médullaires progressifs ont été attribués à des embolies de cholestérol chez les sujets âgés [ 31 ].

Atteinte digestive
Les localisations digestives sont les plus fréquentes après les atteintes cutanées et rénales, mais pas toujours symptomatiques. Elles se manifestent par des douleurs abdominales avec troubles du transit, des ulcérations gastroduodenales, des hémorragies digestives rarement très abondantes, des infarctus intestinaux souvent mortels [ 16 ]. L'endoscopie visualise un piqueté hémorragique de la muqueuse, et les biopsies, occasionnellement, des embolies de cholestérol [ 34 ]. Elles participent probablement à la dénutrition de certains malades. L'atteinte pancréatique est de gravité variable, simple élévation enzymatique, douleurs épigastriques, plus rarement pancréatite aiguë grave [ 25 ]. L'atteinte splénique, très fréquente histologiquement, est asymptomatique.

Atteinte myocardique
Sa fréquence dans une série autopsique est de 20 % après cathétérisme cardiaque gauche et coronarographie [ 26 ]. Elle survient souvent sur un myocarde préalablement altéré. Ses conséquences se surajoutent à celles de l'hypertension artérielle et de l'hypervolémie induites par l'atteinte rénale. Des épanchements péricardiques ont été décrits.

Atteinte pulmonaire
Une hémorragie alvéolaire a été signalée dans au moins trois observations, sans que le mécanisme de celle-ci ait été précisé [ 3 ].

Atteinte rétinienne
Des embolies de cholestérol rétiniennes sont trouvées dans 12 % des cas de la série de Fine [ 11 ]. L'examen du fond d'oeil devrait donc être systématique chez tout patient suspect. De telles embolies peuvent être occasionnellement observées en dehors de toute autre manifestation systémique. Les patients concernés ont un risque relatif d'accident vasculaire cérébral ischémique non mortel de 10 par rapport à un groupe contrôle apparié pour les autres facteurs de risque d'accident vasculaire cérébral [ 5 ].

Altération de l'état général
Presque constante, elle est souvent au premier plan du tableau clinique. Un amaigrissement supérieur à 10 kg est d'observation courante. Il peut être partiellement masqué par des oedèmes en cas d'insuffisance rénale. Une fièvre est fréquente.

Les examens biologiques ne sont d'aucune aide au diagnostic. Un syndrome inflammatoire est habituel avec augmentation du fibrinogène et inconstamment de la C reactive protein (CRP). Une hyperleucocytose supérieure à 10 000 est relevée dans 35 % des cas, une hyperéosinophilie supérieure à 500/mm3 dans 40 % des cas. L'éosinophilie dépasse rarement 1 500/mm3 [ 15], [18 ].
L'hypocomplémentémie est exceptionnelle [ 9], [15 ]. La cholestérolémie est normale chez la plupart des malades au moment du diagnostic.

La présentation des embolies de cholestérol est protéiforme.
Le début peut être brutal et le tableau clinique immédiatement gravissime avec livedo et nécroses cutanées disséminées prédominant sur la moitié inférieure du corps, oligoanurie, infarctus mésentérique, encéphalopathie et syndrome de défaillance multiviscérale dans lequel l'hypertension artérielle est remarquable. La cause habituelle est un clampage aortique au cours d'une intervention sur le coeur ou l'aorte, plus rarement une angioplastie. La symptomatologie apparaît quelques minutes ou heures après. Le malade décède très rapidement ; le diagnostic est souvent méconnu.
Dans d'autres cas, les symptômes ne s'installent qu'insidieusement et s'aggravent lentement sur des semaines ou des mois. Ils associent diversement une altération progressive de l'état général, la majoration d'une hypertension artérielle préexistante, des orteils pourpres et un livedo des membres inférieurs passant inaperçus ou rattachés à une artérite banale, des oedèmes pulmonaires répétés, des troubles digestifs et des troubles psychiques.
Ailleurs enfin, les symptômes sont essentiellement rénaux : insuffisance rénale rapidement progressive avec hypertension artérielle mal tolérée dont seule la biopsie rénale déterminera la cause.
Ces deux derniers tableaux sont ceux que l'on observe le plus souvent dans les embolies de cholestérol spontanées et les embolies secondaires aux angiographies et aux traitements anticoagulants.

L'ensemble livedo réticulaire, orteils pourpres, insuffisance rénale avec hypertension artérielle d'aggravation récente survenant chez un sujet athéromateux de plus de 60 ans, est très évocateur du diagnostic. La notion d'un facteur déclenchant rend ce diagnostic presque certain. Il n'est sans doute pas indispensable pour l'affirmer d'effectuer une biopsie dont les risques ne sont pas toujours négligeables sur ce terrain (non-cicatrisation d'une biopsie cutanée, hématome après biopsie rénale).
Si le facteur déclenchant est absent ou méconnu, d'autres hypothèses sont soulevées : une occlusion d'un ou de plusieurs axes artériels, dont on ne connaît pas l'ancienneté, peut faire évoquer des embolies cruoriques. D'autres angéites nécrosantes peuvent être discutées : périartérite noueuse macroscopique, périartérite noueuse microscopique, cryoglobulinémies essentiellement. Mais le sérum ne contient ni cryoglobuline ni anticorps anticytoplasme des polynucléaires (ANCA). Le danger serait ici de réaliser des artériographies à la recherche de lésions évocatrices de périartérite noueuse qui comporteraient un risque de nouvelles migrations. Il est possible, au cours de la périartérite noueuse microscopique qui atteint volontiers les sujets âgés, de découvrir fortuitement des embolies de cholestérol sur une biopsie. Elles ne doivent pas faire remettre en cause le diagnostic. Le syndrome primaire ou secondaire des antiphospholipides peut être responsable de symptômes, notamment cutanés, peu différents et l'athéromatose être associée à la présence, dans le sérum, d'anticorps anticardiolipides [ 20 ]. Le diagnostic différentiel avec la migration de végétations d'une endocardite ou de fragments d'un myxome de l'oreillette gauche ne se pose pas en pratique
En revanche, la confusion avec l'insuffisance rénale aiguë aux produits de contraste reste très fréquente, bien que la symptomatologie en soit tout à fait différente : survenue brutale dans les 48 heures suivant l'examen, régression rapide, absence d'hypertension artérielle et de signes extrarénaux.
Lorsque les signes cutanés manquent, ce qui est fréquent, et devant une insuffisance rénale rapidement évolutive avec hypertension artérielle mal tolérée, le diagnostic habituellement retenu est celui de néphroangiosclérose maligne.
Dans tous ces cas, le diagnostic de certitude repose sur la constatation d'éventuelles embolies de cholestérol rétiniennes et sur les données d'une biopsie cutanée, musculaire, rénale ou plus rarement digestive, voire sur l'examen histologique d'une tranche d'amputation. Le prélèvement doit être de taille suffisante et examiné en totalité. Il peut être nécessaire d'effectuer plusieurs biopsies.

La mortalité des embolies de cholestérol est de 80 % dans une revue des cas observés entre 1965 et 1985 [ 11 ]. Elle est le fait d'une défaillance polyviscérale, en particulier cardiaque et rénale. Dans une série néphrologique plus récente, la survie actuarielle des malades est de 59 % à 2 ans, la survie rénale de 25 % à 7 mois et de 12 % à 2 ans. Le décès est survenu brutalement à domicile dans 20 % des cas, après embolies digestives et médullaires chez les autres [ 15 ]. La dépendance à l'épuration extrarénale ne modifie pas significativement la survie des malades. Certains malades peuvent être sevrés de dialyse après 1 à 6 mois [ 15], [22], [23 ].

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Le traitement des embolies constituées est purement symptomatique dans la majorité des cas.

Un traitement vasodilatateur doit assurer un contrôle parfait de la pression artérielle et optimal de l'insuffisance ventriculaire gauche. Les inhibiteurs de l'enzyme de conversion méritent d'être utilisés malgré l'insuffisance rénale en raison de leur efficacité sur l'hypertension artérielle et l'insuffisance cardiaque. L'association d'anticalciques, de dérivés nitrés et de diurétiques de l'anse est presque toujours nécessaire, le recours au minoxidil parfois indispensable. La correction d'une sténose de l'artère rénale par angioplastie est contre-indiquée.
L'évolution sur des semaines ou des mois indique souvent une alimentation entérale continue ou, si elle est mal tolérée, une alimentation parentérale pour maintenir l'état nutritionnel. La symptomatologie douloureuse, qui contribue à l'altération de l'état général, doit être soulagée efficacement. Les morphiniques peuvent être indispensables.
L'ischémie des téguments oblige à une prévention optimale des escarres, tout particulièrement au niveau des talons.
L'épuration extrarénale sera instituée, quel que soit le taux de la créatinine sérique, dès que l'hypervolémie n'est plus maîtrisable par la restriction hydrique et les diurétiques. Il ne faut pas attendre la survenue d'un oedème aigu du poumon.
Si l'épuration extrarénale est nécessaire, elle peut utiliser l'hémodialyse ou la dialyse péritonéale continue qui a l'avantage d'éviter toute héparinothérapie. Si l'hémodialyse est choisie, l'anticoagulation du circuit extracorporel doit être évitée ou minime. Dans tous les cas, dès le diagnostic posé, l'évolution de l'insuffisance rénale étant imprévisible, il faut préserver le capital artériel et veineux d'un membre supérieur dont l'intégrité est nécessaire à la confection d'une fistule artérioveineuse.
La colchicine et la corticothérapie sont susceptibles d'atténuer les manifestations générales et la douleur. La posologie de colchicine doit être adaptée à la fonction rénale. La corticothérapie à fortes doses (1 mg/kg/j), préconisée par certains, comporte des risques importants chez ces malades dénutris. Mais l'administration de doses plus faibles (1/3 mg/kg/j) peut être suivie d'une amélioration rapide et spectaculaire des symptômes. En l'absence d'amélioration clinique franche dans la première semaine de traitement, celui-ci doit probablement être interrompu. Les indications de la corticothérapie restent à définir. Elle paraît devoir être réservée aux formes gravement symptomatiques ; mais l'insuffisance rénale ne semble pas en elle-même constituer une indication.

L'arrêt définitif et immédiat d'un traitement anticoagulant est obligatoire. Il permet d'espérer le recouvrement de la plaque ulcérée par un thrombus et l'arrêt des migrations emboliques [ 6 ].
Dans les cas exceptionnels d'embolies localisées à un membre survenant au décours d'un geste endoartériel n'ayant intéressé qu'une branche de l'aorte, l'éradication chirurgicale de la plaque d'athérome est possible et peut être indiquée.
Dans les cas, beaucoup plus fréquents, où le point de départ est aortique, l'éradication de celui-ci n'est, dans la grande majorité des cas, pas envisageable ; il est en effet impossible de repérer avec certitude parmi de nombreuses plaques disséminées sur toute la hauteur de l'aorte, la ou les plaques responsables. L'acte chirurgical comporterait de plus un risque majeur de récidive de la migration de cristaux et d'aggravation des lésions viscérales préexistantes. Toutefois, il peut être couronné de succès dans des circonstances exceptionnelles ou tenté lorsqu'un volumineux anévrisme de l'aorte sous-rénale oblige à intervenir, et que l'athérome prédomine sur l'aorte abdominale. On peut l'associer alors à la correction d'une éventuelle sténose de l'artère rénale.
Lorsque les embolies ne cessent pas et menacent le pronostic vital en raison des douleurs, de la gravité de l'ischémie des membres inférieurs et de l'altération de l'état général, une ligature des artères iliaques avec pontage axillobifémoral peut avoir des résultats spectaculaires, en supprimant l'embolisation dans les membres inférieurs, et en diminuant le flux aortique et sans doute l'alluvionnage à partir des plaques ulcérées. Mais les indications restent imprécises. L'intervention, si elle est décidée, doit être précoce [ 13 ].

Devant l'impossibilité d'interrompre le processus embolique, le seul traitement des embolies de cholestérol est préventif. Il se limite à éviter les facteurs déclenchants chez les hommes de plus de 50 ans porteurs d'un athérome touchant plusieurs territoires, a fortiori s'ils ont une insuffisance rénale. Sur ce terrain, les indications d'un traitement anticoagulant doivent être soigneusement pesées en fonction du risque d'embolies de cholestérol ; les cathétérismes de l'aorte ne doivent être effectués qu'après avoir épuisé les possibilités d'explorations moins invasives. Les indications d'une aortographie, d'une coronarographie, d'une angioplastie, d'un geste de chirurgie cardiaque ou aortique, d'une circulation extracorporelle ne devraient être posées qu'après en avoir évalué les risques par une analyse précise des lésions athéromateuses. L'échographie, l'échographie-doppler, le scanner, l'angioRMN permettent cette analyse, l'échographie transoesophagienne étant très utile pour détecter dans l'aorte thoracique, avant angioplastie coronaire ou chirurgie cardiaque, les plaques d'athérome menaçantes. Le geste à risque sera confié à un opérateur averti, apte à choisir les modalités techniques les moins hasardeuses (voie d'abord axillaire pour une coronarographie, utilisation de sondes souples, limitation des manoeuvres dans la lumière aortique, etc). Les anticoagulants seront dans toute la mesure du raisonnable proscrits pendant et au décours de ce geste.

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L'inflation récente des publications sur les embolies de cholestérol illustre le fait que longtemps considérées comme des curiosités pour anatomopathologistes travaillant sur des pièces d'autopsie, celles-ci constituent désormais une affection grave et relativement fréquente dans la population grandissante des sujets âgés et athéromateux, soumis à la radiologie cardiovasculaire d'investigation et interventionnelle ainsi qu'à la chirurgie cardiaque et vasculaire. De plus des insuffisances rénales terminales attribuées arbitrairement en l'absence de documents histologiques à une néphroangiosclérose sont provoquées au moins en partie par des embolies rénales de cholestérol. La mortalité liée à l'ischémie tissulaire et au syndrome inflammatoire dont elles sont responsables peut être réduite par une prise en charge multidisciplinaire tout particulièrement néphrologique, le rein étant l'organe le plus touché et la dialyse bien souvent indispensable mais pas toujours définitive. Un diagnostic précoce est requis pour que soit évité tout nouveau facteur déclenchant ou pérennisant le processus embolique, et mis en place un traitement symptomatique permettant de maintenir en vie le malade en attendant l'arrêt du processus embolique. Dans ces conditions, la mortalité à 2 ans peut être réduite de 80 à 50 % environ, mais le pronostic rénal reste désastreux chez les malades initialement tributaires de l'épuration extrarénale. Bien que la prévalence des embolies de cholestérol reste relativement faible, leurs conséquences sont si graves que les indications et les modalités des traitements et des gestes risquant de les déclencher doivent être discutées avec une grande précision chez les malades âgés polyathéromateux.

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