Maladie rythmique des oreillettes



Michel Chauvin: Professeur des Universités
hôpital de Hautepierre, avenue Molière, 67098 Strasbourg cedex France
11-034-C-10 (1998)



Résumé

La maladie rythmique des oreillettes est l'association anarchique et aléatoire d'épisodes de bradycardies sinusales et de tachycardies supraventriculaires séparées par des phases de rythme sinusal. La tachycardie la plus fréquente est la fibrillation atriale. L'évolution peut se compliquer d'un passage à la chronicité d'un trouble du rythme. Elle peut aussi se compliquer de troubles conductifs auriculoventriculaires ou d'embolies systémiques.
Le traitement associe une prévention des tachycardies supraventriculaires par un traitement médicamenteux antiarythmique et une stimulation cardiaque permanente impliquant obligatoirement de stimuler les oreillettes.

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Plan

Introduction
Définition
Aspects électrocardiographiques
Particularités cliniques
Diagnostics différentiels
Évolution
Traitements

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On a observé, depuis longtemps, l'association possible chez une même personne d'épisodes de bradycardies et de tachycardies d'origine supraventriculaire [ 11 ]. Bouvrain, en 1967, décrit cette association comme une " véritable maladie de l'oreillette " [ 2 ]. Mais c'est à Slama et al [ 14 ] que revient le mérite d'individualiser cette entité clinique et électrocardiographique particulière qu'ils ont appelée " la maladie rythmique auriculaire ". Cette description est devenue princeps et souligne les imprécisions et les inexactitudes que l'appellation nouvelle " syndrome bradycardie-tachycardie ", d'inspiration anglo-saxonne, a parfois introduites.
Il est difficile de savoir si la maladie rythmique auriculaire est une entité particulière avec une évolution qui lui est propre, ou s'il s'agit tout simplement de la " juxtaposition " apparemment fortuite d'une déficience sinusale et de tachycardies auriculaires.

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La maladie rythmique auriculaire se caractérise par l'apparition spontanée (c'est-à-dire sans intervention médicamenteuse), d'épisodes de bradycardies sinusales et de tachycardies supraventriculaires, survenant parfois en alternance, le plus souvent séparés par des phases plus ou moins longues de rythme sinusal normal. Ces troubles du rythme n'ont apparemment aucun rapport entre eux et se produisent " de façon anarchique et aléatoire " [ 13 ].
Cette dernière caractéristique est essentielle au diagnostic, bien que souvent oubliée dans les descriptions du syndrome bradycardie-tachycardie.

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Bien souvent, l'électrocardiogramme enregistré à l'occasion d'une symptomatologie fonctionnelle d'appel est strictement normal. Ailleurs, il ne montre fréquemment qu'une seule anomalie à la fois (bradycardie ou tachycardie), et la répétition des tracés va permettre de montrer l'alternance des différentes arythmies. Mais c'est surtout l'examen Holter qui prend ici une place essentielle : non seulement il offre la possibilité de prouver l'existence des troubles rythmiques, mais il permet encore de préciser le déroulement et l'enchaînement des différents épisodes et de les rapporter aux éventuels symptômes.
Les bradycardies sont le fait d'une déficience sinusale [ 8 ]. Ce sont des épisodes de blocs sino-auriculaires de tous degrés, des arrêts sinusaux, des bradycardies sinusales plus ou moins prolongées [ 5 ].
Les tachycardies sont dans 80 % des cas environ une fibrillation auriculaire. Dans les autres cas, ce sont des tachycardies jonctionnelles intranodales, plus rarement un flutter ou une tachycardie atriale.
En elles-mêmes, bradycardies et tachycardies n'ont aucune particularité spécifique à la maladie rythmique auriculaire. C'est leur coexistence entre elles tout autant qu'avec des phases plus ou moins prolongées de rythme sinusal qui fait leur originalité et définit la maladie.

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La maladie rythmique auriculaire se rencontre avec la même fréquence dans les deux sexes.
L'âge où la maladie est généralement diagnostiquée est difficile à préciser. En effet, s'agissant d'une affection à multiples traductions électrocardiographiques, une arythmie peut n'avoir aucun retentissement fonctionnel et rester alors méconnue.
Très peu d'observations anatomiques ont été faites pour rechercher l'existence d'un substrat responsable des anomalies rythmiques. Certes, on peut imaginer que l'observation d'une dégénérescence fibreuse conforte certaines hypothèses physiopathologiques, mais on connaît l'extrême difficulté à prouver que des aspects histologiques, surtout peu spécifiques et très fréquents au-delà d'un certain âge, sont responsables d'anomalies électrocardiographiques. C'est pourquoi il convient d'être prudent et critique si l'on rapporte que près de 66 % des patients atteints d'une maladie rythmique auriculaire ont une cardiopathie sous-jacente (hypertension artérielle surtout, insuffisance coronarienne quel que soit son stade évolutif, cardiomyopathie dilatée) ; 34 % des cas apparaîtraient donc " primitifs ".
La symptomatologie fonctionnelle de la maladie rythmique auriculaire comporte toujours, à un moment quelconque de son évolution et généralement très tôt, des palpitations. Elles amènent le plus souvent à consulter. Elles sont le fait des accès tachycardiques qui se manifestent peu souvent par des syncopes ou des lipothymies. Ces dernières sont plus fréquemment la conséquence des épisodes bradycardiques et surviennent dans deux tiers des cas. Des accidents neurologiques révèlent la maladie dans 17 % des cas environ, justifiant la recherche de cette entité devant tout accident vasculaire cérébral resté sans étiologie. Il est rare enfin que la maladie se traduise par un angor (fonctionnel sur tachycardie) ou une asthénie.

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La description précise de la maladie rythmique auriculaire, telle qu'elle est faite dans la publication princeps, permet d'exclure de ce cadre nosologique plusieurs autres diagnostics.

- Les bradycardies observées à l'arrêt d'une tachycardie. Il est très fréquent d'observer, lorsqu'une tachycardie supraventriculaire cesse, une pause plus ou moins longue, parfois même plusieurs pauses, ou encore une bradycardie sinusale ou un échappement jonctionnel transitoire. Cette bradycardie post-tachycardique est parfois à l'origine de symptômes (lipothymies, voire syncopes), mais ne rentre pas dans le cadre de la maladie rythmique auriculaire où les épisodes arythmiques sont apparemment indépendants les uns des autres. Dans ce type de " syndrome tachycardie-bradycardie ", il n'est pas besoin d'implanter un stimulateur cardiaque puisqu'un simple traitement antiarythmique efficace prévient les tachycardies et par conséquent les bradycardies.
- Les arythmies déclenchées à l'occasion d'extrasystoles auriculaires réalisant des séquences périodes courtes - périodes longues, propices dans certaines circonstances à l'apparition de tachycardies supraventriculaires. Le traitement des extrasystoles par des antiarythmiques permet d'éviter les pauses compensatrices et prévient les tachycardies.
- Les tachycardies auriculaires apparaissant à la faveur d'un ralentissement de la fréquence sinusale dans un contexte vagal et qu'il est possible de prévenir par l'implantation d'un stimulateur cardiaque.
- Enfin, la définition même de la maladie rythmique auriculaire exclut d'emblée toute bradycardie survenant en raison d'un traitement antiarythmique administré pour prévenir des arythmies atriales.
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L'évolution de la maladie rythmique auriculaire peut se faire sur de très nombreuses années (Slama a décrit des évolutions se faisant sur plus de 30 ans). Les grands progrès des thérapeutiques médicamenteuses et électriques ont actuellement transformé cette évolution. Dans un grand nombre de cas, il est possible de constater le passage à la chronicité d'une arythmie jusqu'alors paroxystique. S'il s'agit d'une bradycardie sinusale, le patient devient totalement dépendant d'une stimulation définitive que l'on n'aura pas manqué d'implanter auparavant. Mais le plus souvent, lorsqu'une tachycardie devient permanente, il s'agit d'une fibrillation atriale dont l'évolution habituelle est alors celle de bien des fibrillations atriales observées en dehors même de toute maladie rythmique auriculaire. Ce passage à la chronicité peut d'ailleurs survenir, bien que plus rarement, après un long passé d'épisodes paroxystiques de flutter atrial, surtout lorsqu'une tentative d'ablation endocavitaire du flutter a été tentée [ 5], [10 ]. Une modalité particulière de l'évolution de la maladie rythmique auriculaire est l'apparition et l'aggravation de troubles conductifs. Les épisodes de bradycardie sinusale ou de tachycardie supraventriculaire reflètent probablement une atteinte histologique diffuse qui peut également affecter les voies de conduction atrioventriculaires. De fait, on sait que la maladie du sinus se complique dans 8,4 % des cas de troubles conductifs (simples allongements de l'espace PR, blocs de branches, blocs intra- ou infrahissiens) Dans la maladie rythmique auriculaire proprement dite, il est difficile d'évaluer exactement l'incidence de ces troubles conductifs. Elle n'est sûrement pas négligeable et justifie, comme nous le verrons plus loin, un choix judicieux du mode de stimulation définitif lorsque l'indication est retenue [ 16 ]. Les complications sont surtout de deux ordres. Les syncopes et les lipothymies sont la conséquence des bradycardies et justifient l'implantation d'un stimulateur cardiaque. Les embolies systémiques font la gravité des épisodes tachycardiques et surtout de la fibrillation atriale. Il est difficile de distinguer un risque embolique propre à la maladie rythmique auriculaire. Il semble que le risque soit celui de toute fibrillation atriale paroxystique et qu'il augmente en fonction de l'existence ou non d'une cardiopathie sous-jacente. Dans cette dernière éventualité, une anticoagulation s'impose, sinon, une simple prescription d'antiagrégants serait pour certains suffisante avant la soixantaine. Une mention toute particulière doit être faite au sujet des patients appareillés d'un stimulateur cardiaque : le grand risque embolique qu'il était classique de craindre chez ces patients tenait au mode de stimulation inapproprié (VVI) [ 16 ]. Actuellement, toute stimulation ne se conçoit que sur un mode double chambre et le risque embolique a considérablement diminué, ainsi d'ailleurs que le risque de rechute d'une fibrillation atriale [ 15 ].
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Le traitement de la maladie rythmique des oreillettes est celui à la fois des deux aspects électrocardiographiques de cette maladie. En raison de leur morbidité potentielle (en particulier leur risque embolique), les épisodes tachycardiques doivent être prévenus par l'administration de médicaments antiarythmiques. Les phases de bradycardie et leurs manifestations fonctionnelles (lipothymies, syncopes) justifient l'implantation d'un stimulateur cardiaque, d'autant que le traitement médicamenteux précédent aggrave ces bradycardies. La prévention des tachycardies supraventriculaires (fibrillation atriale, flutter atrial, tachycardie atriale) ne présente aucune particularité propre à la maladie rythmique des oreillettes. Dans la mesure du possible, on privilégie en premier lieu les antiarythmiques de la classe I. Les bêtabloquants ne sont véritablement efficaces que lorsqu'une stimulation catécholergique tient un rôle prépondérant dans l'apparition des arythmies. L'amiodarone n'est proposée qu'en second lieu, en cas d'échec ou d'impossibilité de prescription des médicaments précédents. L'ablation endocavitaire d'un flutter atrial peut être envisagée, mais bien souvent au prix de la survenue d'une fibrillation atriale dans les suites de l'ablation [ 5 ]. L'implantation d'un stimulateur cardiaque dans la maladie rythmique des oreillettes est maintenant une pratique ancienne, et cette longue expérience a permis d'en mieux préciser les modalités techniques [ 12 ]. On sait qu'il est non seulement peu efficace mais surtout délétère d'implanter un stimulateur simple chambre ventriculaire : la fréquence des embolies systémiques et des passages en fibrillation atriale a, dans bien des études, dépassé celle spontanément observée dans l'évolution de la maladie. C'est pourquoi certains ont d'abord proposé le mode simple chambre auriculaire, avec ou sans asservissement. Mais la survenue toujours possible à plus ou moins long terme d'un trouble de la conduction atrioventriculaire a fait abandonner ce mode au profit du double chambre. La stimulation DDD [ 4 ], préconisée dans un premier temps, n'ayant pas apporté de grand confort aux patients du fait de l'absence de fonction de repli en cas de tachycardie supraventriculaire, on a privilégié un temps le mode DDI [ 1 ]. Depuis la diffusion des stimulateurs double chambre avec d'excellentes fonctions de repli, on considère actuellement qu'il faut implanter impérativement selon le mode DDD (voire pour certains cas DDDR) avec repli [ 6], [7], [9 ]. Pour certains d'ailleurs, la stimulation double chambre a parfois eu pour conséquence de diminuer les épisodes tachycardiques au point qu'on a même pu, dans certaines séries rapportées dans la littérature, supprimer les traitements médicamenteux antiarythmiques [ 3 ]. Dans l'avenir, c'est donc en terme de prévention des rechutes d'arythmies atriales que la stimulation cardiaque permanente trouvera également une indication. Des évaluations sont en cours pour apprécier les avantages éventuels d'une stimulation multisite ou d'une stimulation biatriale lorsque d'importants troubles conductifs inter- et intra-atriaux paraissent favoriser les récidives d'arythmies.

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