Insuffisance valvulaire profonde primitive







Michel Perrin: Ancien chef de clinique (Lyon), chargé de cours à la faculté de médecine (Grenoble), chirurgie vasculaire
Bernard Hiltbrand: Angiologie
Clinique du Grand Large, 2-4, avenue Léon-Blum, 69150 Décines France
11-740-D-10 (1996)



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Plan

Définition
Épidémiologie
Anatomopathologie et physiopathologie [ 8], [17 ]
Clinique
Examens complémentaires [[17], [19], [20], [21], [22], [36]]
Traitement
Conclusion

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L'insuffisance valvulaire profonde primitive (IVPP) [ 1], [5], [19 ] représente une entité particulière au sein des insuffisances veineuses chroniques. Elle se caractérise par l'existence d'une anomalie congénitale de la paroi ou des valvules ayant pour conséquence l'incontinence du réseau veineux profond.
L'absence d'éléments à l'interrogatoire en faveur d'une thrombose veineuse profonde dans les antécédents, un tableau clinique de varices récidivantes après chirurgie sont des éléments évocateurs de l'IVPP.

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Bauer [ 2 ] avait décrit dès 1948, à partir de données phlébographiques, des veines à paroi lisse, de calibre constant présentant des valvules incompétentes chez 50 % des patients atteints d'une insuffisance veineuse profonde sans signe radiologique évoquant une thrombose ancienne.
Browse [ 3 ] décrit cette pathologie comme exceptionnelle, alors que Raju lui accorde une prévalence importante [ 29 ].
La recherche systématique, récente, de cette pathologie est liée au fait que plusieurs équipes chirurgicales ont travaillé sur la possibilité du rétablissement chirurgical de la continence valvulaire du réseau veineux profond (soit par valvuloplastie, soit par interposition d'un segment veineux valvulé sain) et ont ainsi obtenu une amélioration clinique du tableau d'insuffisance veineuse chronique.
Il semble actuellement que l'insuffisance valvulaire profonde soit retrouvée chez environ 15 % des patients atteints d'insuffisance veineuse chronique sévère [ 19], [22 ].

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Les parois des veines profondes sont habituellement normales dans l'IVPP ; elles peuvent cependant être épaissies dans certaines IVPP évoluant depuis de nombreuses années [ 22 ].
Les lésions valvulaires dans l'IVPP sont de différents types [ 3], [13 ] :

- l'aplasie et l'hypoplasie valvulaires congénitales [ 27 ] sont exceptionnellement rencontrées (fig 1) ;
- la lésion la plus souvent identifiée dans l'IVPP [ 9 ] est représentée par un excès de longueur du bord libre de la valvule qui est étiré (fig 2). Il en résulte un véritable prolapsus lorsque la valve est soumise à une pression appliquée sur sa face supérieure ce qui la rend incontinente. La remise en tension des bords libres de la valvule supprime ce dysfonctionnement ;
- beaucoup plus rarement, l'incontinence valvulaire peut être due à une dilatation de l'anneau valvulaire par élargissement intercommissuraire (fig 3). Cette lésion fréquente dans l'insuffisance veineuse superficielle (varices primitives) peut bénéficier d'un manchonnage qui réduit la circonférence de la veine [ 31 ].
Cette insuffisance veineuse est plus ou moins sévère selon le nombre de valvules atteintes, leur localisation et le degré de leur incompétence [ 5 ]. Cette pathologie est évolutive, l'incontinence d'une valvule se compliquant souvent de la dégradation de la valvule sous-jacente. Le reflux en orthostatisme va progressivement entraîner la dilatation et l'incompétence des perforantes avec pour conséquence l'inversion de leur sens de circulation ; l'hyperpression veinocapillaire et la stase vont s'installer avec, pour conséquence, la défaillance de la pompe veinomusculaire du mollet (cf chapitre Physiopathologie de la Maladie post-thrombotique) [ 25 ]. Dans la majorité des cas une insuffisance veineuse superficielle (IVS), et un reflux par les perforantes sont associés aux lésions des veines profondes. Raju [ 29 ] avance une hypothèse physiopathologique intéressante permettant d'établir une relation entre IVPP et maladie post-thrombotique (MPT) (tableau I). En effet l'association de ces deux pathologies a été soulignée par plusieurs auteurs [ 14], [22 ].
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Il n'existe pas de tableau clinique spécifique caractéristique de l'insuffisance valvulaire profonde primitive [ 1 ]. Les symptômes sont identiques à ceux de l'insuffisance veineuse profonde secondaire post-thrombotique [ 19], [25 ]. Les signes les plus fréquemment notés sont :
- l'oedème quasi constant, aggravé par l'orthostatisme, parfois invalidant ;
- la douleur de type veineux allant de la pesanteur à la claudication intermittente. Cette dernière est plus rarement décrite que dans les syndromes obstructifs post-thrombotiques [ 3 ] ;
- les troubles trophiques (eczéma, pigmentation, hypodermite, lipodermosclérose, ulcération...) surviennent plus souvent chez des patients jeunes du fait du caractère congénital de l'affection.

La notion de varices récidivantes après chirurgie correctement exécutée de l'IVS est fréquente dans ce groupe de patients [ 22 ].
C'est la sévérité du tableau clinique qui conduit à la réalisation d'explorations complémentaires.
La dernière classification en date est celle de l'" Ad hoc committee " qui s'est réuni à Hawaï lors de l'American Venous Forum en février 1994 [ 4 ]. Classification clinique, mais également anatomique physiopathologique et étiologique, elle permet d'établir un score numérique du dysfonctionnement veineux chronique.

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Les explorations fonctionnelles veineuses, entreprises dans toute insuffisance veineuse chronique, recherchent de principe l'existence d'une éventuelle insuffisance veineuse profonde.
Elles s'attachent dans un premier temps à découvrir et tenter de quantifier l'importance du phénomène de reflux, puis secondairement à apprécier les chances de succès d'une chirurgie restauratrice de la fonction valvulaire, en particulier par l'appréciation de la valeur de la pompe musculaire du mollet, indispensable à connaître avant tout geste de reconstruction ou réparation sur le réseau profond.
Ce sont l'examen échodoppler et la pléthysmographie à air qui couplés, apportent le plus de renseignements sur la fonction veineuse globale des membres inférieurs.
Ces méthodes non invasives devront être complétées par la mesure sanglante des pressions veineuses et la réalisation de phlébographies descendante et ascendante si l'on discute une indication chirurgicale.

Les méthodes utilisées sont identiques à celles décrites dans l'exploration de la maladie post-thrombotique [ 25 ] et nous ne les reprendrons pas dans le détail.

Par échodoppler [ 12 ]
Rappel des différents paramètres utilisés selon les auteurs :

- l'index de reflux veineux poplité, VRI ou indice de Psathakis [ 28 ] :
- le VRI est calculé sur l'enregistrement de la courbe doppler, en règle au niveau poplité, après compression manuelle du mollet. Il est de calcul simple ; considéré comme pathologique si supérieur à 0,40, il prend en compte la durée du reflux et son amplitude ;
- le temps de fermeture valvulaire, selon Strandness [ 33], [34 ] :
- ce paramètre est obtenu au niveau des grands axes veineux des membres inférieurs (en décubitus puis en orthostatisme) après manoeuvre de Valsalva et utilisation de manchons pneumatiques gonflés puis dégonflés en cuisse (80 mmHg), au mollet (100 mmHg) et au pied (120 mmHg) ;


- la vélocité du pic de reflux, d'après Nicolaides [ 35 ] :
- une compression pneumatique est appliquée au tiers inférieur de jambe (70 mmHg), et l'enregistrement du signal doppler est effectué sur les veines profondes du mollet, sur un patient en orthostatisme. La vitesse moyenne du pic de reflux est mesurée en cm/s et multipliée par la surface de section du vaisseau étudié, permettant ainsi l'obtention d'un débit en mL/s.



Par pléthysmographie à air [ 16], [26 ]
L'indice de remplissage (VFI) est calculé lors du passage de la position " décubitus, membre surélevé à 45° " à la position " debout sans appui " du membre étudié.

Par mesure sanglante des pressions veineuses au pied [ 16 ]
L'index de reflux de Raju [ 30 ] : il est le résultat de la multiplication du chiffre de pression veineuse postexercice par le chiffre de pression obtenu lors du Valsalva (exprimés en mmHg) ; la valeur 150 est considérée comme normale. Un chiffre plus élevé est considéré comme pathologique et permet de quantifier l'importance de l'insuffisance veineuse.
Cet index semble également plus fiable que la simple mesure des pressions ambulatoires pour apprécier l'efficacité de la chirurgie restauratrice.

Par phlébographie [ 7 ]
C'est la classification de Kistner [ 11 ] en quatre grades qui appréciera l'extension topographique du reflux sur une phlébographie fémorale dynamique (fig 4), sans que le reflux lui-même soit réellement quantifiable :


- grade 1 : reflux à mi-cuisse ;
- grade 2 : reflux au-dessus du genou ;
- grade 3 : reflux au-dessous du genou ;
- grade 4 : reflux atteignant la cheville.



Cliniquement
C'est l'examen de la mobilité de la cheville (absence d'ankylose), de l'amplitude possible des mouvements de flexion-extension, de l'existence ou non d'un oedème permanent, de douleurs ou d'ulcérations entraînant la perte d'efficacité musculaire de la pompe veineuse du mollet qui permettra une première sélection des patients susceptibles de bénéficier de la chirurgie.

Par pléthysmographie à air [ 16 ]
C'est l'examen qui assure la meilleure approche physiologique de la fonction de la pompe veinomusculaire du mollet ; les mesures de la fraction d'éjection (EF) et de la fraction de volume résiduel (RVF) réalisées lors d'un exercice reproductible permettent de façon quantifiée de déterminer les meilleurs candidats à la chirurgie.

Les phlébographies [ 7 ], qu'elles soient dynamiques par voie fémorale ou ascendantes, sont étudiées de façon précise à la recherche de valvules incontinentes pouvant bénéficier d'une valvuloplastie ou d'une réparation valvulaire (fig 5).


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Le traitement médical de l'IVPP associe la compression élastique, le respect des règles hygiénodiététiques et les cures déclives diurnes.
Parmi les méthodes chirurgicales, la réparation valvulaire [ 3], [6], [15], [19], [24 ] ou valvuloplastie apparaît, au plan des résultats, supérieure aux autres procédés : transposition et transplantation [ 18 ]. La valvuloplastie se propose de reconstituer un appareil valvulaire fonctionnel en retendant les bords libres d'une valvule afin de la rendre continente. Deux types de valvuloplastie sont actuellement pratiqués : les valvuloplasties externes sans phlébotomie et les valvuloplasties internes par phlébotomie.
Les transpositions ou les transplantations sont rarement proposées dans le traitement de l'IVPP. La discussion actuelle porte sur le niveau de la réparation valvulaire ; les séries les plus importantes rapportées le sont sur des valvuloplasties réalisées au niveau de la veine fémorale superficielle. Sottiurai [ 32 ] a néanmoins fait état de meilleurs résultats lorsque la réparation valvulaire est effectuée à l'étage poplité.

Le traitement de l'IVPP n'a pas fait à ce jour l'objet d'un consensus.
La thérapeutique médicale correctement conduite doit être proposée en première intention. Si ce traitement est mal supporté chez des sujets jeunes et actifs, mais surtout lorsque les signes cliniques s'aggravent, la chirurgie doit être envisagée ; en particulier lorsque des troubles objectifs sévères ne sont pas contrôlés par le traitement conservateur : oedème persistant malgré une compression appropriée, hypodermite évolutive, ulcères récidivants.
Mais cette chirurgie ne doit être proposée qu'après avoir éliminé les contre-indications : pompe musculaire inefficace, coagulopathie permanente.
Elle impose un bilan préalable associant échodoppler, photopléthysmographie, pléthysmographie à air, mesure dynamique des pressions, phlébographies ascendante et descendante.
Sont candidats à la chirurgie [ 10], [19], [22 ] :

- les patients qui, après mise en place d'un garrot sus-malléolaire, n'abaissent pas leur pression veineuse de plus de 30 % lors des manoeuvres dynamiques et dont le temps de retour veineux est inférieur à 12 secondes ;
- les sujets présentant un reflux de type IV de Kistner sur la phlébographie fémorale dynamique ;
- ceux chez qui la phlébographie fémorale permet de visualiser une valvule réparable au niveau de la veine fémorale superficielle ou poplitée. Si cet examen se révèle insuffisant, une phlébographie poplitée est réalisée.

Si la phlébographie ne permet pas de repérer une valvule à la terminaison de la veine fémorale superficielle, et si la veine fémorale profonde présente une valvule continente bien identifiée, on peut opter pour une transposition. Dans le cas contraire, l'interposition d'un segment veineux valvulé ne sera proposée que chez des patients souffrant d'un ulcère récidivant malgré la compression.
Dans les cas d'association d'une IVS ou d'un reflux par les perforantes à l'IVPP, la chirurgie combinée est justifiée.
Elle sera menée en deux temps, stripping et chirurgie des perforantes par voie endoscopique dans un premier temps, puis chirurgie restauratrice de la fonction valvulaire quelques jours plus tard.
Dans les agénésies valvulaires le traitement médical reste la règle.

Les valvuloplasties internes bénéficient d'un recul important. Un bon résultat clinique est obtenu dans 60 à 80 % des cas et une amélioration hémodynamique dans environ 60 % des cas [ 9], [10], [14], [15], [18], [19], [23], [26 ].
Les valvuloplasties externes ont un suivi trop court qui ne permet pas à ce jour de juger de leur efficacité.

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L'IVPP est très probablement encore fréquemment méconnue du fait de l'absence de bilan complet chez nombre de malades présentant une insuffisance veineuse chronique.
Il apparaît d'autre part logique de penser que certaines thromboses veineuses profondes sont induites par une IVPP.
Si le traitement conservateur se révèle inefficace, le traitement chirurgical de l'IVPP, dans lequel la valvuloplastie représente l'intervention de choix, paraît justifié lorsqu'il existe une insuffisance veineuse chronique sévère. Il ne doit être entrepris qu'après bilan hémodynamique et phlébographique complet.

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