Hypertrophies auriculaires et ventriculaires









Claude Fournier: Praticien hospitalier
Service de cardiologie, secteur Paul Broca, 78, rue du Général-Leclerc, 94275 Le Kremlin-Bicêtre cedex France
Denis Pellerin: Praticien hospitalier
11-003-F-50 (1996)



Résumé

Il existe théoriquement une corrélation entre la masse myocardique, mesurée à l'autopsie ou par l'échocardiogramme et l'expression électrocardiographique des hypertrophies cardiaques.
Cette corrélation est assez médiocre dans la mesure où les différents critères électrocardiographiques qui ont été décrits, ne peuvent posséder à la fois une bonne sensibilité et une bonne spécificité, si bien que les valeurs de référence que l'on a fixées pour ces critères, sont relativement spécifiques mais assez peu sensibles.
Le diagnostic des hypertrophies auriculaires et ventriculaires repose sur des éléments dont la description date souvent de plusieurs décennies. D'autres critères ont fait leur apparition plus récemment mais leur application s'adresse davantage à la recherche clinique qu'à la pratique quotidienne, car ils sont d'utilisation complexe ou nécessitent un appareillage élaboré et ainsi, ils conviennent mal à un examen dont l'avantage essentiel est la simplicité de réalisation et, dans la majorité des cas, la facilité et la rapidité d'interprétation au lit du malade. Dans un but de synthèse et de simplification, nous avons donc résumé, en différents points de cet article, les éléments qui offrent les meilleures garanties diagnostiques, c'est-à-dire la sensibilité la plus importante pour une spécificité élevée.

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Plan

Hypertrophies auriculaires
Hypertrophies ventriculaires
Hypertrophies cardiaques chez le nourrisson et le jeune enfant
Conclusion

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Les anomalies électrocardiographiques secondaires aux hypertrophies auriculaires s'expliquent par le mode d'activation normal des oreillettes depuis le noeud sinusal situé à la partie haute de l'oreillette droite (OD), première région à être dépolarisée. L'activation auriculaire droite se fait essentiellement vers le bas, occasionnant une prédominance des vecteurs verticaux dans la partie initiale de l'onde P en cas d'hypertrophie auriculaire droite (HAD). L'activation de l'oreillette gauche (OG), qui se produit avec retard par rapport à celle de l'OD, se fait essentiellement de la droite vers la gauche, ce qui explique la prépondérance des vecteurs horizontaux dans la partie moyenne et terminale de l'onde P en cas d'hypertrophie auriculaire gauche (HAG) [ 5 ].
Les signes électrocardiographiques des hypertrophies auriculaires s'observent principalement dans les dérivations standards et en V1.

Les anomalies provoquées par l'HAD sont les suivantes :



- l'onde P est ample en D2, D3 et aVF avec une amplitude maximale en D2 (> 2mm) et un aspect classique P2 > P3 > P1 dans les dérivations standards. En D2, D3, aVF, l'onde P apparaît relativement étroite et pointue ;
- dans les précordiales droites, l'onde P est en général purement positive, parfois diphasique à prédominance de positivité initiale. L'amplitude totale dépasse 2 mm ;
- les HAD importantes peuvent être responsables d'une déformation du complexe ventriculaire, sous forme d'un aspect qR ou QR en V1 (dit endocavitaire de l'OD), avec ou sans modification de l'auriculogramme [ 46 ].
Déformations de l'auriculogramme
Les déformations de l'auriculogramme provoquées par l'HAG sont les suivantes.
- La durée de l'onde P est augmentée, atteignant au moins 0,12 s.
- L'onde P est bifide, avec une deuxième composante plus élevée que la première, surtout en D1, aVL et D2.
- En V1, l'aspect de l'onde P est très caractéristique, fait soit d'une onde purement négative à la fois large et profonde, soit le plus souvent, d'une onde biphasique avec une positivité initiale faible suivie d'une négativité là encore ample et longue. L'indice de Morris [ 27 ] a été proposé dans le but d'asseoir le diagnostic d'HAG sur des valeurs quantifiables. Il se calcule sur la partie terminale de l'onde P en V1. C'est le produit algébrique de la durée en secondes par l'amplitude en millimètres (positive ou négative) de cette partie terminale de PV1. Une valeur inférieure à - 0,04 serait caractéristique de l'HAG.

En pratique, les signes électrocardiographiques d'HAG ne sont pas toujours présents à la fois en dérivations périphériques et en V1. Un seul des critères décrits (onde P large et bifide en dérivations périphériques ou négativité importante de l'onde P en V1) suffit au diagnostic. Il en est d'ailleurs de même pour l'HAD.

Diagnostic différentiel
L'image électrique d'HAG est essentiellement secondaire à un trouble de conduction interauriculaire, qui altère la conduction dans le faisceau internodal antérieur et sa transmission à l'OG par le faisceau de Bachmann. Ce trouble de conduction peut être provoqué par diverses cardiopathies et doit être distingué du bloc complet du faisceau de Bachmann [ 1 ], qui provoque une dépolarisation rétrograde et ascendante de l'OG. L'aspect électrocardiographique est alors caractéristique, sous forme d'une onde P diphasique en D2, D3 et aVF, dont la durée dépasse 0,12 s et atteint souvent des valeurs très supérieures. La positivité initiale est suivie, après un intervalle isoélectrique plus ou moins long, d'une composante négative traduisant l'activation rétrograde et retardée de l'OG. Le gradient entre l'axe des deux vecteurs auriculaires dépasse 90° [ 4 ].

Dans l'HBA, l'électrocardiogramme enregistre à la fois des signes d'HAD et d'HAG. Dans les dérivations périphériques, l'onde P est bifide avec une durée allongée mais son premier sommet est ample et plus élevé que le second. En V1-V2, l'onde P est diphasique, avec une positivité initiale ample et une négativité large et profonde.

Macruz [ 23 ] a proposé de fonder le diagnostic des hypertrophies auriculaires sur le rapport durée de P/durée du segment PR (qui sépare la fin de P du début de QRS). En fait les valeurs qu'il a données pour l'HAD (<1), pour l'HAG (>1,6) et pour l'HBA (entre 1 et 1,6) sont peu fiables [ 17], [18 ] et cet indice n'est guère utilisé en pratique.

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La prépondérance anatomique du ventricule gauche (VG) (à titre d'exemple, chez le sujet normal, l'épaisseur du VG à proximité de l'anneau auriculoventriculaire est environ quatre fois supérieure à celle de la partie correspondante du ventricule droit [VD]) explique :

- que l'hypertrophie ventriculaire gauche (HVG) soit plus facilement visible sur l'électrocardiogramme que l'hypertrophie ventriculaire droite (HVD) ;
- que l'HVG dévie généralement peu l'axe électrique de QRS dans le plan frontal, puisque la direction du vecteur de la paroi libre du VG, normalement prépondérant et responsable de l'orientation à gauche et en arrière du vecteur résultant de l'activation simultanée des parois libres des deux ventricules, n'est pas sensiblement modifiée. L'HVD au contraire, si elle est suffisamment importante, dévie l'axe de QRS vers l'avant et la droite en raison de la part plus grande que prend le vecteur de la paroi libre du VD, normalement orienté dans cette direction.
Signes électrocardiographiques
Les signes électrocardiographiques de l'HVD peuvent varier selon l'importance de l'hypertrophie, son type anatomique et même sa cause. Certains éléments s'observent à la fois dans la surcharge systolique (par obstacle à l'éjection) et la surcharge diastolique (volumétrique) du VD :
- l'axe électrique de QRS dans le plan frontal est plus ou moins dévié vers la droite. Pour interpréter cette modification, on doit prendre en compte l'évolution dans le temps de la déviation axiale (rotation récente de l'axe vers la droite ?), surtout lorsque la déviation axiale droite est modérée avec un axe de QRS autour de + 90° ; mais il faut aussi considérer l'âge et le morphotype du sujet. Cette déviation axiale a d'autant plus de valeur pour le diagnostic d'HVD que le sujet est plus âgé (l'axe de QRS dans le plan frontal a tendance à tourner vers la gauche avec l'âge), que le sujet est bréviligne et que la déviation est apparue récemment. En revanche, les déviations marquées de l'axe de QRS vers la droite (entre + 110 et + 180°), sont très évocatrices d'HVD, à condition toutefois qu'il n'existe ni infarctus du myocarde ni trouble de conduction intraventriculaire. Rarement, la déviation axiale est extrême, entre + 180 et -90° ;
- le complexe QRS prend souvent un aspect S1 Q3, parfois un aspect S1 S2 S3 ;
- l'augmentation d'amplitude de l'onde S en D1 et de l'onde R en D3 fait dévier l'indice de Lewis (cf fascicule 11-003-F-30 de l'Encyclopédie médico-chirurgicale) dans le sens de l'HVD. Cet indice est peu sensible et ne devient pathologique que dans les HVD importantes ;
- la déflexion intrinsécoïde est généralement retardée en V1 surtout lorsqu'il existe un aspect qR, QR, rSR' ou RSR', plus souvent que lorsqu'il existe un aspect R exclusif ou Rs.


Les deux types de surcharge
Les surcharge systolique et diastolique sont en outre responsables d'aspects particuliers dans les dérivations précordiales.
Les surcharges diastoliques du VD donnent un aspect assez constant, analogue à celui du bloc incomplet droit en précordiales droites : rSR' ou RSR' mais avec une onde R' d'amplitude en principe supérieure à 5 mm (fig 5).

Les surcharges systoliques du VD (fig 1) ont un aspect électrocardiographique beaucoup plus variable. Elles majorent l'amplitude de l'onde R en précordiales droites et celle de l'onde S en précordiales gauches. En précordiales droites, le rapport R/S a tendance à augmenter et même à s'inverser. La forme de QRS est variable. Les images RSR' ou RS se rencontrent généralement dans les surcharges systoliques modérées : les aspects Rs et R exclusif, généralement de grande amplitude et comportant parfois un crochetage initial, traduisent une HVD généralement importante et s'observent donc moins souvent ; on rencontre parfois un aspect qR correspondant soit à une HVD importante, soit à une HVD s'accompagnant d'une dilatation de l'OD. Dans le premier cas, l'onde R est haute et l'onde q petite ; dans le second, l'onde R est de faible amplitude et l'onde Q plus ou moins profonde.
Les déformations de QRS observées en V1 peuvent s'étendre aux autres précordiales et parfois jusqu'en V5 ou V6 lorsque l'HVD est importante.
En précordiales gauches, le complexe QRS est parfois normal, mais souvent l'onde R est petite tandis que l'onde S est importante, avec un rapport R/S inférieur à 1 en V5 et à 2 en V6.
La repolarisation ventriculaire est déformée et prend un aspect dit " secondaire " : l'axe de T a tendance à s'opposer à celui de QRS, avec inversion de T en D2, D3, et aVF, tandis que dans les précordiales droites, on note un sous-décalage du point J et du segment ST s'accompagnant d'une onde T négative et asymétrique, aspect pouvant s'étendre plus ou moins loin sur le précordium en fonction de l'importance de l'HVD.
En pratique, le diagnostic électrocardiographique d'HVD est souvent difficile. Il est d'autant plus vraisemblable que plusieurs critères sont présents. On peut retenir, pour simplifier, la déviation axiale droite de QRS, l'aspect S1 Q3. En outre, pour les surcharges diastoliques, l'aspect RSR' en V1 avec une onde R' ample et pour les surcharges systoliques, l'augmentation d'amplitude de R en V1-V2 et de S en V5-V6, avec parfois troubles secondaires de la repolarisation en précordiales droites.
Il reste à mentionner les particularités rencontrées dans le coeur pulmonaire chronique par bronchopneumopathie chronique [ 9], [35 ] : déviation axiale droite très importante de QRS dans le plan frontal, aspect S1 S2 S3 et complexes ventriculaires de type rS sur toutes les dérivations précordiales (fig 2).

L'HVG est l'hypertrophie cardiaque qui a été la plus étudiée, parce qu'elle complique un grand nombre de cardiopathies et parce qu'elle est l'un des marqueurs de l'hypertension artérielle, affection dont la fréquence est considérable. Les signes électrocardiographiques de l'HVG sont nombreux et comme ceux de l'HVD ils peuvent varier en fonction du degré et du mécanisme de l'hypertrophie.

Aspects électrocardiographiques
D'une manière générale, l'HVG a tendance à augmenter les voltages de QRS, c'est pourquoi de nombreux indices prenant en compte ces voltages ont été décrits. Outre les indices de Lewis et de Sokolow (cf fascicule 11-003-F-30 de l'Encyclopédie Médico-chirurgicale), on peut citer l'amplitude de RD1 > 13 mm, l'amplitude de RaVL > 11 mm, l'indice de Gubner-Ungerleider (RD1 + SD3 > 25 mm), l'amplitude de SV1 > 24 mm, l'indice de Cornell (RaVL + SV3 > 28 mm chez l'homme ou > 20 mm chez la femme), l'indice de Simonson (SV1 + RV5 > 33 mm), l'indice de Lepeschkin (SV1 + RV5 > 30 mm), l'indice de Goodwin (SV1 ou SV2 + RV5 > 35 mm) l'indice de Grant (SV1 ou SV2 + RV6 > 40 mm), l'indice de Chou (SV2 + RV5 ou RV6 > 45 mm), l'indice de Wolff (SV2 + RV4 ou RV5 > 35 mm).
On considère généralement que ces indices ont une sensibilité comprise entre 20 et 60 % avec une bonne spécificité (au moins 90 %) [ 6], [38 ]. Selon les résultats de l'étude de Framingham en revanche, qui a évalué des sujets non sélectionnés, la spécificité est excellente (98 %) mais la sensibilité très faible, de l'ordre de 7 % [ 22 ].
En pratique, il faut retenir les trois indices le plus couramment utilisés : Lewis, Sokolow et Cornell. Parmi eux, c'est l'indice de Cornell qui aurait la meilleure sensibilité [ 19 ] et serait le mieux corrélé à la masse ventriculaire gauche échographique [ 45 ]. D'autres indices sont d'utilisation plus complexe. Certains restent encore relativement simples, comme le produit de Cornell (indice de Cornell × durée de QRS), dont la sensibilité est meilleure que celle du simple indice de Cornell [ 26 ] tandis que d'autres sont d'application plus compliquée, comme la somme des voltages de QRS dans les douze dérivations qui, lorsqu'elle dépasse 175 mm, aurait une très bonne sensibilité (71 %) pour Glick et Roberts [ 14 ] ou encore cette somme multipliée par la durée de QRS, de meilleure sensibilité que la seule somme des voltages [ 26 ]. D'autres sont extrêmement complexes, comme les indices de Romhilt-Estes [ 43 ], de Rautaharju [ 36 ] ou de Casale-Devereux [ 6 ] qui font intervenir de nombreux facteurs concernant l'amplitude de QRS dans diverses dérivations, la durée de QRS et l'onde T, nécessitent de véritables calculs et sont donc d'utilisation impossible en pratique courante.
L'électrocardiogramme haute amplification [ 30], [33 ] permet d'améliorer la sensibilité des principaux indices d'HVG pour certains [ 31 ] mais non pour d'autres [ 20 ]. Comme les tracés recueillis à partir d'électrodes multiples [ 16 ], il a surtout un intérêt pour les dépistages de masse en raison de la modicité du prix de revient de l'électrocardiographie par rapport à l'échocardiographie.
La durée de QRS est augmentée mais presque toujours de façon mineure. Ce n'est que dans les HVG très importantes qu'elle dépasse 0,08 s, pouvant atteindre 0,10, voire 0,12 s en l'absence de bloc de branche dans les cas extrêmes.
La déflexion intrinsécoïde est théoriquement retardée, mais là aussi de façon tout à fait mineure et seules les grandes HVG peuvent la retarder au-delà de 0,05 s.
Enfin, la présence de signes électrocardiographiques d'HAG est un argument indirect en faveur d'une HVG. Ces signes, tout au moins chez l'hypertendu, seraient mieux corrélés avec l'épaisseur et la masse du VG qu'avec les dimensions de l'OG [ 2 ].

Les deux types de surcharge
Le type de surcharge ventriculaire gauche imprime en outre des caractères électrocardiographiques assez particuliers à l'HVG.

- Dans l'HVG de type surcharge systolique (fig 6), l'axe de QRS dans le plan frontal est dévié vers la gauche, le plus souvent entre + 30 et -30°. Rarement, chez les sujets jeunes et longilignes, l'axe de QRS est plus à droite, situé entre +60 et +90°. On parle alors " d'HVG sur coeur vertical ". Dans les précordiales gauches, l'onde q est petite ; les ondes R sont petites également en précordiales droites. Les ondes T sont inversées, asymétriques, de type secondaire en précordiales gauches. L'axe de T et l'axe de QRS ont tendance à s'opposer dans le plan frontal, l'axe de T étant dévié vers la droite.
- Parfois, lorsque la surcharge systolique est peu importante, les ondes T peuvent être simplement aplaties ou légèrement négatives en précordiales gauches.
- Dans l'HVG par surcharge diastolique (fig 7), l'aspect n'est caractéristique que lorsque l'hypertrophie est modérée ou relativement récente. On note alors que l'axe de QRS n'est pas dévié dans le plan frontal, que les ondes Q en précordiales gauches et les ondes R en précordiales droites sont souvent amples, tandis que les ondes T sont positives, de grande taille et symétriques en précordiales gauches.
- Des troubles secondaires de la repolarisation auxquels on donne le nom de strain s'observent parfois isolément. On en a décrit deux types [ 42 ] :
- léger sous-décalage de J avec ST sous-décalé, onde T négative et asymétrique (fig 8A) ou biphasique - +, la partie positive étant moins ample que la partie négative (fig 8B) ;
- même aspect de sous-décalage de ST et d'onde T biphasique - + mais avec une partie négative ayant au moins 0,5 mm d'amplitude et une positivité plus ample que la partie négative (fig 8C). En l'absence d'anomalie associée des voltages, le diagnostic d'HVG est difficile à affirmer sur le seul aspect de strain.





Cas particuliers

Différences ethniques
Aux États-Unis, la prévalence de l'HVG électrocardiographique serait plus importante chez les Noirs que chez les Blancs, après ajustement pour l'âge, l'hypertension artérielle et les autres facteurs de risque [ 49 ]. Dans une grande enquête de population effectuée aux États-Unis, les amplitudes de QRS normalement utilisées pour le diagnostic d'HVG étaient plus grandes chez les Noirs que chez les Blancs. On ignore si ce fait traduit ou non une plus grande prévalence de l'HVG chez les Noirs américains [ 37 ]. L'électrocardiogramme serait moins spécifique chez les Noirs, avec un taux plus élevé de faux diagnostics positifs d'HVG [ 7 ].

Sexe et âge
Pour un même degré d'HVG échographique, l'indice de Cornell, la somme des voltages de QRS dans les douze dérivations et le produit de ces deux indices par la durée de QRS sont plus élevés chez l'homme que chez la femme après ajustement pour la taille et le poids [ 32 ].
D'après l'étude de Framingham, la sensibilité de l'électrocardiogramme pour le diagnostic d'HVG serait un peu plus faible chez la femme que chez l'homme (respectivement 5,6 % et 9 %) mais elle augmenterait avec l'âge [ 22 ].

Différences liées au morphotype
La sensibilité de l'électrocardiogramme pour l'HVG est inversement corrélée avec le degré d'obésité [ 6 ]. La corrélation avec la masse ventriculaire gauche échographique est améliorée lorsqu'on interprète l'électrocardiogramme en prenant en compte l'indice de masse corporelle [ 3], [30 ]. La sensibilité de l'indice de Cornell et du produit de Cornell serait significativement améliorée en indexant la masse ventriculaire gauche sur la surface corporelle ou la taille du sujet [ 34 ].

Il existe un contraste entre la fréquence des HBV anatomiques et celle des HBV d'expression électrocardiographique évidente. En effet, seules les HBV comportant une HVD prédominante ont des chances d'être manifestes sur l'électrocardiogramme. Ainsi, rarement, les signes des deux hypertrophies coexistent sur le tracé ; plus souvent, c'est l'HVG qui est électriquement prédominante, l'HVD associée pouvant seulement être suspectée par un axe de QRS plutôt vertical dans le plan frontal, compte tenu de l'âge et du morphotype du sujet ; souvent les signes d'HVG et d'HVD s'annulent mutuellement et aucune des deux hypertrophies n'est clairement décelable sur le tracé.



Bloc incomplet droit (BID)
Le diagnostic d'HVD est d'autant plus probable que l'onde R' est plus haute et que le complexe QRS est moins élargi ; mais il est souvent difficile, devant un aspect RSR' en précordiales droites, de dire s'il s'agit d'une HVD ou d'un BID ou encore des deux à la fois.
Le diagnostic d'HVG n'est nullement gêné par la présence d'un BID.

Bloc complet de la branche droite (BBD)
Les meilleurs signes d'HVD sont le type " rare " du BBD, qui comporte un axe de la première moitié de QRS à + 90° ou à droite de + 90° et une onde S1 de grande surface, d'autre part un retard important (> 0,10 s) de la déflexion intrinsécoïde en V1, plus important qu'en cas de BBD isolé.
En présence d'un BBD, les signes d'HVG s'expriment moins facilement car les vecteurs ventriculaires droits retardés s'opposent anormalement aux vecteurs ventriculaires gauches. Dans ce cas, les meilleurs signes d'HVG sont une onde R V6 > 20 mm, une onde RV6 > RV5 [ 29 ], un indice S3 + (R + S) maximal en précordiales > 30 mm [ 29 ]. (R + S représente la somme de l'onde R et de l'onde S dans la dérivation précordiale où elle est la plus importante), une onde RVL > 11 mm, une onde S V1 > 2 mm. En présence d'un BBD, l'indice de Sokolow est très spécifique mais extrêmement peu sensible (2 %) [ 47 ].

Bloc incomplet gauche (BIG)
L'HVD n'est pratiquement jamais visible en présence d'un BIG, car dans ce cas, elle est masquée par l'HVG à laquelle elle s'associe.
Le BIG ne gêne guère le diagnostic d'HVG dans la mesure où il ne perturbe pas l'augmentation des voltages de QRS. En revanche, il peut à lui seul, s'il est d'un degré suffisamment important, provoquer des troubles secondaires de la repolarisation qu'il est impossible de distinguer de ceux d'une HVG.

Bloc complet de la branche gauche (BBG)
L'association d'une HVD à un BBG est rare et difficile à diagnostiquer sur l'électrocardiogramme. Les meilleurs signes d'HVD sont la déviation droite de l'axe de QRS dans le plan frontal et le déplacement vers la gauche de la zone de transition dans les dérivations précordiales. L'association d'une HVG à un BBG est en revanche fréquente et là encore délicate à affirmer car le BBG lui-même modifie les voltages et la repolarisation. Les meilleurs critères d'HVG semblent être l'indice de Sokolow-Lyon [ 8 ] et pour Rohatgi et al [ 41 ], un angle axe de QRS - axe de T > 150° dans le plan horizontal.

Hémibloc antérieur gauche (HBAG)
L'HBAG tend à masquer les signes d'HVD en dérivations périphériques. Si l'HVD est suffisamment importante, elle s'inscrira dans les dérivations précordiales et on pourra la reconnaître surtout dans les précordiales droites, car dans les précordiales gauches, la présence de grandes ondes S peut être due au seul HBAG.
L'HBAG a tendance à simuler l'HVG dans le plan frontal, où il augmente l'amplitude des ondes R en D1 et des ondes S en D3, inverse parfois l'onde T en D1 et surtout en a VL et au contraire, à masquer les signes d'HVG dans le plan horizontal (diminution des ondes R et augmentation des ondes S en V5-V6). Certains critères permettraient d'évoquer le diagnostic d'HVG en présence d'un HBAG : onde R > 16 mm en aVL, somme de R1 + S3 > 30 mm [ 21 ], somme de S3 + (R+S) maximum en précordiales > 30 mm [ 13 ], retard de la déflexion intrinsécoïde en V6, plus marqué encore en aVL [ 25 ]. Enfin, dans les fortes HVG, on peut observer une augmentation de l'amplitude de SV1 et de RV5 ou RV6, avec positivité des indices classiques et des troubles de la repolarisation de type secondaire dans les précordiales gauches.

Hémibloc postérieur gauche (HBPG)
L'association d'un HBPG à une HVD ne peut se reconnaître que sur les signes de l'HVD dans les dérivations précordiales car dans les dérivations périphériques, les modifications provoquées par les deux troubles sont identiques (déviation axiale droite, aspect S1 Q3).
L'association d'un HBPG à une HVG est difficile à diagnostiquer dans les dérivations périphériques car l'HBPG tend à annuler l'augmentation d'amplitude de R1 et à supprimer l'onde S3. En revanche, si l'HVG est suffisamment importante, on pourra en évoquer le diagnostic sur la présence de grandes ondes R en V6 accompagnées de troubles secondaires de la repolarisation. Pour Medrano et De Micheli [ 25 ], l'association HBPG - HVG retarderait davantage l'apparition de la déflexion intrinsécoïde en aVF et en V6 qu'en aVL.

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Le diagnostic électrocardiographique des hypertrophies ventriculaires est plus difficile chez le nourrisson et l'enfant que chez l'adulte en raison de la prépondérance ventriculaire droite physiologique présente à la naissance, qui peut persister plus ou moins longtemps.

Comme chez l'adulte, l'HAD augmente l'amplitude de l'onde P dans les dérivations frontales mais cette amplitude peut atteindre normalement 3 mm au cours du premier mois de la vie. Une augmentation de la surface de l'onde P en V1 (>0,08 mm/s avant 1 mois et >0,06 mm/s après 1 mois) semble être un bon signe d'HAD [ 40 ].

Le diagnostic d'HAG se fonde sur la présence d'une onde P bifide, dont la durée dépasse 0,08 s, avec éventuellement un indice de Morris < 0,015 mm/s [ 39 ].

Les meilleurs critères d'HVD semblent être les suivants [ 11], [15], [24 ] :

- déviation de l'axe de QRS à droite de + 120° au-delà de 6 mois ;
- aspect S1 S2 S3 ;
- rapport R/S en V1 > 4 avant 3 mois, > 3 entre 3 mois et 3 ans, > 2 entre 3 et 5 ans, à condition que l'onde S soit > 2mm ;
- grande amplitude de RV1 (> 25 mm avant 3 ans, >20 mm entre 3 et 5 ans) ;
- image QR en V1, très spécifique mais peu sensible [ 10 ] ;
- délai d'apparition de la déflexion intrinsécoïde >0,04 s en V1 en l'absence de bloc droit ;
- aspect de bloc incomplet droit avec image rSR', relativement sensible mais peu spécifique [ 10 ] ;
- rapport R/S en V6 <1 après 3 mois, SV6 > 10 mm ;
- ondes T positives en V1 [ 10 ].


Chez l'enfant, l'HVG est plus facile à diagnostiquer que l'HVD. Les critères d'HVG ont cependant une moins bonne valeur diagnostique que chez l'adulte. Les meilleurs semblent être les suivants [ 12], [28], [44], [48 ] :

- AQRS à gauche de + 30° avant 2 ans ;
- chez le nouveau-né, SV1 > 20 mm avec un rapport R/S < 1 en V1, RV6 > 16 mm ;
- chez le jeune enfant, R1 + R3 >30 mm, R2 + R3 >45 mm, RaVL ou RaVF > 20 mm, RV5 ou RV6 >30 mm, SV1 ou SV2 >25 mm, indice de Sokolow-Lyon >45 mm ;
- ondes Q >3 mm en précordiales gauches ;
- ondes T négatives en précordiales gauches après la première semaine.


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Il ne faut pas oublier, lorsqu'on parle d'électrocardiographie, que cette invention, aujourd'hui vieille de près d'un siècle, reste un outil essentiel dans la pratique quotidienne du médecin. C'est pourquoi, et bien que la technique ait considérablement évolué et se prête de nos jours à des utilisations complexes, l'application de l'électrocardiographie au diagnostic des hypertrophies auriculaires et ventriculaires doit reposer pour l'essentiel sur des notions simples et bien établies. Le médecin non spécialiste tout comme le cardiologue, doit pouvoir appliquer sans papier ni calculatrice, quelques critères fondamentaux qui lui permettent d'aborder avec une certaine facilité une méthode par ailleurs très élaborée. La valeur de l'électrocardiographie de base n'est en rien diminuée par les résultats complexes des nombreux travaux qui ont été effectués ces dernières années.

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