Approche psychosomatique de l'hypertension artérielle



S.M. Consoli: Professeur des universités, praticien hospitalier, unité médico-psychologique
hôpital Broussais, 96, rue Didot, 75674 Paris Cedex 14 France
11-302-C-10 (1990)



Résumé

L'hypertension artérielle essentielle (HTA) constitue depuis plusieurs décennies un champ privilégié de recherches psychosomatiques. L'approche psychologique, psychométrique ou psychodynamique de sujets souffrant d'une HTA est en fait complémentaire des travaux sur les liens entre régulation émotionnelle et régulation tensionnelle, effectués chez l'animal ou surtout chez l'homme normotendu. La comparaison des données issues de chacun de ces deux champs est instructive : certes, elle n'offre pas d'explication sur la genèse de l'HTA, mais, vu le caractère multifactoriel de cette affection, elle permet tout au moins de mieux circonscrire le rôle des facteurs psycho-émotionnels dans son installation et son évolutivité.
A l'orée des années 1990, de nombreux auteurs accordent une importance capitale au contexte psychosocial et à la réactivité au stress des hypertendus. Cette ouverture est d'ailleurs associée à une attitude plus prudente et réfléchie lorsqu'il s'agit d'instaurer un traitement antihypertenseur, notamment dans les cas d'HTA limite ou dans les formes labiles de dérèglement tensionnel. Une prescription antihypertensive n'a, en effet, de sens que si elle est suivie régulièrement et, en principe, toute la vie durant. Or, on sait combien l'observance médicamenteuse est défectueuse chez les hypertendus ; on sait, également, combien la qualité de la vie de ces patients peut s'altérer du fait d'un étiquetage diagnostique non sous-tendu par la présence de signes fonctionnels, a fortiori si la prise d'antihypertenseurs s'accompagne d'effets secondaires gênants. D'où l'intérêt croissant pour des médicaments capables de préserver ou d'améliorer la qualité de vie et la revalorisation des composantes non pharmacologiques du traitement de l'HTA, telles l'hygiène de vie ou les thérapeutiques à visée psychologique comme la relaxation.
Contrairement à l'insuffisance coronarienne, l'HTA a été peu étudiée sous l'angle des facteurs psychocomportementaux qui pourraient prédire son installation. La notion de " pattern A " est peu opérante dans le domaine de l'HTA. En revanche, la recherche de variables psychologiques pouvant contribuer à l'évolutivité d'une HTA confirmée n'est pas sans intérêt pour l'épidémiologiste : ce souci est parallèle au repérage de critères cliniques à valeur pronostique, notamment la pression artérielle (PA) ambulatoire et la charge tensionnelle d'activité sur une durée de 24 heures, témoins plus fidèles de l'équilibre hémodynamique, dans les conditions de la vie quotidienne, que le contexte artificiel de la consultation médicale [ 39 ].
Le traitement de l'HTA, aussi codifié soit-il et même lorsqu'il prend des allures de routine, engage la relation médecin-malade dans des cas de figure innombrables et originaux et nécessite pratiquement toujours une longue et laborieuse négociation. Une approche psychosomatique de l'HTA est aussi utile pour rappeler qu'en médecine on a rarement affaire à des maladies en tant qu'entités autonomes dont tel ou tel individu serait la victime, mais à des malades, c'est-à-dire à des sujets singuliers, dont les problèmes de santé témoignent d'une adaptation coûteuse ou défectueuse face à des agressions externes ou internes venant perturber leur homéostasie.

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Plan

Personnalité des hypertendus
HTA en tant que maladie d'adaptation au stress
Apport des tests projectifs
Implications thérapeutiques

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La tentative de définir des profils psychologiques de sujets porteurs de certaines grandes affections (HTA, insuffisance coronarienne, ulcère gastro-duodénal, etc.) a été l'un des premiers objectifs des pionniers de la recherche psychosomatique, notamment de l'école dite de Chicago (Alexander [ 1 ], Saul [ 45 ], Dunbar [ 13 ]. Ces auteurs avaient déjà décrit à leur époque (années 1940), en se fondant essentiellement sur le matériel de cures psychothérapiques, la difficulté de nombreux hypertendus à extérioriser leur agressivité leur agressivité ou à assumer des affrontements ouverts. Cette constatations avait été mise sur le compte d'une tendance, de la part de ces patients, à réprimer plus généralement toute émotion (tendre ou hostile) pouvant les mettre dans une position de dépendance infantile, position vécue à la fois comme infériorisante et humiliante. Un hyperinvestissement social et un net souci de conformisme étaient également notés, ainsi qu'une inhibition assez fréquente de la vie sexuelle. Sans être véritablement contredites par des observations portant sur de plus larges effectifs de sujets, ces remarques n'ont pas cependant réussi à dégager un profil spécifique à cette catégorie de malades.
S'il apparaît relativement rare que les hypertendus souffrent d'une névrose organisée ou présentent de véritables antécédents psychiatriques, la fréquence de troubles émotionnels est diversement appréciée, car les études publiées présentent en général plusieurs biais : de tels troubles sont surtout constatés dans les études effectuées sur des populations de patients consultants ou hospitalisés, venant chez le médecin avec une " demande " déjà constituée ou ayant une certaine habitude à exprimer des plaintes, contrairement à l'HTA de dépistage systématique ; par ailleurs, une proportion plus ou moins forte de sujets jeunes, souvent porteurs d'une HTA limite/labile, infléchit les résultats des études menées en milieu public dans le sens d'une pathologie émotionnelle [ 42 ]. C'est, en effet, chez les hypertendus limites (systolique comprise entre 140 et 160 mmHg et/ou diastolique comprise entre 90 et 95 mmHg) que l'on retrouve plus facilement, en même temps qu'une labilité tensionnelle, une labilité émotionnelle et neurovégétative (palpitations, sueurs, bouffées vasomotrices cutanées, etc.) ainsi que certaines phobies sociales a minima (malaise lors d'une prise de parole ou dans les relations de groupe) [ 29], [44 ]. L'anxiété notée dans ces cas est une anxiété de situation et non une anxiété permanente (anxiété-état et non anxiété-trait) : elle peut être reconnue sans trop de difficulté par les patients eux-mêmes. Quant aux hypertendus avérés permanents, d'âge moyen plus mûr, ils présentent moins de manifestations émotionnelles que les normotendus de même âge, notamment moins de plaintes anxieuses mais aussi un meilleur contrôle des impulsions agressives.
Le comportement social des hypertendus, aussi adapté puisse-t-il paraître, semble sous-tendu par une dimension défensive : les hypertendus se montrent plus réservés qu'une population témoin au cours d'un entretien dont certaines questions visent la vie intime, mais, paradoxalement, lorsqu'ils sont interrogés en fin d'entretien, ils dénient le caractère " stressant " des questions les plus indiscrètes, contrairement au groupe témoin qui reconnaît avoir été gêné [ 21 ].
Des questionnaires d'autoévaluation montrent que les hypertendus éprouvent plus facilement que les normotendus du ressentiment lorsqu'ils se sentent frustrés. Cette constatation est à rapprocher d'études effectuées sur des populations normotendues, qui retrouvent des chiffres tensionnels supérieurs chez les sujets réagissant à certaines frustrations (par exemple la confrontation avec une autorité arbitraire et injuste) avec ressentiment plutôt que de manière réfléchie (réponse différée et maintien de la communication) [ 23 ]. Réactivité émotionnelle et besoin de maîtrise paraissent donc, l'une comme l'autre, corrélés à l'élévation de la PA.
Il serait abusif de vouloir attribuer à tous les hypertendus permanents un profil psychologique unique. De fait, il est possible de décrire chez les hypertendus un nombre limité de " types " d'organisation caractérielle, chaque type ayant sa cohérence interne et induisant un style de relation médecin-malade particulier. Une étude menée en médecine praticienne, à partir de 2 275 dossiers d'hypertendus suivis sur plus d'un an, a permis ainsi d'individualiser quatre types psychologiques d'hypertendus, représentant respectivement 43, 33, 10 et 14 % de la population étudiée et désignés par les termes : " tout va bien ", " hyperréactif ", " dépressif " et " dynamique adapté ".
Les " tout va bien " correspondent à des hypertendus qui n'ont pas de plaintes subjectives, ne sont ni anxieux, ni coléreux, ni dépressifs et disent ne pas avoir de conflits dans leurs relations personnelles ou professionnelles. A y regarder de plus près, ces sujets présentent en fait divers indices d'instabilité émotionnelle mais tiennent à sauvegarder coûte que coûte une façade normative.
Les " hyperréactifs " correspondent à des hypertendus émotifs et qui ne s'en cachent pas ; ce sont des sujets qui expriment plus volontiers un malaise personnel et qui reconnaissent avoir des conflits dans leur existence.
Les " dépressifs " correspondent à des hypertendus peu assurés, individualistes et rêveurs, marqués par des événements éprouvants ou par les maladies de leur entourage, peu confiants en leur propres capacités.
Enfin, les " dynamiques adaptés " correspondent à des hypertendus qui ne sont pas exempts de mouvements d'humeur mais qui extériorisent leur agressivité de manière, socialisée, avec une forte attirance pour les situations de compétition et une recherche de responsabilités ; ce sont des sujets qui vont de l'avant, n'hésitent pas à affronter les difficultés et semblent même les rechercher, ce qui leur réussit plutôt bien, vu leur tendance à grimper assez rapidement à l'échelle des promotions professionnelles.
Ces différents types ne sont peut-être pas sans rapport les uns avec les autres et peuvent être interprétés comme des modalités défensives plus ou moins efficaces face à une vulnérabilité de base commune : ainsi, l'on pourrait voir chez les hypertendus " tout va bien " une volonté de maîtrise de l'instabilité émotionnelle si apparente chez les " hyperréactifs ", et, chez les " dynamiques adaptés " (proches du " pattern A " décrit dans les affections coronariennes), une position de lutte active contre toute dépendance et toute menace " dépressive " [ 6 ].
Les études sur les corrélations psychosomatiques en matière d'HTA sont moins nombreuses chez l'enfant et l'adolescent que chez l'adulte. On a pu néanmoins démontrer que les valeurs de la pression artérielle d'adolescents ayant entre 10 et 16 ans pouvaient varier selon l'importance de divers traits de personnalité. Les adolescents qui présentent les chiffres tensionnels les plus élevés (sans être forcément considérés comme des hypertendus) font preuve d'un plus grand besoin de maîtrise et d'un plus grand besoin de réalisation de soi ; les autres traits du caractère liés à une PA élevée sont l'ambition, la compétitivité, la tendance à l'ordre et à l'organisation. Bref, on trouve là associés un aspect " raisonnable " et " hypermature " et un dynamisme non dénué d'agressivité. Volonté de réussite et quête de la reconnaissance sociale se combinent ainsi chez les adolescents " candidats " plus que les autres à l'HTA, car appartenant à l'une des extrémités de la courbe de distribution des pressions artérielles [ 5], [26 ].

De la revue de la littérature sur les différences psychocomportementales entre hypertendus et normotendus se dégagent deux notions essentielles, liées d'ailleurs l'une à l'autre : d'une part, la répression de l'agressivité, sous ses différentes formes, d'autre part, le concept plus général d'inhibition de l'action, avec les conséquences préjudiciables d'une telle tendance pour toute situation interactive [ 7], [10], [34 ].
Les hypertendus, comparés à des normotendus du même âge, paraissent non seulement moins aptes à extérioriser leur agressivité (même lorsqu'ils se sentent menacés ou blessés), mais également moins enclins à exploiter les possibilités de rétorsion, qui pourtant peuvent être inscrites dans les règles d'un jeu interactif et donc être tout à fait " licites ".
D'autres travaux effectués sur des populations d'adolescents normotendus, proches de ceux que nous avons déjà mentionnés, permettent de confirmer que les chiffres tensionnels sont corrélés non seulement avec diverses variables biologiques (poids, apport sodé, antécédents cardio-vasculaires chez les parents), mais aussi, et de manière indépendante (corrélations partielles), avec diverses caractéristiques psychologiques : les chiffres de PA sont, en effet, d'autant plus élevés que les adolescents ont une plus forte anxiété de situation ou une plus forte colère de situation (propension à se mettre en colère) ; mais il importe surtout de noter que la PA est liée positivement au score de " colère rentrée " (intériorisée, non exprimée) et négativement à celui de colère extériorisée [ 30 ].
Le lien entre un profil psychologique associant un fort besoin d'affirmation et de domination (" need for power "), et une tendance à inhiber l'expression d'un tel besoin, a été retrouvé dans trois types de populations par MacClelland : il s'agissait, d'une part, d'un groupe d'hypertendus de nationalité allemande, d'autre part d'un groupe d'étudiants américains normotendus, enfin et surtout d'une cohorte d'Américains suivis pendant quarante ans, à la suite d'un bilan clinique initial approfondi. Les individus dont le profil psychologique évoquait un besoin d'affirmation inhibé ont présenté ultérieurement, plus souvent que les autres, une HTA permanente et sont décédés plus fréquemment que les autres d'une complication cardio-vasculaire. Il s'agit là d'une des rares études psychosomatiques longitudinales en matière d'HTA, contrairement au domaine des cardiopathies ischémiques, qui a inspiré de nombreuses études prospectives [ 35 ].
Le rôle d'une hyperréactivité sympathique et d'une sécrétion accrue de catécholamines, adrénaline, et surtout de noradrénaline (NA), dans la réactivité hémodynamique au stress et dans l'installation d'une HTA essentielle, a souvent été évoqué. On a pu ainsi montrer que la concentration plasmatique en NA était supérieure chez des sujets présentant une HTA modérée et une activité rénine plasmatique (ARP) élevée, comparativement au groupe hypertendu à ARP basse ou au groupe témoin normotendu. Après blocage des influences neurovégétatives sur le coeur par l'atropine et le propranolol, l'administration de phentolamine (alpha-bloquant) ne fait baisser les résistances vasculaires périphériques que dans le groupe à ARP élevée ; les auteurs suggèrent que l'hyperréactivité sympathique est la cause de l'élévation de l'ARP, car l'administration de faibles doses de propranolol (bêtabloquant) fait revenir l'ARP à la normale, alors que la concentration en NA et la PA restent élevées. Les sujets hypertendus à ARP élevée se distinguent aux tests psychologiques par une plus forte répression de l'hostilité et par une personnalité plus défensive, plus soumise et plus sujette à la culpabilité [ 14 ].
Une étude menée sur une population de jeunes étudiants normotendus invités à résoudre un test intellectuel a montré que ceux qui étaient dérangés pendant le passage de l'épreuve par un tiers assistant à l'examen présentaient une plus forte accélération cardiaque et une élévation plus nette de la pression systolique que les témoins soumis au même test dans des conditions de calme. Dans un deuxième temps, les mêmes sujets étaient invités à participer à un jeu duel avec l'individu qui les avaient agacés au cours du passage du premier test : certains sujets se montraient capables d'exploiter les possibilités de représailles que leur offraient les règles du jeu. Les autres avaient une attitude plus réservée et les tests psychologiques pouvaient détecter chez eux la plus forte culpabilité à l'égard de l'expression de l'agressivité ; ce sous-groupe présentait la pression diastolique la plus élevée à la fin du jeu, comparativement aux sujets capables de décharger leur irritation et leur colère de manière adaptée [ 48 ].

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L'influence d'événements traumatisants ou du vécu émotionnel sur les chiffres tensionnels est connue de longue date et a même été à l'origine d'un malentendu regrettable autour de la notion de " tension nerveuse ".
Des publications classiques ont pu faire état du rôle de l'ambiance du combat, d'un tremblement de terre, ou d'une explosion dramatique dans l'élévation de la PA, élévation persistant parfois longtemps après le retour du front ou la survenue de la catastrophe [ 18], [43 ]. C'est dans une même optique qu'a été souligné le rôle défavorable des conditions de la vie urbaine ou de certaines professions exposées comme celles des contrôleurs aériens [ 28 ]. Plus intéressante encore est la constatation d'une élévation tensionnelle survenant dans les suites de la perte d'un emploi ou même dès l'annonce d'un licenciement, élévation qui peut persister tant que dure la situation d'instabilité professionnelle [ 33 ].
Un cumul de stress sociaux multiples a été incriminé pour rendre compte des différences entre les mesures tensionnelles de sujets habitant dans des " niches " socio-économiques très différentes les unes des autres : dans une grande enquête effectuée à Detroit (États-Unis), les chiffres moyens de PA sont effectivement supérieurs dans les zones à chômage élevé, à revenu moyen modeste, à régime matrimonial précaire et à criminalité élevée ; ils sont supérieurs également chez les Noirs américains comparés à des Blancs vivant dans des conditions analogues [ 22 ].
Des arguments psychosociologiques font penser que la relation entre couleur de peau et HTA ne se réduit pas à une prédisposition génétique : parmi les Noirs américains, ceux dont la PA est la plus élevée sont aussi ceux qui vivent dans les conditions les plus difficiles ; on sait d'ailleurs que l'évolutivité de l'HTA est bien plus sévère chez les Noirs vivant aux États-Unis que chez les Noirs d'Afrique, ce qui est certes lié au contexte diététique mais dépend également du rythme de vie et des différences de degrés dans l'exposition au stress [ 27 ].
Parmi les contraintes sensorielles, le niveau de bruit et la durée de l'exposition à une telle nuisance ont été corrélés positivement avec les chiffres tensionnels [ 12 ]. L'effet sur la PA de contraintes cognitives, comme le calcul mental, est lui aussi connu de longue date [ 4 ]. Mais il est essentiel de noter que la réactivité hémodynamique des hypertendus aux stimuli nociceptifs de toute nature (physique ou psychologique) a constamment été retrouvée supérieure à celle de sujets normotendus et que, parmi ceux-ci, ceux qui présentent des antécédents familiaux d'HTA sont généralement plus réactifs que les autres [ 15], [19], [46 ].
Les modifications hémodynamiques au stress font partie d'une mise en alerte générale de l'organisme s'accompagnant d'une augmentation de la vigilance et pouvant être interprétée comme une préparation de l'organisme à l'action : l'élévation du débit cardiaque et de la PA, surtout lorsqu'il y a augmentation des résistances vasculaires globales au profit d'une vasodilatation musculaire, peut être comprise comme l'anticipation d'une réponse impliquant la motricité et faisant intervenir en particulier le système nerveux sympathique et la sécrétion de NA. On peut noter, en passant, que les modifications lipidiques [ 11 ] et celles de l'hémostase en situation de stress (élévation des acides gras libres, élévation de la cholestérolémie, élévation de l'agrégabilité plaquettaire et de la viscosité sanguine) peuvent aussi être conçues, dans une perspective finaliste, comme des moyens prophylactiques, consistant à pouvoir puiser dans des réserves énergétiques aisément mobilisables, en dehors de tout apport alimentaire et pendant un temps plus ou moins long, ainsi qu'à atténuer les conséquences de blessures infligées dans un combat par l'adversaire. De telles considérations, bien sûr, n'ont de sens qu'appliquées aux conditions de vie des sociétés animales ou à celles que l'on peut reconstituer pour des sociétés humaines dites primitives, sociétés dans lesquelles la réponse à l'agression restait dominée par l'alternative fuite/combat.
Tous les stress n'ont pas le même effet incitateur sur la régulation hémodynamique. Certains stress, dit " passifs ", tels que la situation d'un passager dans un avion pris dans une turbulence ou celle d'un spectateur qui assiste à la projection d'un film violent, constituent des agressions subies : il n'est pas laissé au sujet agressé la possibilité de modifier le cours des événements. D'autres stress, dits " actifs ", comme la situation du pilote dans le même avion ou celle d'un sujet engagé dans un jeu interactif avec un partenaire ou avec un micro-ordinateur, confèrent en revanche à l'individu sollicité la possibilité, par son ou ses comportements, d'agir sur l'issue de la situation et ainsi de contrôler ou au contraire d'aggraver la situation stressante. L'expérience prouve que les hypertendus et les normotendus avec antécédents familiaux d'hypertension sont plus réactifs aux stress actifs qu'à des stress passifs, c'est-à-dire aux situations vécues par eux comme un défi (un " challenge ", en anglais), situations dans lesquelles ils sont amenés à faire leurs preuves et à adopter une position de contrôle des événements. Les stress " passifs " se traduisent sur le plan hormonal par une médiation médullo-surrénalienne, avec sécrétion d'adrénaline au premier plan, alors que les stress actifs impliquent aussi, et souvent de manière prédominante, l'intervention des terminaisons sympathiques et la sécrétion de NA [ 47 ].

Des souches de rats spontanément hypertendus (SHR), de même que les animaux qui élèvent leur tension dès qu'ils sont soumis à un régime riche en sel, sont plus réactives, sur le plan cardiovasculaire, aux stress de toute nature : l'hérédité rendrait, par conséquent, plus vulnérable face au stress. Mais les travaux de Henry et coll. ont permis de constater que les souris " dominatrices " avaient une PA supérieure à celle des souris " soumises " cohabitant dans la même colonie [ 24 ]. On a pu prouver également que l'isolement des animaux, pendant la période initiale de leur développement, les préparait mal à la confrontation avec d'autres animaux, et a fortiori au combat, d'où une plus forte réactivité au " stress " constitué par l'obligation secondaire d'une vie collective [ 20 ].
En épidémiologie humaine, des études faites sur des paires de jumeaux homozygotes suggèrent que le sujet qui présente le premier des chiffres tensionnels anormalement élevés se distingue de son semblable par un caractère initialement moins affirmé ou moins brillant, retard qu'il essaierait de combler en visant des objectifs de plus en plus élevés. Il a été aussi noté que la variance de la PA était plus grande au sein de paires de jumeaux mâles qu'au sein de paires de jumeaux femelles, comme si le devenir des premiers restait plus nettement sous l'influence des facteurs liés à l'environnement [ 25 ].
Quant à l'hyperréactivité au stress constatée chez des sujets normotendus ayant des antécédents familiaux d'HTA, elle est, elle aussi, de mécanisme complexe. On a pu, en effet, observer une tendance à l'inhibition de l'action dans l'entourage d'un sujet hypertendu et cela, même en dehors d'un lien consanguin. Expérimentalement, lorsque l'on compare le comportement verbal et infraverbal (direction du regard) au sein de familles invitées à simuler une scène de conflit devant une caméra vidéo, les familles dont le père est hypertendu, alors que la mère et l'enfant sont normotendus, ont tendance à recourir plus fréquemment à l'évitement du regard, quels que soient les membres qui entrent en interaction, que celles dont tous les membres sont normotendus ; en revanche, les deux catégories de familles ne différent pas quant à l'extériorisation verbale de l'agressivité, du moins dans ce type de situation fictive. Ce protocole démontre qu'une tendance à l'esquive du conflit peut aussi être transmise d'une génération à l'autre, sans être forcément fondée sur des mécanismes génétiques [ 2 ].
Ces différents travaux montrent en définitive combien l'inné et l'acquis s'adjoignent et même interagissent pour aboutir à une vulnérabilité vasculaire accrue. Ils nous rappellent surtout la part subjective de toute expérience vécue ; une contrainte psychosensorielle ne peut jamais se réduire à un ensemble de paramètres objectivables, mais dépend intimement de sa résonance affective, des capacités d'adaptation de l'individu, de la souplesse de ses mécanismes de défense psychique.

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La tendance des hypertendus à l'inhibition de l'action et à l'évitement des situations conflictuelles peut être retrouvée au test de frustration de Rosenzweig, série d'images dans le style d'une bande dessinée qui décrit des situations de stress de la vie quotidienne. Il est demandé au sujet examiné de remplir une bulle vide surmontant l'un des personnages, en imaginant la réaction que pourrait avoir un tel personnage dans de telles situations. Les hypertendus donnent à ce test, plus fréquemment que les normotendus, des réponses de type impunitif : ce sont des réponses d'esquive, qui évitent le maniement de l'agressivité suscitée par la situation de frustration et qui s'opposent, d'une part, aux réponses extrapunitives ou réponses de contre-attaque, avec extériorisation de l'agressivité, d'autre part aux réponses intrapunitives, consistant en un retournement de l'agressivité contre soi (le sujet endosse la responsabilité de la situation frustrante et essaie, par ses propres moyens, d'y apporter une solution) [ 32], [38 ].
L'utilisation du Rorschach (interprétation de taches d'encre) a apporté, elle aussi, et plus encore que le Rosenzweig, des éléments de réflexion intéressants sur le fonctionnement mental et la dynamique pulsionnelle des hypertendus. Comparant des hypertendus limites/labiles, d'âge jeune, et des hypertendus permanents, d'âge moyen, à des normotendus appariés pour l'âge et le sexe, Kamieniecki avait montré que les hypertendus recouraient plus souvent à un mode d'appréhension globale des planches et donnaient plus fréquemment des réponses banales ; l'indice d'angoisse, calculé à partir des réponses sexe, anatomiques ou sang, y était plus bas ; surtout, on y relevait plus fréquemment des " chocs au rouge " et des " chocs kinesthésiques ", témoignant, les premiers, d'une difficulté à contrôler les pulsions agressives, les seconds, d'un certain degré d'inhibition fantasmatique (cette constatation étant en fait particulière aux hypertendus labiles) [ 31 ].
Nous avons nous-même, dans une étude comparative entre hypertendus et normotendus, retrouvé dans les réponses au Rorschach des premiers un plus grand conformisme, une moindre créativité et une attitude plus défensive, avec répression de l'angoisse et de l'agressivité, que chez les seconds. Toutefois, l' " enquête " qui suit la passation du Rorschach (précisions apportées par le sujet examiné sur les réponses données tout au long du test) a laissé entrevoir chez les hypertendus labiles un assouplissement défensif et une émergence pulsionnelle (angoisse et agressivité plus librement exprimées), conférant aux protocoles très " contrôlés " de ces sujets une allure dynamique et mobilisable. Surtout, l'utilisation d'un appareillage de mesure subcontinue de la PA, tout au long du passage du test, a permis de démontrer qu'il existait une corrélation négative entre l'évolution du degré et de la qualité de la figuration de l'agressivité dans les réponses fournies à deux planches successives (la II et la III, ou la III et la IV) et l'évolution de la PA, notamment de la diastolique, entre ces mêmes planches. Cette constatation était valable aussi bien au sein du groupe hypertendu qu'au sein du groupe normotendu. Elle signifie que l'on peut ainsi retrouver chez un même individu, au cours d'une observation longitudinale, la même relation négative entre PA et expression de l'agressivité, mise en évidence en comparant hypertendus et normotendus. En d'autres termes, face à une planche à forte résonance affective et mobilisant les pulsions agressives, tout sujet (qu'il soit hypertendu ou normotendu) aura tendance à élever sa PA s'il a du mal à lier la charge agressive ainsi mobilisée à des représentations mentales capables de la figurer et de la contenir ; à l'inverse, la PA aura tendance à baisser si une souplesse fantasmatique suffisante rend possible un tel " travail de liaison " [ 9 ].

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La non-observance des prescriptions antihypertensives reste un des éléments majeurs de l'insuffisance actuelle de nos moyens de lutte contre l'HTA. Dans les années 1970-1975, les travaux sur l'observance relevaient plus de 50 % d'abandons du traitement antihypertenseur moins d'un an après instauration. L'on peut dire que de nos jours une observance défectueuse à un an peut être retrouvée chez au moins un hypertendu sur trois [ 3 ].
Parmi les hypertendus suivis régulièrement dans une consultation hospitalière spécialisée, les plus assidus sont des patients parallèlement pris en charge par un médecin traitant personnel, et les perdus de vue sont plus fréquemment tabagiques ou alcooliques [ 40 ]. La qualité de l'observance est liée plus à la perception subjective de la sévérité de l'affection qu'à sa gravité réelle ; elle est moins bonne chez les sujets jeunes et, bien entendu, en cas d'effets secondaires liés au traitement ; elle est, en revanche, meilleure en cas de prescription concomitante pour une autre affection chronique que l'HTA. L'efficacité thérapeutique (qualité du contrôle de la PA) s'avère liée à la régularité de la prise médicamenteuse, telle qu'elle est avouée par les patients, mais pas obligatoirement à l'assiduité aux consultations ; elle semble moins bonne chez les patients de niveau socioculturel élevé et est liée également au niveau d'anxiété lors de la révélation du diagnostic, les patients les plus anxieux initialement répondant mieux au traitement antihypertenseur, bien qu'ils soient moins observants que les autres (on doit tenir compte dans ces cas de la surestimation possible des premières mesures tensionnelles, mais aussi de la part plus importante des mécanismes neurogènes dans l'élévation tensionnelle) [ 36 ].
Une enquête portant sur 4 614 hypertendus suivis en médecine praticienne pendant un an nous a permis de repérer parmi les critères de mauvais pronostic, notés lors de l'instauration du traitement, les éléments suivants : un âge jeune, un statut de veuf ou de divorcé, la non-appartenance à la clientèle habituelle du médecin, une surcharge pondérale, le tabagisme, un cumul de facteurs de risque, une persistance de signes fonctionnels sous traitement. Etait également de mauvais présage, parmi les traits de caractère repérés par le généraliste, la présence d'une impulsivité ou d'une agressivité (ce qui est aisément compréhensible), mais aussi d'une attitude sereine, optimiste et dynamique (ce qui est plus surprenant) ; les sujets considérés comme passifs, inquiets, soumis, s'avéraient en fin d'année être de meilleurs observants. Cette dernière constatation démontre que les patients les plus actifs et apparemment les plus aptes à assumer des responsabilités dans la gestion de leur santé tolèrent probablement moins bien que les autres la relation de dépendance médicale qu'implique l'institution d'un traitement à vie, pour des bénéfices indubitables sur le plan statistique mais pas forcément tangibles au niveau de l'expérience personnelle [ 8 ].
Plusieurs études soulignent l'écart entre le savoir médical sur l'HTA et la connaissance naïve qu'en a le grand public (la signification de l'HTA et les risques encourus en cas d'abstention thérapeutique sont banalisés). L'observance d'un traitement au long cours est, en fait, intimement liée à la qualité de l'interaction médecin-malade ; elle dépend de la personnalité du médecin prescripteur, de sa capacité d'écoute face aux questions et aux revendications du malade, de ses efforts éducatifs visant à faire adopter par l'hypertendu un rôle actif dans le traitement. C'est dans cette lignée que l'on a soutenu, pour certains patients, l'utilité de détenir à domicile un sphygmomanomètre.
En ce qui concerne les effets secondaires des antihypertenseurs, nous ne ferons que mentionner l'hypotension orthostatique, les troubles du sommeil et de la concentration intellectuelle, la congestion nasale, les céphalées, l'essoufflement à l'effort, imputables à différentes catégories de produits pour insister sur :

- l'apparition ou l'aggravation d'un tableau dépressif (essentiellement sous antiadrénergiques : alpha-méthyldopa, clonidine ; plus rarement sous bêtabloquants). Mais la dépression peut aussi constituer l'un des modes de réaction à l'annonce du diagnostic et à la nécessité d'un traitement définitif ;
- l'apparition d'un dysfonctionnement sexuel (impuissance, baisse de la libido). Classiquement plus fréquent avec les antiadrénergiques ou la guanéthidine, ce dernier peut se voir en fait chez tout hypertendu traité, sans que l'on puisse incriminer avec certitude l'effet biochimique des médications : il constitue l'une des principales causes d'abandon thérapeutique. De telles difficultés peuvent passer inaperçues si le médecin ne sait les rechercher avec vigilance et discrétion, d'autant que l'on sait la réserve avec laquelle les hypertendus abordent le domaine de leur vie privée. Même chez des sujets plus ou moins inhibés sexuellement et versés énergiquement dans des réalisations professionnelles, la réalité de l'HTA avec laquelle ils doivent désormais composer, la modification du style de vie, le bouleversement éventuel du partage des rôles dans la vie de couple, la crainte du vieillissement et des complications liées à la maladie peuvent être à l'origine d'un tel dysfonctionnement. L'évolution de ce trouble dépend de la qualité de la communication avec le médecin traitant et de quelques mesures éclairées, plutôt que d'une thérapeutique symptomatique (anxiolytiques, antidépresseurs, plus rarement thérapeutique hormonale, voire sexothérapie).
Signalons à titre de réflexion que des études menées en double aveugle chez des hypertendus modérés, traités par diverses médications spécifiques ou par un placebo, montrent que tous les " effets secondaires " classiques se retrouvent avec la même fréquence dans les deux groupes, mis à part une influence significative de l'alpha-méthyldopa sur l'humeur chez la femme. Ce n'est pas un hasard si l'on a vu fleurir ces dernières années des échelles de qualité de vie ou des essais thérapeutiques prenant en considération cette dimension, tout particulièrement dans le domaine d'affections chroniques peu symptomatiques comme l'hypertension artérielle. Il sera bientôt difficile de dissocier la prescription d'un antihypertenseur du souci de maintenir, ou, mieux, d'améliorer le confort physique et moral de chaque patient, voire même d'en accroître le dynamisme et/ou l'aptitude à une vie sociale et culturelle [ 41], [49 ]. Les changements des habitudes alimentaires, lorsqu'ils s'imposent devant une HTA (en particulier une HTA limite associée à une surcharge pondérale), peuvent occuper la première place dans le " contrat thérapeutique " médecin-malade et jouer un rôle non négligeable dans la modification de la qualité de vie de l'hypertendu, surtout si un effort parallèle doit être fourni en matière de tabac. Le lien entre les chiffres de PA et le poids est une des constatations majeures des études épidémiologiques portant sur l'enfant ou l'adolescent. Il ne faut pas négliger le fait qu'une hyperphagie ou un grignotage, lorsqu'on peut les incriminer à l'origine d'une prise de poids, comportent de nombreux déterminants socioculturels, et peuvent constituer des modes de défense contre l'angoisse ou la dépression. Si les hypertendus obèses présentent des défenses caractérielles plus souples que les autres (besoin de maîtrise moins accusé), voire une avidité affective les poussant à accepter plus facilement une relation de dépendance, ils se montrent plus sensibles aux frustrations induites par les mesures thérapeutiques. Ces dernières sont, en effet, vécues par de tels sujets comme un ensemble de privations mettant à l'épreuve leur volonté et leur capacité de discipline, sans être toujours étayées par un soutien attentif et par la reconnaissance de la part du médecin des efforts réellement fournis. Ce problème d'éducation de la santé peut être transposé à la manière dont peut être proposé un régime hyposodé : la préservation de satisfactions alimentaires et le respect des habitudes conviviales vont en effet conditionner largement l'observance, par de tels sujets, des contraintes thérapeutiques. La prescription de médications antihypertensives et les conseils d'hygiène de vie ne résument pas l'éventail thérapeutique du traitement de l'HTA. Même dans les cas où l'on n'a pas affaire à une fausse hypertension, le recours à des médications anxiolytiques (les moins sédatives possible) et, chaque fois que nécessaire, à des médications antidépressives constitue un complément thérapeutique judicieux. Encore faut-il savoir que les hypertendus peuvent avoir du mal à formuler une demande d'aide, à reconnaître une souffrance psychique ou à avouer qu'ils se sentent découragés ou débordés par leurs difficultés personnelles. On insiste également, de nos jours, sur l'intérêt thérapeutique des antidépresseurs devant des manifestations anxieuses aiguës (" attaques de panique ") ou des troubles de type phobique, symptômes qui peuvent se trouver associés à certaines formes limites/labiles d'HTA. Ce dernier est fondé sur l'information en retour qui peut être apportée à un sujet, le plus souvent au moyen d'un appareil de laboratoire, sur des phénomènes physiologiques échappant à sa conscience. Un tel apprentissage peut être utilisé pour favoriser le contrôle volontaire de certains paramètres ou de certains réflexes (réaction électrodermale, fréquence cardiaque, PA, potentiels musculaires, certains rythmes EEG, température cutanée, salivation) au moyen de renforcements positifs (ou plus rarement négatifs) : la gratification peut être, selon les cas, monétaire, alimentaire, visuelle, ou tout simplement verbale. La seule connaissance du succès obtenu, lors d'une tentative de modification d'une variable échappant normalement à la volonté, peut suffire en expérimentation humaine à produire le renforcement souhaité. Il ressort des travaux sur le biofeedback que les sujets normotendus peuvent faire varier leur PA dans les deux sens, de 5 mmHg en une séance jusqu'à 10 mmHg en trois séances. Les hypertendus peuvent faire baisser leur PA d'une manière encore plus nette, ce qui peut être rapporté, entre autres, à la valeur thérapeutique que prend ici le contrôle de la PA, d'où une plus forte motivation pour ce genre d'exercices. Cependant, les résultats obtenus en laboratoire n'ont pas toujours donné lieu à une vérification de leur stabilité dans les conditions de la vie quotidienne ; quand ces chiffres sont vérifiés dans certaines études, tantôt ils regagnent leurs valeurs antérieures, plus rarement ils se maintiennent (surtout la systolique), en particulier lorsqu'on demande aux hypertendus de poursuivre par eux-mêmes leurs exercices à domicile. Malheureusement, peu de ces travaux comportent d'authentiques groupes de contrôle [ 16 ]. L'utilisation du yoga a pu permettre une baisse significative de la PA chez des patients traités par placebo et une réduction de la posologie chez les autres. Le yoga a pu être associé avec succès au biofeedback et à la relaxation, avec des résultats significativement supérieurs à une simple surveillance régulière de la PA par le médecin traitant (passage de la systolique de 168 à 142 mmHg pour le groupe traité, au bout de trois mois d'exercices, et de 169 à 160 pour le groupe témoin, et passage de la diastolique de 100 à 91 mmHg pour le groupe traité et de 101 à 97 mmHg pour le groupe témoin) [ 37 ]. On a pu montrer qu'une technique de méditation zen offrait des résultats comparables, probablement en diminuant l'hyperréactivité sympathique (diminution de l'activité plasmatique de la dopamine bêta-hydroxylase). La relaxation est le type de traitement non pharmacologique qui a motivé le plus grand nombre de travaux et dont les résultats sont les plus probants. Des études contrôlées démontrent que la relaxation est même plus efficace que le biofeedback. Le rôle causal de la relaxation musculaire a été invoqué mais reste controversé. Les résultats obtenus sur la systolique et la diastolique sont d'autant plus importants que les chiffres tensionnels initiaux sont élevés. La comparaison à l'effet placebo, mesuré dans ces conditions rigoureuses, privilégie indubitablement la relaxation, l'effet placebo ne jouant que modérément sur la systolique. La plupart de ces études prouvent bien que la PA reste basse entre les séances de relaxation et pendant une durée de plusieurs mois après la fin du traitement [ 17 ]. L'utilisation associée de l'induction hypnotique semble accroître l'importance des résultats, alors que l'hypnose seule reste inefficace. Les thérapeutiques par relaxation opèrent, en fait, en permettant aux patients de prendre conscience de la façon dont leurs tensions internes et leurs émotions se traduisent au niveau de leur corps, d'où l'aménagement d'un espace perceptif, qui puisse rendre possible une prise de distance à l'égard de la vie affective et de ses conflits, sans en banaliser ou en nier la réalité. Ce type d'élaboration mentale peut être un des principaux objectifs de véritables " psychothérapies par relaxation ", l'expression du vécu corporel et l'acquisition d'une maîtrise progressive des tensions somatiques étant le prétexte d'un abord prudent de la vie psychique, de type psychanalytique. Ces thérapeutiques mériteraient un plus large crédit dans le milieu médical. Elle se heurtent cependant aux problèmes ardus de la formation des relaxateurs et de leurs conditions d'exercice dans le système actuel de soins. Notons aussi que la relaxation est une thérapeutique qui conserve le label médical contrairement au yoga qui, malgré son efficacité plus discutable, est mieux accepté par le grand public. Les psychothérapies d'inspiration analytique sont d'une indication plus limitée. Cet abord mérite d'être réservé aux sujets qui, en raison de leur demande explicite, de leur problématique névrotique ou de leurs intérêts théoriques, sont susceptibles de s'y engager de manière durable et d'en attendre des bénéfices. Plus qu'ailleurs, la technique exige ici des précautions particulières. Au total, il est indubitable que les thérapeutiques spécifiques à visée psychologique, proposées à titre de complément de la chimiothérapie antihypertensive, apportent un appoint non négligeable au traitement de l'HTA. Certes, il n'est pas toujours facile de savoir si certaines de ces thérapeutiques agissent par un effet direct ou par le biais des modifications comportementales qu'elles entraînent chez des sujets suivant régulièrement, activement et avec confiance leur traitement. Elles exigent, dans tous les cas, une évaluation de leur indication puis une mise en place suffisamment rigoureuse. Le choix de telles thérapeutiques dépend de l'intensité du besoin de maîtrise de l'hypertendu, de la rigidité de ses mécanismes de défenses psychiques, mais aussi de son style de vie habituel et de ses capacités naturelles de détente ou de réflexion sur lui-même. Dans beaucoup de cas, ces thérapeutiques peuvent conduire à une diminution de la posologie et à un amendement des effets secondaires des médications antihypertensives. Si certaines de ces techniques nécessitent le concours d'un spécialiste (c'est le cas de la relaxation), l'essentiel de la prise en compte des dimensions psychologiques de la maladie hypertensive s'intègre dans le cadre de la relation médecin-malade. C'est à l'omnipraticien qu'il appartient, en effet, d'exploiter au mieux les atouts de sa position privilégiée et sa connaissance des réalités concrètes qui sont celles de la vie de ses patients. Le médecin généraliste a de plus un rôle privilégié pour préparer progressivement un hypertendu à accepter la réalité de sa maladie. Il peut également faciliter, chez des sujets qui n'ont pas forcément une grande aisance pour s'extérioriser, l'expression plus libre de sentiments, tels qu'un découragement, des inquiétudes diverses, voire de véritables critiques ou revendications. C'est là, probablement, que résident l'une des clés d'une relation médecin-malade de qualité et l'une des principales dimensions du rôle psychothérapique du médecin généraliste.

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