Antiarythmiques









Gilbert Motté: Professeur des Universités, praticien hospitalier
Hôpital Antoine-Béclère, 157, rue de la Porte de Trivaux, 92141 Clamart cedex France
Sylvie Dinanian: Praticien hospitalier
Claude Sebag: Praticien hospitalier
Michel Slama: Professeur des Universités, praticien hospitalier
11-904-A-10 (1996)



Résumé

Les antiarythmiques regroupent les médicaments capables d'arrêter des arythmies, d'en prévenir les récidives ou d'en améliorer la tolérance.
Ces dernières années, les résultats de grands essais thérapeutiques contrôlés et randomisés, notamment l'étude Cardiac arrhythmia suppression trial (CAST) dans le postinfarctus [ 32 ], ont montré que les antiarythmiques pouvaient aussi, dans certaines conditions, être délétères et comporter un risque de morbidité et de mortalité supérieur à celui du trouble rythmique traité. Ces données ont eu deux conséquences : l'arrêt du développement de cette classe thérapeutique et la diminution de leurs prescriptions. Les progrès réalisés dans la technologie des thérapeutiques non médicamenteuses contribuent également à réduire l'utilisation des antiarythmiques.
Néanmoins, ces médicaments restent indispensables dans beaucoup de domaines des troubles rythmiques. Seuls seront envisagés les principaux produits utilisés en France et ayant l'autorisation de mise sur le marché (AMM).
Afin de mieux comprendre les modes d'action et les principales propriétés des antiarythmiques, il a paru utile de rappeler certaines bases concernant l'électrophysiologie cardiaque et les mécanismes des arythmies.

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Plan

Rappel d'électrophysiologie cardiaque
Généralités sur les mécanismes des arythmies
Modes d'action des antiarythmiques
Propriétés et effets des antiarythmiques chez l'homme
Choix des antiarythmiques

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Les principales structures qui régissent l'activité électrique du coeur et sur lesquelles agissent les substances antiarythmiques sont les canaux ioniques, les pompes et transporteurs et les récepteurs qui régulent le système nerveux autonome [ 16 ].

Les cellules cardiaques sont isolées du milieu extracellulaire par une membrane constituée d'une bicouche lipidique dans laquelle sont enchâssées des structures protéiques appelées canaux car, sous certaines conditions, elles permettent aux ions de traverser la membrane, créant ainsi des courants ioniques entrants ou sortants plus ou moins spécifiques.
L'ouverture d'un canal dépend de stimuli variés : modifications du voltage membranaire, signaux chimiques, déformations mécaniques, qui agissent en changeant la conformation des protéines des canaux avec une cinétique plus ou moins rapide. Une fois ouverts (activation), les canaux peuvent le rester jusqu'à la survenue d'un autre signal, ou bien se fermer (inactivation) malgré le maintien du stimulus initial ; la levée de l'inactivation est dépendante du temps et souvent du niveau du potentiel membranaire.
Les courants ioniques sont nombreux et diffèrent selon les types cellulaires. Certains sont dépolarisants d'autres repolarisants. Ils sont schématisés sur la figure 1. L'activité des principaux courants peut se résumer comme suit.


Courants dépolarisants
Ils diminuent la négativité du milieu intracellulaire en faisant entrer des cations (sodium ou calcium).

- Le courant sodique entrant (INa), activé par le voltage, est responsable de la phase 0 du potentiel d'action des cellules atriales, ventriculaires et du système His-Purkinje, mais pas des cellules du noeud sinusal et du noeud auriculoventriculaire [ 4 ].
- Un autre courant sodique, appelé courant de fond ou de base (INa-B), est activé en permanence dans les cellules du noeud sinusal ; il en résulte une polarisation diastolique moindre que celle des autres cellules auriculaires.
- Enfin If est un courant entrant d'activation lente, porté surtout par le sodium [ 10 ] ; il est présent dans les cellules du noeud sinusal et des fibres de Purkinje où il participe à la dépolarisation diastolique spontanée à l'origine de leurs automatismes.
- Le courant calcique entrant est porté par au moins deux canaux dont le plus important est le type L (ICa-L) ; il est activé à partir d'un seuil de potentiel relativement dépolarisé (de l'ordre de -30 mV) et sa cinétique d'activation est lente comparée à celle de INa ; ICa-L est à l'origine du potentiel d'action des cellules du noeud sinusal et du noeud auriculoventriculaire ; il contribue au plateau du potentiel d'action des autres cellules et déclenche la libération de calcium du réticulum sarcoplasmique qui intervient dans la contraction [ 12 ]. Le courant calcique de type T (ICa-T) est d'intérêt plus modeste.
Courants repolarisants
Ils augmentent la négativité du milieu intracellulaire en faisant sortir des cations (potassium) ou entrer des anions (chlore). La repolarisation membranaire dépend essentiellement des courants potassiques.
- IK1 est le courant potassique de base responsable du maintien du potentiel diastolique très proche du potentiel d'équilibre des ions K+. Il est fortement réduit pendant la durée du plateau (rectification entrante anormale) [ 14], [23 ]. Il est absent des cellules du noeud sinusal.
- IK est le courant de cinétique d'activation lente pendant le plateau du potentiel d'action. C'est le principal courant responsable de la repolarisation [ 24 ]. Quand celle-ci est terminée, il s'inactive suffisamment lentement dans les cellules du noeud sinusal pour contribuer à la dépolarisation diastolique spontanée.
- ITo se décompose en deux courants : l'un activé par le calcium intracellulaire et l'autre par le voltage [ 6 ]. Ils sont responsables de la repolarisation précoce du potentiel d'action (phase 1). Ils jouent un rôle important dans la durée du potentiel d'action et l'hétérogénéité de la repolarisation.
- IK (Ach) est un courant potassique dont les canaux sont activés par les récepteurs muscariniques M2 via une protéine G [ 26 ]. Il est surtout important dans les cellules atriales et nodales (hyperpolarisation et accélération de la repolarisation). L'activation des récepteurs purinergiques (adénosine) peut également ouvrir ces canaux.
- IK (ATP) est un courant potassique dont les canaux sont activés lorsque la concentration intracellulaire en ATP (adénosine triphosphorique) est basse (hypoxie, ischémie). Il raccourcit alors la durée du potentiel d'action [ 5 ].
- IC1 est un courant chlore entrant de faible amplitude mais qui peut augmenter sous l'effet d'une stimulation adrénergique.


Courants intercellulaires
Le passage des ions d'une cellule à l'autre se fait au niveau de jonctions (gap-junctions) ou nexus constituées de canaux appelés connexions [ 25 ]. La résistance au niveau des nexus est d'autant plus faible et la vitesse de conduction de l'influx entre les cellules d'autant plus grande que la densité des connexions est plus importante (fibres de Purkinje). La surcharge calcique intracellulaire et la baisse du pH (lors de l'ischémie par exemple) altèrent leur perméabilité et ralentissent ou suppriment la conduction intercellulaire.

La pompe Na-K ATPase fait entrer deux ions potassium dans la cellule en échange de la sortie de trois ions sodium. Elle est donc électrogène car elle crée ainsi un courant net sortant [ 11 ]. Le transfert des ions se faisant contre les gradients de concentration, la pompe Na-K consomme de l'énergie. Elle est bloquée par les digitaliques avec pour conséquence une accumulation de sodium intracellulaire qui est alors expulsé par l'échangeur Na/Ca, d'où une augmentation de calcium intracellulaire pour le couplage excitation-contraction. Inversement, à l'état normal et après la contraction, l'échangeur Na/Ca participe (avec la pompe Ca ATPase) à l'efflux de calcium en l'expulsant de la cellule contre une entrée de sodium. Dans les deux cas, cet échangeur est électrogène : un Ca2+ contre trois Na+ [ 28 ].


- Les récepteurs alpha- et bêta-adrénergiques, les récepteurs muscariniques et purinergiques sont couplés aux G-protéines qui transmettent les messages à l'intérieur de la cellule [ 15 ].
- La stimulation bêta 1-adrénergique, via une protéine Gs, augmente la phosphorylation du canal calcique de type L (et par conséquent ICa-L), le courant If, plusieurs courants potassiques et l'activité de la pompe Na-K.
- Les récepteurs alpha-adrénergiques jouent peut-être un rôle dans le mécanisme des arythmies mais les données chez l'homme manquent.
- Les récepteurs muscariniques, surtout présents dans les oreillettes, sont directement liés aux canaux potassiques IK (Ach). Ils inhibent l'adénylate-cyclase via une protéine Gi et diminuent ainsi les courants ICa-L, If et IK. Les activations muscariniques et bêta 1-adrénergiques ont donc des effets opposés [ 21 ].
- Les récepteurs purinergiques A1 sont couplés à une protéine G qui agit sur un canal potassique. L'adénosine est un agoniste de ces récepteurs.
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Les troubles du rythme cardiaque sont en rapport avec des anomalies de la formation de l'influx (automatismes anormaux et activités déclenchées à partir de postépolarisations) ou des troubles de conduction à l'origine de phénomènes de réentrée. Ils sont dus à des altérations myocardiques ou du système de conduction (substrat arythmogène) auxquels s'ajoutent généralement des facteurs déclenchants ou favorisants parmi lesquels le système nerveux autonome joue un rôle prépondérant. L'automatisme est la propriété qu'ont certaines cellules de générer spontanément leur potentiel d'action du fait de l'existence, pendant la phase 4, d'une dépolarisation diastolique spontanée (DDS) conséquence d'un courant net entrant. La fréquence des impulsions dépend de la pente de la DDS mais aussi de la durée du potentiel d'action et de la différence entre le potentiel diastolique maximal et le potentiel seuil. Normalement les cellules du noeud sinusal ont l'automaticité la plus rapide (" pacemaker " physiologique) inhibant ainsi les foyers automatiques subsidiaires qui sont recyclés avant que leurs DDS atteignent le potentiel seuil [ 34 ]. Sous l'effet de différents facteurs, notamment de la stimulation adrénergique, les paramètres qui règlent la fréquence des impulsions peuvent être modifiés et entraîner une accélération inappropriée de l'automatisme du sinus ou d'un pacemaker subsidiaire, le plus rapide assurant le contrôle de la fréquence cardiaque. Plus important en clinique que cette automaticité " normale exagérée " est l'automaticité anormale générée par des fibres pathologiques devenues partiellement dépolarisées, le potentiel diastolique maximal se situant entre -40 et -60 mV [ 9 ]. Dans cette gamme de potentiels, la DDS est surtout due à la diminution des courants potassiques sortants et le potentiel d'action est surtout dépendant de ICa. Comme la phase 0 des potentiels d'action s'accompagne d'une faible entrée de sodium, l'activité de la pompe Na-K est réduite et il y a peu ou pas d'inhibition des autres automatismes à l'arrêt de la tachycardie (contrairement à ce qui est observé à l'arrêt des automatismes normaux). Les automatismes anormaux pourraient être responsables de certaines tachycardies atriales, de rythmes idioventriculaires accélérés et de tachycardies ventriculaires à la phase aiguë de l'infarctus du myocarde. Les postdépolarisations sont des oscillations du potentiel membranaire qui ne surviennent pas spontanément mais sont induites par un potentiel d'action. Elles sont précoces (phase 2 ou 3 du potentiel d'action) ou retardées, après la fin de la repolarisation [ 7 ].
- Les postdépolarisations précoces (PDP) sont liées à un allongement de la durée des potentiels d'action en rapport avec une réduction de IK et/ou une prolongation anormale d'un courant entrant (sodique ou calcique selon le niveau du potentiel transmembranaire au moment de leur survenue). Aux fréquences lentes, les PDP augmentent d'amplitude [ 8 ] et, si elles atteignent le seuil de potentiel, déclenchent un ou plusieurs potentiels d'action responsables de réponses répétitives plus ou moins soutenues. Les PDP ont un rôle important dans la genèse des torsades de pointe sur QT long [ 3 ].
- Les postdépolarisations retardées (PDR) résultent d'une surcharge calcique intracellulaire : surdosage digitalique, catécholamine, ischémie [ 38 ]. Ceci entraîne une libération répétée du calcium du réticulum sarcoplasmique à l'origine d'un courant entrant dépolarisant (sodique) peut-être généré par l'échangeur Na/Ca [ 19 ]. Contrairement aux PDP, les PDR augmentent d'amplitude (et raccourcissent leur intervalle de couplage) lorsque la fréquence augmente [ 13 ] ; quand elles atteignent le seuil de potentiel, apparaissent une ou plusieurs activités déclenchées.



- Dans les tissus excitables, des rythmes plus ou moins rapides et soutenus peuvent apparaître en rapport avec des impulsions se propageant dans des circuits isolés des structures avoisinantes par des obstacles (barrières de bloc) anatomiques ou fonctionnels. Un tel mouvement circulaire exige deux autres conditions :
- la présence d'une zone de bloc unidirectionnel ; elle est indispensable pour initier le phénomène et permise par l'hétérogénéité, en partie physiologique, des périodes réfractaires ;
- la longueur du circuit doit être égale ou supérieure à la longueur d'onde de l'impulsion qui est définie comme le produit de la vitesse de conduction par la période réfractaire.


- Lorsque l'obstacle est anatomique (flutter auriculaire typique, tachycardie jonctionnelle empruntant une voie accessoire, tachycardie ventriculaire monomorphe soutenue autour d'un anévrysme postinfarctus du myocarde), le circuit est fixe, relativement grand et généralement de taille supérieure à la longueur d'onde. Il existe alors en permanence, entre le front d'activation et la " queue " de l'état réfractaire qu'elle induit, une zone excitable plus ou moins longue, la récupération de l'excitabilité pouvant être totale ou incomplète (période réfractaire relative). Une telle réentrée permet à un stimulus bien situé dans le cycle de la tachycardie de pénétrer dans la partie excitable du circuit et selon les cas de capturer l'onde d'activation (entraînement de la tachycardie), de la retarder (propagation dans une zone de périodes réfractaires relatives) ou de la bloquer (arrêt de la tachycardie) [ 37 ].

- Lorsque l'obstacle est fonctionnel, le front d'activation est au contact de la queue de l'état réfractaire rendant impossible la pénétration dans le circuit ; c'est le concept du leading circle [ 1 ]. L'exemple le mieux étudié est celui de la fibrillation auriculaire caractérisée par de multiples fronts d'ondes d'activation dont les dimensions et les circuits peuvent varier d'un cycle à l'autre en fonction de la modification des vitesses de conduction et des périodes réfractaires.

- Quel que soit le type de réentrée, les conductions lentes et les périodes réfractaires courtes favorisent le phénomène en diminuant la longueur d'onde.

- La conduction lente apparaît dans des tissus partiellement dépolarisés au repos, la phase 0 des potentiels d'action dépendant alors soit du seul courant calcique, soit du courant sodique mais partiellement inactivé. Le ralentissement de la vitesse de conduction peut aussi résulter de l'augmentation des résistances au niveau de nexus altérés, ou encore d'une conduction de l'influx dans le sens transversal et non longitudinal des fibres (anisotropie) [ 29 ].


Le raccourcissement des périodes réfractaires (lié à celui de la durée des potentiels d'action sur les fibres à réponse rapide) s'observe lorsque la durée de la diastole diminue (tachycardies), sous l'effet de la stimulation adrénergique (à l'étage auriculaire et ventriculaire) ou parasympathique (à l'étage auriculaire) et dans certaines conditions pathologiques dont l'ischémie myocardique.

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Généralités [ 2], [17], [22], [30 ]
L'accès aux canaux ioniques est déterminé par des portes dont l'ouverture et la fermeture dépendent du voltage et du temps. Les canaux peuvent prendre trois conformations ou états interconvertibles : repos (passage des ions impossible), activée (seul état où les ions peuvent passer), et inactivée (phase transitoire de récupération avant le retour à l'état de repos).
La plupart des antiarythmiques ont pour effet de bloquer un ou plusieurs courants ioniques (sodique, calcique, potassique) en interagissant avec les systèmes de porte. Dans la théorie du récepteur modulé [ 17 ], l'affinité des récepteurs sodiques et calciques pour leurs drogues est fonction de l'état du canal : elle est faible en conformation de repos (bloc tonique) ; la possibilité de bloc alors que les canaux sont fermés signifie que l'antiarythmique a pu atteindre son site d'action à travers la membrane lipidique (voie non spécifique des substances amphiphiles capables de se solubiliser à la fois dans l'eau et les graisses).
En revanche, l'affinité est forte lorsque le canal est en conformation activée et/ou inactivée (bloc phasique) ; dans ces conditions, plus l'utilisation des canaux est importante et plus le bloc augmente (use dependence). Si la liaison entre le canal et l'antiarythmique se fait lors de l'activation, le degré du bloc dépend de la fréquence ; si elle a lieu pendant l'état inactivé, il dépend également de la durée du potentiel d'action. Lorsqu'un brusque passage en tachycardie survient en présence d'un antiarythmique bloqueur des canaux sodiques, la vitesse maximale d'ascension de la phase 0 des potentiels d'action (Vmax, reflet du courant sodique entrant) diminue de façon exponentielle jusqu'à atteindre un nouvel état stationnaire ; la cinétique d'installation du bloc phasique est variable selon les antiarythmiques. La cinétique de retrait du bloc (dissociation entre l'antiarythmique et son canal) est également exponentielle et plus ou moins rapide selon les substances (fig 2) ; elle est évaluée, lorsque l'état stationnaire est obtenu, par le temps de repos nécessaire pour que Vmax retrouve sa valeur de base. Elle est ralentie en cas de dépolarisation membranaire du fait de la réactivation retardée et incomplète des canaux.

Dans la théorie du récepteur gardé [ 30 ], l'affinité du récepteur est constante mais l'antiarythmique n'y accède qu'en fonction de la conformation des canaux.
Les bloqueurs des canaux potassiques retardent la repolarisation et ont donc comme effet d'allonger la durée des potentiels d'action (DPA) ; mais cette prolongation n'augmente pas avec l'utilisation des canaux ; le bloc est pratiquement indépendant de la fréquence avec l'amiodarone et diminue lors de l'accélération avec la quinidine ou le sotalol : reverse use dependence ou fréquence dépendance inverse [ 18 ]. En clinique, ce comportement est délétère puisque la repolarisation est prolongée lorsque le rythme est lent, ce qui favorise les postépolarisations précoces, source de torsades de pointe, et au contraire se raccourcit en tachycardie, ce qui va à l'encontre de l'effet recherché.

Bloc des canaux sodiques
Dans la classification de Vaughan-Williams [ 35], [36 ] qui regroupe quatre classes d'antiarythmiques selon leur action électrophysiologique dominante (tableau I), la classe I concerne les substances qui bloquent les courants sodiques et ont des propriétés appelées anesthésiques locales ou stabilisantes de membrane.


Effets généraux

- Diminution de l'amplitude de la Vmax des potentiels d'action des cellules dites à réponses rapides (physiologiquement les cellules atriales, ventriculaires et du système His-Purkinje). La réduction de Vmax est d'autant plus importante que la concentration de l'antiarythmique est plus élevée, la fréquence cardiaque plus rapide (fréquence-dépendance) et les cellules moins polarisées au repos (voltage-dépendance).
- Retard de la réactivation de INa, donc du retour à l'excitabilité, par rapport au voltage (déplacement vers les hyperpolarisations de la courbe de Weidmann reliant Vmax au potentiel membranaire) ; ceci se traduit par une augmentation du rapport période réfractaire effective/DPA (PRE/DPA).
- Dépression des automatismes.
- Diminution de l'excitabilité diastolique (élévation du seuil de potentiel).

En revanche, pour des concentrations plasmatiques thérapeutiques, les antiarythmiques de ce groupe n'entraînent pas de modification du potentiel membranaire de repos.

Subdivision des antiarythmiques de classe I (tableaux II, III)
Trois sous-classes ont été proposées en fonction de leur cinétique d'installation et de retrait du bloc phasique mais aussi d'effets associés.



- Ia (substance représentative : la quinidine)
- Affinité surtout en conformation activée.
- Cinétiques de type intermédiaire.
- Allongement de la DPA, notamment de la repolarisation terminale, par blocage de certains canaux potassiques (effet de classe III).
- Allongement voltage- et temps-dépendant des PRE.


- Ib (substance représentative : la lidocaïne)
- Affinité surtout en conformation inactivée.
- Cinétiques rapides permettant la libération des canaux sodiques pendant la diastole aux fréquences physiologiques.
- Raccourcissement de la DPA par limitation du courant sodique résiduel lors du plateau (" INa Window " résultant d'une inactivation incomplète de certains canaux sodiques). La PRE est raccourcie (voltage-dépendance) mais le rapport PRE/DPA est augmenté du fait du retard de la réactivation des canaux sodiques.


- Ic (substance représentative : le flécaïnide)
- Affinité surtout en conformation activée.
- Cinétiques lentes ne permettant pas la libération des canaux sodiques pendant la diastole aux fréquences physiologiques.
- Absence de modification significative de la DPA mais augmentation temps-dépendante des PRE (réactivation ralentie).


Chez l'homme, les antiarythmiques de classe I n'ont pas d'effet significatif sur le sinus et le noeud auriculoventriculaire s'ils sont normaux. La conduction infranodale (intervalle HV et durée de QRS) est prolongée avec les substances de classe Ia et surtout Ic d'où un élargissement plus important des complexes QRS avec ces derniers ; les effets sont majorés aux fréquences cardiaques élevées (fréquence-dépendance) et quand le myocarde est altéré (voltage-dépendance). L'intervalle QT est prolongé avec les antiarythmiques de classe Ia (effet de classe III).

Bloc des canaux calciques
Certains antagonistes calciques ayant des propriétés antiarythmiques (vérapamil, diltiazem) forment la classe IV de Vaughan-Williams (tableau I). Ils bloquent les canaux calciques voltage-dépendants par un mécanisme similaire à celui des bloqueurs sodiques : existence d'un bloc tonique et d'un bloc phasique, retard de la réactivation. La diminution de ICa-L a pour conséquences :

- au niveau des fibres atriales, ventriculaires et du système His-Purkinje, une diminution de la hauteur du plateau (avec triangulation du potentiel d'action) et de l'inotropisme ;
- au niveau du sinus et du noeud auriculoventriculaire une diminution de l'amplitude et de la vitesse de dépolarisation des potentiels d'action (qui peuvent même être supprimés), une augmentation de la PRE (retard temps-dépendant de la réactivation) et une diminution des automatismes.

Chez l'homme les principales cibles de ces antiarythmiques sont donc le sinus (ralentissement) et le noeud auriculoventriculaire (augmentation du temps de conduction et des périodes réfractaires). Les effets de classe IV sont comparables à ceux des bêtabloquants, ce qui rend leur association potentiellement dangereuse (bradycardie excessive).

Bloc des canaux potassiques
Dans la classification de Vaughan-Williams (tableau I), la classe III est représentée par des antiarythmiques allongeant de façon importante la durée des potentiels d'action et les périodes réfractaires des cellules myocardiques. On sait maintenant que le bloc de certains courants potassiques joue un rôle majeur dans cette prolongation de la repolarisation (tableau III), une participation de courants entrants ne pouvant cependant être exclue. L'allongement du potentiel d'action porte sur le plateau ; la phase 3 est donc retardée, son décours n'est pas modifié ; la réactivation des canaux sodiques est également retardée (voltage-dépendance) mais, pour un niveau donné de potentiel membranaire, le nombre de canaux réactivés (et par conséquent la Vmax) n'est pas diminué. La prolongation du plateau s'accompagne par ailleurs d'une augmentation du courant calcique.
Ces effets concernent des antiarythmiques de classe III pure dont aucun n'est encore commercialisé. L'amiodarone et le sotalol sont les principaux représentants de cette classe, le premier ayant également des propriétés de classe Ib, II et IV et le second de classe II. Comme on l'a vu, le blocage des canaux potassiques est également une propriété des antiarythmiques de la classe Ia.
Un effet de classe III se traduit chez l'homme par un ralentissement du sinus, une dépression de la conduction nodale et un allongement de l'intervalle QTU sur l'électrocardiogramme (ECG). Le risque de torsades de pointe semble dépendre moins de l'importance de la prolongation de la repolarisation que de sa dispersion (hétérogénéité des périodes réfractaires).


Récepteurs bêta 1-adrénergiques
En rythmologie l'intérêt des bêtabloquants adrénergiques (classe II de Vaughan-Williams) est de s'opposer aux effets arythmogènes des catécholamines. Les bêtabloquants diminuent les dépolarisations diastoliques spontanées des cellules douées d'automaticité (effet sur If notamment) et ralentissent la conduction dans le noeud auriculoventriculaire. Surtout ils réduisent le nombre de canaux calciques activables en limitant leur phosphorylation, s'opposant ainsi à la surcharge calcique intracellulaire et aux postdépolarisations.
L'efficacité antiarythmique des bêtabloquants est modeste à l'étage auriculaire et ventriculaire sauf bien entendu dans les cas où le déterminisme des arythmies est d'origine adrénergique (déclenchement à l'effort ou au stress, syndrome du QT long congénital). En revanche, ils ont des propriétés antifibrillantes (élévation du seuil de fibrillation ventriculaire, diminution de la dispersion de la repolarisation) surtout sur certains substrats comme le myocarde ischémique, ce qui peut expliquer leur effet bénéfique sur la mortalité dans le postinfarctus du myocarde [ 31 ].

Autres récepteurs
L'activation des récepteurs muscariniques M2 s'oppose aux effets adrénergiques et entraîne une augmentation de IK (Ach) qui hyperpolarise et raccourcit le potentiel d'action des cellules atriales. Chez l'animal l'augmentation de l'activité vagale réduit, et l'atropine augmente, l'incidence de la fibrillation ventriculaire. Chez l'homme, la diminution du tonus vagal, reflétée par celle de la variabilité de la fréquence cardiaque, est associée à une augmentation du risque de mort subite dans le postinfarctus [ 20 ]. La stimulation vagale et les agonistes purinergiques (adénosine) ont des effets dépresseurs similaires sur le noeud auriculoventriculaire. Ils permettent la réduction de tachycardies jonctionnelles impliquant le noeud auriculoventriculaire dans le circuit de réentrée.
Quant aux digitaliques, leur intérêt à visée antiarythmique tient pratiquement exclusivement à leurs propriétés muscariniques ; l'effet de ralentissement de la conduction nodale obtenue au repos est cependant très atténué à l'effort du fait de l'augmentation du tonus adrénergique.

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La pharmacocinétique des principaux antiarythmiques est représentée sur le tableau IV. La pharmacodynamique et les effets cliniques sont schématisés sur la figure 3, adaptée de celle proposée par Schwartz et Zaza [ 27 ] dans le cadre du Sicilian gambit (cf infra). On peut également les résumer en suivant la classification de Vaughan-Williams. Cependant les bêtabloquants, classe thérapeutique particulière comprenant un grand nombre de substances, ne seront pas abordés à l'exception du sotalol en raison de ses propriétés de classe III.



- Les quinidiniques et le disopyramide, outre leurs blocages des canaux sodiques et potassiques, ont un effet vagolytique, surtout marqué avec le disopyramide, par inhibition des récepteurs M2 muscariniques. La quinidine possède en plus un effet vasodilatateur en agissant sur les récepteurs alpha-adrénergiques.
L'effet dépresseur sur la fonction ventriculaire gauche est peu important avec les quinidiniques mais comparable à celui des antiarythmiques de classe Ic avec le disopyramide (constante de récupération du bloc relativement longue). Ces deux antiarythmiques allongent l'intervalle QT (effet de classe III) avec cependant un risque de torsades de pointe très faible en l'absence de facteurs associés (bradycardie importante, hypokaliémie, association à d'autres substances prolongeant le QT).
Les effets indésirables extracardiaques sont surtout digestifs (diarrhées) avec les quinidiniques et de type atropinique avec le disopyramide.

- La lidocaïne (voie parentérale) et la méxilétine ont des cinétiques de liaison et de retrait très rapides qui expliquent que, aux concentrations thérapeutiques, leurs effets sont importants sur les cellules dépolarisées, notamment ischémiques, et inconséquents sur les fibres normales ; il s'ensuit que ces substances ne sont dépresseurs ni de la conduction ni de l'inotropisme. Par ailleurs, le bloc des canaux sodiques se faisant pendant la conformation inactivée, l'efficacité est peu marquée lorsque les potentiels d'action sont courts (cellules atriales) car les canaux restent moins longtemps dans leur état inactivé.
Les effets extracardiaques sont surtout neurologiques (somnolence, délire, convulsion) et aussi digestifs (nausées, vomissements) avec la méxilétine.


- Le flécaïnide (comme l'encaïnide, non commercialisé) est très efficace dans le traitement des arythmies atriales ou ventriculaires et des voies accessoires. Cependant il prolonge la durée de QRS, exposant ainsi à des troubles de conduction à l'étage ventriculaire, et il a un effet inotrope négatif qui contre-indique son emploi en cas de dysfonction ventriculaire gauche. Dans l'étude CAST [ 32 ], qui concernait des patients relevant d'un infarctus du myocarde et ayant des extrasystoles ventriculaires ou des tachycardies ventriculaires non soutenues et asymptomatiques, le flécaïnide et l'encaïnide ont entraîné une surmortalité significative par rapport au groupe placebo alors qu'ils s'étaient révélés très efficaces dans la suppression des arythmies.
- En revanche, les effets indésirables extracardiaques sont rares (tremblements, vertiges, troubles visuels).
- La propafénone, également considérée comme un antiarythmique de classe Ic, a une cinétique de retrait des canaux sodiques moins lente que celle du flécaïnide et possède en outre des propriétés bêtabloquantes non sélectives qui s'observent surtout chez les métaboliseurs lents, tout en restant modérées.
- L'efficacité, les indications thérapeutiques et les effets secondaires extracardiaques sont comparables à ceux du flécaïnide.
- En raison de la grande variabilité interindividuelle du métabolisme hépatique et d'une relation dose-concentration non linéaire, il est conseillé de débuter le traitement par des doses faibles et de les augmenter progressivement.
- La cibenzoline est plus difficile à classer (Ic ou Ia). Efficace à l'étage auriculaire et ventriculaire, ce produit déprime la conduction dans le système His-Purkinje (sans allonger la repolarisation) et a un effet inotrope négatif modéré.



- L'amiodarone a comme effet principal une prolongation importante de la repolarisation. Cependant, en l'absence d'hypokaliémie ou d'autres médicaments allongeant l'intervalle QT, elle ne provoque qu'exceptionnellement des torsades de pointe (peut-être du fait qu'il n'y a pas de fréquence-dépendance inverse du blocage des canaux potassiques).
- L'amiodarone inhibe également les canaux sodiques (classe Ib) et calcique (classe IV) et a un effet antiadrénergique non compétitif sur les récepteurs alpha et bêta (classe II). L'ensemble de ces propriétés explique probablement la grande efficacité de ce médicament sur tous les types d'arythmie, l'absence de dépression de la fonction ventriculaire gauche étant un autre intérêt de cet antiarythmique.
- En revanche, les effets secondaires extracardiaques sont nombreux : photosensibilisation, dépôts cornéens, dysthyroïdies relativement fréquentes, pneumopathies interstitielles, neuropathies périphériques, hépatopathies. Ils justifient que, sauf en présence d'arythmies mettant en jeu le pronostic vital ou lorsque la fonction ventriculaire gauche est incompatible avec l'utilisation des autres antiarythmiques, l'amiodarone au long cours ne soit pas proposée en première intention.
- Le sotalol, dans sa forme racémique, associe un blocage des canaux potassiques (classe III) et un effet bêtabloquant non cardiosélectif et sans activité sympathomimétique intrinsèque. Le D-sotalol, forme dextrogyre, n'a que des propriétés de classe III et n'est pas commercialisé.
- Le sotalol est efficace sur les arythmies supraventriculaires et ventriculaires ; il ralentit la fréquence sinusale, déprime la conduction nodale, allonge l'intervalle QT (risque de torsades de pointe) et a un effet inotrope négatif modéré.

Les effets indésirables extracardiaques sont ceux des bêtabloquants.

- Le vérapamil et le diltiazem bloquent les canaux calciques et ont donc sur la fonction ventriculaire gauche, la fréquence sinusale et la conduction nodale des effets semblables à ceux des bêtabloquants.
Leur intérêt principal est le ralentissement de la cadence ventriculaire au cours des tachycardies ou fibrillations atriales et l'arrêt (voie intraveineuse) ou la prévention (per os) des tachycardies jonctionnelles. Certains types rares de tachycardie ventriculaire peuvent également bénéficier de ces médicaments.
Les effets secondaires sont cardiovasculaires (bradycardie, insuffisance cardiaque, hypotension artérielle) et extracardiaques : digestifs (constipation avec le vérapamil) et oedèmes des membres inférieurs.

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Les antiarythmiques sont des produits actifs souvent efficaces dans la réduction et la prévention des troubles du rythme mais aussi potentiellement dangereux : dépression de la contractilité, troubles de conduction, effets proarythmiques. Ceci impose non seulement de bien cerner les indications mais aussi d'assurer une surveillance clinique et électrocardiographique au début du traitement et chaque fois que la posologie est augmentée, afin d'évaluer l'efficacité et la tolérance du produit.
Rappelons également que si l'on a une certaine perception des bénéfices attendus et des risques encourus à partir de la connaissance des propriétés électrophysiologiques des médicaments et du type d'arythmie à traiter, le raisonnement est malheureusement trop fréquemment mis en défaut lorsqu'il s'applique à un patient donné. En effet le mécanisme des arythmies humaines n'est pas toujours connu et/ou est multifactoriel, associant un substrat, une " gâchette " (souvent des extrasystoles) et une modification du système nerveux autonome. De plus, certains troubles du rythme sont réfractaires à tous les antiarythmiques même correctement prescrits, seuls ou en association, faisant alors recourir à des traitements non pharmacologiques.

Il est habituel de considérer le choix du médicament en fonction du site d'origine du trouble du rythme.

Arythmies auriculaires
Devant une fibrillation auriculaire, un flutter auriculaire ou une tachycardie atriale non fluttérienne, les digitaliques sont souvent utilisés pour ralentir la cadence ventriculaire ; ils sont cependant contre-indiqués en cas de syndrome de Wolff-Parkinson-White. D'autres médicaments déprimant la conduction nodale sont également efficaces, seuls ou en association avec un digitalique : bêtabloquant, amiodarone, vérapamil ou diltiazem (ces deux derniers également contre-indiqués en cas de Wolff-Parkinson-White).
Si une cardioversion pharmacologique est décidée, la préférence va souvent à l'amiodarone utilisée per os avec une dose de charge ; mais il est également possible, en milieu hospitalier, d'administrer par voie intraveineuse certains antiarythmiques de classe Ia ou Ic. Dans tous les cas, comme pour les cardioversions électriques, il convient de respecter les bonnes règles cliniques concernant l'utilisation des anticoagulants.
Dans la prévention des récidives, on fait appel aux médicaments de classe Ia, Ic ou au sotalol ; les bêtabloquants sont à proposer en première intention lorsque le déclenchement des accès dépend du tonus sympathique ; l'amiodarone au long cours, du fait de ses risques indésirables extracardiaques, doit être réservée aux contre-indications ou aux échecs des autres antiarythmiques.

Arythmies jonctionnelles
La grande majorité des tachycardies jonctionnelles ont comme mécanisme un mouvement circulaire (réentrée) soit intranodale, soit empruntant la voie nodohisienne normale et une voie accessoire atrioventriculaire. Dans les deux cas, la tachycardie (maladie de Bouveret) peut être arrêtée en bloquant la conduction nodale (ce qui interrompt le circuit). Si les manoeuvres vagales échouent, l'administration intraveineuse d'adénosine (contre-indiquée en cas d'asthme), d'un inhibiteur calcique ou d'un bêtabloquant permet généralement la réduction.
Le traitement préventif repose classiquement en première intention sur un bêtabloquant ou un antagoniste calcique ; en réalité il fait de plus en plus appel à une ablation par courant de radiofréquence, surtout lorsqu'il existe un syndrome de Wolff-Parkinson-White.

Arythmies ventriculaires

- Les extrasystoles ventriculaires chroniques dites complexes (répétitives et/ou polymorphes et/ou à couplage court) sont surtout observées chez les patients porteurs d'une myocardiopathie d'origine ischémique (après infarctus du myocarde) ou non, et sont associées à un risque accru de décès. L'effet antiarythmique, c'est-à-dire la suppression ou la diminution significative des extrasystoles, apparaît plus puissant avec les substances de classe Ic ou III. Cependant seuls les bêtabloquants sont capables de diminuer significativement la mortalité (par rapport au placebo) chez les patients ayant des extrasystoles ventriculaires et une altération de la fonction ventriculaire dans le postinfarctus [ 31 ]. Rappelons qu'au contraire, dans l'étude CAST, le flécaïnide a entraîné une surmortalité chez ce type de patients [ 32 ].
- Les antiarythmiques de classe Ib sont surtout indiqués, par voie intraveineuse, en cas d'arythmie ventriculaire compliquant une ischémie myocardique aiguë.
- Les tachycardies ventriculaires soutenues sont le plus souvent réduites par cardioversion électrique ou stimulation ventriculaire. Les tentatives de réduction pharmacologiques font toujours courir un risque grave, hémodynamique et/ou de transformation en fibrillation ventriculaire. Elles ne peuvent donc être réalisées qu'en milieu spécialisé avec un défibrillateur immédiatement disponible. Elles ne se discutent que si l'état hémodynamique du patient est relativement bon.

Le traitement préventif des récidives de tachycardie ventriculaire doit être choisi en milieu hospitalier en fonction des données cliniques, des résultats des examens complémentaires rythmologiques (Holter, épreuve d'effort, exploration électrophysiologique) mais aussi de l'évaluation de la fonction ventriculaire gauche et éventuellement de l'état coronarien.
Les bêtabloquants et l'amiodarone sont les plus utilisés car les plus efficaces dans la prévention des récidives des arythmies ventriculaires mettant en jeu le pronostic vital (notamment tachycardies ventriculaires syncopales, fibrillations ventriculaires). Leur association est possible, entraînant parfois une bradycardie excessive qui oblige à l'implantation d'un stimulateur cardiaque. L'amiodarone est le seul antiarythmique utilisable lorsque la fonction ventriculaire interdit les classes Ia et Ic et que les bêtabloquants sont contre-indiqués. (La méxilétine est peu efficace dans cette indication).
Un cas très particulier est représenté par les torsades de pointe à intervalle QT long : dans les formes congénitales, les bêtabloquants sont généralement efficaces dans la prévention des récidives ; les torsades de pointe acquises répondent souvent favorablement à l'administration intraveineuse de magnésium (dont les propriétés sont similaires à celles des antagonistes calciques).

Un groupe de travail de la société européenne de cardiologie réuni à Taormina (Sicile) a proposé une nouvelle classification des médicaments antiarythmiques basée sur leurs actions sur les mécanismes arythmogènes. Ils l'ont appelée Gambit par analogie avec celui du jeu d'échecs (coup à l'ouverture de la partie qui permet ensuite une grande variété d'options).
Le Gambit sicilien veut aller beaucoup plus loin que la classification de Vaughan-Williams dont on connaît les principales critiques : elle repose uniquement sur des études électrophysiologiques sur fibres isolées ; elle regroupe dans une même classe ou sous-classe des antiarythmiques qui ont des propriétés différentes et qui appartiennent souvent à plusieurs classes ; elle ignore certains antiarythmiques comme les digitaliques, l'adénosine ou l'atropine ; elle ne permet pas d'intégrer l'apparition de molécules nouvelles sans créer de nouvelles classes.
Le Gambit sicilien a comme objectif non seulement d'être ouvert à tous les antiarythmiques présents et à venir, quel que soit leur point d'impact (canaux, récepteurs, pompes) et d'en considérer toutes les actions (fig 3), mais aussi de prendre en compte les différentes arythmies et leurs mécanismes. En fait plus qu'une classification, il se veut une base destinée à organiser les connaissances fondamentales et cliniques et les rendre accessibles aux médecins.
Son approche comporte plusieurs étapes : tout d'abord l'identification du mécanisme responsable de l'arythmie ; ensuite la recherche d'un paramètre vulnérable. Ce concept est le plus important : il postule que pour chaque mécanisme arythmogène, une modification spécifique d'une ou plusieurs propriétés électrophysiologiques (excitabilité, conduction, état réfractaire, etc) est suffisante pour terminer l'arythmie ou en prévenir le déclenchement ; enfin le choix de l'antiarythmique le mieux adapté à cet effet en se basant sur ses actions sur les canaux ou les récepteurs ou les pompes qui constituent les cibles thérapeutiques.
Ainsi par exemple, la fibrillation auriculaire est identifiée comme une arythmie par réentrée dépendante des canaux sodiques avec une fenêtre d'excitabilité courte. Le paramètre vulnérable est la période réfractaire atriale qui doit être prolongée, ce qui amène au choix d'un antiarythmique ayant des propriétés, de blocage des canaux potassiques. Le mécanisme des rythmes jonctionnels intranodaux est une réentrée dépendante des canaux calciques. Le paramètre vulnérable est ici la conduction nodale qu'il faut déprimer, ce qui oriente vers une substance bloquant les canaux calciques. Les torsades de pointe acquises à QT long sont dues à des activités déclenchées générées par des postdépolarisations précoces. Ici le paramètre vulnérable peut être soit la durée du potentiel d'action qu'il faut réduire par des bêta-agonistes ou des agents vagolytiques, soit des postépolarisations précoces qu'il faut supprimer par des bloqueurs des canaux calciques ou le magnésium.
Le Gambit sicilien a cependant des inconvénients : son approche est complexe et impose une bonne connaissance de l'électrophysiologie cardiaque et des mécanismes des arythmies ; ceux-ci ne sont d'ailleurs pas toujours connus ; la distinction entre fenêtre d'excitabilité longue ou courte en cas de réentrée n'est pas évidente et nécessite une exploration électrophysiologique invasive. La prolongation des périodes réfractaires est la cible de beaucoup d'arythmies ; elle peut être obtenue par le blocage d'un ou plusieurs des nombreux canaux potassiques mais aussi par les bloqueurs des canaux sodiques qui créent un état réfractaire postrepolarisation en retardant la réactivation.
Malgré ces critiques le Gambit sicilien peut être un excellent outil de travail et de réflexion pour les chercheurs et les cardiologues.

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