Angine de poitrine en dehors de l'athérosclérose coronarienne







Michel Bertrand: Professeur des Universités
Service de cardiologie B et hémodynamique, hôpital cardiologique, boulevard du Professeur-Leclercq, 59037 Lille cedex France
Christophe Bauters: Praticien hospitalier universitaire
Jean Lablanche: Professeur des Universités
11-030-B-10 (1995)



Résumé

L'athérosclérose coronarienne est la cause majeure de l'angine de poitrine : ses différents aspects cliniques et paracliniques, la physiopathologie et les modalités thérapeutiques ont été étudiées en détail dans un chapitre séparé. Néanmoins, à côté de cette étiologie principale, il est des cas où l'angor relève d'une autre cause.
En ce domaine, nous ne reviendrons pas sur la séméiologie de la crise angineuse et les différentes stratégies diagnostiques et nous examinerons en détail l'aspect étiologique.
On peut distinguer deux grandes éventualités :

- dans un petit nombre de cas l'angor est lié à une cause organique d'étiologie rare et non athéroscléreuse ;
- dans une proportion plus importante de cas il n'existe pas, du moins sur le plan angiographique, d'obstacle fixe, organique au niveau des coronaires épicardiques : c'est le chapitre de l'angine de poitrine à coronaires normales, à contour assez flou et d'étiologie mal connue.

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Plan

Angine de poitrine par atteinte organique non athéroscléreuse des coronaires épicardiques
Angine de poitrine avec artères coronaires angiographiquement normales
Conclusion

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Ce chapitre regroupe des étiologies disparates, rares ou disparues que nous regrouperons sous sept rubriques.

La cause la plus classique est la naissance anormale de l'artère coronaire gauche au niveau de l'artère pulmonaire [ 22 ]. Les différences de pression entre les deux circulations et l'ouverture d'anastomoses entre la coronaire droite et la coronaire gauche créent un shunt gauche-droite entre la coronaire droite qui est volumineuse et l'artère pulmonaire : l'angor résulte de la spoliation sanguine du territoire gauche et de la perte de charge dans la coronaire droite. Le diagnostic peut être évoqué en présence d'un souffle continu systolodiastolique entendu dans la région parasternale gauche. L'électrocardiogramme peut montrer une onde Q en D1 et aVL. Le diagnostic est fait lors de la coronarographie droite qui opacifie une grosse coronaire droite injectant a retro tout le réseau gauche et libérant du produit de contraste dans l'artère pulmonaire avec lavage rapide de ce passage par le sang non opacifié de ce vaisseau. Le traitement est chirurgical : à la classique ligature, on préfère aujourd'hui la réimplantation dans l'aorte ou moins souvent la ligature complétée d'un pontage mammaire interne.
D'autres anomalies congénitales peuvent engendrer de l'angor. Il en est ainsi des fistules artérioveineuses établies entre l'interventriculaire antérieure et l'artère pulmonaire. Il s'agit d'un véritable angiome privant la partie distale du vaisseau. On note généralement un aspect ischémique à la scintigraphie. Le traitement consiste en une embolisation par des " coils " permettant l'obturation de la fistule. Des naissances anormales de coronaire avec trajet anormal entre l'aorte et la pulmonaire ont pu expliquer des crises angineuses attribuées à l'écrasement du vaisseau entre les deux gros troncs lors des efforts [ 24 ]. Il faut également se souvenir, que ces anomalies congénitales favorisent l'apparition de lésions athéroscléreuses associées sur ces trajets anormaux.

La syphilis était considérée autrefois comme une cause importante d'angine de poitrine [ 21 ]. Cette étiologie est aujourd'hui rarissime : il s'agit en fait d'une aortite syphilitique et les plaques aortiques obstruent l'ostium des coronaires. Il s'agit donc d'une coronarite ostiale. Cliniquement, l'angor est très sévère avec des crises importantes répétées et survenant au moindre effort. L'auscultation révèle un souffle diastolique d'insuffisance aortique car l'aortite " bave " sur les sigmoïdes et détruit celles-ci.
Angiographiquement on note un défilé serré jouxtant la paroi aortique ; il est d'ailleurs difficile de stabiliser le cathéter et de canuler l'ostium. On note fréquemment sur les troncs coronaires des lésions athéroscléreuses associées. Le traitement consiste en une désobstruction chirurgicale ou la réalisation de pontages. Aujourd'hui, on pourrait proposer une athérectomie ou une recanalisation laser.

On rapprochera de cette étiologie une autre coronarite ostiale liée à la canulation des ostia coronaires lors de la chirurgie valvulaire. Ces lésions redoutables, correspondant à une dystrophie fibreuse sténosante postcanulation, ont pratiquement disparu avec les nouvelles techniques de protection myocardique. Elles imposaient une réintervention rapide avec pontage coronaire. Elles pourraient faire l'objet aujourd'hui d'une procédure de cardiologie interventionnelle (athérectomie ou laser). On en rapprochera des lésions identiques survenues après angioplastie et liées à l'intubation un peu trop appuyée et au traumatisme du cathéter guide au niveau des premiers millimètres des coronaires.

Celles-ci peuvent s'observer au décours d'endocardites bactériennes [ 13 ]. Elles s'accompagnent très fréquemment de microembolies distales, mais des migrations emboliques de végétations macroscopiques ou de fragments de végétations peuvent provoquer de l'angor précédé fréquemment d'un infarctus. On en rapprochera les embolies calcaires notées parfois au cours d'un rétrécissement aortique calcifié.

La maladie de Marfan est fréquemment compliquée par une dissection aortique. Lorsque celle-ci naît au niveau des sinus de Valsalva, elle peut intéresser l'ostium coronaire et donne plus souvent naissance à une nécrose myocardique qu'à une angine de poitrine [ 26 ]. Le syndrome d'Ehlers-Danlos (responsable de dissection) peut comporter des lésions coronariennes et de l'angor [ 28 ]. Des rétrécissements coronaires aboutissant à l'infarctus ont été décrits dans les mucopolysaccharidoses (type II-syndrome de Hurler) [ 6 ]. Toutefois, les patients sont habituellement si retardés que les plaintes sont peu caractéristiques et il s'agit souvent de découvertes nécropsiques. Le pseudoxanthome élastique s'accompagne presque constamment d'une insuffisance coronarienne rapidement évolutive liée à une artériosclérose de type Mönckeberg [ 19 ].

La maladie de Kawasaki fut décrite au Japon en 1967. Elle comporte un syndrome fébrile accompagné de rashes, d'oedèmes et de manifestations oculaires. Les localisations coronaires sont caractérisées par des anévrysmes, des aspects de dolichomégacoronaires responsables de thrombose et d'infarctus du myocarde [ 12 ].
La maladie de Takayashu est caractérisée par une prolifération intimale et une fibrose envahissante qui touche principalement l'arc aortique et les gros vaisseaux de la base de type I (Shimizo-Sano).
Le type II (Kimoto) n'affecte que l'aorte thoracoabdominale et en particulier les artères rénales. Le type III (Inada) combine les types I et II. Il est possible d'observer de l'angor et des infarctus dans les types I et III.
Il a été décrit des crises d'angine de poitrine au cours du lupus érythémateux disséminé. Toutefois, dans ce dernier cas il n'est pas sûr qu'il s'agissait vraiment d'angor et non de douleurs liées à une péricardite si fréquente au cours du lupus [ 7 ].
L'angor est relativement rare au cours de la périartérite noueuse en dépit de la possibilité d'infarctus du myocarde. Dans une série de 41 cas de périartérite noueuse compliquée d'infarctus publiée par Zeek [ 35 ], 3 seulement avaient été diagnostiqués cliniquement. Des faits identiques ont été notés dans le syndrome de Churg et Strauss [ 25 ].
Au cours de la sclérodermie, Gustafsson et coll. [ 20 ] ont montré la fréquence de defects transitories occasionnés par le " cold-pressor test " au cours de scintigraphie au thallium. Ils pourraient être liés à des spasmes coronaires surajoutés à des lésions de sclérose intimale des petits vaisseaux. Il existe toutefois une intrication notable avec des lésions d'athérosclérose commune.
Au cours de la polyarthrite rhumatoïde, on trouve dans 20 % des cas une artérite coronaire à l'autopsie. Cette atteinte artérielle n'est probablement que l'expression d'une vascularite généralisée avec inflammation et oedème de l'intima aboutissant à des rétrécissements et de l'obstruction, source d'angor et d'infarctus [ 30 ]. Toutefois, il est souvent difficile de faire la part avec le rôle d'une athérosclérose banale fréquemment associée.

Des compressions coronaires par les exceptionnelles tumeurs du coeur ont été très rarement à l'origine de crises d'angine de poitrine.

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Le diagnostic étiologique d'un angor à coronaires normales (c'est-à-dire de manifestations angineuses associées à des signes objectifs d'ischémie myocardique sans lésions coronaires visibles à l'angiographie) s'envisage en deux étapes ; tout d'abord éliminer les causes classiques, de diagnostic relativement simple, puis évoquer l'existence possible d'un syndrome " X ".


Valvulopathies aortiques
Les valvulopathies aortiques (insuffisance et rétrécissement) ne posent généralement pas de problème diagnostique après réalisation d'un bilan paraclinique comportant échographie-Doppler et bilan hémodynamique avec une coronarographie. Une angine de poitrine typiquement d'effort est retrouvée dans 40 à 70 % des rétrécissements aortiques symptomatiques et correspond au symptôme d'effort le plus souvent inaugural ; 40 à 60 % de ces patients ont pourtant une coronarographie normale [ 1 ]. Chez ces patients à coronaires normales, le débit coronaire est généralement augmenté en valeur absolue, mais rapporté à l'unité de masse compte tenu de l'hypertrophie ventriculaire gauche considérable, il se situe dans les limites de la normale. A l'effort, le débit coronaire augmente de manière proportionnelle au double produit, ce résultat démontrant une capacité de vasodilatation coronaire normale. En revanche, les indices de perfusion sous-endocardiques sont altérés lors d'un effort isométrique chez les patients présentant une angine de poitrine, confirmant la notion d'une diminution du débit dans les couches sous-endocardiques (du fait de l'élévation de la tension pariétale, elle-même conséquence de l'obstacle valvulaire aortique) [ 5 ]. La notion d'un angor d'effort avec coronarographie normale au cours d'un rétrécissement aortique est grevée d'un pronostic très fâcheux à court terme, de telle sorte que la présence de l'angor est un critère formel d'indication opératoire.
En cas d'insuffisance aortique, la fréquence de l'angine de poitrine est nettement moindre (6 à 30 %) [ 1 ]. Les mécanismes physiopathologiques sont encore discutés, il existe comme dans le rétrécissement aortique une sous-perfusion du muscle sous-endocardique [ 5 ], mais on peut aussi envisager le rôle d'une inversion du rapport débit coronaire diastolique sur débit systolique du fait de l'importance de la fuite (effet d'aspiration diastolique de type Venturi). L'angor s'observe dans les grandes insuffisances aortiques massives et en particulier au cours des fuites massives d'apparition subaiguë que l'on peut observer au cours des endocardites bactériennes. La survenue de l'angor indique impérativement une intervention chirurgicale rapide.

Spasme coronaire
Au cours des 10 dernières années, la responsabilité du spasme artériel coronaire dans différents aspects de la maladie coronarienne a été clairement démontrée [ 3 ]. Le modèle typique du spasme coronaire est l'angor de Prinzmetal qui est caractérisé par une douleur intense et prolongée survenant habituellement au repos [ 33 ]. On retiendra en particulier deux périodes " chaudes " du spasme coronaire : entre 4 et 8 heures du matin et 21 et 22 heures. Il existe en effet des variations circadiennes du spasme et aussi une grande variabilité d'un jour à l'autre dans la survenue des crises. La crise typique de Prinzmetal peut s'accompagner de malaise, voire de syncope ou même d'arrêt cardiaque liés à un spasme complètement occlusif de la coronaire droite avec pause cardiaque ou fibrillation ventriculaire résultant de l'obstruction complète du tronc gauche ou de l'interventriculaire antérieure. Le diagnostic est effectué par l'enregistrement pendant une crise ou lors d'un monitoring Holter d'une grande onde de sus-décalage de ST englobant T avec augmentation d'amplitude de l'onde R. Cette anomalie caractéristique de l'occlusion coronarienne aiguë est transitoire et elle n'est pas suivie de l'apparition d'une onde Q et il n'y a pas d'élévation enzymatique. Lorsque le territoire nourri par l'artère spastique est plus limité on peut enregistrer un simple sous-décalage de ST transitoire, non précédé par une accélération de la fréquence cardiaque.
D'autres manifestations ischémiques à type par exemple d'angor d'effort peuvent aussi être mises sur le compte d'épisodes spastiques, de même, encore que peu fréquents, certains infarctus du myocarde peuvent être d'origine spastique.
Les modifications électriques lors de crises spontanées sont difficiles à enregistrer ; l'apport de l'enregistrement électrocardiographique selon la technique de Holter est important en cas de suspicion de spasme coronaire, mais le diagnostic de certitude de spasme coronaire reste angiographique et fait le plus souvent appel à des tests de provocation [ 3 ]. Ces tests sont indispensables en cas d'angine de poitrine à coronaires angiographiquement normales car nombre de ces situations correspondent à des angors spastiques. Le test le plus fréquemment utilisé est le test à la méthylergométrine : c'est un test efficace et sûr si l'on respecte les contre-indications (lésion instable, multilésion très sévère, tronc coronaire gauche) et si l'on prend les précautions classiques (injection par voie intraveineuse, durant la coronarographie, levée immédiate du spasme par de fortes doses intracoronaires de dérivés nitrés, par exemple 3 mg d'isosorbide dinitrate). Le spasme coronaire peut aussi bien survenir sur des lésions coronaires non significatives que sur des coronaires considérées comme angiographiquement normales, il est cependant vraisemblable qu'il existe une zone hyperréactive, siège du spasme. L'hypothèse la plus fréquemment soulevée actuellement étant l'existence d'une minime lésion endothéliale, pouvant aboutir à un spasme coronaire par le double mécanisme de la perte du pouvoir vasodilatateur de l'EDRF (" endothelium derived relaxation factor ") [ 16], [17 ] et par la libération de substances vasoconstrictrices provoquée par l'agrégation des plaquettes sur la zone dénudée [ 34 ].
Le traitement de ces spasmes coronaires sur vaisseau angiographiquement normal comporte essentiellement la prescription d'antagonistes du calcium à fortes doses. On veillera particulièrement à organiser les prises du médicament pour couvrir les périodes actives de la maladie pendant le nycthémère ; c'est ainsi que l'on utilisera par exemple des dérivés retard pour couvrir la dernière partie de la nuit. Dans les cas réfractaires, l'augmentation des doses, la combinaison de plusieurs antagonistes du calcium, voire la plexectomie [ 2 ] ou même une autotransplantation [ 4 ] ont été proposées, mais avec des résultats souvent moyens.

Hypertrophies cardiaques
L'hypertrophie cardiaque, qu'elle soit primitive ou secondaire figure au premier rang des causes d'angor à coronaires normales. La circulation coronaire du coeur hypertrophié pose des problèmes complexes incomplètement résolus. L'augmentation de la masse cardiaque n'est pas totalement compensée par une croissance du réseau coronaire ; par conséquent le flux maximal par gramme de tissu n'est pas aussi élevé que dans les coeurs normaux. De plus, les forces de compression intramyocardique élevées du fait de l'augmentation des pressions intracavitaires perturbent la circulation coronaire, tout particulièrement au niveau des couches sous-endocardiques [ 16 ]. Qu'il s'agisse d'une cardiomyopathie hypertrophique obstructive ou non obstructive, une production anormale de lactate a pu être démontrée, en l'absence de lésions coronaires, lors de la stimulation auriculaire [ 11 ]. Sur le plan clinique, l'angor d'effort ou de repos est très fréquent en cas d'hypertrophie cardiaque (environ 50 % des cas) tandis que l'examen coronarographique retrouve dans environ 85 % des cas des lésions coronaires non significatives [ 11 ]. A noter que dans les hypertrophies septales asymétriques il est fréquent de rencontrer à l'angiographie une compression systolique des grosses perforantes septales et on peut suspecter l'intervention d'un phénomène comparable à celui du " milking " coronaire.

Ponts myocardiques
Il s'agit de trajet intramyocardique observé au niveau de la partie moyenne de l'artère interventriculaire. On note à cet endroit un aspect d'écrasement systolique avec élargissement du calibre en diastole. Ceci est encore plus net après administration intracoronaire de dérivés nitrés : ce phénomène de sténose rythmique a été comparé à la compression du pis de la vache lors de la traite d'où le nom de " milking " donné en littérature anglo-saxonne. En fait les aspects de " milking " sont fréquents et sont rarement responsables d'une ischémie. Néanmoins, on peut accepter le " milking " comme cause d'ischémie si l'angor est accompagné de signes objectifs d'ischémie myocardique (épreuve d'effort ou thallium) et avec production de lactate dans le sinus coronaire (ou mieux dans la veine interventriculaire antérieure [IVA]) lors d'un " pacing " auriculaire.
Dans certains cas particulièrement rebelles et n'ayant pas cédé aux bêtabloquants, la libération chirurgicale de l'artère peut être envisagée.

Le problème du syndrome X a suscité de nombreuses discussions au cours des 10 dernières années. En fait, une lecture assidue de la littérature sur ce thème suggère que ce tableau recouvre une multitude d'états, pathologiques ou non, avec une grande hétérogénéité relevant des critères d'inclusion plus ou moins laxistes. On peut ainsi envisager deux situations extrêmes : l'une, maximaliste consiste à englober sous ce vocable tous les cas où existent des douleurs angineuses ou pseudoangineuses et une coronarographie normale : l'autre, plus restrictive consiste à ne considérer sous ce vocable que les patients ayant des douleurs thoraciques secondaires à une ischémie myocardique prouvée et une coronarographie normale. Il existe évidemment de multiples cas intermédiaires et il faut insister sur la difficulté du problème si l'on se rappelle les quelques points suivants.

- La douleur angineuse est un phénomène subjectif et l'expérience clinique quotidienne démontre qu'une douleur typique aujourd'hui, peut être considérée atypique à un deuxième ou un troisième interrogatoire.
- La preuve de l'ischémie myocardique est habituellement établie par l'épreuve d'effort : la lecture de la littérature démontre cependant que nombre d'épreuves d'effort dites positives ne présentent cependant pas les critères de positivité.
- Les publications mentionnant que la coronarographie est normale rassemblent des cas où il existe une sténose non significative ( < 50 %) mesurée par évaluation visuelle. On rappellera que, même lorsque l'angiogramme (qui n'est qu'un luminogramme) apparaît strictement normal avec des bords lisses et réguliers, il existe très fréquemment des plaques athéroscléreuses décelées par l'angioscopie ou l'échographie endocoronaire. Que dire enfin des cas publiés de syndrome X qui n'ont même pas fait l'objet d'une recherche de spasme...
C'est dire que ce chapitre souffre certainement d'un manque de rigueur. Le syndrome X apparaît dans notre démarche comme un diagnostic d'élimination. On ne devrait considérer comme porteur d'un syndrome X que les patients présentant les critères suivants :
- douleurs angineuses typiques ou atypiques ;
- absence de diabète, d'hypertension et de valvulopathie (aortique ou mitrale [prolapsus]) ;
- éléments objectifs évocateurs d'ischémie myocardique :
- épreuve d'effort informatisée avec sous-décalage de ST horizontal ou obliquement descendant d'au moins 1 mm, apparaissant pendant l'effort ;
- scintigraphie myocardique au thallium montrant un defect pendant l'effort et disparaissant en redistribution ;
- présence d'anomalies métaboliques évoquant une situation de métabolisme anaérobie au niveau du myocarde (production d'acide lactique dans le sinus coronaire) pendant la stimulation auriculaire [ 11 ] ;


- absence d'hypertrophie ventriculaire gauche à l'échocardiographie ;

- coronarographie strictement normale avec exclusion des cas comportant des irrégularités ou sténoses dites non significatives ( < 50 %) et absence de spasme spontané ou provoqué (test au Méthergin® négatif).


L'association douleur angineuse d'effort + épreuve d'effort positive + coronarographie normale caractériserait seulement le syndrome X probable [ 31 ] ; si l'on y ajoute une deuxième preuve d'ischémie myocardique (scintigraphie anormale, production de lactate) on peut parler de syndrome X vrai. Notre définition de cette affection est donc extrêmement restrictive et se décompose en deux points essentiels : d'une part certitude d'ischémie myocardique, d'autre part absence d'étiologie évidente à cette ischémie. A ce titre, une synthèse des données de la littérature est difficile du fait de la disparité des critères de choix de population de patients, certaines études regroupant sous le même vocable des patients présentant des douleurs thoraciques sans signes certains d'ischémie, d'autres n'effectuant pas de manière systématique un test de provocation du spasme coronaire. Nous allons néanmoins exposer les différents mécanismes étiopathogéniques susceptibles d'expliquer cette discordance entre ischémie authentifiée et artères épicardiques normales angiographiquement.

Anomalies métaboliques
Diverses anomalies métaboliques ont été envisagées comme pouvant être responsables du syndrome X.

Anomalies de dissociation de l'oxyhémoglobine
Une affinité excessive de l'hémoglobine pour l'oxygène dans certains cas d'angor à coronarographie normale en relation avec le tabagisme, ceci en l'absence d'anomalie de l'électrophorèse de l'hémoglobine, avait été évoquée [ 15 ]. Par la suite ces résultats ont été infirmés par plusieurs travaux qui ne retrouvèrent aucune anomalie de ce type dans des populations bien définies d'angor à coronaires normales [ 32 ]. Dès lors, cette hypothèse a été abandonnée.

Anomalies de répartition des isoenzymes de la lacticodéshydrogénase (LDH)
Certains cas d'angor à coronaires normales avec prédominance des isoenzymes anaérobiques de la LDH ont été décrits, mais des modulations identiques ont été décrites chez des patients porteurs d'authentiques lésions coronaires, il s'agit donc plus vraisemblablement d'un mode d'adaptation à l'ischémie chronique que d'une étiologie d'angor à coronaires saines.

Anomalies de la microcirculation
L'existence d'une ischémie associée à des coronaires épicardiques normales évoque naturellement une anomalie de la microcirculation coronaire, c'est dans cette direction que se porte l'ensemble des hypothèses étiologiques actuelles. Plusieurs travaux ont fait état d'une diminution de la réserve coronaire chez des patients présentant un angor à coronarographie normale [ 9 ]. La réserve coronaire peut être définie comme le rapport entre le débit coronaire à l'état basal et le débit coronaire maximal à l'effort ou après stimulation auriculaire ou injection de drogues vasodilatatrices (dipyridamole). Néanmoins, il convient de remarquer que l'on ne dispose pas de méthodes satisfaisantes pour mesurer le débit coronaire. Les plus récentes, font appel à la vélocimétrie Doppler intracoronaire qui ne peut cependant pas être considérée comme une mesure du débit : même lorsqu'elle est couplée à une mesure du diamètre donc de la surface on ne peut considérer ces mesures que comme une approximation, un reflet du débit coronaire.
Les dernières études " localisent " le facteur responsable de l'angor à coronaires angiographiquement normales au niveau de la microcirculation, mais la lésion exacte responsable de cette affection reste hypothétique. Deux possibilités ont été décrites.

- l'existence de " rétrécissements " des petits vaisseaux responsables de la baisse de réserve coronaire. Des études anatomopathologiques ont été réalisées à partir de biopsies endomyocardiques chez des patients porteurs d'angor à coronaires saines, mais les résultats sont discordants, tantôt négatifs, tantôt montrant des modifications à type de prolifération myo-intimale au niveau de la microcirculation [ 32 ]. Il faut rapprocher de ces observations les lésions de la microcirculation coronaire qu'il est possible d'observer dans certaines maladies de système comme la sclérodermie et le lupus érythémateux disséminé [ 7], [22 ], mais il apparaît tout à fait exceptionnel qu'une telle pathologie soit découverte à l'occasion du bilan d'un angor à coronaires saines.
- L'existence d'un tonus vasculaire anormal au niveau des artérioles non visibles à l'angiographie [ 9], [10 ].
Plus récemment, Egashira et coll. [ 14 ] ont observé dans une population bien définie, correspondant à notre définition du syndrome X, une diminution de la réponse vasodilatatrice après injection d'acétylcholine (endothélium dépendant) par rapport à un groupe témoin tandis que la vasodilatation endothélium indépendante était maintenue. Ainsi, il pourrait exister un dysfonctionnement de l'endothélium des petits vaisseaux chez ces patients. Cannon [ 8 ] fait cependant remarquer que le phénomène observé par Egashira [ 14 ] pourrait être lié à une réponse constructrice des cellules musculaires lisses secondaire à l'effet muscarinique direct de l'acétylcholine. L'hypothèse d'Egashira [ 14 ] est confortée par un travail de notre groupe (McFadden [ 27 ]) qui étend cette notion d'anomalie de la vasoréactivité par dysfonction endothéliale aux artères épicardiques. Dans une population soigneusement sélectionnée de syndrome X, l'administration intracoronaire de sérotonie, un vasodilatateur endogène, endothélium dépendant, provoque une vasodilatation significativement plus importante que dans le groupe contrôle tandis que l'isosorbide dinitrate, agissant directement au niveau de la cellule musculaire lisse donne la même vasodilatation dans les deux groupes. Ceci renforce le concept d'une anomalie de la réactivité vasomotrice dépendant d'une perturbation de l'endothélium. Même si les mécanismes exacts et les relations entre le dysfonctionnement endothélial et les symptômes sont encore incomplètement élucidés, il se confirme de plus en plus, comme le souligne Maseri [ 29 ], que le problème est prédominant au niveau microvasculaire. Si la cause exacte du syndrome X reste imparfaitement connue et donne lieu à des débats passionnés, tous les auteurs s'accordent à reconnaître que le pronostic vital est excellent, ce qui fait suggérer à certains l'intervention de désordres psychiques ou psychologiques plutôt que cardiaques. L'aspect évolutif et le pronostic du syndrome X, sont en règle générale tout à fait favorables avec le plus souvent absence des complications graves de l'athérosclérose coronarienne (infarctus et mort subite). Il existe cependant certains cas tout à fait exceptionnels d'infarctus du myocarde compliquant le syndrome X [ 11 ]. En revanche, l'évolution sur le plan fonctionnel n'est pas toujours aussi favorable. Il est fréquent de voir et de revoir ces patients qui continuent à se plaindre et qui reviennent périodiquement en hospitalisation et subissent régulièrement de nouvelles coronarographies tout aussi normales. Sur le plan thérapeutique, il conviendra en premier lieu de " dédramatiser " la situation, d'expliquer que le pronostic vital n'est pas menacé, qu'il n'y a pas de lésion coronarienne, que la chirurgie de pontage ou la dilatation n'ont évidemment aucune indication. Le traitement médicamenteux du syndrome X repose pour l'instant sur l'utilisation de dérivés nitrés et de bêtabloqueurs, mais les résultats sont moyens et souvent même décevants. Il est évident que tant que la physiopathologie de ce curieux syndrome n'aura pas été éclaircie, le traitement ne pourra être symptomatique et les indications thérapeutiques ne pourront être qu'empiriques. L'une des plus importantes séries de la littérature (n = 120 cas) publiée en 1984 par Fuster à la Mayo Clinic [ 18 ] fait état dans 8 % des cas d'angine de poitrine d'effort typique, mais nous n'avons aucune précision sur le mécanisme, en particulier anatomopathologique, de l'angor dans ce cas particulier. Autrefois, avant l'ère coronarographique, on avait incriminé l'anémie comme une cause potentielle d'angor. En fait, l'anémie est susceptible d'aggraver ou de révéler une ischémie myocardique provoquée par des lésions athéroscléreuses mais même une déglobulisation massive est incapable sur coronaires saines de provoquer de l'angor. Le problème est identique pour les troubles du rythme : s'il est classique qu'une tachycardie à cadence rapide puisse déclencher de l'angor, cela survient toujours sur des coronaires lésées. Les deux derniers mécanismes de ce chapitre, classiquement cités dans les ouvrages antérieurs au large développement de la coronarographie, ne méritent plus d'être retenus.
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Il faut répéter que la cause majeure de l'angine de poitrine est l'athérosclérose obstructive des coronaires. Toutefois, la situation clinique associant douleur thoracique et coronarographie normale est relativement fréquente. En ce domaine il faut recommander une attitude pragmatique et une rigueur exemplaire dans la conduite diagnostique qui comporte deux étapes : prouver l'ischémie et démontrer que cette ischémie n'est pas en relation avec une maladie des coronaires épicardiques. Cette attitude permet alors d'identifier une population sans doute beaucoup plus réduite que ce qui est actuellement englobé sous le diagnostic trop facile de syndrome X. On peut raisonnablement annoncer le démantèlement de ce syndrome au cours des prochaines années et l'éclosion d'une pathologie microvasculaire coronaire (préartériole et artériole) dont on ne fait qu'entrevoir l'importance.

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