Méthode d'analyse des électrocardiogrammes de surface douze dérivations









Denis Pellerin: Cardiologue, médecin des Hôpitaux
service de cardiologie, hôpital universitaire de Bicêtre, 78, rue du Général-Leclerc, 94725 Le Kremlin-Bicêtre cedex France
11-003-C-10 (1997)



Résumé

Chaque contraction cardiaque donne lieu à l'inscription d'une suite d'ondes électriques correspondant au processus de dépolarisation puis de repolarisation des oreillettes et des ventricules. Elles sont désignées, depuis Einthoven, par des lettres de l'alphabet à partir de P (fig 1) :


- l'onde P initiale traduit la dépolarisation des oreillettes ;
- le complexe QRS traduit la dépolarisation des ventricules ;
- l'onde T correspond à la repolarisation des ventricules ;
- l'onde U, inconstante et de faible amplitude a une signification encore discutée [ 10], [17 ].
La lecture des électrocardiogrammes est un exercice difficile parce qu'on est en présence de courbes multiples, parfois complexes dont il faut savoir tirer le maximum d'informations utiles à l'établissement d'un diagnostic en corrélation avec les données de la clinique. Il faut constamment veiller à éviter des interprétations abusives et se garder de considérer comme pathologiques des aspects douteux, situés en limite de la normale. L'analyse d'un électrocardiogramme s'appuie d'abord sur l'identification des différentes ondes qui le composent. Les mesures d'amplitude ou de durée des ondes et des intervalles s'effectuent aisément grâce aux coordonnées millimétriques que portent la plupart des papiers d'enregistrement en se référant aux étalonnages de voltage et de vitesse de déroulement du papier.

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Plan

Points à vérifier avant l'analyse de l'électrocardiogramme
Mesure de la fréquence cardiaque
Durée des ondes et des intervalles
Délai d'apparition de la déflexion intrinsécoïde
Amplitude des ondes
Amplitude du décalage d'un segment
Surface des ondes
Morphologie
Axe électrique des ondes
Rythme sinusal normal
Analyse d'un trouble du rythme
Analyse automatique de l'électrocardiogramme

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Avant toute analyse, il faut vérifier plusieurs éléments. Un électrocardiogramme (ECG) usuel doit comporter au moins douze dérivations. L'électrocardiographe utilisé doit être en bon état de marche avec un défilement régulier du papier. L'utilisateur doit vérifier la forme de l'onde rectangulaire de calibrage et la durée de la constante de temps [ 2], [9 ]. Les mesures de durée et d'amplitude doivent avoir des références précises. Pour les durées, le papier étant imprimé en quadrillage millimétrique, il faut connaître la vitesse de déroulement du papier qui doit être inscrite sur le tracé enregistré. Elle est communément de 25 mm/s, mais certains appareils peuvent aussi donner un déroulement plus rapide à 50 mm/s, à 100 voire à 200 mm/s. Pour les amplitudes c'est l'onde d'étalonnage produite par l'introduction d'un courant de 1 mV qui sert de référence. Habituellement, cette onde a une hauteur de 1 cm. Mais on peut aussi utiliser, lorsque les amplitudes du tracé sont élevées ou au contraire faibles, des étalonnages réduits à 0,5 cm pour 1 mV (désignés par N/2), ou augmentés à 2 cm pour 1 mV (désignés par 2 N). Il est souhaitable pour éviter toute confusion, que figure à la fin de chaque dérivation enregistrée soit l'onde rectangulaire d'étalonnage, soit la mention N, N/2 ou 2 N. Le tracé électrique à analyser doit être dépourvu dans toute la mesure du possible d'artefacts tels que tremblement musculaire, parasitage par le courant alternatif ou déplacements de la ligne de base. Sauf cas particuliers et rares (par exemple tremblement neurologique incoercible) l'élimination des artefacts est affaire de soins dans le processus d'enregistrement et de confort physique et psychologique du patient. Il est important également de déceler certaines erreurs grossières, non exceptionnelles en pratique, telles que l'inversion des fils reliés aux électrodes des membres.

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Lorsque le rythme cardiaque est régulier, sa fréquence peut être déduite de la durée de l'intervalle séparant deux ondes de même nature, par exemple deux ondes P successives dans un rythme sinusal ou deux complexes QRS successifs. La fréquence cardiaque est obtenue en divisant par 60 la durée de l'intervalle RR en secondes. En l'absence de règle graduée, il est commode de retenir qu'avec un déroulement standard de 2,5 cm/s :

- un intervalle de 1 cm (deux carreaux) indique une fréquence de 150/min ;
- un intervalle de 1,5 cm (trois carreaux) : 100/min ;
- un intervalle de 2 cm (quatre carreaux) : 75/min ;
- un intervalle de 2,5 cm (cinq carreaux) : 60/min ;
- un intervalle de 3 cm (six carreaux) : 50/min ;
- un intervalle de 3,5 cm (sept carreaux) : 43/min ;
- un intervalle de 4 cm (huit carreau) : 38/min.
Lorsque le rythme cardiaque est irrégulier, par exemple dans une arythmie complète, on peut avoir une idée approximative de la fréquence moyenne en comptant le nombre de complexes QRS inscrits pendant 6 secondes (15 cm de papier se déroulant à 2,5 cm/s) et en multipliant par 10 le chiffre obtenu.
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La durée d'une onde se mesure entre le moment où elle quitte la ligne isoélectrique jusqu'au moment où elle la rejoint. Si le trace est enregistré à vitesse standard de 2,5 cm/s, 1 mm en abscisse correspond à une durée de 0,04 seconde ou 4 centièmes de seconde. À vitesse de 5 cm/s le millimètre correspond à 0,02 seconde. À vitesse de 10 cm/s, le millimètre correspond à 0,01 seconde. Le début ou la fin réels d'une onde ou d'un intervalle peuvent être masqués dans une dérivation par la nullité du voltage initial ou terminal de l'onde dans cette dérivation. Il en résulte que la durée peut apparaître différente d'une dérivation à l'autre. Le meilleur moyen d'éviter cet écueil est d'enregistrer des dérivations simultanées qui permettent de repérer le début et la fin réels des accidents. Lorsqu'on ne dispose pas de dérivations simultanées, il est suffisant de déterminer la valeur la plus longue dans les six dérivations périphériques des membres [ 3 ]. Les valeurs normales sont représentées dans le tableau I.
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La déflexion intrinsécoïde correspond à la fin de la dépolarisation de la paroi myocardique qui fait face à l'électrode exploratrice donc à la rupture brutale de pente de la déflexion positive (sommet de l'onde R). Lorsque l'électrode est directement appliquée sur l'épicarde, cette déflexion est appelée intrinsèque [ 13 ]. Son délai d'apparition représente le temps que met l'onde de dépolarisation à parcourir le myocarde, depuis l'endocarde jusqu'à l'épicarde ; il est d'autant plus long que le myocarde est plus épais. Cette déflexion intrinsécoïde se mesure sur les dérivations unipolaires des membres a VR-a VL ou plus souvent sur les dérivations précordiales en regard des ventricules : précordiales droites V3R - V1 - V2 pour le calcul de la déflexion intrinsécoïde du ventricule droit ; précordiales gauches V5 - V6 - V7 pour le calcul de la déflexion intrinsécoïde du ventricule gauche. La mesure de la déflexion intrinsécoïde se fait du début de QRS (pied de l'onde q ou pied de l'onde R en l'absence d'onde q) jusqu'au sommet de l'onde R. Si le complexe QRS comporte une onde R élargie et crochetée, la mesure se fait du début du QRS au sommet du dernier crochetage de R ; si le complexe QRS est polyphasique avec une onde R' ou R", la mesure se fait du début de QRS au sommet de la dernière positivité (fig 2). Le délai d'apparition de la déflexion intrinsécoïde est inférieur ou égal à 0,03 seconde dans les dérivations explorant le ventricule droit (en particulier V1), et à 0,055 seconde dans les dérivations explorant le ventricule gauche (en particulier V6). Cette différence entre les ventricules droit et gauche s'explique par la différence d'épaisseur de leur paroi musculaire, respectivement 2,5 et 12 mm.
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L'amplitude d'une onde positive est la distance entre le sommet de l'onde et le bord supérieur de la ligne isoélectrique. L'amplitude d'une onde négative est la distance entre le nadir de l'onde et le bord inférieur de la ligne isoélectrique. Cette amplitude peut être exprimée en millimètres ou en voltage. La correspondance dépend de l'étalonnage du tracé. Lorsqu'on utilise l'étalonnage standard dit N, le même chiffre indique des millimètres ou des dixièmes de millivolt. En cas d'étalonnage N/2, 1 mm correspond à 0,2 mV. En cas d'étalonnage 2N, 1 mm correspond à 0,05 mV.
- Les valeurs normales de l'amplitude de l'onde P sont dans le plan frontal : inférieure à 2,5 mm en D2 et dans le plan horizontal : inférieure à 2 mm en V1 ou V2.
- Les normales de l'amplitude de l'onde Q sont inférieures à 3 mm en précordiales gauches et inférieures à 25 % de l'onde R qui la suit, quelle que soit la dérivation.
- Les valeurs normales de l'amplitude des ondes R et S du complexe QRS sont présentées dans le tableau II. Le rapport R/S doit rester inférieur à 1 en V1, supérieur à 1 en V5 et supérieur à 2 en V6. Un bas voltage ou microvoltage est présent lorsque la plus grande déflexion de QRS, positive ou négative, dans n'importe laquelle des six dérivations frontales n'excède pas 5 mm ou que la somme des déflexions les plus amples positives ou négatives en D1, D2 et D3 n'excède pas 15 mm. Pour les précordiales, le bas voltage se définit par une amplitude inférieure à 15 mm de la plus grande déflexion positive ou négative, dans toutes les dérivations.


Divers indices utilisent ces amplitudes pour mieux préciser l'existence d'une éventuelle hypertrophie ventriculaire :

- indice de Sokolow = somme de S en V1 et R en V5 ou V6 (en prenant la plus ample) : normalement inférieur à 35 mm chez l'adulte ;
- indice de Blondeau-Heller-Lenègre = somme de S en V2 et R en V7 : normalement inférieur à 35 mm chez l'adulte ;
- indice de Lewis = somme de R en D1 et S en D3, dont on retranche la somme de S en D1 et R en D3. Sa valeur normale est comprise entre - 14 et + 17 ;
- indice de White et Bock = somme de la positivité la plus grande en D1 et de la négativité la plus grande en D3 dont on retranche la somme de la négativité la plus grande en D1 et de la positivité la plus grande en D3. Sa valeur normale est comprise entre - 14 et + 17 ; cette formule ne différant de celle de Lewis que lorsque l'onde Q est plus grande que l'onde S en D1 et D3.
La valeur normale de l'amplitude de l'onde T est inférieure à 5 mm en V6 et V7 au repos en position couchée.
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L'amplitude du décalage d'un segment (PR ou ST) par rapport à la ligne isoélectrique se mesure de façon analogue à l'amplitude des ondes. C'est la distance verticale entre le bord supérieur du segment considéré et le bord supérieur de la ligne isoélectrique. On l'exprime en millimètres. Si le segment décalé n'est pas horizontal, on peut mesurer l'amplitude du décalage d'un de ses points remarquables, par exemple pour le segment ST, le décalage du point J ou le décalage d'un point situé 0,08 seconde après le début du segment.
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La mesure de la surface des ondes (surface délimitée par le contour de l'onde et par la ligne isoélectrique) permet de déterminer avec précision la direction et l'amplitude de certains vecteurs (cf infra). L'appréciation de cette surface peut être effectuée grossièrement à l'aide du quadrillage millimétrique du papier. Lorsque l'onde comporte des parties situées de part et d'autre de la ligne isoélectrique, sa surface totale est la somme algébrique des surfaces positives et des surfaces négatives. Si on désire une valeur précise, il faut procéder à une mesure planimétrique sur un agrandissement de l'onde considérée. La surface est exprimée en millimètres carrés, ou mieux en unités Ashman qui correspondent à 1 mm2 lorsque l'étalonnage est de 1 cm pour 1 mV et le déroulement de 25 mm/s. Une unité Ashman représente donc 0,1 mV × 0,04 s, soit 4 V-s.
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Les ondes peuvent être monophasiques (c'est-à-dire situées tout entières au-dessus ou au-dessous de la ligne isoélectrique) ou biphasiques (ayant une partie au-dessus et une partie au-dessous de la ligne isoélectrique), ou même polyphasiques dans le cas du complexe QRS (fig 3). Le contour des ondes est en principe régulier, à pentes lentes pour les ondes P et T, à pentes rapides pour le complexe QRS. La bifidité est l'existence d'un double sommet. Elle peut affecter les ondes P, les ondes T ou le complexe QRS (aspects en M ou en W). Le plateau est le remplacement du sommet de l'onde par un segment horizontal ou proche de l'horizontale. Il peut s'observer sur les ondes P ou le complexe QRS. L'empâtement est le ralentissement plus ou moins localisé d'une déflexion rapide et fine. Il peut se voir sur les branches ascendantes ou descendantes du complexe QRS. Le crochetage est un ressaut brusque et momentané qui interrompt la progression d'une déflexion rapide ou lente. Elle est normalement positive en D1 et en D2. Si elle est négative en D1, il peut s'agir d'une inversion involontaire des électrodes bras droit et bras gauche, d'un situs inversus ou d'un rythme ectopique prenant naissance au niveau de l'oreillette gauche. Si elle est négative en D2, il peut s'agir d'une onde P dite rétrograde liée à une activation auriculaire inversée, du bas vers le haut. L'onde P est positive ou diphasique en V1, positive ou plate en V6. Si l'onde P est négative en V6, il peut s'agir d'un rythme auriculaire gauche. Dans ce cas, l'activation des oreillettes prend naissance dans la partie basse de l'oreillette gauche et se dirige ensuite de gauche à droite. Le complexe QRS correspond à trois vecteurs successifs qui représentent l'activation du septum (vecteur initial : q) puis l'activation de la portion moyenne de ventricules (vecteur principal : R), enfin l'activation des régions basales des ventricules (vecteur terminal : s). Les précordiales droites V1 - V2 - V3 explorent la partie antérieure du ventricule droit et la moitié antérosupérieure du septum. L'aspect dans ces dérivations est rS avec une augmentation progressive de l'amplitude de l'onde r de V1 à V3. L'onde r positive correspond essentiellement à l'activation du septum. L'onde S négative correspond à l'activation du ventriculaire gauche qui masque l'activation de la paroi antérieure du ventricule droit. Les précordiales gauches V5 - V6 - V7 explorent la paroi latérale ou paroi libre du ventricule gauche dans sa partie basse. L'aspect habituel de ces dérivations est qRs où l'onde négative correspond à l'activation du septum (qui fuit les électrodes), l'onde R positive correspond à l'activation du ventricule gauche (qui avance vers les électrodes) et l'onde s négative est liée à l'activation des régions basales des ventricules et du septum. Lorsqu'il existe un aspect qR, le vecteur d'activation basale, perpendiculaire aux électrodes exploratrices n'est pas visible. Les précordiales V4 - V5 explorent la pointe du coeur c'est-à-dire la pointe du ventricule gauche. Elles enregistrent un aspect qRs ou qR voisin de l'aspect recueilli en V6 - V7. L'amplitude des ondes r augmente de V1 à V5 puis diminue de V5 à V7. Inversement, l'amplitude des ondes s augment de V1 à V2 puis diminue de V2 à V7. Les précordiales V3-V4 comportent un isodiphasisme où l'amplitude de l'onde R est à peu près égale à celle de l'onde S, et forment la zone de transition qui peut se déplacer à droite ou à gauche selon les positions électriques du coeur ou selon la prédominance électrique d'un des deux ventricules (hypertrophie). Parfois cette zone de transition est impossible à préciser. Le segment ST est isoélectrique, toutefois il peut être situé légèrement au-dessus de la ligne de base et concave en haut si l'onde T est normalement positive, ou légèrement au-dessous de la ligne de base et concave en bas si l'onde T est normalement négative. L'onde T est en règle positive et asymétrique avec une pente ascendante plus lente que la pente descendante et un sommet arrondi. Elle est normalement positive en D1 - D2 - D3 - aVF, V2 à V7. Elle peut être diphasique ou négative en D3. Elle peut être également négative en aVF sans signification pathologique si cette négativité est également observée en aVR. Elle peut être normalement négative en V1, et même négative de V1 à V4 chez l'enfant, l'obèse et le sujet de race noire. L'analyse de la repolarisation ventriculaire comporte la mesure de la durée de l'intervalle QT dans toutes les dérivations ainsi que l'analyse de la morphologie des ondes T. L'onde U est une petite onde positive, de faible amplitude survenant 0,04 seconde après la fin de l'onde T, inconstamment présente, en règle mieux visible en D2. Si elle est ample, elle peut simuler une onde P.
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Le processus électrique donnant lieu à l'inscription des ondes de l'ECG peut être traduit par une succession de vecteurs instantanés successifs dont la direction et l'amplitude varient mais qui, par hypothèse ou approximation, ont une origine commune appelée centre électrique du coeur [ 6], [7 ]. Cette représentation schématique est surtout valide pour les dérivations qui constituent le plan frontal parce que ce sont des dérivations éloignées du coeur et relativement équidistantes de lui. L'analyse vectorielle de l'ECG repose sur la théorie du dipôle résultant unique, proposée dès 1913 par Einthoven [ 5 ]. D'après celle-ci, l'ensemble et la distribution des charges électriques positives et négative à la surface des fibres musculaires du coeur à un instant donné de son activation, peuvent être représentés par un dipôle. Ce dipôle peut être représenté par un vecteur dont la longueur correspond au moment électrique du dipôle, dont la direction est celle de l'axe du dipôle, et dont la pointe est tournée vers le pôle positif. Dans le plan frontal, l'analyse vectorielle a été rendue particulièrement aisée par la représentation schématique du triangle d'Einthoven [ 5 ] qui répond aux hypothèses suivantes :
- les trois électrodes des membres occupent les sommets d'un triangle équilatéral dont les trois côtés représentent les lignes des trois dérivations bipolaires D1 (ou I), D2 (ou II) et D3 (ou III) ;
- le centre électrique du coeur, défini comme le point d'origine commun des vecteurs représentant le dipôle résultant unique, est situé au centre de ce triangle ;
- l'ensemble du triangle est situé dans un plan frontal ;
- le milieu conducteur entourant le coeur est considéré comme homogène et illimité ou à contour sphérique.

Cette disposition théorique s'écarte notablement de la réalité mais pas suffisamment pour en invalider l'utilisation pratique et permet de considérer les déflexions enregistrées par les trois dérivations standards comme la projection sur les côtés du triangle équilatéral du vecteur cardiaque ayant son origine au point 0. Les dérivations unipolaires des membres s'intègrent aisément dans ce schéma. Les lignes de dérivation des unipolaires VR, VL et VF de Wilson sont les segments de droite joignant le point 0 aux trois sommets du triangle équilatéral (fig 4 A).

Les dérivations unipolaires augmentées de Goldberger aVR, aVL et aVF dont l'amplitude est de 50 % supérieure sont aujourd'hui utilisées de préférence et peuvent être représentées par les médianes du triangle équilatéral (fig 4 B).
Toutefois, pour comparer le voltage enregistré dans les dérivations standards et le voltage enregistré dans les dérivations unipolaires des membres, il faut introduire un coefficient de proportionnalité tenant compte de la longueur différente des côtés du triangle et de ses médianes ou des segments joignant le centre aux sommets. Ce coefficient est calculé en se rappelant que les médianes du triangle font un angle de 30° avec ses côtés. Pour les dérivations unipolaires non augmentées de Wilson (fig 4 A) ce coefficient est 1,73. Pour les dérivations unipolaires augmentées, ce coefficient est égal à 1,13. Ce dernier coefficient, proche de l'unité, est une des raisons qui ont fait préférer l'usage des dérivations unipolaires des membres augmentées de Goldberger qui permet de comparer géométriquement avec une faible marge d'erreur les voltages enregistrés par les dérivations bipolaires et unipolaires des membres sans corriger ceux-ci.

Bailey a proposé une figure géométrique dérivée du triangle d'Einthoven qui consiste à faire passer par le centre 0 six axes équidistants de 30° représentant les trois médianes du triangle et une translation de ses trois côtés (fig 4 C) dont la direction et le sens sont ainsi respectés. L'avantage de cette représentation est d'uniformiser les lignes des six dérivations du plan frontal qui passent toutes par le point 0 et de rendre ainsi un peu plus aisée la construction géométrique des vecteurs cardiaques. Le triaxe formé par les trois lignes de dérivations standards permet de délimiter six secteurs du plan frontal que Bailey a numérotés de 1 à 6 en partant de l'horizontale vers la gauche et suivant un sens antihoraire (fig 4 D).

La théorie du dipôle résultant unique permet de représenter l'état électrique du coeur à un moment donné de son activation par un vecteur ayant son origine au point et dont la direction et la longueur indiquent l'orientation et la charge du dipôle résultant. Il s'agit là d'un vecteur instantané. Le déroulement de la dépolarisation et de la repolarisation des oreillettes puis des ventricules comporte une infinité de vecteurs instantanés successifs qui ont tous la même origine (le point 0) mais dont la longueur et la direction varient d'un instant à l'autre. La courbe joignant les extrémités de tous ces vecteurs est le vectocardiogramme. La projection d'un vecteur instantané sur les côtés et les médianes du triangle d'Einthoven (ou sur les droites du double triaxe de Bailey) est proportionnelle au voltage inscrit à l'instant considéré dans les dérivations standards et unipolaires des membres. Si l'on considère non plus un instant précis mais une certaine durée de la contraction cardiaque, il existe un vecteur résultant obtenu en additionnant tous les vecteurs instantanés successifs de la période considérée. En électrocardiographie clinique, les vecteurs résultants les plus intéressants sont ceux qui correspondent à la durée de la dépolarisation auriculaire (c'est-à-dire de l'onde P), de la dépolarisation ventriculaire (c'est-à-dire du complexe QRS) et de la repolarisation ventriculaire (c'est-à-dire de l'onde T). On les appelle axe électrique moyen de l'accident considéré et on les désigne par la lettre A : AP est l'axe électrique moyen de l'onde P, AQRS est l'axe électrique moyen du complexe QRS et AT est l'axe électrique moyen de l'onde T.
La projection du vecteur représentant l'axe électrique moyen sur les côtés et les médianes du triangle d'Einthoven (ou sur les droites du double triaxe de Bailey) est proportionnelle à la surface de l'accident (P, QRS ou T) enregistré en dérivations standards ou unipolaires des membres.
La détermination précise de la surface de l'onde considérée dans plusieurs dérivations est un processus long et délicat. Pour l'analyse pratique en électrocardiographie clinique, l'appréciation de la direction du vecteur est suffisante et il est licite d'utiliser un procédé simplifié qui consiste à mesurer l'amplitude des ondes sur le papier à coordonnées millimétriques. Cette méthode n'est acceptable que si les amplitudes sont grossièrement proportionnelles aux surfaces.
Les méthodes précédentes, même simplifiées, exigent une construction graphique sur le papier et fournissent une direction angulaire précise des axes électriques. Avec une certaine habitude on arrive à une détermination mentale de cette direction à la simple vue des dérivations en acceptant une évaluation à 5 à 10° près, approximation suffisante pour les besoins du diagnostic clinique. Il est commode d'utiliser dans ce but les six dérivations du plan frontal. Deux méthodes sont possibles et peuvent être associés :

- lorsque les déflexions enregistrées dans une dérivation ont une somme algébrique nulle, l'axe électrique moyen est perpendiculaire à la ligne de la dérivation. Lorsque les déflexions enregistrées dans une dérivation ont une amplitude plus grande que dans toutes les autres (positive ou négative), l'axe électrique moyen a une direction proche de celle de la ligne de dérivation ;
- il n'est pas toujours possible de trouver une dérivation où la somme algébrique des positivités et des négativités soit nulle. La détermination de l'axe électrique peut se faire en analysant d'abord les vecteurs des dérivations D1 et aVF (tableau III). L'axe électrique est ensuite précisé à l'aide des autres dérivations.


Ainsi l'axe électrique moyen peut être grossièrement situé dans un des secteurs de 30° délimités par deux lignes de dérivations consécutives sur le double triaxe de Bailey. Un examen plus attentif de l'aspect des dérivations précise alors davantage la direction avec une erreur qui n'excède pas 10°. Il faut connaître une difficulté possible de la détermination de l'axe moyen par l'examen des six dérivations des membres. En raison de l'inexactitude des hypothèses d'Einthoven, la direction suggérée par les dérivations standards peut ne pas coïncider avec celle que suggèrent les dérivations unipolaires des membres. Il est alors recommandé de choisir la direction déduite des dérivations standards.
Le calcul de l'axe des différents vecteurs d'activation auriculaire (onde P), d'activation ventriculaire (complexe QRS) ou de la repolarisation ventriculaire (onde T) obéit aux mêmes règles. On peut de cette façon évaluer l'axe de P, de QRS et de T. On peut aussi calculer de la même manière l'axe de chaque portion de QRS : vecteur initial, principal, terminal. Parfois l'axe de QRS n'est pas possible à calculer lorsqu'il existe des déflexions positive et négative de même amplitude dans chaque dérivation frontale (isodiphasisme). On dit alors que l'axe de QRS est perpendiculaire au plan frontal.
Valeur moyenne normale des différentes axes :

- axe moyen de P (AP) : entre 0° et + 80°, habituellement + 60° ;
- axe moyen de QRS (AQRS) : entre - 10° et + 70°, habituellement + 40°.

Les directions de AQRS et de AT ne sont jamais écartées de plus de 90°, leur écart étant inférieur à 60° lorsque AQRS se situe entre 0° et + 60°.

Les conditions de repolarisation sont inégales et de durée variable selon les secteurs myocardiques. Cette disparité détermine l'existence de ce que Wilson a appelé le gradient ventriculaire. À l'échelle de l'ensemble du complexe QRS, ce gradient peut être représenté par un vecteur qui est la somme vectorielle de AQRS et de AT. La construction de ce vecteur nécessite la construction préalable de AQRS et de AT non seulement en direction mais en amplitude. C'est donc la méthode comportant la mesure précise des surfaces de QRS et de T qui doit être utilisée et aucune méthode simplifiée ne peut la remplacer. Ceci explique que la détermination du gradient ventriculaire, si elle a un intérêt théorique certain, ne soit guère utilisée dans l'analyse des tracés électrocardiographiques dans la pratique clinique.

L'analyse vectorielle est beaucoup moins pratiquée dans le plan horizontal que dans le plan frontal en raison des caractères particuliers des dérivations unipolaires thoraciques situées dans ce plan. Lorsque Wilson introduisit en clinique les dérivations précordiales [ 20 ], il insista surtout sur leur proximité du coeur. Par la suite, divers auteurs affirmèrent que les dérivations unipolaires précordiales pouvaient être considérées comme représentatives de l'ensemble de l'activation cardiaque au même titre que les dérivations du plan frontal et qu'on pouvait donc leur appliquer les mêmes méthodes d'analyse vectorielle, au moins en ce qui concerne la direction des vecteurs [ 7], [8 ].
On peut ainsi concevoir un système de référence axial analogue dans le plan horizontal à ce qu'est le double triaxe de Bailey dans le plan frontal : les lignes de dérivation des six précordiales usuelles (V1 à V6) sont représentées dans un même plan horizontal passant par le point 0, centre électrique du coeur et origine des vecteurs cardiaques successifs. La direction des vecteurs est exprimée par l'angle les séparant de l'horizontale vers la gauche, affecté du signe + si le vecteur pointe en avant, du signe - si le vecteur pointe en arrière. L'accord n'est pas fait, toutefois, sur la direction qu'il convient d'attribuer aux lignes de dérivation des six précordiales (fig 5). Massie et Walsh [ 12 ] proposent les orientations suivantes : V1 à + 120° ; V2 à + 90° ; V3 à + 75° ; V4 à + 60° ; V5 à + 30° ; V6 à 0°. Zao [ 21 ] considérant que le point 0 est relativement antérieur dans le thorax, suggère de placer la ligne de dérivation de V6 à - 30°, celle de V5 à 0°, celle de V4 à + 30°, celle de V3 à + 60°, conservant pour V2 et V1 les directions de + 90° et + 120°.

Il est probablement plus sage de se contenter de déterminer le quadrant dans lequel se situe le vecteur : antérodroit, antérogauche, postérodroit ou postérogauche [ 16 ].

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C'est le rythme sinusal au cours duquel l'ensemble de l'activation cardiaque est sous la dépendance du noeud sinusal de Keith et Flack.
C'est un rythme auriculaire régulier, les intervalles P-P ne variant pas plus de 0,15 seconde au repos. Fréquence entre 60 et 100/min chez l'adulte ; chez le nourrisson et l'enfant, le rythme physiologique au repos est plus rapide et dépend de l'âge ; ondes P d'axe et de morphologie normaux précédant les complexes QRS à intervalle PR fixe et toujours supérieur 0,12 seconde.

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L'analyse d'un trouble du rythme nécessite la réalisation de tracés continus et prolongés sur plusieurs minutes, au mieux sur trois pistes simultanées en incluant D2 et/ou V1. Surtout il est important de disposer de longs tracés des dérivations choisies pour juger de la répétition éventuelle de certains phénomènes.
L'identification du rythme auriculaire est primordiale et souvent difficile car l'activité des oreillettes peut demeurer intermittente comme dans le rythme sinusal normal mais elle peut aussi prendre des formes continues telles que la fibrillation ou le flutter auriculaire. Les ondes P ne sont faciles à reconnaître que si elles sont distantes des ventriculogrammes et des ondes T. Le caractère ectopique des ondes P n'est pas toujours aisé à affirmer. Si des ondes P franchement négatives en D2 et D3 sont certainement " rétrogrades ", c'est-à-dire d'origine jonctionnelle ou auriculaire basse, il existe des morphologies ambiguës laissant un doute sur l'origine sinusale ou ectopique de l'activation auriculaire.
La description du tracé est la première étape de l'analyse d'un trouble du rythme. Pour cela il faut répondre aux questions suivantes :

- quelle est la fréquence cardiaque ?
- le rythme ventriculaire est-il régulier ou non ?
- les complexes QRS sont-ils fins ou larges ? En cas de QRS larges, préciser l'axe des QRS et l'aspect de retard droit ou gauche ;
- les ondes P sont-elles visibles ? Une analyse minutieuse est souvent nécessaire. La recherche des ondes P est essentielle. Lorsqu'elles ne sont pas visibles sur le tracé, par exemple en cas de tachycardie, il faut s'aider de manoeuvres vagales (massage sinocarotidien, compression des globes oculaires). Si ces manoeuvres restent sans effet, la visualisation des ondes P peut s'aider d'une injection intraveineuse rapide d'acide adénosine triphosphorique (ATP), d'un enregistrement oesophagien ou endocavitaire ;
- le nombre d'ondes P est-il le même que le nombre de QRS ?
- en cas de tachycardie régulière, quel est le rapport de la mesure des intervalles RP et PR ?
- la durée de l'intervalle QT est-elle manifestement pathologique (en particulier en cas de bradycardie, avant ou après une tachycardie) ?

Une fois la description de l'ECG obtenue (par exemple tachycardie à 160/min régulière à QRS larges de type axe gauche retard gauche, avec moins d'ondes P que de QRS), il convient alors de déterminer les liens qui unissent les auriculogrammes et les ventriculogrammes en se rappelant qu'il existe trois possibilités : l'activité auriculaire entraîne l'activation ventriculaire, l'activation ventriculaire est la première et active de façon rétrograde les oreillettes ou bien les deux activations sont indépendantes (dissociation auriculoventriculaire).
Il faut ensuite tenter de déterminer le type du trouble du rythme (dans l'exemple précédent il s'agit d'une tachycardie ventriculaire) et si possible son origine. Dans tous les cas, l'interprétation de l'ECG doit tenir compte du contexte clinique : traitement en cours, présence d'une cardiopathie et tolérance hémodynamique de l'arythmie.

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Depuis une vingtaine d'années, les appareils permettant une analyse automatique de l'ECG se sont multipliés. Aux États-Unis, plus de la moitié des ECG enregistrés annuellement sont interprétés avec l'aide de l'informatique [ 1], [4], [11], [14], [15], [18], [19 ].
L'analyse automatique d'un tracé comporte plusieurs étapes, la première étant le soin dans l'enregistrement pour éviter parasites et erreurs d'électrodes. Après digitalisation des dérivations ECG, le logiciel d'analyse effectue la reconnaissance des différentes ondes électriques par localisation de leur début, de leur sommet et de leur fin. Les mesures de l'amplitude, de la durée, de la morphologie et de la surface de chaque onde sont réalisées ainsi que la mesure de la durée et du décalage des intervalles PR et ST. Les complexes sont classés par famille en fonction de la durée des intervalles RR, de la durée et de la forme des ondes. Une classification finale intervient en comparant les caractéristiques de chaque battement avec le complexe dominant. Sont ensuite calculés la fréquence cardiaque, la position des axes électriques moyens et les délais d'apparition de la déflexion intrinsécoïde. Certains logiciels peuvent identifier le spike d'un stimulateur cardiaque ou une onde delta. Enfin le programme fournit une interprétation diagnostique établie par une suite de déductions logiques qui tente de reproduire le raisonnement du médecin.
Une étude multicentrique européenne [ 19 ] a étudié la concordance des analyses de 1 220 tracés ECG obtenues par neuf programmes informatiques et huit cardiologues. Les diagnostics de tous les tracés ont été validés à partir d'éléments indépendants, par exemple cathétérisme cardiaque, échocardiographie, enzymes spécifiques. Les résultats de cette étude montrent que les performances des meilleurs programmes testés sont similaires à celles de cardiologues entraînés pour le diagnostic ECG de tracés de patients normaux, avec hypertrophie ventriculaire gauche ou séquelles d'infarctus du myocarde de localisation variée. La performance des cardiologues est toutefois meilleure que celle des logiciels pour le diagnostic des tracés normaux. La principale limite de cette étude est le faible nombre de diagnostics testés, les patients ayant un bloc de branche complet, un trouble majeur de la conduction ou une arythmie ayant été exclus. L'utilisation combinée de plusieurs logiciels d'interprétation automatique améliore la performance globale [ 18 ].
Parmi les utilisations de l'analyse automatique de l'ECG, il faut mentionner l'ECG d'effort où la quantification du décalage du segment ST se fait sur un complexe moyenné. Certains appareils de défibrillation externe sont équipés d'un logiciel qui se limite au diagnostic de tachycardie ou fibrillation ventriculaire et constitue une aide à la décision de délivrance du choc électrique externe. Les logiciels présents à l'intérieur des défibrillateurs implantables automatiques au niveau ventriculaire sont l'objet d'une recherche active actuellement ; les critères diagnostiques reposent sur la détection des QRS qui détermine la fréquence de la tachycardie, sur la morphologie des QRS qui est comparée à un complexe QRS de référence et sur la détection des ondes P. Enfin, ces logiciels permettent la mesure de l'intervalle QT de façon reproductible car la fin de l'onde T est parfois difficile à définir visuellement.
L'analyse automatique de l'ECG aide le clinicien à effectuer des interprétations fiables et reproductibles. Elle permet la constitution de bases de données, l'enseignement et les travaux épidémiologiques. Tous les logiciels d'analyse ne sont pas équivalents. L'amélioration de leurs performances est en cours incluant la prise en compte de données cliniques (âge, sexe, race, douleur thoracique) pour qu'ils deviennent des éléments d'aide au diagnostic, voire à la décision. Actuellement aucun programme d'analyse automatique de l'ECG n'est assez performant pour suffire à l'interprétation de tous les diagnostics, surtout lorsqu'il s'agit d'ischémie aiguë ou d'arythmie [ 18 ]. Les analyses fournies doivent dans tous les cas être contrôlées par un médecin expérimenté.

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