Hypolipémiants







Chantal Bully: Chef de clinique, service du professeur Berthezène
François Berthezène: Professeur et chef de service en endocrinologie et maladies métaboliques
Hôpital de l'Antiquaille, 1, rue de l'Antiquaille, 69005 Lyon France
11-916-A-10 (1998)



Résumé

Le cholestérol LDL (low density lipoproteins) est un des facteurs de risque majeurs des maladies cardiovasculaires. Certains hypolipémiants ont actuellement fait leur preuve en prévention primaire ou secondaire de la maladie coronarienne et pour les statines sur la mortalité globale. Mais le risque de développer une pathologie cardiovasculaire est multifactoriel et l'ensemble des facteurs de risque doit être pris en compte avant de définir la valeur optimale de LDLc à atteindre. Les mesures hygiénodiététiques doivent toujours être tentées avant de débuter un traitement à long terme.

© 1998 Éditions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS - Tous droits réservés.
EMC est une marque des Éditions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS.
Plan

Introduction
Différents agents pharmacologiques hypolipémiants
Études de prévention
Qui et comment traiter ?
Conclusion

Haut de page

L'hypercholestérolémie avec augmentation du cholestérol LDL est un facteur de risque cardiovasculaire très important. Le cholestérol HDL (high density lipoproteins) est au contraire corrélé négativement avec l'incidence de la pathologie coronarienne. L'hypertriglycéridémie s'associe le plus souvent à d'autres facteurs de risque tels qu'un HDLc bas, une hypertension artérielle, une obésité, un diabète... Elle constitue dans cette dernière population le facteur de risque le plus prédictif de l'athérosclérose. Le traitement des hyperlipidémies est toujours d'ordre diététique mais il nécessite souvent l'adjonction d'un hypolipémiant si l'objectif lipidique fixé en fonction du risque cardiovasculaire n'est pas atteint.

Haut de page



Différentes statines

- La simvastatine Zocor®, Lodalès®.
- La pravastatine Elisor®, Vasten®.
- La fluvastatine Lescol®, Fractal®.
La posologie initiale est de 10 mg et la posologie maximale de 40 mg en une prise le soir pour les deux premières molécules et de 20 mg à 80 mg/j pour la fluvastatine.
Mode d'action et efficacité
Ils inhibent de façon compétitive l'enzyme -hydroxy -méthyl glutaryl coenzyme A réductase ou HMG Co-A réductase, enzyme limitante de la synthèse hépatique du cholestérol [ 10 ]. Le LDLc diminue du fait de la baisse de la production des VLDL (very low density lipoproteins) d'origine hépatique et surtout en raison de l'augmentation du catabolisme des LDL du fait de l'expression accrue par les hépatocytes des récepteurs membranaires pour les LDL. Dans l'hyperlipidémie type IIa [ 8 ], la diminution du cholestérol total (CT) et du LDLc est dose dépendante, de 25 à 30 % pour 20 mg et 35 à 40 % pour 40 mg/j. La comparaison des trois produits plaide pour une puissance supérieure de la simvastatine. L'adjonction d'une résine permet une synergie d'action, 20 mg de statine associés à un séquestrant biliaire permettent de réduire le LDLc de 50 à 60 %. Dans l'hyperlipidémie combinée, ils induisent en moyenne une diminution de 34 % du taux de cholestérol et de 30 % des triglycérides (TG). Ils sont également efficaces dans les hypercholestérolémies secondaires associées à un syndrome néphrotique ou à un diabète, diminuant le VLDLc et le LDLc d'environ 40 et 30 % de façon dose dépendante.
Effets indésirables
Les effets indésirables régulièrement observés lors des études cliniques sont :
- le plus souvent les troubles gastro-intestinaux, les douleurs musculaires avec ou sans augmentation des créatines phosphokinases (CPK). Les cas de myopathies sont rares, mais ce risque justifie néanmoins une surveillance des CPK et déconseille leur association avec les fibrates ou la ciclosporine ;
- plus rarement céphalées, vertiges, fatigue et rashes cutanés.



Différents fibrates

- Fibrates de première génération : clofibrate : Lipavlon®, très peu utilisé actuellement.
- Fibrates de deuxième génération : fénofibrate : Lipanthyl Micronisé®, Sécalip®, Fénofibrate MSD® ; ciprofibrate : Lipanor® ; bézafibrate : Béfizal® ; gemfibrozil : Lipur®.
Ils ont tous une bonne absorption intestinale et sont décelables dans le plasma 1 à 2 heures après leur prise, fortement liés aux protéines. L'insuffisance rénale augmente l'accumulation plasmatique et la demi-vie de ce médicament qui peuvent alors être à l'origine de myosite. Ils potentialisent l'action des anticoagulants coumariniques dont la dose doit être diminuée de moitié ou du tiers en cas d'administration.
Mécanisme d'action et efficacité
- Les fibrates exercent une puissante action hypotriglycéridémiante [ 14 ] (-40 à -60 % dans les types IIb, IV et III) par des effets combinés sur la production des VLDL et leur catabolisme. Ils inhibent par l'intermédiaire des PPAR (peroxisome proliferator-activated receptors) l'activité de deux enzymes nécessaires à la synthèse des TG et acides gras : l'acétyl CoA carboxylase et l'acide gras synthétase [ 15 ]. Ils augmentent le catabolisme en stimulant la lipoprotéine lipase (LPL) et en diminuant son cofacteur inhibiteur l'apoprotéine C3.
- D'autre part ils augmentent le taux de HDLc par une augmentation PPAR dépendante de la transcription des gènes de l'Apo AI et AII.
- Ils abaissent les LDL en diminuant les VLDL, mais ils peuvent ne pas modifier le taux, voire l'augmenter du fait de leur effet stimulant sur la conversion des VLDL en IDL (intermediate density lipoproteins) puis LDL.

À côté de ces modifications quantitatives, les fibrates modifient la composition des lipoprotéines en diminuant le transfert du cholestérol ester (CE) des HDL aux VLDL/LDL à l'origine d'une augmentation de la taille des LDL [ 9 ] et diminuent la lipémie postprandiale.

Effets indésirables
Toutes ces médications sont dans l'ensemble bien tolérées. Il y a rarement des troubles digestifs. Une discrète élévation des enzymes hépatiques est parfois retrouvée en début de traitement mais est souvent transitoire. De rares cas de leucopénie, de rashes cutanés, de myalgies avec augmentation des CPK favorisée par une diminution de l'albuminémie, ou d'asthénie physique et sexuelle ont parfois été observés. Une rhabdomyolyse est exceptionnelle ; elle est vue essentiellement en cas d'insuffisance rénale ou en association avec certains médicaments comme les statines. La fréquence des lithiases biliaires est multipliée par deux sous clofibrate seulement.


Mécanisme d'action et efficacité
Ce sont des résines anioniques. Elles ne sont pas absorbées par la muqueuse digestive et vont échanger leurs ions chlore contre les acides biliaires, inhibant leur cycle entérohépatique et augmentant leur élimination fécale. Le cholestérol hépatique est utilisé principalement pour la formation des sels biliaires, sa concentration intracellulaire diminue, et par rétrocontrôle il existe une augmentation du nombre des récepteurs LDL. Elles peuvent augmenter les TG du fait du court-circuit biliaire. À la posologie de 8 à 24 g/j (deux à six sachets), la colestyramine diminue le CT et le LDLc de 11 à 22 % modifiant peu ou augmentant les TG, pour cela elle est utilisé essentiellement dans les hypercholestérolémies essentielles IIa [ 17 ].

Tolérance
Une précaution essentielle est de respecter le délai de 3 heures entre sa prise et celle des autres médicaments car elle en diminue l'absorption intestinale : c'est le cas de la phénylbutazone, du phénobarbital, de l'aspirine, du tolbutamide, des thiazidiques, des tétracyclines, des hormones thyroïdiennes, des digitaliques et surtout des antivitamines K.
Ses effets secondaires sont fréquents et surtout gastro-intestinaux : constipation surtout, nausées, gastralgies, voire stéatorrhée. Il faut le débuter progressivement en augmentant par 1 sachet par jour jusqu'à quatre à six sachets par jour, avant chacun des trois repas et au milieu de l'après-midi.


- Acides gras polyinsaturés oméga 3 Maxepa®.
- Son action est essentiellement hypotriglycéridémiante par des mécanismes en partie inconnus. À la posologie de deux capsules trois fois par jour, il est donné en complément du régime des hypertriglycéridémies pures type IV ou dans les hyperlipidémies combinées IIb et III [ 18 ].
- Médicaments antioxydants : alphatocophérol, Toco500® ou vitamine E, C, A, bêtacarotène.

Ils pourraient inhiber l'oxydation des LDL et prévenir la formation des cellules spumeuses à l'origine de la plaque d'athérosclérose [ 7 ].

Haut de page


Les études utilisant un hypolipémiant en prévention primaire, " méthodologiquement parfaites ", sont au nombre de quatre (tableau 1). Toutes s'accordent à démontrer l'effet bénéfique du traitement sur l'incidence des coronaropathies et pour la dernière publiée en 1995, l'effet favorable sur la surmortalité globale.

L'étude de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) [ 11 ], débutée en 1965 et publiée en 1978 avec le clofibrate, à la posologie de 1,6 g/L, a montré pour la première fois une diminution de 20 % de l'incidence des coronaropathies dans le groupe traité mais également une augmentation de la mortalité extravasculaire par lithiase biliaire et cancer.
L'étude LRC-CPPT (lipid research clinics coronary primary prevention trial) a démontré sur 7 ans [ 17 ], dans une population d'hommes d'âge moyen (47 ans), présentant un CT supérieur à 2,65 g/L avec un LDLc au-dessus de 1,9 g/L, l'effet bénéfique de la colestyramine en plus du régime, sur l'incidence des coronaropathies (- 19 %). La diminution de 1 % du CT a entraîné une diminution de 2 % du risque coronarien ; le rôle protecteur de l'abaissement du CT passant par le biais de la diminution de sa fraction athérogène LDL.
Les résultats de la HHS (Helsinki Heart Study) en 1987 [ 5 ], ont confirmé l'utilité de la baisse du CT mais également celle de l'augmentation de la fraction protectrice HDL et de la diminution des TG. Le gemfibrozil à la posologie de 1 200 mg/j pendant 5 ans a permis la diminution de 34 % des événements coronariens, mais il était rapporté une augmentation de la fréquence des hémorragies intracrâniennes et du nombre de morts violentes.
L'étude WOSCOPS (West of Scotland Coronary Prevention Study) dont les résultats ont été publiés en 1995, montre non seulement une diminution du nombre d'infarctus du myocarde (IDM) sous pravastatine (- 31 %) à la posologie de 40 mg/j mais également, et cela pour la première fois, de la mortalité globale de 22 % [ 16 ].

Le Coronary Drug Project [ 4 ] a recruté 8 341 patients randomisés en six groupes (tableau II) et a testé différentes thérapeutiques. Les estrogènes et la d-thyroxine ont rapidement dû être stoppés à, l'origine d'une augmentation de la fréquence des récidives des IDM tandis que le clofibrate et l'acide nicotinique permettaient une réduction mais ne modifiaient ni la mortalité globale, ni la mortalité cardiovasculaire.

Les études avec les statines sont venues lever les incertitudes concernant les effets réels des traitements hypolipémiants sur la morbidité et la mortalité coronaires, la mortalité non cardiovasculaire et la survie globale.

- Les résultats combinés de quatre études de régression [ 6 ] de l'athérosclérose sous pravastatine (PLAC I ET PLAC II, 118, REGRESS) concernant 1 891 participants présentant une athérosclérose ainsi qu'une élévation modérée des taux lipidiques, ont montré la réduction de 62 % des IDM mortels ou non mortels. Cela a été manifeste aussi bien chez les sujets jeunes, qu'âgés, chez les hommes et les femmes, en présence ou absence d'hypertension artérielle et d'antécédent d'IDM. La mortalité totale a diminué de 46 % et le risque d'accident vasculaire cérébral mortel ou non mortel de 62 %.
- L'étude 4S (Scandinavian Simvastatine Survival Study group) parue en 1994 [ 13 ], a montré que dans le groupe des 2 221 patients traités par simvastatine, la mortalité d'origine non seulement coronarienne (- 42 %), mais également globale (- 30 %) était significativement diminuée comparativement au groupe placebo et cela dès la deuxième année de traitement.
- L'étude CARE (Cholesterol And Recurrent Events) publiée en 1996 [ 12 ] est venue montrer que chez les patients ayant fait un IDM et un taux de CT peu élevé (2,09 g/L), un traitement par pravastatine pendant 5 ans diminue le taux de récidive d'IDM de 24 % et ce dès la deuxième année de traitement. La valeur de LDLc à 1,25 g/L à l'introduction du traitement était la valeur seuil à l'origine d'un effet bénéfique du traitement.


Haut de page


Le dépistage d'une hyperlipoprotéinémie est indispensable chez les sujets à haut risque cardiovasculaire [ 3 ]. Ceci est vrai en prévention secondaire chez des personnes ayant présenté une pathologie ischémique coronarienne, cérébrale ou périphérique, chez ceux porteurs de signes cliniques évocateurs d'un dépôt extravasculaire de cholestérol (arc cornéen, xanthélasma, xanthome), lorsqu'il existe des antécédents familiaux de maladie cardiovasculaire précoce, et/ou une hyperlipidémie familiale athérogène, ou devant tout autre facteur de risque cardiovasculaire (diabète, hypertension artérielle, tabac, obésité abdominale...).
Le dépistage systématique de l'ensemble de la population pose un problème de rapport coût/bénéfice qui n'est pas résolu. L'ARCOL (Comité français de coordination des recherches sur l'athérosclérose et le cholestérol) a proposé un dépistage systématique à partir de l'âge de 20 ans et si le résultat est normal, répété tous les 5 ans.

Le bilan de dépistage, réalisé après 12 heures de jeûne, comporte un dosage du CT et des TG. Si le CT est supérieur à 2 g/L, le dosage de HDLc est alors nécessaire permettant entre autres le calcul du LDLc.

Un interrogatoire médicamenteux à la recherche d'une prise de corticoïdes, thiazidiques, bêtabloquants, estrogènes de synthèse, progestatifs dérivés de la testostérone, rétinoïdes, doit être réalisé. De même, il faut éliminer une hypothyroïdie, une néphropathie, un syndrome néphrotique, un diabète, une cholestase [ 3 ].

Près de 99 % des patients entrent au moins dans une des trois catégories.

- Hypercholestérolémies IIa polygénique ou familiale. Dans ce dernier cas sont décrites la forme majeure homozygote, la forme moyenne hétérozygote et la forme mineure.
- Hyperlipidémie mixte, qui associe une augmentation à la fois des triglycérides et du cholestérol ; il s'agit souvent d'une hyperlipidémie combinée familiale, dyslipidémie le plus souvent en cause dans les infarctus du myocarde avec un phénotype variable suivant les sujets atteints (hypercholestérolémie isolée, hypertriglycéridémie isolée, ou le plus souvent hyperlipidémie mixte).
- Hypertriglycéridémie IV.

Plus rarement, on peut voir des types III, des hyperchylomicronémies isolées de type I ou associées à une élévation des TG de type V.

Il est essentiel de connaître le nombre et l'intensité des facteurs de risque présents : âge, sexe masculin, ménopause précoce, antécédents familiaux ou personnels d'athérosclérose quel qu'en soit le siège, tabagisme, hypertension artérielle, diabète, HDLc inférieur à 0,35g/L. Un HDLc supérieur ou égal à 0,6 g/L (1,6 mmol/L) est un facteur protecteur qui permet de soustraire un facteur de risque [ 1 ]. En fonction du nombre de ces facteurs de risque et de la présence ou non d'une artériopathie, il existe des seuils consensuels d'intervention pour le LDLc établis par l'ARCOL puis dernièrement par l'ANDEM (tableau III).


Aucune décision thérapeutique ne doit être prise sans avoir vérifié à deux reprises la persistance des anomalies lipidiques après 12 heures de jeûne. En prévention primaire, on doit se donner 3 à 6 mois pour confirmer l'anomalie et apprécier l'efficacité d'un régime bien suivi qui dépend bien entendu du type de l'hyperlipidémie : régime pauvre en cholestérol et acides gras en cas d'hypercholestérolémie et pauvre en glucides et alcool en cas d'hypertriglycéridémie. En prévention secondaire, si dans le trimestre qui suit, la seule diététique n'a pas permis l'obtention de la valeur cible du LDLc, un hypolipémiant est prescrit. Une surveillance lipidique est nécessaire tous les 2 mois avec adaptation du traitement jusqu'à ce que la valeur cible soit atteinte, puis tous les ans.
Le choix de l'hypolipémiant se fait en fonction des études de prévention mais aussi des cibles lipidiques que l'on s'est fixées. C'est le cas de la colestyramine dans les types IIA modérés ou en association avec une statine, pravastatine ou simvastatine en première intention et/ou en prévention secondaire et dans les hypercholestérolémies importantes du type IIa et prédominantes des hyperlipidémies combinées. Les fibrates seront préférés quand l'hypertriglycéridémie prédomine mais seul le gemfibrozil a fait la preuve de son efficacité en prévention primaire. La grossesse est une contre-indication aux hypolipémiants en dehors des acides gras oméga 3. Il est licite de ne pas débuter un traitement en prévention primaire après 70 ans et de le prolonger au-delà s'il est efficace, si l'espérance de vie est suffisante.

Haut de page

Trois types d'hypolipémiants ont actuellement fait leurs preuves en prévention primaire ou secondaire de la maladie coronarienne et pour les statines sur la mortalité globale. D'autres sont en cours d'évaluation, notamment les fibrates chez les diabétiques non insulinodépendants, les antioxydants. Cela permettra de mieux préciser leurs indications. D'autre part des questions restent encore en suspens et, à ce jour, on ne connaît pas le bénéfice des hypolipémiants dans certaines populations comme les personnes âgées.

© 1998 Éditions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS - Tous droits réservés.
EMC est une marque des Éditions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS.