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Depuis la description de Poiseuille, montrant l'organisation mais aussi le rôle du sang circulant, développant plusieurs jeux de pression sur la paroi vasculaire, les données de l'étude hémorrhéologique (rheos = vaisseau) ont abouti à des concepts physiopathologiques et à des applications thérapeutiques, particulièrement en hématologie et dans la pathologie vasculaire.
Le sang conditionne la vie des macro- et des microvaisseaux en assurant leur remplissage et la résistance périphérique à l'écoulement, mais de plus il est maintenant admis que les fonctions de la paroi, soit au niveau de la vasomotricité, soit au niveau cellulaire, sont effectivement sous la dépendance des frottements du sang. Ces fonctions dépendant des cisaillements, ou shear dépendantes, sont en fait nombreuses, fondamentales et dues à la réactivité, à ce propos, des cellules endothéliales.
Ainsi, l'hémorrhéologie n'est pas seulement une étude des conditions d'écoulement, mais de la physiologie de la paroi, qui en est tributaire. La tension artérielle, l'activation des plaquettes et pour une large part de l'hémostase, sont liées aux conditions hémorrhéologiques.
Il convient d'aborder ces problèmes sous un aspect didactique, non pas réducteur, mais élaborant un choix au sein d'une démarche conduisant au patient. Nous analyserons les données physiologiques et d'exploration puis pathologiques en indiquant les applications thérapeutiques.
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Harvey fut le génial inventeur, en 1616, de la boucle complète de la circulation sanguine, ce qui fut confirmé par Malpighi, le découvreur des capillaires en 1686. À la même époque, Newton découvrit la relation directe entre la pression (shear stress) et les vitesses d'écoulement (shear rate) dans un canal vasculaire et définissait ainsi l'écoulement de type newtonien. Poiseuille, vers 1840, apparaît comme le vrai premier hémorrhéologiste, définissant la viscosité à travers sa fameuse loi. Fahraeus établit en 1920 une série de données et de lois concernant la microcirculation, ouvrant la voie à une connaissance approfondie de l'hémorrhéologie. La première société de " rhéologie " fut américaine, vers 1930, avec l'adoption du terme rhéologie, définissant la science liée à l'étude de la déformation et du flux des matières. Copley (1910, 1992), grand ami de la France où il travailla longtemps, a isolé la biorrhéologie pour l'étude du vivant et le sang principalement. On doit terminer cette liste, non exhaustive, en citant Merlen (1912-1986), qui développa en France l'étude de l'unité fonctionnelle microcirculatoire, en insistant sur les aspects rhéologiques. Aujourd'hui, l'hémorrhéologie fait partie des structures de base de la connaissance dans les champs de la physiologie circulatoire, de l'angéiologie et de la biologie de la thrombose.
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Notions générales
Intuitivement, on comprend que le plasma est plus " visqueux " que l'eau. Sa charge liquidienne est supérieure du fait des macromolécules qu'il contient, provoquant une résistance intrinsèque à l'écoulement, ou flux, par le phénomène de frottements ou cisaillements. En effet, si l'on considère un tube rigide, l'écoulement s'organise en couches plasmatiques concentriques
(fig 1), glissant les unes sur les autres, sous l'effet de la pression cardiaque, comme les cylindres d'un télescope, caractérisant le flux laminaire. La lame liquidienne proche de la paroi est quasi immobile, alors que les lames centrales, ou axiales, ont un maximum de vélocité. Chaque lame développe un frottement ou cisaillement (shear stress) sur la lame adjacente, qui est d'autant plus élevé que l'on est proche de la paroi. La différence de shear entre les lames, ou gradient des taux de cisaillement ou encore appelée gradient des vitesses de cisaillement ou shear rate, est plus marquée à la paroi qu'au centre du vaisseau, définissant un profil des taux ou vitesses de cisaillement, qui représente la globalité du frottement du sang sur la paroi, soit l'impact d'activation par les contraintes (Ct), par exemple sur les cellules endothéliales.
La résistance frictionnelle du flux est la viscosité qui est le quotient du shear stress (contraintes de cisaillement) sur le shear rate (gradient des taux ou vitesses de cisaillement). La viscosité est le paramètre de référence en hémorrhéologie.
Un millipascal-seconde est égal à 1 centipoise, soit 0,1 dyne·s·cm-2. Les unités du shear rate sont en secondes réciproques (s-1). L'eau a une viscosité égale à 1 à 20 °C et de 0,69 à 37 °C :1' abaissement de la température augmente la viscosité. La viscosité du plasma est, en moyenne, de 1,30 à 37 °C et de 1,70 à 20 °C. Cette grande sensibilité explique l'expression des phénomènes rhéologiques à basse température et sur les parties découvertes du corps et aux extrémités.
La viscosité plasmatique dépend donc de la concentration des macromolécules, soit avant tout le fibrinogène. L'hyperfibrinogénémie conditionne l'hyperviscosité, mais d'autres molécules peuvent agir : les
2-macroglobulines et les gammaglobulines. Parmi elles, l'augmentation des immunoglobulines M (IgM) élève rapidement la viscosité du plasma.
Mesures au laboratoire
La mesure de la viscosité plasmatique est facile et rapide, à condition que la température de l'échantillon soit bien maîtrisée par l'appareil. Ses variations étant parallèles à celles du fibrinogène et d'autres molécules inflammatoires, on a pu proposer son utilisation en lieu et place de la vitesse de sédimentation, en tant que mesure plus précise, car prenant en compte l'ensemble de la réactivité associée des macromolécules responsables de la densité du plasma.
Dans le tube vasculaire la viscosité prend sa place pour le calcul du débit d'écoulement, selon la loi de Poiseuille-Hagen (loi dont on peut extraire les valeurs du shear stress et du shear rate) :
p est le gradient de pression motrice le long du tube, L la longueur, r le rayon et
la viscosité. On voit que le diamètre et la viscosité sont en position inverse, ainsi la vasomotricité est le paramètre qui s'adapte à la viscosité pour la compenser ; ceci est une régulation fondamentale.
Par des principes antérieurs, Isaac Newton, en 1686... démontra que le shear rate est proportionnel au shear stress et que la viscosité était une constante, d'où la notion de liquide newtonien, comme l'eau et le plasma. Mais ceci ne se vérifie pas pour le sang total... qui n'est pas newtonien !
Le sang comporte certes le plasma, mais aussi les cellules circulantes, qui ont un rôle, bien évidemment, dans l'équilibre du profil des vitesses, car elles se lient, dans certains conditions aux facteurs plasmatiques (thyxotropie) et, par ailleurs leurs qualités spécifiques varient, en particulier dans les conditions pathologiques (déformabilité).
Phénomène de thyxotropie et anomalies du profil de vitesses de cisaillement
Etymologiquement ce terme, thyxos, signifie propriétés de tissu élastique. Le sang entre dans cette catégorie, c'est-à-dire qu'il se déforme sous une pression appliquée (ici tendant vers la fluidité, une viscosité basse), mais il retourne à son aspect initial de " solide " si la pression se relâche.
À pression normale, élevée dans les macrovaisseaux, soit shear rate élevé ou encore à hautes vitesses de cisaillement (> 50 s-1), les cellules, rouges essentiellement, se disposent dans le flux laminaire, épousant les lames cylindriques
(fig. 1) (fig. 2) (fig. 3). Donc le caractère newtonien persiste. En revanche, si le shear rate diminue, pour des vitesses de cisaillement inférieures à 20 s-1, les hématies subissent le phénomène d'agrégation en se liant au fibrinogène et les agrégats dissocient l'harmonie des lames. Cela se produit d'abord pour les lames les plus axiales. Le profil des vitesses perd son harmonie, ce qui est important car les frottements à la paroi sont modifiés, en réalité diminués et la viscosité augmente, faisant perdre au sang son caractère newtonien. Ainsi le sang est un tissu élastique, fluide à hautes vitesses de cisaillement, tendant à l'opposé, du fait de l'accumulation d'agrégats d'hématies, à être immobile et visqueux pour les pressions très basses, comme au cours de la stase. Ceci pour des hématocrites systématiques aux alentours de 45 %, ce qui n'est pas le cas des microvaisseaux où l'agrégation des globules rouges prend une autre signification.
Le fait le plus important dans les macrovaisseaux est la modification du profil des vitesses, qui diminue ou modifie malencontreusement le cisaillement à la paroi, donc qui altère l'activation des cellules endothéliales (shear dependence). Le
tableau I montre le nombre et l'importance de ces activations. L'hyperviscosité, l'hyperfibrinogénémie jouent sur ces sécrétions en modifiant le profil de vitesses.
À titre d'exemple le schéma suivant doit être admis comme fondamental :
Aspects qualitatifs des cellules sanguines
Le globule rouge se déforme dans le flux sanguin. La déformabilité sanguine est nécessaire car 50 % des capillaires qu'il doit franchir ont un diamètre inférieur à 5
m, inférieur à celui des hématies (7,2
m). La déformabilité est liée à trois paramètres des globules rouges : leur forme (géométrie), leur viscosité interne (densité, concentration de l'hémoglobine) et leur vie enzymatique (n'ayant pas de noyau, la vie de la cellule dépend uniquement de son stock d'enzymes, vie de 120 jours). Une altération sur chacun de ces groupes de paramètres entraînera une perte de la déformabilité et une difficulté à passer dans les capillaires.
La déformabilité des hématies permet leur étirement à forte pression, au sein des lames concentriques, ce qui contribue à rendre le sang plus fluide. Cette action est donc liée à la qualité de la cellule.
Les leucocytes sont très rigides et passent rarement dans les capillaires, mais plutôt dans les shunts et conduits un peu gros où, de toute façon, ils ralentissent l'écoulement des hématies disposées en longues files d'attente derrière eux. Cette rigidité, 1 000 fois supérieure à celle des hématies, augmentée par leur activation par des agonistes et les cytokines, a été retenue comme pouvant altérer l'irrigation microcirculatoire des tissus en ischémie, en particulier le myocarde. Les plaquettes ont un rôle négligeable pour la régulation du flux, du fait de leur taille réduite. En revanche, elles sont très sensibles à la dysrégulation endothéliale ; elle-même liée au shear.
Mesures au laboratoire
La viscosité du sang est établie par l'utilisation de viscosimètres de type Couette, rotatifs, où un cylindre, plan ou en cône, tourne dans une cuve, reproduisant les cisaillements du sang circulant. Lorsque les rotations sont lentes, les gradients de cisaillement sont faibles et inversement. La viscosité est mesurée pour des valeurs de shear rate de 1 à 10 s-1, de 10 à 50 et supérieur à 100. Elle s'élève pour les taux de cisaillement bas, surtout pour les valeurs d'hématocrite et de fibrinogène élevées, montrant le rôle de la formation d'agrégats et la perte de l'aspect newtonien de l'écoulement.
L'agrégation des hématies fait l'objet, du fait de son importance, d'une mesure identifiée, depuis quelques années. C'est en fait elle, qui représente le facteur important de la thyxotropie, qui joue dans le viscosimètre à bas gradient de cisaillement. Les hématies non ou faiblement cisaillées
(fig 4) se disposent en pile d'assiettes, grâce au fibrinogène qui s'allie à elles dans une relation biophysique, de type osmotique, sans mettre en jeu de récepteurs, effectivement absents à la surface des hématies. De ce fait, la liaison se dissocie sous l'effet des shears plus élevés. Les globules vont et viennent dans ce système, formant des réticuli de rouleaux d'hématies (phénomène de " rouleaux ") ou d'agrégats plus compacts. Le point qui fait le lien avec la pathologie est qu'il y aura d'autant plus d'agrégats, qu'ils seront d'autant plus rapides à se constituer, plus compacts et difficiles à dissocier, que le fibrinogène et l'hématocrite sont plus élevés. Les appareils permettent de mesurer le temps d'agrégation, l'intensité et le shear stress nécessaire à dissocier les agrégats et les rouleaux (seuils de dissociation).
La déformabilité peut être mesurée directement en mesurant le temps de passage des hématies à travers des filtres de porosité connue, mais ces mesures sont difficiles à réaliser et à interpréter. De ce fait, on calcule la déformabilité des érythrocytes en utilisant les valeurs de viscosité du sang total à haute vitesse de cisaillement, par les formules de Dientenfas et de Quemada.
Ces notions générales rhéologiques sont à replacer dans les deux systèmes circulatoires. Au niveau de la microcirculation, des notions nouvelles liées à la capacité d'adhésion des cellules circulantes sont aussi à prendre en compte.
Circulation systémique : macrorrhéologie
La rhéologie conditionne la pression artérielle, la résistance périphérique et l'activité plaquettaire
Dans les vaisseaux artériels et veineux de gros calibre, la pression sanguine est élevée et le flux laminaire prédomine. Les globules rouges sont alignés et déformés. Les leucocytes et les plaquettes sont évacués. Ce système prédomine jusque dans les vaisseaux de 100
m et caractérise la circulation artériolaire. En fait, le système est, dans une certaine mesure et surtout dans certaines localisations, pulsatile. Les pulsations provoquent des phases où les lames se dissocient et des agrégats se forment. C'est le cas en particulier de la crosse de la saphène externe, où l'imagerie moderne discerne la formation d'agrégats.
Le profil des taux ou vitesses de cisaillement conditionne l'activation constante de l'endothélium, qui sécrète des produits vasoactifs (NO oxyde nitrique, PGI2, endothéline), modulant en permanence le diamètre des vaisseaux et régulant, de ce fait, à la fois la tension artérielle et la viscosité.
La résistance périphérique est donc dépendante du rapport suivant, dérivé des lois de Poiseuille-Hagen :
où
Q : débit ; Pa - Pv : gradient de pression entre artères et veines ; R : résistance ; L : longueur ; r : rayon ; N : nombre de conduits ;
: viscosité.
Si r diminue (vasoconstriction), la résistance augmente intensément. Si la pression motrice diminue (à cause du coeur ou dans des secteurs à basse pression), la viscosité immuable
doit être maîtrisée par une élévation de r (vasodilatation).
Ces produits de l'endothélium vasculaire, shear-dépendants, sont aussi actifs sur les plaquettes sanguines. C'est avant tout le NO et la PGI2, ou prostacycline, qui ont la propriété de sous-réguler les récepteurs plaquettaires tels que le GPIIbIIIa. Il a été démontré que l'apport de NO diminue la potentialité d'agrégation plaquettaire ex vivo et de même l'altération du profil de vitesse. Il faut admettre que les plaquettes sont constamment " désactivées " par l'endothélium lui-même soumis à une qualité de cisaillement. Le schéma suivant doit être admis :
En de nombreux points de l'arbre des macrovaisseaux la circulation laminaire est dysrégulée
Au niveau des bifurcations artérielles
(fig 2A) la répartition des hématies est irrégulière, des agrégats se forment, entraînant plus de globules ou de plasma dans une artère fille (plasma skimming). Surtout des courants se dissocient et certaines parties des embranchements sont moins cisaillées, du fait de flux rétrogrades et de zones stagnantes. À ce niveau, où le flux est ralenti, l'endothélium sensibilisé, les leucocytes sont capables d'adhérer à la paroi et de la pénétrer. C'est en particulier le cas des monocytes, d'où le développement électif des plaques d'athérosclérose dans ces endroits, le facteur rhéologique étant un des facteurs importants de l'athérogenèse.
Cela est encore plus vrai au niveau des sténoses artérielles où des zones de recirculation, ou vortex, se mettent en place permettant des contacts endothélium-cellules circulantes
(fig 2B, C). Il existe une " vie " de la plaque, cellulaire, inflammatoire et endothéliale, conduisant à la formation de la " glu " (gruel), labile au-dessous de la coque fibreuse. Dans ces zones, les plaquettes s'activent et ne sont plus maîtrisées.
Les valvules veineuses
(fig 2D) sont naturellement des zones de recirculation avec plusieurs séries de vortex. À leur niveau et surtout lorsqu'elles sont ectasiées, les agrégats se forment, l'endothélium est actif et un " nidus " fibrinoplaquettaire est présent. Le rôle des valvules, en regard de ces conditions circulatoires, est primordial pour la genèse des thromboses veineuses. Il existe d'autres zones à risque sur l'arbre veineux, telles que les veines borgnes du mollet. De manière générale la stase veineuse produit les même effets.
Au total, si les " frottements " du sang assurent une protection constante de l'arbre artériel, a contrario, de nombreuses conditions existent où cette protection disparaît, favorisant le développement des plaques athéromateuses et la genèse des thromboses.
Microcirculation : microrrhéologie
Le domaine microcirculatoire se situe au-dessous de 100
m et comporte un ensemble considérable de microvaisseaux, développant une surface très étendue d'interaction avec le sang. Le lit endothélial, appliqué au sang circulant, est estimé à 3 kg, ce qui représente un " organe ", voire une glande exoendocrine importante.
C'est à Merlen que l'on doit d'avoir intégré la microcirculation, quel que soit le domaine considéré, comme une unité fonctionnelle microcirculatoire
(tableau II). On doit considérer deux versants et le lit capillaire. Le versant artériel est dévolu à la vasomotricité, à la perfusion de l'unité par les artérioles précapillaires. Le versant veineux a une activité endothéliale très riche, surtout au niveau de la veinule postcapillaire (VPC) et a une action plus " parenchymateuse ".
Caractères circulatoires proprement dits
Deux faits caractérisent la circulation dans les microvaisseaux : le débit très ralenti et la perte du flux laminaire. Le débit est à l'entrée de 0,5 cm/s mais chute considérablement dans les capillaires. De ce fait, le débit est de 0,01 cm/s dans les VPC, ce qui est le record de lenteur d'écoulement pour l'organisme. Ce fait primordial explique la relation intime possible entre l'endothélium de ce secteur et les cellules circulantes.
À l'entrée de la microcirculation sur le versant artériel, l'organisation en flux laminaire disparaît et est remplacée par le système à couche plasmatique
(fig 3). En fait, l'hématocrite s'effondre à l'entrée des artérioles, abaissant la viscosité sanguine (mais pas la plasmatique), ce qui permet de mieux faire pénétrer les hématies (phénomène de Fahraeus). Celles-ci s'agrègent au centre du vaisseau et les rouleaux, ainsi formés, sont entourés d'une couche de plasma. Ici l'agrégation, pour des hématocrites aux alentours de 10 %, est salutaire et sa disparition (par des solutés hypoagrégants perfusés trop en abondance) est cause d'hypoxie. À l'opposé, un flux d'aval fait d'agrégats trop cohérents perturbe la perfusion de l'unité, ces amas ayant tendance à passer par des shunts (vol circulatoire). En fait, la vasomotricité permet d'adapter le vaisseau aux conditions rhéologiques. Malgré cette adaptation, la pression et les cisaillements restent élevés sur le secteur artériel, ce qui permet la sécrétion shear-dépendante et le passage des hématies dans les capillaires.
Sur le versant veineux, les VPC " attendent " d'être remplies par des capillaires dits nourriciers. Le débit étant très lent, ce remplissage permet une remontée de l'hématocrite vers les valeurs de la circulation systématique (40 %). Ceci favorise les agrégats érythrocytaires, nombreux et importants dans les VPC, repoussant les globules blancs et les plaquettes vers l'endothélium. Les VPC sont très sensibles à l'hyperagrégation, assimilée à celle du sang systémique veineux brachial du fait de la similitude de l'hématocrite. À l'opposé, si les hématies se désagrègent, comme elles peuvent le faire sous l'effet de l'inflammation et en particulier des radicaux libres oxygénés, les hématies éparpillées encombrent les capillaires et adhèrent à l'endothélium. Il s'agit donc d'un secteur sensible sur le plan rhéologique où un équilibre doit être trouvé entre l'agrégation assurant le transit des hématies vers les veines en aval et des gros agrégats pouvant bloquer la circulation et contribuant à l'hypoxie et à l'activation de l'endothélium.
Fonctions endothéliales
Normalement sur l'ensemble du lit vasculaire et sur les VPC, l'endothélium développe une action protectrice
(tableau III), du fait des cisaillements et de l'absence d'agonistes ou de cytokines dans le milieu ambiant. Le NO et la prostacyline sont les agents principaux, ainsi que l'expression de la thrombomoduline, récepteur de la thrombine, dont l'association permet l'activation de la protéine C. La chute des pressions défait le shear et l'action protectrice des cellules endothéliales commence à disparaître. L'hypoxie et des cytokines telles qu'IL 1 (interleukine 1) et TNF
(tumor necrosis factor), des agonistes tels que le PAF (platelet activating factor), l'histamine, des produits endotoxiniques, font apparaître des fonctions adhésives et coagulantes de l'endothélium. Deux faits dominent cet état : l'adhésion des leucocytes et le perméabilité augmentée, avec fuite de liquide et de petites molécules (albumine).
On conçoit le rôle important, mais non exclusif du flux sanguin et des cisaillements pour le lit endothélial. Au cours de l'ischémie, la perte des cisaillements et l'expression de l'agrégation érythrocytaire accentuent ces phénomènes, d'où l'importance de toutes les thérapeutiques allant dans le sens de la correction des troubles microcirculatoires : mobilisation, massages, socking, drogues à effet sur les microvaisseaux.
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On admet que l'étude du sang prélevé au bras correspond à la rhéologie des VPC et que l'hyperagrégation joue à ce niveau. Cela est prouvé par les corrélations obtenues entre ce test et les oedèmes, la TC-PO2, le doppler laser. Une autre approche consiste dans la mesure, chez les patients, de marqueurs d'activation et de lésion des cellules endothéliales, thrombonoduline soluble et Willebrand, sélectines, ICAM (intercellular adhesion molecule), qui corrèlent aussi avec la rhéologie.
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En dehors du fait que les désordres rhéologiques accentuent l'athérogenèse, les macrovaisseaux artériels et veineux sont sensibles à l'hyperagrégation érythrocytaire (premier secteur d'action de l'hyperagrégation érythrocytaire) qui perturbe les sécrétions pariétales et la vasomotricité. Au cours de l'hypertension artérielle, le trouble est présent ainsi que l'augmentation constante du fibrinogène. La viscosité sanguine est d'ailleurs diminuée, chez ces patients, par les inhibiteurs calciques et de l'ECA (enzyme de conversion de l'angiotensine), médications de l'hypertendu.
Le rapport entre la viscosité plasmatique élevée et les thromboses artérielles a fait l'objet de nombreuses études épidémiologiques, particulièrement pour l'accident vasculaire cérébral (AVC). Des résultats ont été obtenus par l'étude de l'hyperfibrinogénémie, en général associée à - et cause principale de - l'hyperviscosité. Néanmoins, les phénomènes appréhendés par la mesure de la viscosité sont plus larges.
Le désordre rhéologique est un facteur important d'aggravation de l'ischémie artérielle, particulièrement au niveau des membres inférieurs, aggravant la faible diffusion de l'oxygène et favorisant l'amputation.
L'hyperviscosité est une cause favorisante de la thrombose veineuse profonde, du fait de la formation d'agrégats et d'amas fibrinoplaquettaires dans les valvules et certains secteurs veineux en stase.
Au total, la prise en compte, chez le patient, de l'hématocrite et du taux du fibrinogène, représente une démarche d'exploration rhéologique dont il ne faut jamais se priver au lit des malades.
Désordres rhéologiques en hématologie
Troubles volémiques
Deux situations existent, soit l'augmentation de la masse sanguine par une production cellulaire augmentée, soit une hémoconcentration par perméabilité augmentée, associée à une production accentuée de fibrinogène d'origine inflammatoire. L'augmentation de la masse sanguine rouge, polyglobulie de Vaquez, entraîne des manifestations liées aux microvaisseaux : troubles visuels, vertiges, surdité brusque. Ces manifestations sont primordiales pour juger de l'évolution de la maladie de Waldenström, où la viscosité plasmatique augmente sous l'effet des IgM et fait indiquer les plasmaphérèses. Des états voisins sont observés au cours des myélomes, des inflammations chroniques, des fortes hyperfibrinogénémies, ainsi qu'au cours des hyperlipidémies. Les plasmaphérèses, la démarche d'hémodilution trouvent leur place au cours de ces évolutions. Souvent, les médications actives dans ces états diminuent le taux du fibrinogène et réduisent la perméabilité (ticlopidine, hypolipémiants).
Troubles cellulaires
La déformabilité très perturbée des globules rouges au cours de la drépanocytose fait de cette maladie une affection rhéologique. La perfusion capillaire s'effectue mal, des agrégats indissociables sont présents dans les secteurs osseux et les aires endothéliales sont activées. De plus, les drépanocytes sont hyperadhésifs et s'accolent aux cellules endothéliales. Ces troubles, décrits récemment, apparaissent importants pour expliquer les récidives des crises d'occlusion et d'hémolyse. Ces phénomènes, moins caricaturaux, sont observés dans le diabète mal équilibré, le syndrome de Zieve et au cours de l'ischémie, de l'anoxie en présence de radicaux libres. Un concept peut être évoqué : les hématies moins déformables s'agrègent moins ou de manière désordonnée et ont tendance à bloquer les capillaires et à adhérer à l'endothélium des VPC.
La plaque athéroscléreuse, provoquant la sténose, entraîne dans le lit microcirculatoire d'aval des périodes d'ischémie-hypoxie puis de reperfusion, du fait de spasmes transitoires. Les shears sont donc perturbés et l'endothélium activé par l'hypoxie, des agonistes plaquettaires (TXA2, 5HT) et leucocytaires (PAF) et les radicaux oxygénés produits au moment de la reperfusion. Les désordres rhéologiques aggravent considérablement ces états. Cela est valable pour les trois secteurs : coeur (angor instable, infarctus), AVC et artériopathies dégénératives des membres inférieurs.
Au cours de l'insuffisance veineuse chronique des membres inférieurs (IVC), la microcirculation cutanée réagit à la lésion d'amont, essentiellement l'hyperpression veineuse. Les troubles rhéologiques, associés quasi constamment (hyperagrégation des hématies), favorisent les lésions des microvaisseaux, en particulier par vol circulatoire, c'est-à-dire en favorisant le passage des agrégats par les shunts sous-jacents aux anses capillaires.
Existe-t-il des maladies rhéologiques pures directement liées à l'hyperagrégation érythrocytaire ? C'est vraisemblable, par exemple des surdités brusques sont souvent accompagnées de ces désordres. De même l'occlusion de la veine centrale de la rétine ou certains vertiges. Dans ces cas, l'hématocrite et le fibrinogène élevé, la viscosité plasmatique et l'agrégation érythrocytaire accentuées sont à prendre en compte pour indiquer l'hémodilution ou la plasmaphérèse.
Il existe un tableau, le syndrome polycythémique, survenant plutôt chez l'homme après 40 ans, où la masse sanguine montre une réduction du volume plasmatique (contraction du volume plasmatique) et non pas une vraie polyglobulie, au cours duquel les accidents thrombotiques artériels sont plus fréquents, tels les AVC ou les accidents coronariens. Curieusement, les organes nobles, tels que le rein, sont protégés au cours de ces états. Le tabagisme accentue ces troubles.
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Les maladies rhéologiques sont rarement très apparentes " overt syndromes " comme au cours de la maladie de Vaquez, mais plutôt voilées " covert syndromes ", facteurs de réelle aggravation, surtout au cours des maladies vasculaires dégénératives. Il faut y penser car déjà l'observation simultanée de l'hématocrite et du fibrinogène élevés est une démarche rhéologique. De plus, si l'on y prend garde, on constate que beaucoup de traitements ont une visée rhéologique : hémodilution, plasmaphérèse, médications anti-inflammatoires, vasoactives, hypolipémiantes, hypofibrinogénémiante, correctrices de la perméabilité ou de l'hypertension.