Physiopathologie des shunts gauche-droite



Claude Dupuis: Professeur de pédiatrie, chef du service de cardiologie infantile
hôpital cardiologique, boulevard du Pr Leclercq, 59037 Lille cedex France
11-040-A-10 (1994)



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Plan

Introduction
Facteurs d'élévation des résistances vasculaires pulmonaires

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Les anomalies qui sont à l'origine des shunts gauche-droite constituent parmi les cardiopathies congénitales le groupe numériquement le plus important. Leur élément physiopathologique fondamental est le passage anormal du sang de la grande vers la petite circulation. La conséquence de tous les shunts gauche-droite est l'élévation du débit pulmonaire et la réduction, au moins relative, du débit systémique. Le volume du shunt correspond à la différence entre les deux débits ; il est exprimé par le rapport débit pulmonaire/débit systémique. C'est un élément important du retentissement clinique. S'il est considérable, il détermine une pléthore vasculaire pulmonaire à l'origine de la dyspnée et des troubles ventilatoires. La surcharge volumétrique des ventricules se traduit par la tachycardie, l'amplitude exagérée de la cinétique cardiaque et l'évolution possible vers l'insuffisance cardiaque. L'insuffisance du débit périphérique rend compte de l'hypotrophie et de manifestations hyperadrénergiques telles que les sueurs profuses.
L'électrocardiogramme est rarement normal ; le volume cardiaque et la vascularisation pulmonaire sont d'autant plus augmentés à la radiographie que le shunt est plus important. L'échocardiogramme, le Doppler d'une part, le cathétérisme et l'angiocardiographie d'autre part, permettent de déterminer l'importance du shunt, son siège et son retentissement sur les cavités cardiaques surtout sur le lit vasculaire pulmonaire. Le risque d'altérations du lit vasculaire pulmonaire, génératrices d'hypertension artérielle pulmonaire obstructive, est un risque majeur car il rend le malade inopérable. Il est donc nécessaire dans tout gros shunt de surveiller l'évolution des pressions et surtout des résistances vasculaires pulmonaires. Cela obligeait parfois, auparavant, à effectuer des cathétérismes itératifs. Actuellement, l'échocardiographie et le Doppler peuvent être facilement répétés, sans gêne pour le patient. On peut ainsi beaucoup plus facilement étudier l'évolution et faire opérer le patient avant que les lésions du lit vasculaire pulmonaire ne deviennent irréversibles, aboutissant à une élévation des résistances vasculaires pulmonaires, qui vont atteindre ou même dépasser les résistances vasculaires systémiques et inverser le shunt. Cette éventualité défavorable ne résume pas toutes les potentialités évolutives, variables et parfois imprévisibles des cardiopathies avec shunt gauche-droite. Au fil des mois, la diminution relative de la taille de la communication est souvent à l'origine d'une amélioration spontanée. Certaines communications peuvent même se fermer. L'indication opératoire est un compromis entre le risque physiopathologique (persistance d'une hypertension pulmonaire de niveau systémique et son évolutivité), le risque opératoire selon l'âge et la réduction progressive du diamètre de la communication. La diminution du risque opératoire chez le nourrisson a rendu la décision plus facile.

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Certains sont communs à tous les shunts gauche-droite, d'autres dépendent du siège de la communication et de sa taille.

L'importance du shunt et le niveau des pressions pulmonaires sont les deux éléments les plus importants.

Age et maturité du patient
Ils influencent les caractéristiques des shunts gauche-droite. Le prématuré, en raison de sa musculature artériolaire pulmonaire relativement sous-développée, aura un shunt gauche-droite plus important qu'un enfant à terme. Ainsi, un canal artériel ou une communication interventriculaire relativement petits peuvent provoquer un oedème pulmonaire sévère chez le prématuré ; à l'opposé, une communication interventriculaire large ou un canal atrioventriculaire peuvent être asymptomatiques en période néonatale en raison de la persistance de résistances vasculaires pulmonaires de type foetal pendant les premiers jours de la vie.

Hypoxie artérielle systémique
L'hypoxie provoquée par des infections respiratoires à répétition, est un facteur d'aggravation des lésions artériolaires pulmonaires. C'est sans doute une des causes de la plus grande évolutivité de l'hypertension artérielle pulmonaire chez les enfants trisomiques. D'autre part, un petit nombre d'enfants qui survivent à des affections pulmonaires néonatales sévères (maladie des membranes hyalines par exemple) conservent des résistances vasculaires pulmonaires élevées ; on parle alors d'absence de maturation du lit vasculaire pulmonaire. Ces faits expliquent les syndromes d'Eisenmenger " congénitaux " où l'enfant est d'emblée inopérable. L'hypoxie d'altitude favorise aussi la survenue d'hypertension artérielle pulmonaire obstructive par vasoconstriction pulmonaire hypoxique. Dans de tels cas, les résistances vasculaires pulmonaires peuvent revenir à la normale après un séjour en basse altitude.

Hyperoxie artérielle pulmonaire
Elle a été invoquée pour expliquer l'évolutivité de l'hypertension artérielle pulmonaire en cas de retour veineux pulmonaire anormal total où l'artère pulmonaire reçoit la totalité du débit veineux pulmonaire. Dans ces cas, c'est aux lésions du lit vasculaire pulmonaire précoces et souvent réversibles, qu'on attribue les crises d'hypertension artérielle pulmonaire paroxystique qui surviennent dans la période postopératoire immédiate.

Facteur individuel
Un facteur individuel est également en cause, car pour un shunt identique, la survenue d'une élévation des résistances vasculaires pulmonaires est variable dans sa fréquence et dans sa précocité, expérimentalement selon les espèces animales et en clinique humaine, selon les individus. C'est ce facteur qui explique la survenue de l'hypertension artérielle pulmonaire " primitive ". L'élément qui explique cette prédisposition à l'hypertension artérielle pulmonaire est-il une structure histologique particulière des artérioles pulmonaires ou une anomalie humorale ? On ne saurait actuellement répondre à cette question.

Le retentissement des shunts gauche-droite dépend en grande partie de la taille et du siège des communications.

Communication interauriculaire
En cas de communication interauriculaire, la compliance du ventricule droit est un élément déterminant ; faible à la naissance, elle augmente progressivement, accentuant la surcharge volumétrique de ce ventricule et l'importance du shunt. Le risque d'insuffisance cardiaque est minime pendant la première enfance et le risque d'élévation des résistances vasculaires pulmonaires est faible au moins avant l'âge de 15 ans, même si la communication est large. En cas de communication interauriculaire de petite taille ou de retour veineux pulmonaire anormal très partiel, ce risque est probablement nul, une donnée qui évidemment doit être prise en compte dans la décision opératoire.

Communications interventriculaires
Elles réalisent les shunts les plus exemplaires par la variété de leurs modalités évolutives. Lorsqu'elles sont larges, avec égalité de pressions entre les deux ventricules et sans sténose sur la voie pulmonaire, le shunt est très important et peut provoquer en moins d'un an des lésions irréversibles du lit vasculaire pulmonaire. Une surveillance attentive est donc nécessaire pendant la première année de la vie pour ce type de communication interventriculaire. Si la communication interventriculaire a tendance à se refermer, on peut observer à l'échocardiographie la formation d'un anévrisme du septum membraneux et au Doppler un important gradient de pressions entre les deux ventricules. On peut alors surseoir à l'intervention. Lorsqu'il s'agit de communications interventriculaires multiples ou en cas de ventricule unique, on peut protéger le lit vasculaire pulmonaire en créant une sténose supravalvulaire de l'artère pulmonaire (cerclage).

Shunts entre l'aorte et l'artère pulmonaire (canal artériel, fenêtre aortopulmonaire)
Ils ont beaucoup d'éléments communs avec les communications interventriculaires. Un élément leur est propre : la fuite aortique diastolique responsable d'une hyperpulsatilité artérielle périphérique. L'intervention devra être d'autant plus précoce que l'hypertension artérielle pulmonaire est plus importante.

Shunts " obligatoires "
Les shunts " obligatoires " (communication ventricule gauche-oreillette droite, canal atrioventriculaire commun, fistules artérioveineuses périphériques) ne sont pas influencés par le niveau des résistances pulmonaires. Dans de tels cas, l'élévation de la pression dans l'oreillette droite, générée par l'élévation des pressions pulmonaires ne peut atteindre le niveau des pressions ventriculaires gauches ou artérielles. Ces shunts sont donc plus sévères et sont peu modifiés par le cerclage de l'artère pulmonaire.
Si l'évolution vers l'hypertension artérielle pulmonaire obstructive domine le pronostic des shunts gauche-droite, elle n'est pas la seule complication possible.

Insuffisance cardiaque
L'insuffisance cardiaque tardive avec intolérance à l'effort, altération de la fonction ventriculaire, troubles du rythme, peut survenir chez l'adulte dans les cardiopathies négligées (donc non opérées) en l'absence d'hypertension artérielle pulmonaire sévère. C'est le cas des canaux artériels de taille moyenne, de certains anévrismes rompus des sinus de Valsalva, des fistules artérioveineuses coronaires. La chirurgie, même tardive, peut encore être efficace.
L'insuffisance cardiaque précoce peut être due aux fistules artérioveineuses périphériques (cérébrales, hépatiques, des membres). Lorsque ces fistules sont larges, elles déterminent une insuffisance cardiaque sévère dès la période néonatale. Mais, si l'enfant survit grâce au traitement, l'insuffisance cardiaque régresse et ne réapparaît plus.

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