Réadaptation fonctionnelle de l'amputé vasculaire









P Chabloz: Prothésiste, 2, rue de la Liberté, 38600 Fontaine
Centre médicochirurgical Les Petites Roches, 38660 Saint-Hilaire du Trouvet France
H Guidicelli: Professeur, service de chirurgie vasculaire, CHU, BP 217, 38043 Grenoble cedex 09
MP de Angelis: Médecin en rééducation et réadaptation fonctionnelle
YC Boutroux: Kinésithérapeute chef
H Truche: Angiologue
B Villemur: Angiologue
JL Piton: Médecin chef
11-754-A-10 (1997)



Résumé

L'amputation fait passer un patient souvent polypathologique, en général âgé, d'un état d'équilibre plus ou moins précaire à celui de handicapé.
La réadaptation regroupe les mesures visant à assurer l'autonomie du patient et sa réintégration dans la vie publique et privée [ 16 ]. Elle fait appel, en centre de rééducation et réadaptation fonctionnelle (CRRF), à une équipe pluridisciplinaire qui assure, en coordination avec le chirurgien vasculaire, une prise en charge globale, médicale, psychologique, technique et sociale centrée sur le patient et sa famille.
Le suivi médical (médecin traitant, angiologue, chirurgien vasculaire, cardiologue, professionnels de santé...), indispensable, complété par un service de type " SOS appareillage " [ 5 ] contribue à maintenir une certaine qualité de vie (fig 1).

Nous nous limitons aux amputés fémoraux (AF) et tibiaux (AT). Les amputations transmétatarsiennes ont un bon résultat fonctionnel.

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Plan

Données épidémiologiques et facteurs pronostiques
Grandes règles de l'amputation
Trois phases de la rééducation de l'amputé

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Il y a une grande dispersion des sources d'information statistique : un amputé pour 1 000 habitants en France, 6 000 amputations/an dont 70 % de cause vasculaire, 85 % des patients ont plus de 60 ans, dont 1 500 AF/an, 2 à 3 000 AT/an [ 12 ].
L'âge apparaît comme un facteur de pronostic fonctionnel important et de pronostic vital indéniable [ 5 ].
Le pronostic fonctionnel est meilleur pour les AT que pour les AF [ 17 ].
Une étude anglaise ne montre pas de différence significative d'autonomie entre AF et AT mais, dans cette étude, seuls les AF les plus dynamiques sont appareillés [ 9 ].
La survie est meilleure chez les amputés qui utilisent leur prothèse [ 5 ].
Une amputation de Gritti serait préférable à une amputation tibiale chez les patients grabataires [ 7 ].
L'analyse des causes d'échec de la réadaptation est un bon révélateur des points fondamentaux à prendre en compte :

- un moignon défectueux, une mauvaise estimation du handicap par l'équipe, l'isolement social, la non-prise en charge des problèmes psychologiques ou des douleurs ;
- un appareillage trop peu ou, au contraire, trop performant, un patient ne gérant pas correctement son appareillage ;
- les complications générales (insuffisance cardiaque, thrombose veineuse, prise de poids, alitement, interventions...) déstabilisent le moignon.
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Il ne faut pas laisser passer le moment de l'amputation chez des patients souvent épuisés et, essayer de garder le genou. Chez les patients très âgés, faire un " beau moignon " d'emblée paraît logique car les délais de cicatrisation des moignons ischémiques sont difficilement tolérables :
- le niveau optimal de l'amputation tibiale se situe à l'union du tiers supérieur et du tiers moyen, avec une nécessaire recoupe tibiale selon l'angle de Farabeuf et une recoupe du péroné 2 cm au-dessus du tibia. L'absence de recoupe tibiale est à l'origine de très fréquents problèmes d'appareillage ;
- en cas d'amputation fémorale, plus le moignon est long, meilleur est le guidage de la prothèse.


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Parallèlement aux pansements, à la rééquilibration nutritionnelle et cardiaque, au traitement des douleurs (le plus souvent par des antalgiques majeurs), la rééducation est débutée. Elle comprend la lutte contre les attitudes vicieuses (flessum de hanche et de genou), la surveillance de l'état trophique (en particulier du membre restant), l'entretien respiratoire et musculaire, le travail des transferts avec l'apprentissage du maniement du fauteuil roulant, le lever précoce avec déambulateur et parfois un appareillage plâtré provisoire.
Les contre-indications à la poursuite de la rééducation sont : un état grabataire définitif, une insuffisance cardiorespiratoire trop importante, la démence. Les cas particuliers (séquelles d'accident vasculaire cérébral, bi-amputation) feront l'objet d'une étude, cas par cas, en fonction de la demande du patient et de son adaptation au premier handicap. L'âge n'est pas une contre-indication à l'appareillage.
Parfois, un retour à domicile, en hospitalisation à domicile (HAD), permettra à un patient très affaibli, de récupérer, entouré par sa famille et de pouvoir ensuite être appareillé en centre.

L'amputé entre dans une phase d'éducation, d'appareillage et d'autonomisation préparant la réinsertion.
Dès la première réunion de l'équipe du centre, un bilan complet est réalisé, envisageant les possibilités de réinsertion, en tenant compte du fait que le patient âgé a souvent un conjoint du même âge. Le patient isolé sera souvent placé en hébergement collectif.
Les techniques utilisées en court séjour sont reprises et intensifiées : lutte contre les attitudes vicieuses, lever et déambulation précoce avec un appareil dès que cela est possible, rééducation cardiorespiratoire à l'effort et vasculaire du membre restant [ 2 ].
Nous développons ci-après les points essentiels de cette réadaptation.

Prise en charge psychologique
Elle est réalisée par l'équipe au courant des objectifs, renforcée par le psychologue, voire le psychiatre. Cette étape est nécessaire, car tout amputé, y compris celui qui a été soulagé par l'amputation, doit faire son deuil. Plusieurs étapes plus ou moins marquées ont été décrites [ 14 ] : celle du refus et de la négation, puis une phase de colère et d'agressivité contre la famille et le médecin, enfin une dépression réactionnelle qui peut être masquée. Le travail de groupe en rééducation et ergothérapie [ 8 ] facilite l'acceptation de l'amputation. La famille doit également faire son deuil. L'équipe soignante peut, après une phase d'optimisme, présenter une phase de rejet si les espoirs fonctionnels sont déçus, aggravant ainsi l'état dépressif du patient [ 14 ].

Prise en charge des douleurs [ 6 ]
Les sensations de membre fantôme retrouvées chez 75 % des patients, s'améliorent avec le port de la prothèse. L'" algohallucinose ", véritable douleur de membre fantôme, présente jour et nuit, constitue chez 25 % des sujets un frein à la réadaptation, elle fait l'objet d'un traitement médical et physiothérapique (neurostimulation transcutanée). Les douleurs locales, par conflit avec la prothèse, sont fréquentes. Parmi les causes plus rares on trouve : le névrome, l'algoneurodystrophie, les douleurs projetées (sciatiques...), les douleurs référées (coxarthrose...).

Amaigrissement et stabilité du moignon
Cette phase est primordiale. En cas de moignon ischémique, la diminution de l'oedème se fait par le drainage lymphatique manuel. Dans les autres cas, une contention est appliquée, d'abord le jour, puis jour et nuit, et quand le patient ne porte pas sa prothèse. On utilise soit une bande élastique, soit des bonnets élastocompressifs [ 4 ]. L'utilisation d'emboîtures plâtrées contentive permet d'accélérer, en outre, la cicatrisation.

Appareillage
Il est bien connu [ 3 ]. L'essentiel, pour les différents intervenants qui ont peu d'amputés dans leur clientèle, est de savoir :

- que la première prothèse doit être réalisée en CRRF spécialisé ;
- qu'un AT non cicatrisé peut marcher avec un appareil de décharge ;
- que l'exactitude du chaussage est capitale. Le moignon étant souvent instable, l'appareillage doit être adapté de façon quotidienne grâce à l'adjonction d'épaisseurs dans l'emboîture inextensible ;
- à qui se référer en cas de problème ; on peut demander un avis à une consultation d'appareillage émanant du CRRF ou au centre d'appareillage des Anciens combattants de la région ;
- que l'appareil doit être adapté à chaque patient. La prescription est soumise à une entente préalable selon le cahier des charges du Tarif interministériel des prestations sanitaires (TIPS).
Pour les amputés fémoraux, l'association : légèreté, confort, sécurité, chaussage facile serait l'idéal. Une emboîture dite " à ischion intégré " (non encore agréée), moulant avec exactitude le fémur, permet un meilleur guidage et un meilleur confort en position assise [ 11 ]. Pour permettre un chaussage facile, un manchon viscoélastique (non encore référencé) permet un chaussage par déroulement sur le moignon en position assise, l'accrochage se faisant sur l'emboîture par un système de fixation terminale. Chez la personne âgée un alignement spécifique avec une légère triple flexion donnée à l'ensemble et une ligne de charge avancée, assureront un effet pilon. Pour les amputés tibiaux, la réalisation d'une prothèse tibiale contacte en résine fine avec pied gériatrique de 1,2 kg ne pose pas de problème si le moignon est de bonne qualité. Un manchon en silicone standard ou sur moulage (non référencé au TIPS), accentue le confort et diminue les risques de blessure.
Éducation
L'éducation complétée par la remise d'une brochure insiste sur [ 9 ] :
- la nécessité de porter soit la prothèse, soit la contention ;
- le contrôle de l'adaptation de l'appareillage (épaisseurs par gaine, bonnets, jersey), et sa mise en place précise (repères osseux) ;
- le contrôle quotidien de la peau du moignon et du membre restant ;
- les conseils en cas de blessure : arrêter le port de la prothèse, mettre une contention, demander une consultation d'appareillage ;
- les conseils d'hygiène de vie : une variation de 5 kg de poids retentit sur le moignon ;
- la nécessité du suivi kinésithérapique et médical (contrôle angiologique tous les ans) doit être bien perçue.


Il est préparé par les permissions, la mise en situation en atelier d'ergothérapie, une visite à domicile avec conseil d'aménagement du lieu de vie (WC, baignoire...) L'amputé âgé ne peut pas se passer de fauteuil roulant.
Après la sortie, les erreurs de chaussage, les mauvaises compensations des variations de volume du moignon sont très fréquentes, expliquant les blessures. Médecin appareilleur et prothésiste sont là pour répondre aux besoins du patient ; mais l'appareillage, si bien fait soit-il, ne pourra compenser l'existence d'un moignon défectueux. Le suivi médical et kinésithérapique est indispensable et doit être régulier. La mise à disposition par le CRRF, d'une équipe d'ergothérapie à domicile, associée à la rééducation en hospitalisation de jour pendant une dizaine de jours, permettrait un relais efficace entre la phase d'hospitalisation et le retour à domicile.

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