Les torsades de pointe





P Puech: Chef du service de cardiologie B à l'hôpital Saint-Eloi, Professeur à la faculté de médecine
34000 Montpellier France
11-035-E-15 (1989)



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Plan

Introduction
Caractères communs aux torsades de pointe
Torsades de pointe et allongement acquis de QT
Torsades de pointe et anomalies congénitales de la repolarisation ventriculaire
Torsades de pointe sans allongement de QT

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Les torsades de pointe correspondent à une variété de tachycardie ventriculaire polymorphe et non soutenue, identifiée en 1966 par Dessertenne à partir de documents enregistrés chez des malades en bloc auriculoventriculaire (AV) : " Il existe au cours des blocs complets du faisceau de His des accès de tachycardie ventriculaire à deux foyers opposés qui, au lieu d'alterner comme dans le type commun, sont variables et se traduisent sur l'électrocardiogramme par des torsades de pointe " [ 9 ]. Le mérite de l'auteur est d'avoir donné à l'arythmie une définition morphologique assez imagée pour en rendre l'identification aisée et de l'avoir isolée, d'une part, des tachycardies ventriculaires communes dont les causes et le traitement sont différents et, d'autre part, de la fibrillation ventriculaire dont les formes spontanément résolutives demeurent exceptionnelles. Le terme de torsades de pointe est, actuellement, universellement accepté et a prévalu sur d'autres synonymes utilisés dans la littérature anglo-saxonne (fibrillation ventriculaire transitoire ou paroxystique, pseudo-fibrillation ventriculaire, fibrillation ventriculaire récurrente, fibrillo-flutter ventriculaire, tachycardie ventriculaire atypique ou multiforme, ballet cardiaque) ou latino-américaine (tachycardie ventriculaire hélicoïdale) et rapportés selon leur dénomination originale dans le tableau I.

Initialement limité aux accès de tachycardie avec morphologie de QRS ondulant autour de la ligne iso-électrique survenant chez des sujets ayant un allongement de QT acquis, lié principalement aux grandes bradycardies, à l'hypokaliémie et à des influences médicamenteuses et toxiques, le cadre des torsades de pointe a été élargi aux arythmies de même aspect émaillant l'évolution des allongements congénitaux de la repolarisation et plus récemment à des aspects similaires mais sans prolongation intercritique de l'intervalle QT.

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Ils sont électriques, cliniques et évolutifs.

Critères électrocardiographiques
La torsade est une succession de complexes ventriculaires ectopiques, élargis, dont l'amplitude et la polarité varient de façon progressive autour de la ligne de base. Le cycle de rotation des complexes rapides (pointes) est généralement composé de 5 à 10 QRS. L'aspect hélicoïdal du tracé n'est pas toujours évident dans une seule dérivation. L'enregistrement de plusieurs dérivations simultanées, notamment dans le plan frontal, permet non seulement de reconnaître la rotation des complexes QRS mais aussi d'éliminer certains artéfacts comme les pseudo-torsades liées à un tremblement de type parkinsonien.
A la différence de la fibrillation ventriculaire, les phases de dépolarisation et de repolarisation sont bien individualisées. L'activité auriculaire dissociée est très rarement visible pendant l'accès, le recours à l'enregistrement de dérivations auriculaires sélectives étant, dans la règle, inutile tant l'aspect du tracé est caractéristique.
La fréquence de l'activité ventriculaire ectopique se situe entre 200 et 250 par minute, mais il existe des torsades à cadence plus lente (autour de 160) ou au contraire très rapides (voisines de 300). Les intervalles interectopiques sont irréguliers.
La durée de chaque torsade est de quelques secondes et il faut, en général, un minimum de 6 complexes ectopiques en succession pour que l'aspect pathognomonique de torsade soit réalisé. Dans l'intervalle des torsades caractérisées, il est habituel d'enregistrer des extrasystoles ventriculaires, isolées ou groupées, formant souvent des torsades ébauchées ou avortées de 3 à 5 complexes polymorphes (fig. 1).


Caractères cliniques
Très brèves et survenant en position couchée, les torsades peuvent être asymptomatiques. L'inefficacité cardio-circulatoire qu'elles entraînent lorsqu'elles se prolongent est à l'origine de lipothymies et surtout de syncopes qui ont tendance à se répéter à court terme, en raison du caractère récidivant de l'arythmie.

Caractères évolutifs
L'évolution est caractérisée, dans la règle, par la résolution spontanée, avec rechutes fréquentes. Non reconnues ou mal traitées, elles peuvent dégénérer en une authentique fibrillation ventriculaire, spontanément irréversible. De ce fait, elles appartiennent à la catégorie des arythmies ventriculaires à haut potentiel de malignité, ce qui est particulièrement déplorable en raison de la forte responsabilité de la prescription médicale dans la survenue de la plupart d'entre elles.
Dans une étude portant sur les causes de mort subite enregistrées au cours d'enregistrements de Holter, Leclercq et coll. ont pu rattacher le décès à des torsades de pointe transformées en fibrillation ventriculaire dans une proportion voisine de 20 % [ 18 ].

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De loin les plus fréquentes, elles correspondent à la description fixée par l'école de Lariboisière et la liste de leurs causes n'a fait qu'augmenter depuis deux décennies et n'est probablement pas limitative.


Allongement de l'intervalle QT
Qu'il soit mesuré en valeur absolue ou calculé en fonction de la fréquence cardiaque (QTc selon les formules de Bazett ou de Simonson), l'intervalle QT est allongé dans des proportions souvent considérables, atteignant et même dépassant 0,60 seconde. Une onde U proéminente est souvent présente, rendant difficile la mesure exacte de QT et donnant à la repolarisation un aspect caricatural en double bosse (fig. 2).


Extrasystoles ventriculaires
Dans l'intervalle des torsades, le tracé est émaillé d'extrasystoles dont la particularité est d'être à couplage long et généralement fixe. Malgré le caractère tardif de ces extrasystoles (cycles compris entre 500 et 600 ms), elles surviennent, du fait de l'allongement de QT, sur la partie terminale de l'onde T du complexe qui précède. L'une de ces extrasystoles est à l'origine de la salve de torsade, cette dernière étant favorisée par deux conditions particulières :

- d'une part, une phase de bigéminisme ventriculaire, l'alternance cycle long - cycle court favorisant l'éclosion de la torsade [ 3 ] ;
- d'autre part, la déformation considérable de la repolarisation du complexe sur lequel se greffe l'extrasystole déclenchante (décalage du segment ST, modification de l'amplitude de T) traduisant une majoration des anomalies de la phase lente qui prédisposent à l'arythmie (fig. 3).
Anomalies de l'onde T
Elles sont souvent permanentes et, notamment dans les blocs AV complets, les ondes T peuvent être négatives et géantes, ou n'apparaître que de façon transitoire en signe prémonitoire de la torsade. Les causes principales restent toujours les grandes bradycardies, l'hypokaliémie et les antiarythmiques de la classe IA, mais les autres étiologies sont nombreuses [ 11], [20], [21], [24 ].
Bradycardies
Les torsades de pointe des blocs auriculoventriculaires (BAV) chroniques, complets, avec rythme de substitution lent représentaient, avant que ne se généralise l'emploi des stimulateurs cardiaques, 10 à 15 % des causes de syndrome de Stokes-Adams. Elles sont très rares en cours des BAV paroxystiques et ont été occasionnellement observées au cours de la majoration transitoire d'un BAV incomplet (par exemple, lors de l'accélération de la fréquence sinusale en cas de bloc intra- ou infra-hisien). Les torsades de pointe ne sont pas fréquentes au cours des bradycardies supraventriculaires (maladie du sinus, blocs sino-auriculaires) permanentes ou paroxystiques.
Troubles métaboliques
L'hypokaliémie est la cause la plus fréquemment retrouvée dans les enquêtes étiologiques sur les torsades de pointe, soit isolément, soit comme facteur adjuvant. Elle est, le plus souvent, liée à la prise de diurétiques au long cours, sans compensation de prise de potassium, et parfois secondaire à des pertes d'origine digestive (surtout diarrhée chronique ou prise régulière de laxatifs). La consommation régulière, et à fortes doses, de substances contenant de la glycyrrhizine (réglisse, pastis sans alcool, plantes d'importation chinoise) a été à l'origine d'hypokaliémie responsable de torsades. Dans 15 % des cas, la cause de l'hypokaliémie n'est pas mise en évidence, en particulier chez la femme âgée. L'hypomagnésémie a été incriminée chez les alcooliques chroniques cirrhotiques, l'accès de torsades pouvant se déclarer à l'occasion d'une crise d'éthylisme aigu. Elle a été constatée chez de grands dénutris ou des malades atteints du SIDA. Récemment, l'attention a été attirée sur la baisse de magnésium observée à la suite de la prise régulière de diurétiques, ce qui, en conjonction avec l'hypokaliémie, pourrait favoriser les troubles du rythme et notamment les torsades de pointe. De vastes enquêtes ont montré que chez les hypertendus traités, de façon prolongée et à forte dose, par des diurétiques n'épargnant pas le potassium et sans compensation ionique, 30 à 50 % d'entre eux avaient une kaliémie inférieure ou égale à 3/5 mmol/l et pour 7 %, inférieure ou égale à 3 mmol/l. Une fuite urinaire de magnésium est constatée chez 42 % des patients ayant une hypokaliémie [ 14 ]. L'effet arythmogénique de l'hypokaliémie-magnésémie pourrait être un des facteurs de l'absence de diminution de mortalité cardiaque des hypertendus traités par les diurétiques (étude MRFIT). L'hypocalcémie est une cause exceptionnelle et rarement isolée de torsades. Les cures d'amaigrissement très rapide, avec régime à très basses calories, altèrent la repolarisation ventriculaire et ont engendré des arythmies parfois mortelles parmi lesquelles figurent les torsades de pointe.
Médicaments antiarythmiques
La quinidine a, pendant longtemps, été le modèle clinique des torsades de pointe, arythmie principalement responsable des " syncopes quinidiniques " observées lors de la réduction de la fibrillation auriculaire. Les torsades de pointe peuvent survenir très précocement dès les premières doses ou, le plus souvent, après quelques jours de traitement mais, de toute façon, sans qu'il y ait de relation avec la concentration plasmatique de quinidine, le taux sérique étant dans les limites normales, ou même bas dans la moitié des cas, faisant suspecter un facteur idiosynchronique. Les torsades surviennent après la restauration du rythme sinusal. Elles sont favorisées par la coprescription d'un digitalique (qui contribue à disperser la repolarisation ventriculaire), le choc électrique externe, la prescription de l'antiarythmique en cas de fibrillation auriculaire (pour sa réduction ou en prévenir la rechute), une mauvaise fonction ventriculaire et l'hypokaliémie [ 3 ]. On peut rapprocher des torsades de la quinidine celles observées avec l'intoxication par la chloroquine. D'autres antiarythmiques de la classe IA peuvent être en cause : disopyramide plus souvent, semble-t-il, que procaïnamide ou son dérivé, le N-acétylprocaïnamide. Les " effets proarythmiques " des antiarythmiques de classe I qui n'entraînent pas d'allongement de QT (ou JT) comme ceux de la classe IB (lidocaïne, mexiletine) et IC (propafénone, flécaïnide, encaïnide) ne sont qu'exceptionnellement représentés par de vraies torsades de pointe, et d'autres facteurs prédisposants sont habituellement associés. Dans le groupe des bêtabloquants, seul le sotalol mérite une mention spéciale, les torsades qui ont été rapportées avec son utilisation étant favorisées par l'effet bradycardisant lié à sa propriété bêtabloquante et l'allongement de QT qui fait partie de l'effet de classe III du produit. Expérimentalement, chez le chien vigile, le sotalol représente un excellent modèle de production d'authentiques torsades de pointe, indépendamment de l'hypokaliémie [ 8 ]. L'amiodarone, qui allonge considérablement la repolarisation ventriculaire, est très rarement à l'origine de torsades de pointe, sauf facteur favorisant associé.
Autres médicaments
Certaines substances ayant des propriétés inhibitrices des canaux calciques, mais impurs, comme la prénylamine, la lidoflazine et le bépridil, ont provoqué des torsades, alors que les anticalciques purs (dihydropyridines, vérapamil, diltiazem) sont exempts de cette complication. Les vasodilatateurs comme la vincamine, le naftidrofuryl (Praxilène®) par voie veineuse et à fortes doses modifient la repolarisation ventriculaire et ont des effets électrophysiologiques dose-dépendants qui les rapprochent des antiarythmiques de classe I. Il en est de même pour le fénoxedil, dont les torsades de pointe sont la rançon de son action quinidine-like proposée par certains pour la réduction des fibrillations auriculaires. Certaines phénothiazines, les antidépresseurs (tricycliques plus souvent que tétracycliques) ont engendré des torsades de pointe, expliquées aussi par les propriétés électrophysiologiques de classe I de ces substances, dont certaines ont une structure voisine de la quinidine. Certains antibiotiques ont été responsables de torsades de pointe, à fortes doses, en perfusion, en soluté glucosé, pour le traitement d'infections sévères chez des malades généralement dénutris. Certains agissent en interférant avec le transfert de K+ dans le tube rénal, avec excrétion urinaire exagérée de cation (carboxypénicilline surtout) ou par action toxique sur la cellule rénale et même cardiaque (amphotéricine B), entraînant une baisse de la kaliémie et de la magnésémie.
Empoisonnements
L'intoxication par les insecticides phosphorés peut entraîner des torsades à la phase tardive de l'intoxication, après la période d'hyperactivité sympathique brève suivie d'une intense hypertonie parasympathique qui dure quelques jours et au cours de laquelle apparaissent blocs sino-auriculaires et auriculoventriculaires et allongement de QT. L'administration d'atropine ne prévient pas la bradycardie et les troubles de repolarisation qui peuvent engendrer des torsades. Des torsades de pointe ont été signalées à l'occasion d'intoxications par l'arsenic, certains pesticides (contenant du baryum) et venins de scorpion.
Affections aiguës cérébro-méningées
La pathologie cérébrale aiguë et, en particulier, les hémorragies cérébro-méningées s'accompagnent volontiers de troubles importants de la repolarisation ventriculaire avec allongement de QT, mais les arythmies à type de torsades de pointe paraissent très rares. L'allongement de QT a été observé à l'occasion d'abcès cérébraux ou de pneumo-encéphalographie.
Association de plusieurs facteurs
La fréquence de multiples facteurs favorisant la production de torsades est à souligner. Les torsades d'origine médicamenteuse (diurétiques, vasodilatateurs, bépridil) sont plus fréquentes chez les sujets âgés et dans le sexe féminin. Toute hypokaliémie favorise l'éclosion de torsades en cas de bradycardie thérapeutique et/ou prescription de médicament allongeant l'intervalle QT. Les associations de substances retardant la repolarisation (par exemple antiarythmique de classe IA et sotalol ou bépridil) sont, de ce fait, à écarter. Les digitaliques qui, isolément, ne provoquent pas de torsades, peuvent en favoriser l'apparition en cas d'association à des substances allongeant la repolarisation, comme la quinidine.
Substrat arythmogénique
Il est représenté non seulement par l'allongement de la repolarisation, reflété sur l'ECG de surface par l'allongement de QT (ou QU) mais surtout par la dispersion des périodes réfractaires qui entraîne un asynchronisme dans la récupération de l'excitabilité des fibres myocardiques (endocarde vs épicarde, fibres ventriculaires communes vs fibres de Purkinje). La démonstration des différences régionales dans la durée des potentiels d'action de l'endocarde a été fournie par l'enregistrement des potentiels d'action monophasiques (PAM) chez l'homme à l'aide d'électrodes à succion [ 5 ]. Ainsi, chez des patients ayant des allongements importants de l'intervalle QT, de causes diverses, et ayant développé des arythmies sévères, et en particulier des torsades de pointe, des variations individuelles marquées existent dans la durée des PAM. La différence entre les PAM les plus courts et les plus longs est de 100 à 270 ms dans la cavité ventriculaire droite, alors que chez les sujets normaux la repolarisation est pratiquement synchrone dans le sous-endocarde (différences individuelles entre 0 et 40 ms). Chez les patients ayant un allongement de QT mais n'ayant pas d'arythmie (bloc AV, amiodarone), les différences individuelles dans la durée des PAM sont de 40 à 60 ms, témoignant de la beaucoup plus grande uniformité dans le processus de repolarisation ventriculaire par comparaison aux observations de sujets développant des torsades. Bien que la preuve n'en ait pas été apportée, on peut penser, connaissant l'impact électrophysiologique différent des antiarythmiques de classe I sur le muscle ventriculaire commun et le tissu de Purkinje isolés (action prédominante sur les fibres communes), que ces substances contribuent à disperser la repolarisation et à majorer l'inhomogénéité de récupération de l'excitabilité entre ces différentes structures sur le coeur entier. Une différence très importante entre les périodes réfractaires mesurées par voies endocavitaire et épicardique a été notée dans un cas d'allongement de QT long congénital (cf. infra). La présence de postpotentiels précoces, inscrits sur la phase terminale de la repolarisation prolongée, paraît être, avec l'allongement de la repolarisation et la dispersion de l'état réfractaire, le troisième élément du substrat électrophysiologique des torsades de pointe. Expérimentalement, le césium allonge la durée du potentiel d'action des fibres de Purkinje et fait apparaître des postpotentiels précoces (" early after-depolarizations "). Les postpotentiels qui s'inscrivent en phase 3 du potentiel d'action pour un niveau de potentiel membranaire entre -60 et -80 mV (au voisinage de la fin du PA) peuvent engendrer une activité soutenue [ 6 ]. Chez l'animal entier, l'injection intraveineuse de chlorure de césium (1 à 1,5 mg/kg) allonge l'intervalle QT, fait apparaître des postpotentiels en fin de phase 3 (fig. 4) et produit des arythmies ventriculaires polymorphes à type de torsades de pointe [ 19 ]. Un modèle expérimental voisin, utilisant un polypeptide inotrope, l'anthopleurine A, a été développé par El Sherif et coll. [ 10 ]. Des postpotentiels précoces apparaissent sur les fibres de Purkinje isolées et sur l'animal entier, lors d'enregistrements des PAM endocardiques et épicardiques du ventricule gauche, avec production d'arythmies ventriculaires polymorphes. Sur ces deux modèles, postpotentiels et arythmies consécutives sont favorisés quand la fréquence est lente et le taux de potassium bas. Le TTX (inhibiteur du courant sodique) abolit les anomalies électrophysiologiques ainsi que l'accélération de la fréquence cardiaque, à la différence des postpotentiels tardifs et des arythmies déclenchées en résultant qui sont abolies par les inhibiteurs du courant calcique et favorisées par la tachycardie. Chez l'homme, des " bosses ", inscrites sur la partie terminale des PAM dont la repolarisation est la plus longue, ont été enregistrées chez les patients ayant allongement de QT et torsades et, par analogie avec les données expérimentales, on peut les considérer comme des postpotentiels précoces [ 5 ].
Gâchette de l'arythmie (" trigger ")
Elle correspond à l'extrasystole ventriculaire à couplage long et fixe des tracés cliniques et, expérimentalement ou sur les enregistrements des PAM chez l'homme, à la réponse ventriculaire propagée qui prend naissance du postpotentiel précoce lorsque ce dernier a atteint une amplitude suffisante.
Facteurs de révélation de la torsade
Sur le substrat créé par les conditions étiologiques diverses, interviennent des facteurs de modulation qui peuvent faciliter l'éclosion de l'arythmie. Dans les torsades de pointe sur QT long acquis, c'est la bradycardie absolue ou relative qui constitue le facteur de révélation le mieux établi. La bradycardie-dépendance peut résulter de la fréquence cardiaque basse spontanée (BAV, bradycardies supraventriculaires), d'une pause postextrasystolique (rôle favorisant du bigéminisme avec alternance cycle long - cycle court), du retour au rythme sinusal après traitement d'une arythmie rapide (réduction de fibrillation auriculaire), administration de substances bradycardisantes (exemple du sotalol). Ainsi, s'explique l'effet thérapeutique bénéfique de l'accélération de fréquence obtenu par voie pharmacologique (isoprotérénol) ou stimulation électrique.
Mécanisme d'entretien des torsades
Il n'existe aucune preuve, expérimentale ou clinique, pour affirmer que les torsades, qui naissent d'un potentiel précoce, sont entretenues par le même mécanisme (apparenté à un automatisme anormal) ou relèvent d'un processus de réentrée qui prend le relais. Au cours des torsades de pointe expérimentales, induites par la quinidine, l'exploration épicardique montre que le site d'activation épicardique le plus précoce se déplace de manière graduelle. Les complexes de transition correspondent à une origine de la dépolarisation épicardique intermédiaire entre l'ancien et le nouveau site d'activation le plus précoce [ 16 ]. Une macro-réentrée ventriculaire avec variation périodique du circuit, du fait de l'inhomogénéité de la repolarisation, paraît plus vraisemblable qu'un seul foyer avec sortie à issue variable ou que deux foyers en compétition, comme dans le modèle de Bardy et coll. [ 1 ]. Les épreuves de stimulation ventriculaire programmée sont, dans la règle, incapables de déclencher des épisodes de torsades à distance de l'arythmie, alors que quelques succès ont été obtenus en période évolutive, sans pour autant apporter d'éclaircissement sur le mécanisme du trouble rythmique [ 12 ].
Erreurs à éviter
Les antiarythmiques qui allongent la repolarisation (classe IA et III) sont formellement contre-indiqués et le choc électrique externe n'est légitime que si la torsade a dégénéré en fibrillation ventriculaire, sous peine d'aggraver la déperdition en K+ de la cellule et entretenir l'arythmie. Il est préférable de s'abstenir de tout antiarythmique même si quelques succès isolés ont été publiés avec des substances ayant peu d'effet sur la repolarisation comme les antiarythmiques du groupe IB (lidocaïne, diphénylhydantoïne), IC (propafénone) ou le vérapamil. Les résultats positifs inconstants peuvent a posteriori être mis sur le compte de la suppression des extrasystoles déclenchantes sans aggravation de l'allongement de QT.
Traitement symptomatique
Il repose sur la magnésithérapie et/ou l'accélération cardiaque. La magnésithérapie est d'utilisation récente. Elle a fait la preuve de sa simplicité d'application et de son efficacité dans les torsades de pointe avec QT long acquis, quelle qu'en soit l'étiologie [ 25 ]. L'injection de 2 g de sulfate de magnésie est effectuée en bolus intraveineux. Si la réduction des torsades n'est pas obtenue dans les minutes qui suivent, un deuxième bolus est administré 5 à 15 minutes plus tard. Le relais par une perfusion de Mg SO4 est pris, à raison de 3 à 20 mg/mn sur plusieurs heures, jusqu'à l'obtention d'une réduction de l'intervalle QT à moins de 0,5 seconde [ 25 ]. L'effet bénéfique de la magnésithérapie, même en l'absence de déficit documenté ou suspecté en magnésium, peut s'expliquer par le rôle de cet ion dans le fonctionnement de l'ATPase qui préside aux échanges transmembranaires actifs entre potassium et sodium et son rôle hyperpolarisant, avec maintien d'un rapport élevé. L'accélération de fréquence cardiaque est la méthode la plus anciennement connue et la plus régulièrement efficace de suppression des torsades. L'isoprénaline en perfusion n'est qu'un pis-aller, en cas d'échec du magnésium et en l'absence de moyen de stimulation électrique. Elle permet, certes, de contrôler l'arythmie, qu'il y ait ou non bradycardie permanente, mais le débit de perfusion est difficile à régler afin d'obtenir la fréquence cardiaque optimale pour dominer l'arythmie tout en évitant l'hyperexcitabilité ventriculaire propre à la substance sympathomimétique. La stimulation électrique transitoire est la solution de choix, d'emblée ou après magnésithérapie, en réglant la fréquence d'entraînement sur le seuil de disparition de l'arythmie. En cas de bradycardie, la stimulation efficace est souvent suffisante autour de 80 par minute, alors qu'en son absence, des stimulations supérieures à 100 par minute sont habituellement nécessaires pour dominer le trouble du rythme. Théoriquement, la stimulation auriculaire est préférable pour obtenir une meilleure synchronisation des ventricules si la conduction AV est bonne, mais, en pratique, dans le contexte d'urgence et compte tenu du risque de déplacement de l'électrode auriculaire, on utilise un entraînement électrosystolique ventriculaire, sur le mode VVI.
Traitement étiologique
La suppression de la ou des substance(s) pouvant avoir une influence sur la repolarisation ventriculaire est impérative et peut suffire à faire disparaître les torsades si l'élimination du produit responsable est rapide et s'il n'y a pas de trouble électrolytique associé, notamment d'hypokaliémie. La correction d'une hypokaliémie nécessite une recharge potassique par voie veineuse continue, sans dépasser 0,5 à 1 g de potassium par heure. De fortes doses sont souvent nécessaires (12 à 20 g par 24 heures), sous couvert d'une surveillance électrique monitorisée. L'association d'un antialdostérone et surtout de magnésium, qui concourent à recharger le milieu intracellulaire en potassium, permettent d'accélérer la guérison du trouble rythmique et la normalisation de QT. La stimulation cardiaque définitive prévient tout risque de rechute de torsades de pointe dans les BAV ou les blocs sino-auriculaires permanents ou paroxystiques.
Traitement préventif
Trouble du rythme d'origine médicamenteuse dans les trois quarts des cas, la survenue de torsades de pointe peut être minimisée en prenant certaines précautions :
- considérer les personnes âgées et plus particulièrement de sexe féminin comme exposées aux troubles de repolarisation médicamenteux qui favorisent les torsades ;
- se méfier des traitements diurétiques au long cours n'épargnant pas le potassium ou sans apport compensatoire de cet ion ;
- ne prescrire un antiarythmique de classe I (particulièrement IA) que sous couvert d'un contrôle périodique de l'ECG et de la kaliémie ;
- éviter toute association médicamenteuse connue pour allonger l'intervalle QT ;
- en présence d'un allongement de QT non expliqué par une prescription médicamenteuse et avec kaliémie anormale, apporter un complément en ion magnésium ;
- se souvenir que l'éclosion des torsades sur intervalle QT long acquis est facilitée par la bradycardie.


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Il en existe deux variétés familiales, que distingue cliniquement la présence ou l'absence de surdité.
Le syndrome de Jerwell et Lange-Nielsen , décrit en 1957, associe une surdité bilatérale de perception avec une mutité et il se transmet sur le mode autosomique récessif.
Le syndrome de Romano-Ward (1963-1964) ne s'accompagne pas de surdité-mutité et se transmet sur le mode autosomique dominant.
A côté de ces deux formes parfaitement identifiées, on pourrait inclure, dans les anomalies congénitales de QT, les cas rares de prolapsus mitral, à caractère familial, avec prolapsus holosystolique hémodynamiquement sévère, repolarisation anormale et prolongée, compliqués d'arythmies ventriculaires malignes, certaines à type de torsades, et pouvant être mortelles.
La frontière entre le syndrome de Romano-Ward et certaines arythmies familiales et polymorphes avec repolarisation anormale n'est pas établie [ 17 ].

L'allongement de QT est présent en permanence dans la plupart des cas, mais il existe, chez certains membres des familles atteintes, des anomalies de repolarisation qui ne se dévoilent qu'à l'occasion de la stimulation adrénergique. L'intervalle QT, normal au repos, s'allonge ou, tout au moins, ne s'adapte pas (absence de raccourcissement) lors de l'accélération de fréquence cardiaque à l'effort, l'émotion ou la perfusion d'isoprénaline.
En dehors des extrasystoles ventriculaires, tardives et à couplage constant, il existe des anomalies prémonitoires de torsades touchant la repolarisation et en particulier l'alternance de l'onde T. Dans la règle, la survenue des torsades est favorisée par une augmentation du tonus sympathique neurogène (stress, émotion) plutôt qu'hormonal (perfusion de sympathomimétiques).

Les raisons de l'allongement congénital de la repolarisation sont inconnues. Les travaux de Schwartz [ 22 ] tendent à accréditer la thèse d'un dérèglement du système neuro-végétatif avec déséquilibre au profit des afférences du système sympathique cardiaque gauche, entraînant un asynchronisme dans la repolarisation ventriculaire. Les conséquences thérapeutiques qui ont découlé de cette hypothèse (stellectomie gauche associée ou non à une résection sympathique plus étendue) n'ont cependant pas donné les espoirs escomptés [ 4 ].
L'asynchronisme de repolarisation ventriculaire, avec grande dispersion des périodes réfractaires, a été documenté dans une observation du syndrome de Romano-Ward rapportée par Coumel [ 7 ]. Les périodes réfractaires mesurées par voie endocavitaire étaient normales (250 ms) alors qu'elles étaient très allongées lors de l'exploration électrophysiologique épicardique (470 ms), témoignant d'un important gradient de repolarisation transmurale. Des postpotentiels précoces ont été mis en évidence par l'enregistrement de PAM dans le ventricule droit. A la différence des torsades de pointe sur QT long acquis, les torsades sur QT long congénital sont très adrénergiques (tachycardiques)-dépendantes et les bêtabloquants restent pour l'instant la thérapeutique la plus indiquée. A partir de ces données d'observation clinique, l'hypothèse d'un déclenchement par un phénomène de postpotentiel tardif (" delayed after-depolarization ") a été suggérée [ 13 ] mais reste à prouver.

Les bêtabloquants sont les seuls médicaments qui ont permis une nette réduction de la mortalité, surtout à fortes posologies. L'oubli du traitement peut entraîner le décès dans les 24 heures suivant l'arrêt de la thérapeutique. Malgré la bradycardie induite par les bêtabloquants et l'allongement de QT en valeur absolue, le QT corrigé est raccourci.
D'autres thérapeutiques ont été essayées avec quelques résultats favorables : digitaliques (qui raccourcissent la repolarisation), diphénylhydantoïne, vérapamil (dont on connaît l'action dans d'autres troubles du rythme ventriculaire à déclenchement adrénergique) et même amiodarone [ 2 ]. En dépit de certains succès, leur prescription appelle les plus grandes réserves.
L'ablation du ganglion stellaire gauche et d'un ou plusieurs ganglions cervico-thoraciques gauches a donné des résultats variables et, en pratique, doit toujours être associée au traitement bêtabloquant.
Les torsades récidivantes et résistantes au traitement médical responsables de syncopes prolongées ou ayant dégénéré en fibrillation ventriculaire, justifient l'implantation d'un défibrillateur automatique.

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Elles forment un groupe hétérogène dont le dénominateur commun est le caractère polymorphe de la tachycardie ventriculaire avec rotation axiale des complexes. En dehors de l'absence d'allongement de QT, l'intervalle de couplage de l'extrasystole déclenchante est court et, parfois même, très bref.

A la phase initiale de l'infarctus du myocarde, les potentiels d'action sont raccourcis dans la zone ischémique et ce n'est que plus tard que les potentiels d'action (et l'intervalle QT) peuvent s'allonger, expliquant la rareté des torsades de pointe à la phase aiguë de la nécrose myocardique. Il existe cependant, à la période précoce de l'infarctus, des tracés de tachycardie ventriculaire polymorphe d'aspect hélicoïdal (2 % dans les 72 premières heures dans certaines séries [ 26 ]), sans allongement préalable de QT et déclenchée par une extrasystole précoce tombant au voisinage du sommet de l'onde T. Le cycle de la tachycardie est généralement court (torsades très rapides) et la transformation en fibrillation ventriculaire est particulièrement fréquente (fig. 5).

La thérapeutique est souvent difficile. L'isoprénaline est formellement contre-indiquée. Les antiarythmiques de classe IA et IB sont, dans la règle, inefficaces. Les succès obtenus par Zilcher avec la propafénone [ 27 ] n'ont pas été confirmés par d'autres séries. Les perfusions d'amiodarone et de tosylate de brétylium sont parfois efficaces.
La stimulation endocavitaire a des résultats inconstants et la fréquence parfois élevée de stimulation nécessaire peut être mal tolérée sur le plan hémodynamique. Dans certains cas, la stimulation s'est montrée dangereuse, précipitant le passage en fibrillation ventriculaire.

Elles s'apparentent aux tachycardies ventriculaires communes par plusieurs caractères :

- leur terrain de survenue : cardiopathie organique chronique, le plus souvent coronarienne avec antécédent d'infarctus, myocardiopathies diverses [ 23 ] ;
- leur reproductibilité habituelle par les tests de stimulation ventriculaire programmée [ 15 ] ;
- leur alternance avec des accès de tachycardie ventriculaire monomorphe, spontanément ou sous l'effet d'antiarythmiques de classe I ;
- leur thérapeutique superposable à celle des tachycardies ventriculaires communes dont elles ne représentent qu'une modalité occasionnellement polymorphe.
Des lambeaux de tachycardie ventriculaire polymorphe revêtant l'aspect de torsades de pointe ne sont pas rares lors de la stimulation ventriculaire programmée, lorsque cette dernière est réalisée avec un protocole qualifié d'agressif : 3 à 4 extrastimulus très prématurés en succession, sur une stimulation ventriculaire basique rapide. Une telle réponse est actuellement tenue pour " non spécifique " et n'a aucune signification pronostique. Des troubles rythmiques ventriculaires polymorphes que l'on peut rapprocher des torsades ont été observés chez des sujets jeunes [ 7 ]. Ils peuvent alterner avec des aspects de tachycardie ventriculaire bidirectionnelle ou même des tachycardies jonctionnelles. L'influence d'une hypertonie adrénergique, aussi bien neurogène qu'hormonale, est retenue par les conditions de survenue des troubles rythmiques à l'effort, aux émotions, au stress, à la perfusion d'isoprénaline. Compte tenu de ces éléments, le traitement bêtabloquant est particulièrement indiqué, et, comme substitut éventuel, le vérapamil. Les torsades isolées, sans caractère familial, survenant chez des adultes d'âge moyen (40 ans) sont rares et ont la particularité de survenir après une extrasystole dont l'intervalle de couplage est particulièrement court (moins de 300 ms entre le dernier battement sinusal et le premier complexe de la salve). Le tracé intercritique est rigoureusement normal et il ne semble pas exister de facteur catécholergique dans leur déclenchement. Le trop petit nombre de cas publiés (une quinzaine au maximum) ne permet pas de se faire une idée du mécanisme et du devenir de cette arythmie. Dans deux observations personnelles de ce type, la magnésithérapie intraveineuse a été le seul traitement efficace en période évolutive, la stimulation ventriculaire ayant aggravé la situation dans un cas.

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