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Malgré les multiples progrès qui sont intervenus au cours des 30 dernières années et qui concernent tout autant la physiopathologie de l'infarctus et de ses conséquences cardiaques ou extracardiaques que son diagnostic et son traitement, l'infarctus du myocarde continue à poser une série de problèmes compliqués qui constituent autant de défis médicaux.
Par sa fréquence, sa létalité et ses conséquences socio-économiques, l'infarctus pose un problème de santé publique. Son incidence est de 110 à 120 000 nouveaux cas par an, inchangée au cours des deux à trois dernières décennies. Cette stabilité cache une situation contrastée, caractérisée par une diminution de la prévalence de la maladie coronaire chez les sujets les plus jeunes et son augmentation chez les plus âgés, parallèlement au vieillissement de la population. Ce constat ne doit pas nous détourner de la prévention des facteurs de risque dont tous les modes - prévention primaire ou secondaire, individuelle ou collective - doivent être conjugués avec persévérance pour obtenir des résultats qui se dessinent en France comme dans d'autres pays. Parallèlement, l'information du public sur les caractères de la douleur angineuse et les premiers signes de l'infarctus doit être poursuivie inlassablement : elle porte déjà ses fruits en inversant le rapport entre angor instable et infarctus au sein des syndromes coronariens aigus justifiant une hospitalisation d'urgence et en permettant de réduire le délai d'admission en unité de soins intensifs en cardiologie (USIC) des suspicions d'infarctus. Ce délai s'amenuise régulièrement pour n'être plus, aujourd'hui, compté qu'en dizaines de minutes. Cette accélération de l'hospitalisation des syndromes coronariens aigus est particulièrement heureuse car, entre autres bénéfices, elle permet d'éviter un nombre croissant de morts illégitimes qui surviennent à la période toute initiale de l'infarctus, avant l'arrivée des premiers secours médicalisés. Enfin, s'il faut se féliciter de l'existence en France et de l'efficacité des SAMU ainsi que d'une généralisation des USIC, la coordination de l'ensemble des moyens mis en oeuvre pour la prise en charge rapide des infarctus doit encore être améliorée pour qu'aucun délai d'admission en USIC n'excède 1 heure après le début de la douleur, quel que soit l'endroit du territoire français où se trouve le patient souffrant d'une menace ou d'un infarctus débutant.
Malgré une réduction incessante de la mortalité au cours des 30 dernières années, les problèmes thérapeutiques restent complexes. Certains points sont acquis :
- - le monitorage électrocardiographique permettant la prévention, le diagnostic et le traitement des arythmies létales ;
- - le traitement chirurgical des complications mécaniques ;
- - la réduction de la mortalité hospitalière et des événements coronariens par les bêtabloquants systématiques ;
- - la révolution apportée par la thrombolyse intraveineuse dont la généralisation avant la sixième heure non seulement réduit la mortalité hospitalière à un peu plus de 10 %, mais encore prévient le plus grand nombre des complications de l'infarctus et contribue ainsi à diminuer la durée d'hospitalisation et à améliorer le pronostic à moyen et long terme.
Pour autant, tous les problèmes thérapeutiques sont-ils résolus ?
Certainement pas. La perméabilité coronaire avec flux TIMI 3 qui dépasse à peine 50 % avec le meilleur protocole d'administration du rT-PA illustre l'importance des questions qui restent en suspens. Parmi celles-ci, trois me paraissent essentielles.
D'une part, quelle est la place de l'angioplastie primaire par rapport à la thrombolyse préhospitalière ? Si son efficacité dans des mains compétentes devait se confirmer, ce résultat remettrait en question la totalité de l'organisation des soins d'urgence.
D'autre part, quelle est la place des nouveaux antiagrégants plaquettaires par rapport à l'aspirine ? Les premiers résultats de leur association au rT-PA laisse présager une meilleure perméabilité coronaire, plus fréquente et plus durable, mais on est en droit de craindre que ce bénéfice ne soit annulé par un surcoût hémorragique inacceptable.
Enfin, quel est le meilleur marqueur de l'échec du traitement thrombolytique ? La réponse à cette question est essentielle pour décider en temps opportun une coronarographie d'urgence en vue d'une revascularisation de sauvetage.
Bien entendu, ces trois questions n'épuisent pas le sujet qui se prête encore à de très nombreuses recherches expérimentales, cliniques et thérapeutiques.
Un dernier point mérite d'être développé. C'est celui du pronostic à moyen et long terme et du caractère systématique ou non des traitements posthospitaliers.
Deux stratégies s'opposent. Selon la première qui s'appuie sur les résultats des grands essais, les traitements par l'aspirine, les bêtabloquants, les statines et, à un moindre degré, les inhibiteurs de l'enzyme de conversion doivent être systématiques et les examens agressifs réservés aux infarctus compliqués ou restant symptomatiques en dépit du traitement. Cette attitude est à bien des égards critiquable :
- - coût des traitements ; absence de preuve de l'efficacité des polythérapies, même si elles sont à base de médicaments individuellement efficaces ;
- - caractère illégitime des effets secondaires de ces traitements pour des sujets qui n'en tirent aucun bénéfice car ils n'en ont pas besoin ;
- - surtout, inefficacité démontrée de plusieurs classes thérapeutiques à prévenir la mort subite qui rend pourtant compte de près de 50 % des décès à 1 an.
Tous ces arguments donnent du poids à une stratégie thérapeutique plus sélective qui repose sur un bilan hospitalier s'efforçant d'évaluer les risques ischémiques, hémodynamiques et rythmiques de chaque patient. Dans cette optique, on tiendra compte des résultats de la coronarographie, complétée par une épreuve d'effort avec éventuelle scintigraphie au thallium pour rechercher une ischémie résiduelle dans le territoire de l'infarctus ou dans un territoire alterne, ou encore complétée par une scintigraphie au thallium de repos avec redistribution et une échocardiographie de stress par dobutamine à faible dose pour étudier la viabilité myocardique dans le territoire ischémié.
Les autres éléments de ce bilan sont la mesure de la fraction d'éjection du ventricule gauche qui peut être obtenue par différentes méthodes, la recherche de potentiels tardifs, le dépistage d'une hyperexcitabilité ventriculaire et l'estimation de la variabilité sinusale au Holter, enfin l'étude, sur les 12 dérivations de l'électrocardiogramme, de la dispersion de l'intervalle QT. Les résultats de ce bilan, certes lourd et agressif, permettent de réserver les traitements aux 30 à 40 % de patients à risque et d'adapter ces traitements à chaque cas particulier. Quelle que soit la stratégie retenue, elle devra concilier les exigences de sécurité maximale pour le patient et un contrôle raisonné des coûts qui s'impose d'autant plus que la maladie coronaire et l'infarctus sont au premier rang des dépenses de santé.