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L'impuissance peut se définir comme l'incapacité, pour un homme à la libido conservée, de réaliser l'acte sexuel dans la plénitude harmonieuse requise par les deux partenaires, parce que l'érection ne se produit pas, est insuffisante et/ou ne se maintient pas de façon satisfaisante.
Le phénomène de l'érection intrigue depuis le début de l'humanité. Près de 20 siècles séparent Aristote et son " pénis gonflé d'air " du génial Léonard de Vinci : " La cause de l'érection doit être attribuée au sang artériel ". Le concept de phénomène neuromusculaire du XIXe siècle s'est trouvé bouleversé, au début des années 1980, par la découverte de la pharmacologie intracaverneuse qui a mis en évidence le rôle essentiel des fibres musculaires lisses
. Leur état de contraction ou de relaxation, sous l'effet de multiples médiateurs dont le NO paraît être l'un des principaux
, contrôle le tonus vasculaire.
L'érection en 1995 apparaît comme un phénomène complexe psycho-neuro-musculo-vasculaire, que l'on peut schématiser en trois temps :
- - relaxation des muscles lisses intracaverneux permettant l'afflux sanguin dans les aréoles caverneuses ;
- - cet afflux génère un blocage progressif des efférences veineuses par compression du plexus veineux sous-albuginéal ;
- - enfin la mise en jeu de contractions réflexes des muscles striés ischio et bulbocaverneux .
La prévalence de l'impuissance a été longtemps sous-estimée : une enquête menée en octobre 1994 sur 1 000 français de 18 ans et plus, a révélé 11 % d'hommes ayant une dysfonction érectile dans au moins un rapport sur deux et 4 % à chaque rapport. La fréquence de la plainte augmente avec l'âge : 4 % entre 30 et 39 ans, 25 % après 60 ans.
La division en deux grandes étiologies, psychologiques et organiques, a l'avantage de la simplicité mais ignore combien elles sont fréquemment intriquées. L'origine vasculaire (artérielle, veineuse ou mixte) est la plus fréquente des causes organiques.
Les lésions artérielles peuvent siéger en proximalité (aorte, iliaques primitives, origine des hypogastriques) ou en distalité (honteuses internes, trépieds sexuels et surtout caverneuses, artères essentielles du processus de l'érection). Ces lésions sont associées à divers facteurs de risque
: coronarite et infarctus, diabète, artériopathie des membres inférieurs, hypertension artérielle (HTA), tabac, hypercholestérolémie.
Les origines veineuses s'expliquent par un efflux incontrôlé induit soit par un tonus sympathique intracaverneux restant élevé (comme lors de la flaccidité), soit par une " fuite " cavernoveineuse due à une altération des propriétés fibroélastiques du tissu caverneux, soit plus rarement par un " pore " de l'albuginée (fuite par une veine superficielle anormale).
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L'interrogatoire, essentiel, patient, clair, précis, fait de beaucoup d'écoute, permet de rechercher des éléments orientant vers une origine psychologique ou organique, et dans ce dernier cas, éventuellement vasculaire
(tableau I). L'inspection met en évidence une éventuelle veine superficielle anormale
. La palpation apprécie une froideur de la verge, le pouls pénien... L'auscultation recherche un souffle sur les divers trajets vasculaires abdominaux, pelviens et des membres inférieurs.
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En fonction des données cliniques, certains examens complémentaires peuvent être utiles.
Le Doppler continu reste peu fiable même dans des mains très expérimentées en raison du risque d'erreur dans l'identification des artères. En revanche, l'écho-Doppler apprécie, outre la structure des corps caverneux, l'hémodynamique, la morphologie et la compliance des axes artériels proximaux et distaux des membres inférieurs et à destinée sexuelle : origine des hypogastriques, honteuses internes dans le périnée postérieur et antérieur, dorsales de verge et surtout caverneuses.
Sur verge flaccide, le Doppler des caverneuses est de peu d'intérêt. L'examen doit être réalisé dans les minutes suivant une injection intracaverneuse (IIC) d'une petite dose (10
g de prostaglandine E1 : PGE1) d'une drogue myorelaxante. L'IIC sera réalisée sans anesthésie locale, à l'union du tiers proximal-tiers moyen de la face latérale d'un corps caverneux, après désinfection locale soigneuse, avec une aiguille de 27 G. L'écho-Doppler doit être équipé
d'une sonde mécanique en temps réel de fréquence 10, voire 13,5 MHz munie d'un Doppler pulsé de 4,5 MHz. Une poche à eau et surtout la couleur facilitent l'examen. Le site idéal est situé au niveau de la base de la verge, la sonde placée sur sa face ventrale ou latérale
. Le but est de mesurer les vitesses maximales de chaque artère caverneuse (ou " peak flow " des Anglo-Saxons) lors d'une systole. L'IIC les multiplie en moyenne par trois chez le sujet sain, passant de 13 cm/s en flaccidité à environ 40 cm/s avec une composante diastolique. Le seuil de normalité
est de 25 cm/s. Une valeur inférieure atteste d'un déficit artériel. Les caverneuses sont visualisées, en Doppler couleur, chez 50 % des patients (les dorsales chez 100 %) et, après IIC, dans 100 % des cas. Certains autres paramètres se sont révélés peu fiables : index pénobrachial
, augmentation du diamètre intérieur des caverneuses, amplitude des pulsations...
Elle n'est réalisée que si le patient ne reconnaît pas d'épisodes d'érection involontaire matinale. La pléthysmographie, méthode physique non invasive de mesure du volume d'un segment de membre, permet d'enregistrer et de quantifier les éventuelles modifications de volume de la verge en cas d'érection nocturne ou lors d'un somme
.
Le Rigiscan
® s'est imposé comme l'appareil de référence. Il permet non seulement la mesure de la circonférence de la verge mais surtout de la rigidité
, élément capital d'appréciation de la fonction érectile. Il comprend, réunis à un boîtier, deux jauges en forme de lasso placées l'une à la base, l'autre près du sillon. La rigidité est mesurée en pourcentage, 100 % étant la résistance d'un solide indéformable ; une rigidité inférieure à 40 % est insuffisante pour assurer la pénétration.
L'enregistrement est considéré comme normal s'il comporte au moins un épisode érectile d'une durée supérieure ou égale à 15 minutes, avec une augmentation de circonférence supérieure à 25 mm à la base et 20 mm à l'extrémité, et une rigidité d'au moins 80 % sur l'échelle de l'appareil. Les épisodes érectiles et leur profil permettent d'orienter le trouble
vers une origine artérielle (nombre et amplitude réduits, rigidité inférieure à 60 %) ou veineuse (durée brève de 2 à 10 minutes, rigidité supérieure à 70 % avec détumescence très rapide). La PEN présente une bonne valeur étiologique : la concordance avec le diagnostic final est de l'ordre de 90 % dans les origines artérielles, 70 % dans les fuites cavernoveineuses. Un tracé normal atteste d'une origine psychologique dans 95 % des cas.
La description par Virag
en 1982 puis, quelques mois plus tard, par Brindley
de la capacité respective de la papavérine et de la phénoxybenzamine, par voie intracaverneuse, d'induire une érection, a bouleversé la prise en charge diagnostique et thérapeutique des impuissants
. D'autres drogues ont depuis révélé un effet identique : phentolamine, moxisylyte, linsidomine..., et surtout PGE1
.
Durant des années, nous avons utilisé avec précaution le chlorhydrate de papavérine (de 10 à 80 mg). Son usage nous paraît devoir être dorénavant déconseillé en France (sauf en mélange) puisque deux produits ont reçu l'autorisation de mise sur le marché (AMM) ces derniers mois dans le cadre spécifique des dysfonctions érectiles, chacun vendu sous deux dosages différents : le chlorhydrate de moxisylyte : 10 et 20 mg, la prostaglandine E1 : 10 et 20
g.
Dans notre équipe, nous réalisons un premier test intracaverneux de 10 à 20
g de PGE1 suivant les données de la clinique et de la PEN. Nous le considérons comme positif si une érection rigide survient entre 5 et 15 minutes après l'injection et se maintient pendant au moins 20 minutes. Le patient doit être surveillé jusqu'à détumescence complète de la verge. Si l'érection dure plus de 3 heures (érection prolongée) ou plus de 6 heures (priapisme), une ponction-évacuation
(fig 1) est réalisée plutôt qu'une IIC
d'un produit type phényléphrine (l'aramine est à proscrire). Si ce premier test ne génère pas d'érection (réponse négative), nous le renouvelons 1 semaine plus tard avec une dose plus forte de PGE1 (jusqu'à 40
g), voire en association avec la papavérine (par exemple 30
g + 15 mg). Une stimulation visuelle (projection de séquences érotiques de 2 à 3 minutes entrecoupées de blancs de 30 secondes) peut être utile, potentialisant l'IIC. Si la réponse négative persiste, l'étiologie est organique dans plus de 80 % des cas.
Au terme de ce (ou ces) examen(s), complété(s) par un bilan biologique, endocrinien et psychologique, le diagnostic étiologique est posé. Dans un petit nombre de cas, un examen plus invasif est nécessaire.
Si la clinique, le Doppler et la PEN plaident pour une insuffisance artérielle avec un test intracaverneux négatif et si l'état du patient permet d'envisager un éventuel geste de revascularisation, une pharmacoartériographie est réalisée suivant un protocole bien codifié
.
L'artériographie pénienne est jugée normale si l'arbre artériel, de l'aorte aux artères caverneuses, est visualisé sur toute sa longueur, de forme et de calibre satisfaisants et réguliers.
Si un faisceau d'arguments plaide pour une " fuite " veineuse (clinique et PEN évocateurs, Doppler normal) avec un test intracaverneux négatif, une pharmacocavernosométrie (normale si le débit de maintien de l'érection est inférieur à 15 ml/min avec une pression intracaverneuse supérieure à 60 mmHg) et -graphie
sont réalisées. Leur méthodologie est simple mais leur réalisation délicate même avec certaines variantes
.
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Déficit artériel modéré avec une IIC positive
Un traitement médical est prescrit.
Per os
En dehors des indispensables mesures d'hygiène de vie et la suppression des facteurs de risque, divers produits sont efficaces à forte dose : alphabloquants (nicergoline, dihydroergocryptine, ifenprodil, yohimbine...), vasodilatateurs (buflomédil, naftidrofuryl...) ou agonistes dopaminergiques (piribédil...).
Auto-injections
La technique des IIC (PGE1 ou mélange), la dose (adaptée à chaque patient afin d'obtenir une érection rigide durant 30 à 60 minutes) et la conduite à tenir en cas d'éventuelle complication (érection prolongée, priapisme, hématome, induration, nodule, urétrorragie...) doivent être bien précisées au patient oralement et par écrit. Trois leçons sont en général nécessaires pour cet apprentissage.
Le moxisylyte (10 et 20 mg) est modérément efficace dans les impuissances d'origine vasculaire ; il mérite néanmoins d'être essayé en raison de sa grande sécurité d'emploi
. La PGE1 (de 10 à 40
g) est efficace dans 89 % des cas, toutes étiologies confondues avec une dose moyenne de 19
g
. Elle est sûre, générant peu d'érections prolongées, de priapismes (moins d'1 %) et de fibrose : 3 % après 6 mois d'auto-injections. En revanche, environ 20 % des patients
se plaignent d'érections douloureuses, atténuées par addition de procaïne ou de lidocaïne.
Malgré leur efficacité, les IIC ont un taux d'abandon important, de l'ordre de 25 % à 6 mois, expliqué par diverses raisons : stress, manque de convivialité, refus de la partenaire, douleur, guérison
. Néanmoins, 60 % des patients poursuivent les IIC de PGE1 après 6 mois : 81 % d'entre eux sont satisfaits et 66 % des partenaires.
Les contre-indications aux IIC thérapeutiques sont rares, avant tout d'ordre hématologique ou psychiatrique. Les patients sous traitement anticoagulant doivent prendre des précautions particulières : aiguille de 30 G, compression longue du site d'injection (minimum 5 minutes).
Appareil à pression négative (ou vacuum)
Il peut être essayé en cas de refus ou d'insuccès des IIC. Ce procédé purement mécanique est encore, contrairement aux États-Unis, peu prescrit en France. La verge est placée dans un cylindre ouvert à sa base, fortement appuyé sur le pubis, et fermé à l'autre extrémité par une pompe actionnée soit manuellement, soit électriquement. Une dépression est ainsi créée dans le cylindre. La verge se trouve peu à peu " aspirée ", augmente de volume jusqu'à obtenir une relative rigidité. Un anneau élastique est alors placé à sa base pendant un maximum de 30 minutes, empêchant l'issue du sang hors des corps caverneux et permettant un rapport. Ce procédé intéressant génère quelques effets secondaires
: cyanose et froideur de la verge, peau du scrotum aspirée dans le cylindre, ecchymoses ou pétéchies, tension pénienne désagréable, éjaculation douloureuse, voire anéjaculation. Les contre-indications sont d'ordre hématologique : leucémies, troubles de l'hémostase, anticoagulants... Les avantages sont importants : coût faible, caractère rassurant, sécurité d'emploi d'autant que les matériels récents présentent une valve limitant la dépression maximale dans le cylindre à 250 mmHg. Plus des deux tiers des patients sont satisfaits
du procédé.
Atteinte artérielle importante ou refus et/ou inefficacité des traitements précédents
Une chirurgie de revascularisation
peut être proposée chez des sujets jeunes (moins de 55 ans) et présentant des lésions isolées :
- - désoblitération, endartériectomie, angioplastie, pontage ou réimplantation d'une ou des hypogastriques ;
- - revascularisation directe d'un corps caverneux ;
- - revascularisation des artères de la verge ;
- - surtout artérialisation d'un segment de la veine dorsale profonde dont les variantes sont nombreuses .
Ces dernières interventions donnent des résultats moyens (40 à 60 %) à court terme, s'altérant dans le temps.
En revanche, la chirurgie des hypogastriques, lorsqu'elle est bien indiquée, est un geste thérapeutique intéressant. Mais avant de l'envisager, les artères iliaques internes doivent faire l'objet d'une exploration précise :
- - leurs premiers centimètres sont bien accessibles au Doppler (sonde de 5 MHz orientée en dedans et en arrière, tenue parallèlement au trajet des iliaques primitives, à 4 cm de la bifurcation aortique) ;
- - avant un éventuel abord, il convient de réaliser une artériographie de préférence numérisée (examen réalisé en externe, quantité de produit de contraste moindre) ou conventionnelle, pratiquée après anesthésie locale, par ponction fémorale suivant la technique de Seldinger. Un bolus iodé opacifie d'abord l'aorte (face et profil) et les axes iliaques (face et double obliquité pour dégager au mieux les ostia des hypogastriques et leur branche antérieure) complété parfois par une artériographie sélective de l'origine des iliaques internes.
La voie d'abord chirurgical dépend du caractère uni- ou bilatéral des lésions athéromateuses hypogastriques ; l'une des plus classiques est latérale oblique sous-péritonéale. La dissection de l'origine de l'iliaque externe puis de la terminaison de l'iliaque commune permet, par traction vers le haut, de libérer le tronc de l'hypogastrique. L'endartériectomie doit être réalisée à ciel ouvert afin de bien vérifier les zones de rupture du séquestre. Le plus souvent, ce dernier se prolonge dans les branches de l'hypogastrique, obligeant souvent à le sectionner et à fixer le ressaut intimal. En cas de pontage, le choix est possible entre autogreffe veineuse ou interposition d'une prothèse. Le site d'implantation des anastomoses et leur type est seulement guidé par l'extension des lésions
.
Il faut aussi savoir que certains gestes chirurgicaux peuvent générer des complications sexuelles :
- - une intervention aorto-iliaque étendue peut léser les filets nerveux cheminant sur la face antérieure de ces axes et induire une dysfonction érectile voire une anérection ; il convient donc de préserver ces plexus durant la dissection, de ne pas réaliser de thromboendartériectomies aorto-iliaques étendues, d'implanter haut les pontages et de disséquer a minima les anévrysmes ;
- - une sympathectomie lombaire large bilatérale, emportant le premier ganglion lombaire de chaque côté, provoque le plus souvent une éjaculation rétrograde ; il en est de même d'une ablation unilatérale L1 associée à une chirurgie aorto-iliaque controlatérale.
Tout chirurgien vasculaire se doit de bien connaître ces possibles complications sexuelles et de veiller à les éviter.
Fuite cavernoveineuse mineure
En cas de fuite cavernoveineuse mineure, des entretiens de couple, le traitement d'une éjaculation précoce, un soutien psychologique... précèdent souvent quelques IIC de réassurance, voire des auto-injections ou l'usage d'un vacuum.
Fuite modérée à importante
Si la fuite est plus conséquente, diverses solutions chirurgicales peuvent être envisagées
:
- - ligature de la veine dorsale et de ses affluents ;
- - embolisation de cette veine ;
- - remise en tension de la sangle périnéale ;
- - artérialisation d'un segment de la veine dorsale profonde.
Globalement, le taux de succès de ces interventions est médiocre à moyen ou long terme (10 à 50 %). Il apparaît possible de l'améliorer par une sélection préalable des patients, notamment en fonction des résultats de l'électromyographie
du muscle lisse intracaverneux.
Fuites par veine anormale
Dans les fuites par veine anormale, le meilleur traitement, efficace et élégant, est la sclérothérapie
.
Que l'origine du trouble soit artérielle ou veineuse la pose d'une prothèse pénienne peut être proposée en cas de non-indication à une revascularisation, d'échec d'un geste chirurgical antérieur ou d'insuffisance artérielle inopérable. De nombreux modèles existent : semi-rigides (polyéthylène, élastomères de silicone) malléables et articulées, et gonflables, plus physiologiques (le réservoir étant inclus dans la prothèse elle-même pour les modèles les plus récents). Malgré leurs progrès constants et leur fiabilité grandissante, persistent les risques d'infection, de rupture, de fuite...
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La prise en charge diagnostique et thérapeutique des dysfonctions érectiles d'origine vasculaire a connu des améliorations considérables depuis une quinzaine d'années, surtout avec les drogues myorelaxantes intracaverneuses.
De nouveaux progrès thérapeutiques sont attendus : la commercialisation de produits actifs per os. Certains déjà sont à l'étude comme l'apomorphine, mais leurs effets secondaires (vomissements, vertiges...) sont actuellement inacceptables. Nous avons bon espoir qu'ils seront à la disposition de nos patients avant l'an 2000.