Les cardiomyopathies primitives dilatées







A. Gerbaux
Médecin honoraire des hôpitaux de Paris, ex-Chef du service de cardiologie de l'hôpital Boucicaut France
11-019-A-50 (1989)



Résumé

Les cardiomyopathies (ou myocardiopathies) se rangent, malgré leur relative rareté, et en dépit - ou peut-être à cause - du mystère étiopathogénique qui continue de les entourer, parmi les affections cardiaques les plus importantes et les plus intéressantes. Elles constituent un groupe très particulier de cardiopathies caractérisées par une atteinte de la fibre cardiaque, atteinte qui, selon la définition de l'OMS (1980), doit être idiopathique (ou primitive). On en distingue avec [ Goodwin(1961) ] trois grandes variétés : les cardiomyopathies hypertrophiques (avec ou sans obstruction), les cardiomyopathies restrictives (essentiellement représentées par la fibrose endomyocardique), et les cardiomyopathies dilatées (ou congestives) auxquelles est consacrée cette étude. Se trouvent donc exclues, si l'on suit les recommandations de l'OMS, toutes les atteintes du muscle cardiaque secondaires à une maladie systémique, à une affection spécifique ou à toute autre pathologie responsable d'une lésion myocardique directe. Outre son apparence primitive, les principales caractéristiques suivantes définissent la cardiomyopathie dilatée (OMS, 1980) :

- une dilatation plus ou moins importante d'un ou des deux ventricules ;
- une atteinte de la fonction ventriculaire systolique ;
- une évolution vers l'insuffisance cardiaque progressivement irréductible ;
- un risque de mort à tous les stades de la maladie.
Sans être très fréquente, la cardiomyopathie dilatée (CMD) est loin d'être exceptionnelle. Elle frappe selon Lenègre (1972) environ 2 % des cardiaques hospitalisés et est dénombrée, suivant [ Demange(1962) ] dans 1,8 % des autopsies des cardiaques. Selon une estimation de Williams (1985) effectuée en Angleterre, elle affecterait 8, 3 individus sur 100 000. Comparée à la cardiopathie ischémique, la CMD est, selon [ JohnsonetPalacios(1982) ], de 4 à 10 fois moins fréquente, et son incidence annuelle, selon [ Torp(1978) ], de 3 à 5 cas pour 100 000 habitants. La CMD peut s'observer à tout âge, mais elle frappe principalement les adultes jeunes âgés de 20 à 40 ans, 3 fois plus souvent les hommes que les femmes.

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Plan

Historique
Aspect anatomique
Physiopathologie
Etude clinique
Evolution et complications
Pronostic
Diagnostic
Traitement

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La première référence à la pathologie myocardique remonte à [ Sobernheim(1837) ] et le concept d'une maladie myocardique idiopathique à [ Krehl(1891) ]. Mais, à la suite des travaux de Virchow (1858), l'inflammation reste longtemps la seule lésion reconnue. C'est ainsi qu'est décrite par [ Fiedler(1900) ] la " myocardite interstitielle inflammatoire ". En fait, jusqu'à l'isolement des cardiopathies dues à l'ischémie au début du XXe siècle, toutes les lésions myocardiques sont confondues sous le nom de " myodegeneratio cordis ". En 1901, Josserand et Gallavardin de Lyon rapportent sous le nom de " myocardite subaiguë interstitielle " la première observation d'une maladie myocardique autonome.
[ LaubryetWalser(1925) ] de Paris décrivent l'insuffisance cardiaque à gros coeur survenant sans cause chez des sujets jeunes, et irrémédiablement mortelle. [ Brigden(1954) ] de Londres propose, pour désigner cette affection, l'étiquette " cardiomyopathie ".
Goodwin de Londres, enfin, consacre depuis 1961 de très importantes études aux cardiomyopathies. On lui doit leur classification actuelle, retenue par l'OMS (1980), distinguant, parmi les cardiomyopathies (primitives par définition), des formes dilatées, hypertrophiques et restrictives. Ainsi l'appellation " cardiomyopathies non obstructives ", précédemment utilisée pour désigner les cardiomyopathies dilatées, ne doit dorénavant plus être employée.

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- Le coeur des CMD (fig 1) est gros, flasque, pesant en moyenne près de 700 g [ (Roberts1975) ], pouvant même avoisiner 1 000 g ; ses cavités sont très dilatées, surtout celles du ventricule gauche, ses parois peu épaisses. Les thromboses sont très fréquentes (56 % des cas de Roberts), surtout dans la pointe du ventricule gauche. Les valves sont normales, les anneaux auriculoventriculaires dilatés. De discrètes sténoses inférieures à 50 %, maximum acceptable pour autoriser le diagnostic de CMD, peuvent intéresser les artères coronaires épicardiques et intramurales.
- En microscopie optique (fig. 2), on constate une fibrose interstitielle en réseau diffus ou en foyers disséminés, des lésions dégénératives des myocytes, à type de gonflement, de lyse, de vacuolisation, de dégénérescence basophile ou mucoïde, des infiltrats inflammatoires le plus souvent discrets, et, de façon constante pour [ Kunkel(1983) ], un certain degré d'hypertrophie des myocytes. Dans 43 % des cas, selon [ PerrinetLoire(1970) ], aucune lésion figurée spécifique n'est constatée, tout se résume à un oedème important, conséquence et non cause de l'insuffisance cardiaque.
- L'étude ultrastructurale au microscope électronique [ (GrosgogeatetBhattacharya1972) ] montre une raréfaction des structures sarcoplasmiques, en particulier des protéines filamenteuses et des mitochondries qui sont déformées, un épaississement des bandes Z, une diminution de l'activité enzymatique, et du glycogène.
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Les deux perturbations physiopathologiques essentielles qui caractérisent la cardiomyopathie dilatée sont :
- la diminution de la contractilité myocardique ;
- l'augmentation du volume cardiaque.


Atteinte de la fonction contractile ventriculaire
C'est le trouble initial fondamental. En témoigne la diminution des indices de contractilité appréciée durant la phase isovolumétrique : ralentissement de la montée de pression en fonction du temps (dP/dt) [ (Forman1973) ], allongement de la contraction isovolumétrique ; et - durant la phase éjectionnelle - diminution de la vitesse instantanée de raccourcissement circonférentiel des fibres. La fraction d'éjection est abaissée mais reste à peu près correcte au stade initial de la maladie. Ces indices de contractilité sont très peu améliorés par la perfusion d'isoprotérénol [ (Besse1972) ]. La contractilité n'est pas affectée de façon uniforme [ (Convert1980) ].
· A l'échelon cellulaire du myocyte, le mécanisme intime qui préside à l'altération de la contractilité pourrait être une anomalie de la captation du Ca++par le réticulum sarcoplasmique et de sa délivrance [ (Limas1987) ], le Ca++ étant nécessaire à l'activation des protéines contractiles, notamment la troponine C.

Augmentation du volume télédiastolique ventriculaire
C'est la deuxième anomalie importante, très précoce elle aussi [ (LePailleur1979) ]. Elle compense, suivant le mécanisme de Starling, la diminution de la contraction, de sorte que, initialement, le débit cardiaque n'est pas diminué. Après le volume télédiastolique, le volume télésystolique augmente à son tour. La pression télédiastolique basale, normale au début, s'élève.

- Un certain degré d'hypertrophie de la paroi myocardique [ (Yu], [1966;Hamby], [1970;Geshwind1974) ] s'associe à cette dilatation. Cependant, comme elle l'emporte sur l'hypertrophie pariétale, il en résulte une augmentation du stress (ou contrainte) pariétal systolique et une perturbation de la relation volume télésystolique/stress pariétal télésystolique. La diminution de la contractilité myocardique, anomalie fondamentale de ce type d'insuffisance cardiaque, est totalement indépendante des modifications hémodynamiques périphériques.
- La pression de remplissage des deux ventricules s'élève en raison d'une augmentation de la précharge par augmentation du tonus et du retour veineux, et rétention d'eau et de sel. La pression de remplissage atteint d'abord une valeur optimale qui permet le maintien du débit cardiaque ; au-delà de cette valeur, le débit cardiaque n'augmente plus ou s'abaisse ; la post-charge est, elle aussi, augmentée. En effet, bien que la pression artérielle soit souvent diminuée dans ces insuffisances cardiaques sévères, il existe une élévation de la résistance artérielle périphérique par augmentation des catécholamines circulantes et du tonus sympathique au niveau artériolaire. L'angiotensine II est, de son côté, augmentée, ce qui a pour effets d'accroître davantage la résistance et d'augmenter la sécrétion d'aldostérone, d'où rétention accrue d'eau et de sel. Il existe enfin une altération de la relaxation isovolumétrique comportant une diminution de la rigidité cavitaire diastolique, une augmentation de la rigidité et de la tension pariétale diastolique, d'où une compression des artères sous-endocardiques entraînant un certain degré d'ischémie alors que la demande myocardique en oxygène est accrue.
La dominance clinique assez fréquente des signes droits s'explique par le fait que les lésions atteignent souvent les deux ventricules.
Ces perturbations physiopathologiques évoluent schématiquement en trois stades
- 1er stade : diminution de la contractilité ; dilatation ventriculaire avec hypertrophie pariétale compensatrice (conservation du rapport M/V) ; pression, débit, fraction d'éjection normaux.
- 2e stade : diminution du rapport M/V ; demande myocardique non satisfaite ; fraction d'éjection diminuée ; tachycardie.
- 3e stade, irréversible : chute de l'index cardiaque ; fort abaissement de la fraction d'éjection ; augmentation très importante des volumes télédiastolique et télésystolique ; forte élévation de la pression télédiastolique ventriculaire gauche.

Tels sont donc les caractéristiques anatomiques et les troubles physiopathologiques de ce gros coeur de la CMD, dans lequel le muscle cardiaque a perdu ses facultés contractiles du seul fait de la lésion primitive myocardique et ce pour une raison inconnue.

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C'est aux environs de 40 ou 45 ans qu'est découverte la CMD : 43,8 +/- 9,4 ans +/- ext. 16-68 ans dans les 116 cas, comportant tous une coronarographie normale (critère diagnostique indispensable), réunis par Hagège et Desnos (1985) à l'hôpital Boucicaut.
La maladie est constatée soit fortuitement chez un patient asymptomatique (10 à 15 % des cas) après un cliché thoracique ou un électrocardiogramme ; soit à l'occasion de troubles fonctionnels (85 à 90 % des cas) tels que dyspnée d'effort (80 % des cas) ; douleurs thoraciques (33 % des cas) dont certaines évoquent une angine de poitrine d'effort typique, tandis que d'autres, plus fréquentes, durables, insensibles à la trinitroglycérine pourraient être dues à la distension myocardique ( ?) ; sensation d'arythmie ; syncopes ; accident thrombo-embolique, pulmonaire ou systémique ; manifestations d'insuffisance cardiaque : simple dyspnée d'effort, crise d'oedème pulmonaire, relativement rare au cours de la CMD [ (JohnsonetPalacios1982) ], oedème des membres inférieurs ; atteinte de l'état général, notamment asthénie croissante inexpliquée ; parfois, enfin, syndrome aigu fébrile d'allure grippale retrouvé dans les semaines ou le mois précédents (9 à 20 % des cas).

La CMD se traduit par une insuffisance cardiaque gauche, droite ou globale, à gros coeur, qui pourrait passer pour banale mais qui, dans certains cas, offre quelques particularités permettant parfois d'en suspecter l'origine.

- Une atteinte de l'état général se traduisant par une asthénie physique et une incapacité d'effort (peut-être en rapport avec une baisse du débit cardiaque) ; de la pâleur et de l'amaigrissement.
- Certaines données de l'examen : tachycardie sinusale ; bruit de galop, souvent dû à une sommation B3 + B4, particulièrement net et détaché, très souvent accompagné d'un souffle systolique doux et peu intense d'insuffisance mitrale fonctionnelle ; deuxième bruit pulmonaire augmenté ; pression artérielle basse dont la systolique reste au-dessous de 10 cm de mercure, pouls alternant aisément constaté au voisinage de la maxima tensionnelle.
- L'importance particulière des signes d'insuffisance cardiaque droite, un peu insolite pour une cardiopathie qui semble a priori plutôt d'origine gauche.
- Enfin et surtout, sur un cliché thoracique complété obligatoirement par une radioscopie, un gros coeur immobile.

Il s'agit certes là de nuances qui n'ont rien de franchement original, mais qu'il ne faut ni méconnaître ni négliger.
L'examen ne doit pas se limiter au système cardio-vasculaire ; il faut rechercher systématiquement les antécédents familiaux, une maladie générale, des anomalies cutanées, neurologiques, splénoganglionnaires, thyroïdiennes... qui pourraient faire soupçonner une forme secondaire de cardiomyopathie et orienter l'enquête étiologique.

Il permet d'évoquer, parmi d'autres diagnostics, celui de CMD grâce à deux constatations : la cardiomégalie et la cinétique cardiaque diminuée.

- La cardiomégalie (fig. 3) est une anomalie essentielle qui ne manque que dans 10 % des cas. Elle est habituellement importante, le rapport cardiothoracique dépassant 0,60 dans 27 % des cas. La dilatation cardiaque est souvent globale, réalisant l'image en " ballon de rugby ", mais elle prédomine sur le ventricule gauche. L'arc supérieur gauche aortique est au contraire réduit.
- La cinétique cardiaque est très diminuée, voire nulle ; elle reste très faible même après régression de l'insuffisance cardiaque et diminution de la cardiomégalie.
- Il existe généralement des signes de " congestion pulmonaire " ou d'hypertension veineuse pulmonaire ; mais parfois, au contraire, on est frappé par l'absence ou la discrétion des signes de " poumon cardiaque ", inhabituelle dans une cardiopathie gauche en décompensation.



L'électrocardiogramme a peu d'intérêt pour le diagnostic de la CMD car, s'il est presque toujours anormal, ses anomalies n'ont rien de spécifique.

- Les troubles de conduction gauche sont fréquents, suivant [ Hagège(1985) ], qu'il s'agisse du bloc de branche complet (25 % des cas), du bloc incomplet gauche (22 % des cas), de l'hémibloc antérieur gauche (17 % des cas). Les troubles de conduction auriculoventriculaire sont rares, sauf l'allongement de PR.
- L'hypertrophie ventriculaire gauche est présente dans 40 à 50 % des cas, et les ondes Q pathologiques de " pseudo-nécrose ", attribuées aux plages de fibrose myocardique, dans 20 à 25 % des cas.
- Les troubles du rythme sont fréquents, en particulier les extrasystoles ventriculaires (36 % des cas), qui doivent imposer un enregistrement de 24 heures systématique. La fibrillation auriculaire s'observe dans 20 à 30 % des cas. Les anomalies de la repolarisation (inversion de T et/ou sous-décalage de ST en V5, V6) sont très fréquentes (95 % des cas) mais n'ont aucun caractère spécifique.

Certaines de ces anomalies ont une valeur d'orientation permettant parfois d'évoquer une CMD dans certaines conditions : une onde Q (en dehors d'un trouble de conduction gauche), des extrasystoles ventriculaires nombreuses ou polymorphes, un bloc de branche gauche complet avec AQRS hypergauche attribué à l'importante dilatation ventriculaire gauche (Blondeau) (fig. 4).



- Le phonocardiogramme enregistre très souvent un bruit de galop protodiastolique (fig. 5) parfois superposé à un galop auriculaire présystolique et prenant alors un timbre véritablement éclatant.
- L'enregistrement simultané des mécanogrammes (apexogramme, carotidogramme, jugulogramme) permet de mesurer la durée de la période prééjectionnelle, PPE (entre le début de la montée systolique de l'apexogramme et le départ de la montée du pouls carotidien), qui est allongée, et celle de la période éjectionnelle, PE (entre la montée et l'incisure catacrote du pouls carotidien), qui est raccourcie. La dérivée première de l'apexogramme a été proposée par Fincker pour apprécier la fonction contractile. Le carotidogramme a une forme ogivale et symétrique, l'incisure catacrote est basse, elle est suivie d'une ample onde dicrote. Cet aspect évoque un bas débit.



L'échocardiogramme permet de recueillir aisément, grâce à l'utilisation du mode TM et de l'échocardiographie bidimensionnelle (2D), des renseignements essentiels pour le diagnostic des CMD.



- Une dilatation cardiaque globale mais prédominant sur les ventricules, principalement le gauche ; les diamètres télédiastolique et télésystolique, les volumes télédiastolique et télésystolique sont augmentés. La valve mitrale est déplacée vers la paroi postérieure du ventricule gauche.
- Une diminution manifeste, en général diffuse et homogène, de la cinétique, et un abaissement très marqué du pourcentage de raccourcissement. Le septum interventriculaire peut être animé d'un mouvement paradoxal en cas de surcharge ventriculaire droite dominante.
- Une réduction plus ou moins importante du débit cardiaque, se traduisant par une diminution de l'amplitude et de la durée de l'ouverture du feuillet mitral antérieur en TM, par la symétrisation des deux feuillets, par la diminution de la surface de l'orifice mitral sur la coupe transversale en 2D, par la diminution de l'amplitude de déplacement systolique de l'anneau aortique, et par la diminution de l'ouverture et la fermeture prématurée des sigmoïdes aortiques.
- L'épaisseur des parois ventriculaires gauches est normale, ou à peine augmentée, mais celle du septum interventriculaire est plutôt diminuée. Le pourcentage d'épaississement systolique de la paroi est diminué. L'échocardiogramme, surtout le 2D, permet encore de déceler les thrombus situés dans la région apexienne du ventricule gauche, dans 16,6 % des cas selon Sacrez (1980), soit beaucoup moins souvent qu'à l'autopsie (56 %). Enfin, grâce à l'échocardiogramme, on peut suivre la tendance évolutive de la maladie en mesurant régulièrement les paramètres de dimension et de contractilité.


Elles sont intéressantes pour le diagnostic et la surveillance évolutive des CMD. Elles font appel à deux techniques :

- La gammascintigraphie des cavités cardiaques (hors-texte, fig. 1), qui consiste à injecter par voie veineuse un embole radioactif, par exemple du technétium 99 fixé sur la sérum-albumine, et à étudier d'abord le " premier passage " pendant les 25 premières secondes après l'injection au repos, ou au maximum d'un effort, puis secondairement " à l'équilibre ", c'est-à-dire après mélange homogène du sang et du produit radioactif. On peut ainsi mesurer les volumes télédiastolique et télésystolique, ainsi que la fraction d'éjection globale (presque toujours diminuée) ; faire une analyse de la contraction segment par segment ; grâce à une épreuve d'effort, préciser les modifications en gain ou en perte de la fraction d'éjection globale et des volumes, notamment du volume télésystolique ; et faire apparaître des anomalies de la cinétique inexistantes à l'état basal.
- La scintigraphie de perfusion myocardique au thallium 201 (hors-texte, fig. 2), destinée à étudier la fixation du produit radioactif dans la paroi myocardique. Elle fait apparaître une hypofixation diffuse et homogène dans les cas typiques, parfois hétérogène et localisée [ (Morand1979) ], suivant la répartition de la fibrose. Ces aspects sont différents de celui que donne l'infarctus myocardique qui détermine en général au repos un défaut de perfusion beaucoup plus homogène, massif et localisé.

Dans les cardiopathies ischémiques décompensées, susceptibles d'être confondues avec une CMD (" cardiomyopathies ischémiques " sans ondes Q de nécrose), il peut être intéressant de réaliser une scintigraphie de perfusion à l'effort qui fait apparaître, contrairement à la CMD, des zones non perfusées ou hypoperfusées, disparaissant au repos (" redistribution " basale).
Ainsi se dessine le " profil isotopique " des CMD : gros coeur à cavités dilatées, à parois non hypertrophiées et surtout peu battantes avec une fixation isotopique diminuée, souvent hétérogène, et une fraction d'éjection basse. Ces examens ont le gros intérêt de pouvoir être répétés et de permettre la surveillance de l'évolution.
Au total, les investigations scintigraphiques semblent capables de fournir sur certains paramètres (volumes des cavités, contractilité et fractions d'éjections segmentaires) des résultats plus valables que ceux de l'échocardiographie et de l'angiographie conventionnelle classique. D'autres méthodes plus nouvelles, notamment l'IRM [ (Germain1987) ], semblent pleines d'intérêts ; cependant leur haute technicité et leur coût limitent leur emploi et en font, encore actuellement, des instruments de recherche.

Elle est indispensable pour parvenir avec certitude au diagnostic de CMD.

Pressions intracardiaques
On constate généralement une élévation de la pression télédiastolique du ventricule gauche (PTDVG) au-dessus de 10 mm de mercure (18,9 +/- 8,3 en moyenne sur 116 cas réunis par [ Hagège1985 ]). Cette élévation de la " pression de remplissage " ventriculaire gauche se répercute en amont dans l'oreillette gauche, les veines et les capillaires pulmonaires (PCP) ; la pression artérielle pulmonaire (PAP) moyenne est également élevée. La pression télédiastolique du ventricule droit (PTDVD), la pression auriculaire droite (POD), la pression veineuse centrale (PVC) sont augmentées dans les cas comportant une atteinte ventriculaire droite.

Angiographie
Grâce à elle et notamment à la ventriculographie, on peut mesurer les volumes télédiastolique (précocement augmenté) et télésystolique du ventricule gauche. La fraction d'éjection est plus ou moins diminuée suivant le stade évolutif et la gravité de la maladie ; elle est généralement inférieure à 0,40 lorsque le coeur est manifestement gros. L'hypokinésie est habituellement diffuse mais peut être segmentaire [ (Convert1980) ]. Le rapport PTDVG/volume télédiastolique est variable suivant le degré de compliance ventriculaire gauche. L'épaisseur de la paroi ventriculaire gauche est souvent à peu près normale ; quand elle est augmentée, alors que la cavité est dilatée, on peut évoquer une cardiomyopathie hypertrophique (CMH) évoluée vers la CMD.

Débit cardiaque et volume d'éjection systolique
Ils sont diminués sauf au début de la maladie.
Dans les formes légères ou de début, on trouve déjà un volume télédiastolique un peu augmenté. Si la PTDVG est normale, on peut provoquer son élévation en effectuant une épreuve " de remplissage " qui augmente la précharge et permet d'évaluer la réserve contractile ; ou en ayant recours au test d'effort, grâce auquel on apprécie les possibilités d'augmentation du travail cardiaque.
La diminution de la contractilité du ventricule gauche. C'est aussi dans les cas où l'hémodynamique courante se révèle peu perturbée qu'il est intéressant de la rechercher. Elle se traduit par un allongement de la période prééjectionnelle, un raccourcissement de la période éjectionnelle, un ralentissement de la montée de la pression systolique dans le ventricule gauche, particulièrement en phase isovolumétrique (dP/dt), une diminution de la vitesse de raccourcissement de l'élément contractile (VCE) et de la vitesse de raccourcissement à charge nulle (V max). Plus récemment, a été proposée l'étude du rapport contrainte télésystolique (c'est-à-dire force développée par unité de surface dans la paroi myocardique en télésystole) / diamètre télésystolique.
Enfin, on peut calculer des indices de relaxation et en particulier le pic négatif de dP/dT en phase isovolumétrique.

Insuffisance mitrale fonctionnelle
Due à la dilatation du ventricule gauche, elle est souvent mise en évidence par l'angiographie ventriculaire gauche (56 % dans la série de Hagège).

Angiographie coronaire
Elle doit toujours compléter l'exploration hémodynamique. Si les artères coronaires sont normales ou peu sténosées (sténose inférieure ou égale à 40 %), cela permet d'écarter le diagnostic d'insuffisance cardiaque d'origine ischémique, éventualité toujours possible surtout en présence d'une onde Q sur l'électrocardiogramme. Ce critère est indispensable lorsqu'on désire une sécurité diagnostique maximale.

Biopsie myocardique
Elle a fait l'objet d'études réunissant de nombreux cas. Les principales anomalies constatées sont, d'après [ Kunkel(1983) ] : en microscopie optique, l'hypertrophie myocardique si fréquente que son absence doit faire éliminer à peu près formellement le diagnostic de CMD, la fibrose interstitielle, la dégénérescence cellulaire ; en microscopie électronique, l'augmentation ou la fragmentation du noyau, les anomalies mitochondriales, les anomalies de la bande Z. Mais il faut reconnaître que l'intérêt de la biopsie myocardique est assez faible en raison du manque de spécificité de ces anomalies. Elle est cependant utile pour écarter le diagnostic de CMD quand elle est normale et pour identifier certaines cardiopathies de surcharge et les myocardites [ (Zee-Cheng1984) ]. Quant à son intérêt pronostique, basé sur la place occupée par les myofibrilles dans le prélèvement biopsique [ (Figulla1985) ], il est également discuté. Aussi, le caractère souvent décevant des résultats obtenus a-t-il conduit à l'abandon de cette investigation par de nombreux auteurs, du moins de façon routinière.

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L'histoire naturelle et l'évolution de la CMD sont imparfaitement connues en raison des imprécisions qui planent souvent sur le début réel de la maladie et sur la prévalence des variétés asymptomatiques. L'évolution est très variable, depuis les formes lentes qui se prolongent sur des années, voire une ou plusieurs décennies, jusqu'aux formes galopantes qui aboutissent en quelques mois à une déchéance myocardique profonde et irréversible. Souvent, elle procède par poussées répétées d'insuffisance cardiaque.
La mort subite survient dans 46 % des cas de l'étude de [ JohnsonetPalacios(1982) ].
L'évolution mortelle, quel qu'en soit le mode, est quasi inéluctable. Le taux de mortalité est diversement évalué suivant les séries :

- à 1 an : 23 % (Franciosa, 1983) ; 30 % (Fuster, 1983).
- à 2 ans : 41 % (Franciosa, 1983) ; 45 % (Fuster, 1983).
- à 5 ans : 67 % (Shirey, 1981) ; 77 % (Fuster, 1983).

Pour Kuhn, la mortalité annuelle est de 5,7 % après l'apparition des premiers symptômes et de 9,8 % après le diagnostic de la maladie. La survie moyenne est pour Lenègre (1972) de 7 ans après la découverte fortuite de la maladie, de 4 ans après les premiers symptômes fonctionnels et de 2 ans après le début de l'insuffisance cardiaque.
En dehors de l'insuffisance cardiaque, qui fait presque partie de la définition de la maladie, deux complications sont importantes et fréquentes.

Complications thromboemboliques

- Embolies systémiques (10 à 15 % des cas) parties des cavités cardiaques gauches dilatées et intéressant des territoires très variés : cerveau, viscères abdominaux, membres...
- Embolies pulmonaires (25 % des cas) dues à des thromboses issues du coeur droit ou surtout des veines des jambes. Les petites embolies pulmonaires répétées sont plus fréquentes que les embolies massives ; elles favorisent, déclenchent, aggravent ou entretiennent l'insuffisance cardiaque, sans que leur responsabilité soit toujours évidente.

Les unes et les autres justifient le traitement anticoagulant systématique de toute CMD même en rythme sinusal.

Troubles du rythme cardiaque
Ils peuvent être de toutes variétés au cours de la CMD : l'arythmie complète par fibrillation auriculaire est assez fréquente (15 à 20 %), mais relativement tardive ; elle favorise la survenue des embolies systémiques ou pulmonaires. Plus évocatrices sont les arythmies ventriculaires ; elles peuvent se rencontrer à tous les stades de la maladie. Les extrasystoles ventriculaires (ESV) sont courantes (20 à 30 % des cas). Leur constatation doit faire pratiquer un enregistrement de l'électrocardiogramme de 24 heures par le procédé Holter. On peut ainsi les compter (plus ou moins cent par heure), les analyser et les classer en :

- Extrasystoles ventriculaires en principe " bénignes " quand elles sont rares et surtout isolées et monomorphes.
- Extrasystoles ventriculaires graves quand elles sont répétitives (doublets, triplets dans 15 % des cas ou polymorphes dans 25 % des cas) ; crises de tachycardie ventriculaire (TV) dont la fréquence est fonction du critère retenu pour les définir. Il peut s'agir soit de TV brèves ou non soutenues (définies par plus de trois extrasystoles successives dans 44 % des cas), soit de TV soutenues beaucoup plus sérieuses. La prévalence de ces arythmies ventriculaires est chiffrée à plus de 1 000 extrasystoles ventriculaires par 24 heures dans 35 % des cas. Les extrasystoles polymorphes et les TV soutenues sont particulièrement fréquentes dans les CMD ayant une fraction d'éjection inférieure à 0,30 (Leclercq). Devant ces déchéances myocardiques profondes, certaines drogues risquent de déclencher ou de majorer les troubles du rythme ventriculaire et ne doivent être utilisées qu'avec beaucoup de prudence.


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Le pronostic des CMD comporte une part d'imprévisible tenant à la menace constante d'une mort subite inopinée. Cependant, en dehors de cette éventualité, divers indices permettent de prévoir une évolution plus ou moins rapide et grave.
Ce sont les grades fonctionnels III et IV, la présence d'une insuffisance cardiaque droite, nettement plus grave qu'une insuffisance ventriculaire gauche, un rapport cardiothoracique très élevé, un volume télédiastolique supérieur à 200 ml/m2, un faible index cardiaque, une PTDVG supérieure à 20 mm de mercure, une fraction d'éjection inférieure à 0,40 ou a fortiori à 0,30, une dysfonction ventriculaire droite [ (Latham1989) ], une hypofixation étendue à la scintigraphie myocardique au thallium 105, l'importance de la fibrose trouvée à la biopsie myocardique, une intoxication tabagique importante [ (Hagège1985) ], un bloc de branche gauche complet, des ESV polymorphes et répétitives, la notion de crises de tachycardie ventriculaire dans les antécédents ou a fortiori d'une ressuscitation, la résistance au traitement médicamenteux. Par contre, une tension artérielle normale ou élevée, une action positive du traitement, un certain degré d'hypertrophie ventriculaire gauche mise en évidence sur l'électrocardiogramme constituent un ensemble de données favorables.

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Devant une insuffisance cardiaque avec gros coeur peu battant apparue sans raison chez un homme d'âge moyen, on doit évoquer par principe une CMD ; particulièrement si l'on constate une tachycardie avec bruit de galop, un souffle doux d'insuffisance mitrale (ou tricuspide) fonctionnelle, des signes de défaillance cardiaque droite parvenus rapidement au premier plan, tous caractères dépourvus cependant de spécificité.
Pour parvenir au diagnostic de CMD il faut procéder par élimination, en écartant certaines cardiopathies dont la distinction n'est pas toujours aisée :

Cardiopathies ischémiques " silencieuses "
Elles se traduisent par une insuffisance cardiaque gauche ou surtout globale, sans douleur angineuse (8 à 15 % des cardiopathies d'origine coronarienne), problème encore compliqué par la présence d'ondes Q pathologiques de " pseudo-nécrose " dans 5 à 10 % des CMD et, en raison de la possibilité de douleurs thoraciques, en général cependant atypiques, dans 5 à 20 % des CMD. C'est dire que, pour porter valablement le diagnostic de CMD en éliminant presque à coup sûr la cardiopathie ischémique, il faut disposer d'une coronarographie qui met presque toujours en évidence dans ces insuffisances cardiaques ischémiques des lésions coronaires très importantes. Quant aux techniques isotopiques, elles ne sont pas toujours suffisantes, la CMD pouvant parfois donner lieu à une hypofixation localisée ou multifocale.

Cardiopathie hypertensive avec décompensation
Surtout lorsque celle-ci est globale, elle peut aussi poser un problème lorsque fait défaut la notion d'une hypertension ancienne plus ou moins effacée par l'insuffisance cardiaque.

Insuffisance mitrale organique évoluée avec insuffisance cardiaque globale et gros coeur
Elle peut ressembler de près à une CMD mais elle est reconnue par l'échocardiogramme. Il en est de même pour le rétrécissement aortique valvulaire.

Cardiopathies congénitales rencontrées à l'âge adulte
Seules pourraient à la rigueur prêter à discussion la communication interauriculaire et la maladie d'Epstein, qui donne une image radiologique peu différente. Ces problèmes sont facilement résolus par l'échocardiogramme surtout bidimensionnel. Chez l'enfant, la fibro-élastose peut poser un diagnostic difficile mais la CMD est rare à cet âge. Les investigations complémentaires, y compris la biopsie endocardique, peuvent être nécessaires.

Péricardites
La péricardite exsudative chronique avec son gros coeur immobile, la péricardite chronique constrictive se traduisant par une insuffisance cardiaque à prédominance droite sont reconnues par l'échocardiogramme, le cathétérisme et l'angiographie.

Autres cardiomyopathies
La cardiomyopathie hypertrophique avec ou sans obstruction a une traduction clinique et surtout paraclinique (échocardiogramme, hémodynamique) différente. On connaît cependant de rares cas où la cardiomyopathie hypertrophique a évolué secondairement vers une CMD, avec souvent une fibrillation auriculaire. La cardiomyopathie à forme restrictive a un aspect indiscernable sur les seuls éléments cliniques, sauf si elle s'accompagne, comme l'endocardite fibroblastique de Löffler, d'une forte éosinophilie ; ou si, comme la fibrose endomyocardique de Davies, elle est observée en Afrique équatoriale où elle est très fréquente. L'aspect angiographique et échocardiographique est cependant différent.

" Myocardiopathies secondaires "
Reste enfin le groupe très important des innombrables atteintes myocardiques secondaires (que l'on continue d'appeler myocardiopathies secondaires malgré les recommandations de l'OMS) au cours des affections générales ou de système ; qu'il s'agisse des causes infectieuses, toxiques, métaboliques, de surcharge, des maladies systémiques ou du tissu conjonctif, des dystrophies neuromusculaires ou familiales, etc., il faudrait en principe les avoir éliminées pour pouvoir parler de CMD primitive, ce qui supposerait une enquête interminable, fort coûteuse, très souvent totalement négative. On préfère donc n'entreprendre les investigations très spécialisées qu'en présence d'un contexte ou d'un indice clinique particulier et s'en tenir pour le cas général à une enquête a minima, limitée aux investigations suivantes :

- Cardiopathies ischémiques : test d'effort électrique ou scintigraphique, coronarographie.
- Cardiomyopathie hypertrophique et valvulopathie : échocardiogramme, cathétérisme, angiocardiographie.
- Maladies infectieuses : hémogramme, vitesse de sédimentation globulaire, antistreptolysines ; sérodiagnostic (coxsackies, rickettsioses, grippe, oreillons, mononucléose, toxoplasmose, brucellose, agglutinines froides...), enquête immunologique, biopsie endomyocardique.
- Maladies thyroïdiennes : bilan thyroïdien.
- Maladies musculaires : électromyogramme, biopsie du muscle squelettique.
- Maladies métaboliques : pyruvicémie, surcharge en tryptophane.
- Maladies de surcharge : biopsie rectale ou gingivale, fer sérique, saturation de la sidérophiline.
- Maladies de système : biopsie musculaire et cutanée, électrophorèse protidique, cellules LE, facteur de Haserick, anticorps antinucléaires, intradermoréaction de Kveim.

Cette liste allégée peut être réduit aux seules investigations indiquées en italique, et encore, même ainsi simplifiée, l'enquête se révèle-t-elle le plus souvent négative.

Distinction entre formes primitives et secondaires
Elle se complique du fait que certaines affections peuvent être considérées selon les cas tantôt comme des causes véritables de formes réellement secondaires, tantôt comme de simples facteurs favorisants d'une cardiomyopathie dilatée authentiquement " primitive ", gardant l'essentiel de son mystère étiologique. Ces affections ou facteurs posant un problème étiologique et nosologique sont les suivantes :

- L'infection dont la responsabilité dans la production d'une forme secondaire est évidente lorsqu'une insuffisance cardiaque congestive à gros coeur se développe au cours ou au décours d'une myocardite aiguë due par exemple au virus Coxsackie B1-B4 ou chez un sujet ayant un taux sérique élevé d'anticorps Coxsackie (30 % des cas de CMD selon Goodwin) ou des réactions positives vis-à-vis de certains virus dans le matériel de biopsie endomyocardique (4 % des cas selon Sutton). Parfois un délai de plusieurs mois ou années s'écoule entre une maladie aiguë fébrile non étiquetée et la survenue d'une insuffisance cardiaque inexpliquée. On invoque alors une réaction auto-immune poursuivie à bas bruit comme le suggéreraient un taux élevé d'anticorps viraux ou une fluorescence positive dans certains noyaux des cellules myocardiques marquées avec l'IgM anti-humaine.
- Au total, on peut affirmer ou admettre avec vraisemblance que certains cas d'insuffisance cardiaque à gros coeur résultent effectivement d'une infection plus ou moins lointaine mais l'importance de cette étiologie n'est pas évaluée de façon précise (0 à 68 % selon les études). De plus, l'intervention de l'infection à titre de facteur étiologique simplement adjuvant ou favorisant reste le plus souvent très hypothétique.
- Un facteur génétique est évident dans certains cas (maladie de Friedreich, dystrophie musculaire de Duchenne), encore très vraisemblable dans certaines familles comportant à des générations successives plusieurs cas de CMD [ (Anselmi], [1975;Ross1978) ]. En dehors de ces cas indiscutables, l'intervention d'un facteur génétique dans le développement d'une présumée CMD est hypothétique ; l'étude du système HLA faite par [ Anderson(1985) ] la montrerait cependant relativement fréquente.
- L'hypertension artérielle dont les rapports avec la CMD sont diversement appréciés : certains auteurs ne lui reconnaissent aucun rôle, sa présence actuelle ou ancienne doit tout simplement faire récuser le diagnostic de CMD pour celui d'insuffisance cardiaque d'origine hypertensive ; d'autres estiment au contraire que certaines CMD pourraient résulter d'une augmentation chronique de la résistance artérielle périphérique et peut-être aussi du débit cardiaque ; pour beaucoup d'auteurs enfin, l'hypertension artérielle pourrait intervenir comme facteur adjuvant susceptible de précipiter la CMD.
- En considérant certaines déficiences nutritionnelles spécifiques comme la béribéri, le kwashiorkor, la maladie du Keshan due à un déficit en sélénium observé en Chine, responsables d'insuffisance cardiaque à gros coeur de type CMD, on a incriminé par extension, en tant que facteur favorisant, la malnutrition générale, ou une déficience protidique sévissant dans certaines régions économiquement pauvres.
- Le rôle de la grossesse pourrait être envisagé, certaines insuffisances cardiaques chroniques pouvant se développer une à trois semaines après l'accouchement, ou moins souvent dans le dernier mois de la grossesse (maladie de Meadows).
- L'hypothèse d'une CMD jusque-là méconnue, révélée par la grossesse, peut représenter une explication valable.
- Reste enfin l'importante question du rôle de l'alcool dans la cardiomyopathie. Il est certain que les antécédents ou le terrain éthyliques sont particulièrement fréquents au cours de la CMD (86 % dans le matériel de [ Hagège1985 ]), mais on admet généralement qu'à côté des cas où l'intoxication éthylique est entièrement responsable de la cardiopathie, il en est d'autres où elle n'a qu'un rôle révélateur ou aggravant vis-à-vis de l'insuffisance cardiaque, qui reste celle d'une CMD primitive. Il faut bien reconnaître que cette distinction, importante en théorie, est bien difficile à retenir en pratique et pose la question de toutes ces associations : présence fortuite, rôle causal essentiel, simple adjuvant ?

Il semble en tout cas, selon l'opinion générale, que, si la vraie CMD garde bien le mystère de sa ou de ses causes, diverses affections parfois combinées pourraient participer en tant que facteurs adjuvants ou favorisants à la genèse d'une authentique CMD.

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La cause (ou les causes) de la CMD étant inconnue(s), aucun traitement spécifique ne peut lui être opposé. Aussi, les possibilités thérapeutiques sont-elles très limitées. Depuis quelques années cependant, des méthodes nouvelles, le traitement vasodilatateur et surtout la transplantation cardiaque, ont permis d'obtenir dans certains cas une sensible prolongation de la survie.

L'activité physique doit naturellement être réduite à l'essentiel. Le repos au lit presque absolu et prolongé pendant des mois proposé par [ Burch(1973) ] a été abandonné pour une restriction physique moins draconienne.


Salidiurétiques
Part essentielle du traitement, ils sont généralement prescrits sous forme de furosémide, dont les doses varieront beaucoup selon que l'on veut simplement maintenir un équilibre hémodynamique déjà à peu près rétabli (40 mg ou 20 mg/jour chaque jour ou plusieurs fois par semaine), ou attaquer une grande rétention hydrosaline, ou encore effectuer une cure de " diurèse forcée " (plusieurs comprimés à 40 mg/jour pendant quelques jours). L'équilibre hydro-électrolytique (notamment kaliémie et natrémie), l'état d'hydratation ainsi que la fonction rénale doivent être strictement surveillés : car, surtout à doses fortes ou prolongées, les diurétiques peuvent entraîner une perte d'électrolytes ou une trop forte déplétion (avec diminution excessive des pressions de remplissage).
En raison d'un fréquent hyperaldostéronisme secondaire, il est bon d'associer aux salidiurétiques un anti-aldostérone, sous forme de spironolactone à la dose journalière de un comprimé à 0,10 g ou davantage, par périodes de plusieurs jours.

Médicaments digitaliques
Qu'il s'agisse de la digitaline (à élimination hépatique) ou de la digoxine (à élimination rénale), leur intérêt est indiscutable en présence d'une arythmie complète par fibrillation auriculaire avec fréquence cardiaque trop élevée, à condition de s'assurer de l'absence d'extrasystoles ventriculaires et d'adapter les doses à la fréquence cardiaque, voire au taux plasmatique médicamenteux obtenu par dosage. Par contre, en cas de tachycardie sinusale, l'action des digitaliques est beaucoup moins évidente ; le seuil de toxicité est rapidement atteint, surtout en cas de très mauvaise fonction ventriculaire ; des troubles d'excitablitié ventriculaire apparaissent, parfois favorisés par l'hypokaliémie commandant l'interruption immédiate de la médication. Aussi, est-il de bonne règle de ne jamais faire une prescription prolongée de médicaments digitaliques sans surveillance régulière.

Médicaments inotropes positifs non digitaliques
Utilisés en perfusion veineuse essentiellement dans les poussées aiguës d'insuffisance cardiaque, ils comprennent la dobutamine à la dose de 2,5 à 15 g/kg/min.) et les drogues non sympathomimétiques comme la milrinone, qui a l'avantage de s'utiliser ainsi per os en traitement prolongé (20 à 50 mg par jour en 4 à 6 prises).
A l'opposé extrême des drogues inotropes positives, les médicaments bêtabloqueurs, type même des drogues inotropes négatives, ont été préconisées par les auteurs suédois Waagstein et coll. en 1975 ; ces auteurs faisant valoir que leur effet bradycardisant pouvait l'emporter sur leur effet dépresseur myocardique et que ce dernier était compensé par une amélioration du remplissage diastolique. On pourrait donc les utiliser surtout chez les malades tachycardes. La drogue employée est le métoprolol à doses croissantes de 100 mg au début jusqu'à 200 mg/jour.

Traitement vasodilatateur
Il constitue un appoint essentiel dans le traitement symptomatique de l'insuffisance cardiaque en général (Cohn, 1974 ; [ Chatterjee1976 ] ; Awan, 1977) et de celle de la CMD en particulier. En diminuant la pré- et/ou la post-charge, les médicaments vasodilatateurs soulagent la fibre myocardique et réduisent la consommation d'oxygène. Les uns agissent surtout sur le secteur veineux (molsidomine) et diminuent la précharge, le volume et la pression nitrés télédiastolique ventriculaires gauches et le travail du coeur ; les autres surtout sur le secteur artériolaire (hydralazine et dihydralazine, bloqueurs des canaux calciques lents) et augmentent le débit cardiaque ; d'autres enfin ont une action équilibrée sur les deux secteurs (prazosine, inhibiteurs de l'enzyme de conversion de l'angiotensine). Leur efficacité est maximale lorsque la pression télédiastolique ventriculaire gauche est d'au moins 12 à 15 mmHg (ils risquent au contraire de " désamorcer la pompe cardiaque " quand cette pression est inférieure à 10 mmHg) ; et ils se montrent plus actifs quant la dilatation ventriculaire gauche est suffisamment importante (dimensions télédiastoliques à l'échocardiogramme supérieures à 60 mm).

- L'isosorbide dinitrate (comprimés à 10, 20, 40 mg ; ampoules de 10 mg) employé à la dose de 10 à 40 mg par prise, 4 à 5 fois par jour. Ce médicament nécessite au début du traitement la surveillance de la pression artérielle en position couchée et debout pour dépister une hypotension orthostatique (surtout chez le sujet âgé).
- La trinitroglycérine sous forme de gélules de 2,5, 7,5, 10 mg et d'ampoules de 2 ml à 3 mg de trinitrine et de 10 ml à 15 mg de trinitrine ; les ampoules, diluées dans du sérum physiologique, sont utilisées dans les poussées aiguës, en perfusion veineuse à la dose de 20 à 50/min, en surveillant la pression artérielle et la pression capillaire pulmonaire, laquelle ne doit pas s'abaisser au-dessous de 14 mm de mercure.
- La dihydralazine (comprimés de 25 mg) administrée à des doses allant de 200 à 400 mg par jour suivant le résultat du test de l'isoniazide [ (Morand1982) ].
- La nifédipine (capsules de 10 et de 20 mg) et la nicardipine (comprimés de 20 mg), les seuls antagonistes du Ca++ utilisés dans la CMD en raison de leur faible inotropisme négatif et de leur propriété vasodilatatrice marquée. La posologie journalière habituelle est de 2 à 4 comprimés par jour. Les effets secondaires sont la tachycardie et surtout l'oedème des jambes et l'hypotension.
- La molsidomine (comprimés à 2 mg ; 2 à 4 comprimés par jour).
- Les inhibiteurs de l'enzyme de conversion de l'angiotensine, qui sont capables d'augmenter le débit cardiaque sans augmenter la fréquence cardiaque, au contraire, et d'abaisser la pression de remplissage. Ils ont l'avantage sur les autres vasodilatateurs d'empêcher la rétention hydrique en s'opposant à l'aldostéronisme secondaire, d'améliorer ou de maintenir la perfusion tissulaire, en particulier rein et coeur, malgré la chute de la pression artérielle.

Le captopril (comprimés à 25 et 50 mg) s'administre à doses progressives en débutant à un demi-comprimé à 25 mg et en augmentant progressivement jusqu'à 150 mg/j ; la pression artérielle doit être contrôlée en positions couchée et debout quelques heures après la première prise, puis de façon régulière au cours du traitement. La maxima ne doit pas s'abaisser au-dessous de 90 mm de mercure ; les fonctions rénales, les constantes hématologiques et la kaliémie (risques d'hyperkaliémie) doivent être surveillées. Si l'on associe un diurétique, il est recommandé d'utiliser le furosémide (avec ou sans potassium) plutôt que les diurétiques ou hypotenseurs dits épargneurs de potassium.
L'énalapril (comprimés à 5 et 20 mg, 5 à 40 mg/j) obéit au même schéma thérapeutique et nécessite la même surveillance que le captopril.
· La prazosine (comprimés de 1 à 5 mg) est aussi un vasodilatateur mixte artériel et veineux, dont la dose initiale de 0,5 mg peut être augmentée tous les 2 ou 3 jours jusqu'à une dose d'entretien située entre 3 et 10 mg/j. Elle a l'inconvénient assez fréquent de perdre progressivement son efficacité initiale.
Les drogues vasodilatatrices peuvent être associées entre elles : captopril et isosorbide, isosorbide et dihydralazine.
Il est nécessaire de rappeler que le traitement vasodilatateur ne dispense pas du traitement digitalo-diurétique et que la plupart de ces drogues, sauf semble-t-il les inhibiteurs de l'enzyme de conversion de l'angiotensine, constituent seulement un traitement d'appoint.
L'association digitalo-diurétiques - vasodilatateurs nécessite une surveillance régulière de la pression artérielle, de l'état d'hydratation, de la kaliémie, de la fonction rénale, de l'ionogramme sanguin, et même, dans les cas aigus, un monitorage des constantes hémodynamiques.
On admet que la thérapeutique vasodilatatrice représente une acquisition importante dans le traitement de la CMD. Cependant, si l'on obtient habituellement à court terme une amélioration, les résultats à long terme se maintiennent difficilement, sauf, semble-t-il pour l'inhibiteur de l'enzyme de conversion de l'angiotensine déjà employé dans de larges séries [ (Consensus1987) ] faisant apparaître une sensible réduction de la mortalité et une prolongation de la survie (tableau I).

La dernière en date à répartition randomisée [ (Consensus1987) ], confirme largement cette impression : pour 127 malades traités par l'énalapril pendant un an, la mortalité observée est de 39 %, contre 54 % pour 126 malades recevant un traitement ne comportant pas d'énalapril.

Autres médicaments

- Antivitamines K : le traitement anticoagulant par les antivitamines K s'impose de façon absolue (sauf contre-indication impérative) en cas de fibrillation auriculaire. Il est aussi parfaitement justifié lorsque le rythme est sinusal car les embolies sont alors encore très fréquentes.
- Médicaments antiarythmiques : les troubles du rythme ventriculaire, en particulier les extrasystoles ventriculaires, surtout celles de pronostic grave comportant une menace de tachycardie ou de fibrillation ventriculaire, doivent être traités activement mais il faut se rappeler que beaucoup d'antiarythmiques ont un effet inotrope négatif, que certains dépriment la conduction intracardiaque à ses différents étages ou possèdent une action arythmogène, et que la quinidine peut induire une augmentation du taux sérique de la digitaline.

Tous les antiarythmiques doivent être utilisés avec précaution et la mise en route du traitement doit nécessiter une surveillance par monitorage ou par enregistrements Holter répétés. Dans la pratique, il faut faire appel aux antiarythmiques les plus efficaces et les mieux éprouvés : dérivés de la quinidine, amiodarone, mexilétine, procaïnamide. Certains auteurs sélectionnent la drogue adéquate, grâce à une étude électrophysiologique utilisant une stimulation programmée.

La transplantation cardiaque, inaugurée en 1967 par Barnard au Cap, auparavant codifiée par Shumway, considérée jusqu'à ces dernières années comme le dernier recours thérapeutique, a, depuis les premiers cas, bénéficié de lents progrès techniques qui ont peu à peu amélioré notablement ses résultats. C'est surtout à partir de 1981 que le pronostic de la transplantation cardiaque s'est nettement éclairci grâce à l'introduction de la ciclosporine A, drogue immunodépressive qui, sans supprimer les crises de rejet, en a réduit considérablement la gravité.
Les indications de la transplantation doivent être rigoureuses et respecter les interdits représentés par une infection, un diabète, une embolie pulmonaire récente, un ulcère digestif, l'alcoolisme compliqué d'atteinte viscérale, relativement fréquent au cours des CMD, un âge supérieur à 55 ans ; les résistances pulmonaires doivent être peu élevées (inférieures à 4 UI ou 400 dynes/s/cm-5). Le candidat à la transplantation doit faire preuve d'un solide équilibre psychologique. Certaines conditions d'histocompatibilité entre receveur et donneur doivent être remplies (au moins identité de groupe sanguin A, B, O, Rhésus et réaction cross-match négative du sérum du receveur contre les lymphocytes du donneur), cela de façon peut-être plus rigoureuse dans la CMD que dans les cardiopathies ischémiques. Il faut enfin en principe que, malgré un traitement médical maximal, la cardiopathie soit si mal tolérée qu'elle impose une activité pratiquement nulle (stade IV de la NYHA) ; toutefois, en raison de l'amélioration importante des résultats obtenus ces dernières années à moyen et long termes, la tendance est d'élargir les indications aux sujets classés en stade III de la NYHA avant que les résistances artérielles pulmonaires ne soient fixées.
La CMD représente avec les cardiopathies ischémiques en insuffisance cardiaque globale irréductible l'indication majeure de la transplantation cardiaque (TC) : 43 % des transplantations dans la série de Shumway, 72 % des cas dans celle de Cabrol.
Les résultats de la TC de plus en plus prometteurs au fil des ans se révèlent actuellement très encourageants surtout depuis trois ans, ainsi que le montre le bilan dressé au Ve Congrès de la Section internationale de la transplantation cardiaque (Anaheim, USA, mars 1985) ; sur un total de 1 326 TC recensées , la survie est de 76 % à 1 an, de 41 % à 6 ans pour les sujets opérés après 1979, le taux de survie à 6 ans est supérieur à 50 % ; dans la série de Cabrol, ce taux a été porté pour les derniers opérés jusqu'à 90 % à 1 an et 85 % à 3 ans.

Il faut noter que dans l'ensemble la survie du groupe des CMD semble meilleure que celle des cardiopathies ischémiques (44 % contre 34 % à 6 ans).
La remarquable amélioration enregistrée ces dernières années est essentiellement due à une sélection rigoureuse des receveurs et des donneurs, à la protection hypothermique plus efficace du greffon, au meilleur dépistage des crises de rejet et surtout à l'introduction de la ciclosporine A en 1981, en dépit d'une certaine toxicité rénale et hépatique.
Ainsi, en attendant qu'un traitement spécifique de la CMD soit proposé, on peut espérer que, grâce aux progrès que ces prochaines années ne manqueront pas d'apporter à toute la procédure de la TC, cette affection perdra l'effroyable pronostic qu'elle avait encore récemment et pourra être considérée comme une cardiopathie aussi accessible au traitement que les cardiopathies ischémiques et valvulaires.
En 1985, Carpentier a proposé une alternative intéressante à la TC, la myocardioplastie, consistant à envelopper le coeur du muscle grand dorsal qui supplée ou aide le myocarde défaillant.


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