Introduction
Il est aujourd’hui possible de
mesurer tout ou presque tout sur la
peau. Ces méthodes, qui
appartiennent au domaine de l’ingénierie,
ont connu un essor ces 30
dernières années. Elles font appel à des
dispositifs qui utilisent des
principes de physique ou de
physicochimie, au sens large
du terme (mécanique, optique...).
Le vaste domaine de la
bio-ingénierie cutanée regroupe en effet des
secteurs aussi différents que
la tribologie, la physicochimie,
l’électronique, la mécanique
et l’optique. Toutes ces méthodes ont
été et sont appliquées à la
peau pour en mieux connaître la fonction,
mais aussi la structure
(surface, épiderme, derme, vaisseaux
dermiques...), avec toutes les
variations physiologiques (liées au
sexe, à l’âge, à l’origine
ethnique, à la région corporelle, au rôle de
l’environnement et des
saisons...).
L’essor de l’industrie
cosmétique a largement contribué au
développement de ces secteurs.
Il fallait en effet mieux caractériser
la peau dans toutes ses
composantes.
Définition de la
bio-ingénierie cutanée
La bio-ingénierie cutanée peut
aussi se définir d’autres façons : on
peut partir de l’aspect pour
arriver à l’instrumentation ; par
exemple, de la peau sèche à la
mesure de la teneur épidermique en
eau, de la peau grasse à l’évaluation
du taux de l’excrétion sébacée,
de la rigidité ou de l’extensibilité
à l’appréciation du module de
Young, de la douceur à la
caractérisation du coefficient de friction
de la peau... Certains états
comme le vieillissement cumulent des
anomalies structurales
(mécaniques par exemple), de surface
(anisotropie du relief), de
perméabilité, de couleur, de sécheresse...
et nécessitent la mise en
oeuvre de techniques différentes.
On peut aussi partir des
sciences fondamentales, par exemple de
l’optique, pour caractériser
la couleur, de la mécanique pour mesurer
la souplesse, des propriétés
électriques pour quantifier la teneur en
eau, de la tribologie pour
caractériser le relief...
Bio-ingénierie et
standardisation
La standardisation des
méthodes est un des objectifs majeurs des
scientifiques travaillant dans
ce domaine. Elle est nécessaire, tant la
créativité des ingénieurs est
grande, pour mettre au point de
nouvelles techniques de
mesures. Des consensus se mettent en place
et ont déjà permis l’élaboration
de guidelines
dans
différents champs
d’investigation, comme par
exemple la mesure de la perte en eau
transcutanée, la mesure du
débit sanguin cutané...
Bio-ingénierie : une
science
non invasive
Le caractère non invasif des
techniques est essentiel à leur utilisation
dans le domaine
cosmétologique. Ce qui ne signifie pas que la
connaissance de la peau dans
ses aspects physiologiques ou
pathologiques ne doive pas
passer par la réalisation de gestes
invasifs comme les biopsies.
Mais, peu à peu, émergent des
technologies nouvelles qui «
voient » à travers la peau, comme la
microscopie confocale [1] ou la résonance magnétique
nucléaire [5], ou
plus simplement l’échographie
cutanée.
Bio-ingénierie cutanée
:
apport en médecine
Si la cosmétologie reste le
support du développement des techniques
de bio-ingénierie, il faut
voir tout l’intérêt que la dermatologie peut
y trouver. De quels moyens non
invasifs autres que ceux issus de la
bio-ingénierie dispose-t-on
aujourd’hui pour mesurer la rigidité
cutanée d’une plaque de
sclérodermie, l’épaisseur d’une plaque de
psoriasis, pour quantifier le
réseau capillaire d’un angiome plan ?
On peut aujourd’hui également
mesurer le volume d’un mélanome,
avec fiabilité, au moyen de l’échographie
cutanée.
N’attendons cependant pas de
la bio-ingénierie qu’elle apporte
réponse à toutes les questions
dans le domaine médical. L’histologie
n’est pas encore supplantée et
sa place reste entière pour confirmer
un diagnostic ou établir des
critères pronostiques.
Le professeur Kligman,
pionnier dans le domaine des
biotechnologies à usage
dermatologique, avait prédit, il y a plus de
30 ans, que le fait d’être
aveugle ne serait pas un handicap pour un
futur dermatologue [2], tant il croyait aux capacités
de la bioingénierie
pour voir mieux encore que ne
peut voir l’humain.
Kligman cite aussi un certain
nombre de maladies où des
modifications intracutanées
peuvent déjà être observées avant même
que la maladie ne soit visible
à l’oeil. C’est ce qu’il appela les
dermatoses invisibles [3].
Le génie, la créativité, l’audace
des scientifiques les poussent à créer
de nouveaux appareils dont l’intérêt
clinique n’est pas toujours
évident. En effet, à quoi bon
disposer de trois appareils de mesure
de l’hydratation cutanée si
aucun d’entre eux ne fournit de données
comparatives ou si les valeurs
ne sont pas corrélées à l’appréciation
clinique ?
Lévêque, qui, tout comme
Pierre Agache a apporté beaucoup à la
bio-ingénierie cutanée, l’a
fort bien souligné [4]. Le « tout
instrumental » a ses limites
et c’est au clinicien, médecin ou
cosmétologue, de les préciser.
Bio-ingénierie : place
au sein
de la recherche
dermatologique
La bio-ingénierie cutanée n’a
jamais eu véritablement sa place dans
les congrès de recherche
dermatologique et on peut le regretter. Elle
s’est, un temps, rapprochée de
la pharmacologie cutanée, mais a dû
surtout faire preuve de son
intérêt, de son caractère innovant, de sa
rigueur méthodologique et de
sa teneur scientifique au sein de
sociétés propres. C’est ainsi
que fut créée, il y a une vingtaine
d’années, l’International
Society for Bio-Engineering and the Skin.
C’est une des rares sociétés
savantes dans ce domaine à accueillir en
son sein les équipes de
recherche universitaires et celles de
l’industrie.
Plus récemment, en 1999, a été
créée en France la Société
francophone d’ingénierie
cutanée, lieu d’expression des travaux des
pays francophones.
Bio-ingénierie :
collaboration
entre scientifiques et
cliniciens
Une des particularités de la bio-ingénierie
cutanée est liée à l’étroite
collaboration nécessaire entre
les cliniciens et les scientifiques. Il faut
en effet que, si sophistiquées
soient-elles, les mesures fournies par
les différents dispositifs mis
au point soient pertinentes, c’est-à-dire
qu’elles reflètent un état
clinique sain ou pathologique bien
caractérisé.
Conclusion
Dans la pratique, le
clinicien doit connaître un certain nombre de
techniques utilisées en
routine et qui servent de base à l’évaluation de
traitements cosmétiques et/ou
antivieillissement. Ces principales
méthodes portent sur l’analyse
de la surface cutanée, et notamment de
son relief dans toutes ses
composantes (tableau I), mais aussi sur la
caractérisation de la
structure cutanée (tableau II), de la sécheresse ou
du taux d’excrétion du sébum,
tout comme des propriétés mécaniques
de la peau (tableau III).
Références
[1] Corcuff P, Lévêque JL. In vivo
vision of thehumanskin with the tandem scanning microscope.
Dermatology 1993 ; 186 : 50-4
[2] Kligman AM. Blind man
dermatology. J Soc Cosmet Chem 1966 ; 17 : 505
[3] Kligman AM. The invisible
dermatoses. Arch Dermatol 1991 ; 127 : 1375-1382
[4] Lévêque JL. Cutaneous
investigations in health and diseases.NewYork : Marcel Dekker, 1989
[5] Richard S, Querleux B, Bittoun
J, Jolivet O, Idy-Peretti I, De Lacharrière O. Characterization of
the skin in vivo by high resolution
magnetic resonance imaging: water behavior and agerelated
effects. J Invest Dermatol 1993 ; 100 : 705-709
Tableau I. – Caractérisation
du relief cutané.
- Microscopie électronique à balayage
- Profilométrie mécanique
- Profilométrie optique
- Méthode des ombrages
Tableau II. – Mesure de
la structure cutanée.
- Ultrasons à haute résolution
- Résonance magnétique nucléaire
- Évaporimètre/Tewamètrey
Tableau III. – Mesure des
propriétés mécaniques de la peau.
- Twistomètrey
- Cutomètrey
- Dermaflexy
- Lévarométrie
- Indentométrie
- Électrodynamométrie
- Ballistométrie