Introduction
La cosmétologie renvoie
étymologiquement à l’art de parer, mais
aussi à celui d’ordonner. Le
terme « cosmétologie » dérive en effet
du terme grec « cosmos », dans lequel se fondent,
dans un même
mot, deux acceptions : l’ornement
et l’ordre.
Le principal objectif de la
cosmétologie est donc de rendre plus belle
la peau. Or la peau, organe
visible privilégié de la vie de relation,
est une véritable interface
entre l’individu et les autres, l’individu et
la société. En outre, elle
participe à la constitution de l’image que le
sujet a de lui-même, et de
celle qu’il désire offrir aux autres et donc,
dans une grande mesure, de la
beauté du sujet tout entier. Ainsi, on
peut dire avec M Serres, que
la peau est « aux avant-postes du
sujet » [11]. Elle est, en effet, entre
autres éléments constitutifs du sujet,
la représentante du sujet tel
qu’il désire se vivre lui-même et qu’il
désire être vu et vécu par les
autres. Dans ces conditions, on
comprend mieux pourquoi tout
sujet souhaite tant que sa peau soit
en harmonie (on pourrait dire
« en ordre ») avec l’image qu’il a de
lui-même et avec celle qu’il
offre aux autres. Quoi de plus naturel,
donc, et de meilleur aloi, que
de désirer l’embellir et qu’elle
devienne la plus belle des
messagères du sujet.
La cosmétologie fait ainsi
entrer les dermatologues dans un domaine
complexe où s’exercent des
phénomènes socioculturels et
psychologiques nombreux et
variés, et où règne l’imaginaire. Cela
paraît évident quand un sujet
fait appel à la cosmétologie à propos
du retentissement
psychologique d’une affection cutanée ou lors
d’un des moments cruciaux de
la vie (l’adolescence ou la vieillesse).
La relation médecin-malade qui
s’instaure alors est souvent délicate
à nouer et à tisser. Il arrive
même que, dans ce domaine, un sujet
demande l’impossible au
dermatologue, c’est-à-dire d’habiter une
peau et un corps parfaits et
inaltérables, ou bien non concordants
avec sa réalité biologique.
Nous allons développer les
principaux aspects que nous venons
d’évoquer en étudiant
successivement :
– la peau : organe visible privilégié de
la vie de la relation ;
– l’image de soi : sa constitution ;
– la beauté : quelques réflexions ;
– la relation médecin-malade : ses particularités en
cosmétologie ;
– quelques situations cliniques
: les
affections cutanées, l’adolescence,
le vieillissement.
La peau : organe
visible privilégié
de la vie de relation
La peau dérive comme le
cerveau de l’ectoderme, la plus externe
des couches cellulaires de l’embryon.
La peau est un organe
sensoriel extrêmement
diversifié comme le montre la complexité de
son anatomie. La peau est
aussi une enveloppe protectrice contre les
agressions du milieu, un
régulateur thermique et métabolique. Ces
éléments contribuent à faire
de la peau un organe privilégié de la
vie de relation. Elle n’est
donc pas un organe comme un autre, que
l’on répare quand il est
malade, et dont on attend un fonctionnement
silencieux et même, le plus
souvent, invisible. La peau exprime,
dévoile ou même trahit
émotions et sentiments qui peuvent, par
exemple, se traduire par une
pâleur extrême ou un rougissement
intempestif, ou une sudation
excessive. La peau participe à la vie
sociale et affective, y
compris à la séduction et à la vie amoureuse.
Elle est destinée à être
regardée, respirée, touchée, caressée. Elle est
liée au plaisir.
Tout au long de la vie de
chaque individu, la peau est donc une
véritable interface entre cet
individu et les autres. Sur la peau
s’inscrivent, visibles aussi
par les autres, les cicatrices indélébiles des
blessures, les marques du
temps qui passe et les transformations
corporelles qui en découlent,
mais aussi les signes de l’identité du
sujet, en particulier de son
identité sexuelle par l’intermédiaire, par
exemple, des poils et des
cheveux, et des habitudes esthétiques qui
s’y rapportent en fonction des
cultures et des modes. En effet, la
peau de chaque individu est
modelée par le regard des autres par
l’intermédiaire des codes de
la mode de la classe sociale et de la
société dans lesquelles vit
cet individu. Ainsi, de tout temps et dans
toutes les cultures, selon les
coutumes et les modes en vigueur, la
peau a été parfumée,
maquillée, ornée, épilée, blanchie, ou au
contraire bronzée. En effet,
les manifestations, au niveau de la peau
et des phanères, des exigences
et des désirs plus ou moins subtils
des autres sont innombrables :
depuis la coupe de cheveux imposée
par les parents, au bronzage
qui, dans nos pays occidentaux, est
imposé par la mode et le signe
de la réussite sociale. Mais il est
intéressant de noter qu’au
Japon, par exemple, jusqu’à très
récemment, les femmes dans un
souci esthétique ont blanchi leur
visage et noirci leurs dents
en y appliquant un vernis noir, luisant et
malodorant.
Enfin, nous allons voir un peu
plus loin combien c’est dès le tout
début de la vie du petit
homme, et ce quelle que soit la culture dans
laquelle il vit, que la peau,
par l’intermédiaire en particulier des
échanges tactiles avec le
personnage maternel, joue un rôle
fondamental dans la constitution
de l’image de soi.
L’image de soi : sa
constitution
CORPS MULTIPLE
L’image de soi qu’un individu
a de lui-même et celle qu’il désire
offrir au regard des autres se
construisent sur le corps, et en
particulier sur deux parties
de celui-ci, le visage et le sexe. Mais le
corps est multiple. Il existe
un corps réel et un corps imaginaire.
¦ Corps réel
Anatomique, sexuellement
identifiable, il est lui-même subdivisé en
corps propre et en corps
libidinal.
Le corps propre, objectif, est le corps
confié aux médecins, aux
chirurgiens pour être soigné,
réparé, modifié.
Le corps libidinal est un lieu d’échanges avec
autrui, une source de
plaisir pour soi et les autres
: c’est un aspect du corps fondamental
pour l’équilibre
somatopsychique de tout individu. Les praticiens
commencent à reconnaître l’existence
de ce corps libidinal (être en
bonne santé ne correspond plus
seulement au fonctionnement
silencieux des organes) et à
le prendre en considération de façon
plus au moins implicite. En
dermatologie, l’attention apportée
relativement récemment à la
cosmétologie, à la dermatologie
esthétique et à la qualité de
vie des malades, nous indique
l’importance grandissante
accordée à la dimension hédonique de la
peau et donc du corps
libidinal par les dermatologues eux-mêmes.
¦ Corps imaginaire
C’est une image, une
représentation mentale plus ou moins
inconsciente, que le sujet a
de son corps. Ce corps imaginaire
organise l’image que le sujet
a de lui-même, son identité psychique,
sa personnalité, bref le Moi
qui le représente. Freud a dit : « Le Moi
est avant tout une entité
corporelle. » [5]
Dans ces conditions, on peut
aisément comprendre que l’identité
psychique d’un individu puisse
plus ou moins s’écarter de son
identité biologique et sociale
telle qu’elle est inscrite sur sa carte
d’identité et telle qu’elle
est perçue par le regard des autres. Cet
écart entre corps réel et
corps imaginaire, image qui est donnée à
voir par les autres et image
que l’on a de soi, identité biologique et
sociale et identité psychique,
est évident en pathologie. La femme
qui refuse de vieillir, le
jeune dysmorphophobique, le transsexuel,
l’anorexique, désirent faire
céder leur corps réel aux exigences de
leur corps imaginaire. La
réalité de l’apparence physique telle qu’elle
est vue par les autres est
ignorée, au profit d’une construction
imaginaire qu’un médecin seul,
par exemple un dermatologue, ne
peut pas changer.
PHÉNOMÈNES SOCIOCULTURELS
L’image de soi commence à se
construire très tôt dans la vie de
l’individu, avant même sa
naissance, dans l’imaginaire, entre autres,
de ses propres parents.
À peine né, un bébé est très
vite rattaché à un réseau sociofamilial
très dense par de nombreux
liens qui le dépassent et en même temps
le façonnent. Ces liens sont
réels (génétiques par exemple) ou
imaginaires, s’appuyant sur l’image
que les autres, les parents en
particulier, désirent avoir de
cet enfant futur adulte (par exemple, le
jeu subtil et souvent pervers
de l’attribution des ressemblances).
Puis, comme nous l’avons
indiqué plus haut, tout au long de la vie
de tout individu son corps
réel, et en particulier sa peau, sont de
véritables interfaces entre
cet individu et les autres. Ils sont modelés
par le regard des autres par l’intermédiaire,
par exemple, des codes
de la mode de sa classe
sociale et de la société dans laquelle il vit [10].
ÉCHANGES AVEC LE PERSONNAGE
MATERNEL
Ceux-ci sont médiatisés non
seulement par le regard mais aussi par
la parole, les odeurs et le
toucher. Les études psychanalytiques,
comme les études éthologiques,
ont en effet montré l’importance de
la relation mère-enfant
médiatisée par la peau pour l’intériorisation,
par chaque individu, d’une
image de son corps cohérente, c’est-àdire
d’un modèle interne le
représentant non fragmenté, pourvu de
limites assurant bien leur
rôle de frontières entre le monde interne
et le monde extérieur. Cette
image du corps est accompagnée d’un
sentiment de sécurité interne
physique et psychique et d’un
sentiment d’estime de soi. Ce
sont ces différents éléments qui
fondent le narcissisme de
chaque individu.
Didier Anzieu, psychanalyste
français, a beaucoup travaillé sur la
peau en tant qu’enveloppe de
protection contre les agressions,
frontière entre le dedans et
le dehors, zone privilégiée d’échanges
avec autrui. Cet auteur
insiste aussi sur la peau en tant qu’organe
participant au développement
affectif, cognitif et social du petit
homme. Il soutient l’hypothèse
d’un « Moi-peau », rappelant ainsi
que le bébé acquiert la
perception de sa peau comme surface à
l’occasion des expériences de
contact de son corps avec le corps de
sa mère et dans le cadre d’une
relation sécurisante d’attachement
avec elle. Par « Moi-peau »,
cet auteur désigne une figuration dont
l’enfant se servirait au cours
des phases précoces de son
développement pour se
représenter lui-même comme Moi à partir
de son expérience de la
surface du corps.
Ce « Moi-peau » s’étayerait,
principalement, sur trois fonctions de la
peau :
– celle de sac, de contenant rempli des
expériences satisfaisantes que
l’allaitement, les soins, les
bains de paroles y ont accumulées ;
– celle de zone d’échanges et de
communication avec autrui,
d’établissement de relations
signifiantes, de surface d’inscription de
traces laissées par ces
dernières ;
– celle de surface entre le dedans et le
dehors, protégeant l’individu
des agressions externes
provenant des autres ou des choses [1].
Winnicott, pédiatre et
psychanalyste anglais, a beaucoup insisté sur
l’importance des expériences
de portage et d’agrippement dans la
maturation affective de l’enfant.
Il a aussi montré l’importance du
rôle de miroir joué par la
mère dans le développement de l’enfant.
Cet auteur avance l’idée que
le précurseur du miroir, dans le
développement émotionnel de l’individu,
c’est le visage de la mère.
C’est ainsi qu’il écrit : «
Quand le bébé tourne son regard vers le
visage de sa mère, ce qu’il
voit c’est lui-même. En d’autres termes,
la mère regarde le bébé et ce
que son visage exprime est en relation
directe avec ce qu’elle voit.
C’est donc sur le visage de sa mère, et
dans le regard de celle-ci
posé sur lui-même, que l’enfant découvre
qui il est, le bon qu’il
renferme en lui, ce qu’il donne à l’autre, et
comment il peut ainsi le
toucher et le transformer. L’enfant se
réfléchit sur le visage et
dans le regard de sa mère, et par là même
les modifie. » [12] Ainsi, se penser être, depuis
le tout début de sa vie,
l’objet du regard de sa mère,
permet au sujet d’acquérir le sentiment
harmonieux de son unité et de
sa beauté, et de construire par là
même son narcissisme. Ces
acquis sont indispensables à certains
moments cruciaux de la vie,
quand l’image de soi subit de profonds
remaniements : l’adolescence,
la vieillesse et lors de la survenue
d’une dermatose.
En outre, on sait combien,
fantasmatiquement, la beauté est un reflet
de la bonté : ce qui est beau
est bon, d’où l’expression « belle à
croquer » ; ce qui est laid
est mauvais. Ainsi, la beauté, le sentiment
d’être beau, serait le gage
que la haine n’est pas déchaînée et n’est
pas prête à s’exercer aussi
bien sur les objets extérieurs que sur les
objets internes, et qu’elle
est donc liée.
IDENTIFICATIONS
Ce sont des processus
psychiques individuels complexes par
lesquels un sujet assimile un
aspect, une propriété, un attribut de
l’autre, et par là même, se
transforme lui-même. La théorie
psychanalytique de l’identification
suggère que nous sommes ceci
ou cela, que nous assimilons
en nous les qualités, les caractéristiques
morales et physiques d’un tel
ou de tel autre, faute de pouvoir
atteindre, conquérir,
posséder, tel ou tel objet qui nous échappe et
que pourtant nous investissons
comme objets dont nous avons
besoin ou comme objets de
valeur. Ce modèle « ne pas pouvoir avoir
- renoncer à avoir - choisir d’être
comme plutôt que d’avoir » vaut,
par exemple, pour les
identifications élaborées, celles qui sont liées
à la résolution du complexe
dit oedipien.
Par exemple, pour le petit
garçon, être « comme papa » lui permet
d’espérer, en ayant ainsi
assimilé un certain nombre d’attributs
paternels, de parvenir lui
aussi à être aimé par sa mère, aimé non
pas simplement comme un petit
garçon pourrait l’être de sa maman
mais « comme papa », comme un
homme l’est d’une femme.
Cependant, ces identifications
peuvent être rejetées à certaines
époques de la vie, à l’occasion
de certains événements de vie. Par
exemple, à l’adolescence, un
jeune homme peut ne pas supporter
son alopécie
androgénogénétique naissante qui va lui rappeler la
calvitie de son père.
La beauté : quelques
réflexions
Une jolie peau participe à la
beauté. Nous l’avons déjà indiqué plus
haut, la beauté a une parenté
avec la bonté et avec le bien. Elle a
aussi une parenté avec la
vérité : comme cette dernière, dit-on, elle
s’impose avec évidence, elle
plaît à l’esprit et, parfois, touche le
coeur. Nous avons vu aussi
que, pour beaucoup, la beauté était gage
de réussite sociale et même de
bonheur. Si la beauté est liée à l’idée
de féminité et de séduction,
les hommes sont aussi concernés par la
beauté, même si les liens
entre beauté, virilité et séduction sont
encore plus complexes que ceux
noués entre beauté, féminité et
séduction. En effet, un homme
laid, vieux, marqué par différents
événements de sa vie, reste
viril et même séduisant : il lui suffit de
montrer son intelligence, sa
réussite socioprofessionnelle, son carnet
de chèques. À ce jeu, la femme
n’est pas encore à égalité : pour rester
féminine, elle doit encore
souvent masquer son intelligence, les
ravages de l’âge et les
marques trop visibles des coups reçus par la
vie. Cependant, les temps
commencent à changer : ce sont, de plus
en plus souvent, de jeunes et
beaux hommes imberbes qui vantent,
par exemple, des eaux de
toilette.
Mais la beauté a des facettes
plus ou moins troubles et cachées. Elle
est éphémère : sa quête est un
rêve qui peut devenir un cauchemar,
réduisant le sujet en
esclavage. Elle est souvent associée à la bêtise
(d’où les expressions : «
ravissante idiote » ou « sois belle et
tais-toi »), parfois à la
méchanceté. D’ailleurs, la beauté peut faire
peur : on parle de « beauté
fatale » ou de « beauté du diable ».
Au bout du compte, bien
souvent, la beauté est considérée comme
insaisissable et énigmatique.
Cependant, notre société
occidentale valorise particulièrement la
beauté. Or, son poids, comme
celui de la classe sociale dans laquelle
vit l’individu, n’est pas
négligeable dans la façon dont cet individu
considère la beauté. En effet,
dans notre société occidentale, nos
regards tombent sans cesse sur
des images de belles jeunes femmes
et de beaux jeunes hommes. Que
ces images soient ou non le
support de messages
publicitaires, elles vont toutes dans le même
sens : la réussite appartient
à ceux qui sont beaux et jeunes. La
dégradation physique, la
vieillesse, sont honteuses et cachées,
comme si elles dérangeaient l’ordre
social [3].
De nombreuses études ont
montré l’importance de l’apparence
physique dans les relations
avec autrui. Elle est constituée de
multiples signaux dont la
taille, le poids, la chevelure, la régularité
des traits du visage mais
aussi la voix, les odeurs, les éléments en
jeu dans la communication non
verbale. L’interlocuteur d’un sujet
dont l’apparence physique est
attractive a tendance à penser que
celui-ci remporte de nombreux
succès professionnels et affectifs, et
est plein de qualités. C’est
ainsi que des femmes dont on a changé
l’apparence physique grâce à
une prise en charge d’ordre
cosmétologique ont trouvé plus
facilement un emploi et se sont vus
proposer des salaires plus
élevés. Par ailleurs, des thérapies visant à
améliorer l’apparence physique
grâce à une prise en charge d’ordre
cosmétologique ont été souvent
instituées avec succès chez des
patientes psychiatriques,
hospitalisées ou non, souffrant d’états
dépressifs avec une grande
atteinte de l’estime de soi.
Relation
médecin-malade :
particularités en
cosmétologie
Comme dans toutes les autres
disciplines médicales, à leur premier
rendez-vous, les deux
partenaires de la relation arrivent chacun avec
leurs propres images ou
représentations, entre autres de la beauté,
de la jeunesse, de l’amour, de
la santé, de la maladie et du malade,
de la médecine et des
médecins, de la vie, de la vieillesse, de la
mort... Mais en cosmétologie,
ce contexte, de façon plus ou moins
manifeste, est
particulièrement à l’oeuvre, puisque l’imaginaire est
au centre de la relation
médecin-malade.
Un sujet dont la demande se
situe dans le domaine de la
cosmétologie risque donc
souvent d’interpeller le dermatologue
dans ses convictions et ses
croyances. Cette interpellation mobilise
alors chez le dermatologue,
plus ou moins consciemment, des affects
ou sentiments variés, parfois
violents : curiosité, admiration,
empathie, sollicitude, pitié,
attirance amoureuse et sexuelle, gêne,
dégoût, honte, peur, angoisse,
impuissance, incompréhension, rejet,
hostilité... Ces sentiments, s’ils
sont mal repérés par le dermatologue
en lui-même, peuvent entraver
la relation médecin-malade et donc
une prise en charge
thérapeutique cohérente. Ainsi, le dermatologue,
surtout mobilisé par son
propre vécu, par exemple du rôle de la
médecine et des médecins,
oublie d’être attentif au vécu du sujet en
souffrance qui lui fait face.
C’est dans ces conditions qu’il peut
négliger l’apport de la
cosmétologie dans l’amélioration de la qualité
de vie des sujets souffrant d’une
maladie cutanée et qu’il ne
comprend pas le bien-fondé de
certaines demandes, pensant par
exemple : « À son âge,
pourquoi se préoccupe-t-elle encore de ses
rides ? » ou bien « Pour un
homme, cette calvitie débutante n’est
pas grave... »
Le praticien doit donc être
autant à l’écoute de lui-même que des
motivations plus ou moins
conscientes d’un sujet qui fait une démarche
d’ordre cosmétologique.
En effet, dans un tel
contexte, une écoute attentive du praticien est
particulièrement importante.
Une telle écoute, guidée par des
questions dénuées d’a priori,
aide le patient à exprimer au mieux
ses motivations. Le praticien
peut alors parfois se mettre dans la
peau du patient, s’identifier
à lui et à sa souffrance et donc, dans
une certaine mesure, s’oublier
lui-même et oublier sa médecine. En
revanche, il est important en
d’autres occasions que le dermatologue
puisse se démarquer, exprimer
sa différence, émettre un autre point
de vue, plus strictement
médical, que celui de son malade. Ainsi, si
l’aspect d’un nævus fait
craindre un mélanome, malgré la réticence
d’un patient qui peut tenir à
ce « grain de beauté » pour de
multiples raisons, le
dermatologue doit, bien sûr, donner son avis
de médecin.
En outre, de toutes les
façons, il est important de repérer le contexte
biographique dans lequel est
survenue la demande d’ordre
cosmétologique ou esthétique.
Cette demande est ainsi mieux située
dans l’histoire du sujet et
son sens en est plus clair (une dépression,
par exemple, peut se révéler).
Malentendus, déconvenues, rancoeurs
seront ainsi évités : le
dermatologue qui accorde de l’importance à
la dimension cosmétologique de
la dermatologie n’est pas, en effet,
un personnage tout-puissant
capable de créer une beauté imaginaire
et de faire revenir les amours
envolés...
Le dermatologue doit cependant
ne pas oublier que quand une
femme ou un homme lui formule
une demande d’ordre
cosmétologique et/ou
esthétique, il le met en demeure, non
seulement de restaurer sa peau
organe, mais aussi et surtout de
rendre visible sa « vraie »
peau, c’est-à-dire sa peau telle qu’il désire
la vivre, capable de le rendre
beau, et donc capable de refléter sa
beauté et sa bonté intérieures
ou de masquer ses failles intimes les
plus enfouies, et sa peau
telle qu’il désire qu’elle soit vue et vécue
par les autres.
Quelques situations
cliniques
MALADIES CUTANÉES
Les maladies cutanées sont
très souvent des maladies affichantes et
chroniques. L’apport de la
cosmétologie, dans ces circonstances, est,
pour de multiples raisons,
indispensable.
¦ Maladie de peau :
maladie affichante
Si toute affection organique
réalise chez le sujet malade une blessure
narcissique plus ou moins
importante, la spécificité des affections
cutanées est de faire appel au
regard et d’altérer inévitablement
aussi bien l’image que le
sujet a de lui-même que l’image qu’il offre
à autrui. Selon les cas, une
telle image altérée va être source de
curiosité, de dégoût, de
répulsion ou encore de gêne ou de honte.
Dans l’inconscient collectif,
la maladie de peau reste encore en effet
synonyme de maladie
contagieuse, de maladie vénérienne, de
maladie honteuse. C’est
pourquoi, entre autres, le retentissement
socioprofessionnel et
psychologique des maladies cutanées est
imprévisible et non parallèle
à la gravité clinique constatée par le
dermatologue.
Le retentissement
socioprofessionnel des dermatoses est objectivé
par des études réalisées
surtout chez des malades souffrant d’un
psoriasis, d’une dermatite
atopique ou d’une acné. Chez ces
malades, par comparaison à la
population générale, on a montré un
taux d’absentéisme et un taux
de chômage plus élevés. Une enquête
chez 104 malades souffrant d’un
psoriasis révèle que 50 % d’entre
eux pensaient que leur
psoriasis avait inhibé leurs relations affectives
et sexuelles, et que 11 % ne
désiraient pas d’enfant à cause du risque
de transmission héréditaire de
la maladie [9]. La construction d’index
de qualité de vie utilisés
surtout au cours d’essais thérapeutiques
utilisent ces données [4]. D’un point de vue plus
spécifiquement
psychologique, des affects
anxieux et dépressifs avec des idées
suicidaires ainsi qu’une
grande atteinte de l’estime de soi, avec
sentiment de honte et
attitudes d’évitement des situations
anxiogènes (piscine, relation
affective et sexuelle...), sont
fréquemment rapportés chez les
sujets souffrant d’une dermatose.
Ces différents affects sont
principalement constatés en cas d’alopécie,
de psoriasis, de dermatite
atopique et d’acné. Une étude a évalué le
degré d’anxiété, d’irritabilité,
de dépression et d’atteinte de l’estime
de soi chez des sujets
souffrant d’un mélanome malin et chez des
sujets souffrant d’affections
cutanées diverses, dont une acné du
visage, comparé à un groupe
témoin sans atteinte cutanée. Ce sont
les sujets souffrant d’une
acné du visage qui ont présenté les plus
mauvais scores [2].
Il faut aussi savoir qu’un
état anxiodépressif secondaire à une
dermatose peut se révéler par
l’apparition d’un prurit intense, ou
bien par l’accentuation d’un
prurit jusque-là très modéré. On a ainsi
montré que l’intensité du
prurit était corrélée à l’intensité de la
dépression en cas de dermatite
atopique, d’urticaire et de psoriasis.
Il a été suggéré que la
dépression abaissait le seuil de perception
des sensations prurigineuses [8].
Des états délirants prenant
pour point de départ une acné du visage
ont aussi été décrits.
Il faut noter la possibilité
de la survenue d’un trouble de l’identité
sexuelle chez les femmes qui
souffrent d’une alopécie
androgénogénétique. Une femme
attaquée par les androgènes dans
son corps et dans son
apparence risque de ressasser les questions
suivantes : suis-je encore une
femme désirable ? Suis-je encore une
femme, moi dont la chevelure
ne peut plus rivaliser avec la
chevelure brune d’Ava Gardner
ou avec l’écran blond des cheveux
de Madeleine Sologne ? La
chevelure, en effet, symbolise depuis
toujours la beauté, la
féminité, la séduction. Mais elle symbolise
aussi la force, l’agressivité,
la virilité : on retrouve ces thèmes quand
les hommes expliquent combien
la perte de leurs cheveux les
renvoie à la perte de leur
virilité et de leur pouvoir de séduction.
L’intensité du retentissement
psychologique des dermatoses est
augmentée quand la dermatose
siège sur des parties visibles du
corps et en particulier sur le
visage. Le visage est en effet la
principale partie du corps
exposée au regard d’autrui. Il est le siège
le plus important de la
communication non verbale. C’est sur le
visage que se lisent la
plupart des émotions. C’est aussi surtout
autour du visage que se
construit le sentiment d’être beau ou au
contraire celui d’être laid.
L’intensité du retentissement
psychologique des dermatoses est
aussi augmentée par les
expériences objectives de rejet
socioprofessionnel et affectif
subies par les sujets souffrant d’une
dermatose. Ces expériences de
rejet socioprofessionnel peuvent être
associées à une augmentation
de la consommation d’alcool. Des
enquêtes réalisées auprès d’employeurs
ont révélé la réticence de
nombreux d’entre eux à
employer un sujet acnéique par crainte de
nuire à l’image de marque de
leur entreprise. En outre, dans une
étude américaine sur les représentations
sociales des affections
cutanées, il est apparu que
des cicatrices artificiellement créées sur
un visage inspiraient chez les
observateurs l’idée de malhonnêteté.
Il a été même dit qu’une acné
sévère et cicatricielle du visage
pouvait contribuer à la
survenue de conduites sociales déviantes, et
en particulier de conduites
criminelles, en raison du rejet dont
pouvaient être victimes les
acnéiques.
Malgré les progrès
cosmétologiques réalisés, certains traitements
locaux aggravent le
retentissement psychologique de la dermatose
pour laquelle ils ont été
prescrits. En effet, le caractère parfois
affichant ou indiscret des
topiques, par leur couleur, leur texture ou
leur odeur, le temps passé
chaque jour à se traiter, l’organisation des
vacances autour des cures
thermales, la dépendance à une personne
de l’entourage pour se faire
pommader, ne facilitent certainement
pas le vécu des dermatoses.
¦ Maladie de peau :
maladie chronique
Toute maladie chronique pose
deux problèmes principaux, à côté de
celui du coût de la maladie :
celui de la qualité de vie du malade et
celui de la compliance au traitement.
Ces problèmes ne peuvent être
résolus qu’au sein d’une relation
médecin-malade cohérente,
harmonieuse, tissée patiemment tout au
long des consultations
successives.
Lors d’une telle relation
médecin-malade, la prise en considération
des problèmes cosmétologiques
liés à la maladie cutanée, mais aussi
aux différents traitements de
celle-ci (certains traitements, en effet,
peuvent renforcer le caractère
affichant de la maladie cutanée),
permet une amélioration de la
qualité de vie des malades, mais aussi
une meilleures observance du
traitement par ces derniers. Dans ces
conditions, en effet, le
dermatologue montre que son objectif n’est
pas seulement de faire gagner
du terrain à la peau saine, mais aussi
de redonner à la peau sa
dimension hédonique.
Cependant, le caractère
particulièrement chronique et affichant
d’une dermatose ne doit pas
faire minimiser, dans l’intensité du
retentissement socioprofessionnel,
familial et psychoaffectif de cette
dermatose, le rôle de facteurs
psychologiques préexistant à la
survenue de la maladie. On a
montré que certaines caractéristiques
de la personnalité rendent les
malades souffrant d’un psoriasis plus
vulnérables aux stress, que
ceux-ci soient liés ou non au psoriasis
lui-même. Parmi ces
caractéristiques de la personnalité, on a
beaucoup insisté sur la
désirabilité sociale (c’est-à-dire le désir de se
conformer à ce que l’on attend
de vous, à l’image que l’on a ou que
l’on attend de vous) et sur la
répression de l’hostilité [7].
ADOLESCENCE
C’est une période délicate de
maturation de la sexualité, mais aussi
de l’affectivité, pendant
laquelle se mettent en place des processus
de séparation. L’adolescent
doit en effet découvrir d’autres
personnes que les parents à
séduire et des ressources différentes, en
lui-même et dans son corps, de
celles de son enfance pour atteindre
ce but. Pendant longtemps, l’adolescent
peut même avoir honte des
transformations visibles de
son corps : en effet, l’adolescent va subir
dans son corps de multiples
transformations invisibles et visibles.
Cette honte s’exprime bien
souvent par une pudeur exagérée. Le
médecin, quand il examine un
adolescent, et en particulier quand il
touche sa peau et quand il lui
demande de se déshabiller, ne doit
pas oublier l’existence de
tels sentiments chez son jeune patient. À
l’adolescence, l’insécurité
narcissique est donc extrême, puisque la
capacité de séduire est battue
en brèche. Cette insécurité narcissique
peut être augmentée par la
moindre imperfection de la peau du
visage ou du corps.
Dans ces conditions, on
conçoit facilement que le médecin a de
nombreuses occasions d’ordre
cosmétologique ou esthétique de
rencontrer un adolescent.
Une adolescente peut consulter
pour demander conseil à propos,
par exemple, d’une séborrhée
excessive, de vergetures, de cellulite,
d’une hyperpilosité, ou
éventuellement d’une hypertrophie
mammaire ou d’un nez
disgracieux. Il n’est pas rare non plus qu’un
jeune homme vienne consulter à
propos, par exemple, d’une
alopécie androgénogénétique
débutante.
Un dialogue doit alors s’instaurer
entre l’adolescent et un médecin
particulièrement à l’écoute de
la plainte esthétique exprimée par son
jeune patient. Des décisions d’ordre
cosmétologique ou
véritablement d’ordre
esthétique, médicales ou chirurgicales,
adaptées et raisonnables,
peuvent être ainsi élaborées conjointement
par le praticien, l’adolescent,
et si nécessaire les parents de ce
dernier. Dans un tel climat de
confiance, l’adolescent parviendra
aussi à comprendre les limites
des approches thérapeutiques dans
certains problèmes esthétiques
et à accepter une éventuelle
abstention thérapeutique.
Mais il arrive que les
préoccupations de l’adolescent concernant
l’esthétique de son corps
soient franchement anormales. Ces
préoccupations inquiètes sont
alors d’allure obsessionnelle : elles
paraissent étrangères à la
volonté du sujet, absurdes ou
répréhensibles, d’où une lutte
anxieuse pour en venir à bout. Elles
sont relatives à l’ensemble de
la morphologie corporelle (silhouette,
taille, poids) ou à une partie
définie du corps (visage, pilosité,
texture de la peau, implantation
des cheveux, forme du nez...).
Parfois, enfin, aucun
dialogue, aucune réassurance, aucun traitement
ne parviennent à calmer ces
inquiétudes. L’adolescent va scruter
indéfiniment dans le miroir
les follicules pilosébacés de son nez, par
exemple, avec un grand
sentiment d’étrangeté ou même de perte
d’identité. On a alors affaire
à une dysmorphophobie délirante
pouvant marquer l’entrée dans
une schizophrénie : l’adolescent a la
conviction inébranlable que
telle ou telle partie de son corps est
disgracieuse. C’est une idée
erronée à laquelle il croit, en totale
opposition avec la réalité ou
l’évidence. Ces cas nécessitent une
double prise en charge à la
fois somatique, dermatologique et
psychiatrique. Mais le travail
le plus ardu revient au somaticien
puisque c’est ce dernier et
non pas le psychiatre, qui est consulté en
première intention et seul, et
ce pendant parfois longtemps, et qui
doit faire accepter à l’adolescent
l’idée de cette double prise en
charge. Dans ce but, le
somaticien peut s’appuyer sur la découverte
d’une dépression pour
encourager l’adolescent à aller consulter un
psychiatre ; et peu importe si
cet adolescent pense que sa dépression
est secondaire à sa « maladie
cutanée», alors qu’en fait elle est
primitive.
L’éreutophobie, la peur de rougir devant les
autres, se rapproche des
dysmorphophobies. Il s’agit d’une
manifestation phoboobsessionnelle
fréquemment associée à d’autres
signes d’anxiété
sociale. Elle peut néanmoins
annoncer une idée délirante à thème
corporel. Elle peut être vécue
comme la crainte de laisser
transparaître des pensées ou
des sentiments honteux ou coupables.
Les frontières entre le dedans
et le dehors, et entre la réalité
psychique et la réalité
externe, sont alors fragiles. Dans ces cas,
l’éreutophobie est proche du
délire de devinement de la pensée.
¦ Situation particulière :
l’acné
La prise en considération de
la dimension cosmétologique du
traitement de l’acné est
indispensable. Une relation de confiance
s’établit alors entre le
dermatologue et l’adolescent acnéique,
permettant à ce dernier de se
sentir soutenu et encouragé dans son
traitement. En effet, le
résultat thérapeutique dans l’acné dépend en
grande partie de la constance
et de la patience de l’adolescent qui
doit appliquer correctement,
chaque jour, le plus souvent, son
traitement local sans pour
autant être rebuté par les effets
secondaires de ce dernier
(érythème, desquamation) auxquels on
doit remédier grâce à l’apport
de la cosmétologie. C’est dans de
telles conditions que la
compliance de l’adolescent à son traitement
est au mieux favorisée.
Un point particulier est
important à souligner : la vitamine A, acide
topique (trétinoïne),
constitue un progrès considérable dans le
traitement de l’acné, l’isotrétinoïne
per os (Roaccutanet) une vraie
révolution. Mais l’isotrétinoïne
per os n’est pas dénuée d’effets
secondaires importants, en
particulier à l’adolescence : aggravation
de l’acné, effets
ostéotendineux, effet tératogène, survenue d’un état
dépressif.
Il faut donc savoir résister à
la pression de l’adolescent et de ses
parents lorsque la
prescription de l’isotrétinoïne per os ne semble
pas justifiée : par exemple,
quand un adolescent et/ou ses parents
rendent responsable le dommage
esthétique causé par une acné très
modérée dans des difficultés
relationnelles de l’adolescent.
À ce propos, on peut penser
que certains cas de suicides
d’adolescents acnéiques
décrits après la mise en route d’un
traitement par Roaccutanet sont survenus dans un contexte
psychologique particulier
(dépression sur une personnalité
pathologique de type
narcissique). Le médecin, quand il se sent
soumis à une demande pressante
de traitement par Roaccutanet,
doit donc penser à rechercher
ce contexte psychologique.
Cependant, dans d’autres cas,
les suicides survenus lors d’une
dépression sévère ont été liés
au développement, sous isotrétinoïne
per os et en l’absence de
toute prédisposition psychiatrique, d’un
syndrome proche de celui que l’on
observe lors de
l’hypervitaminose A.
Quoi qu’il en soit, dans tous
les cas où l’indication d’un traitement par
isotrétinoïne per os se
discute, le dermatologue doit rechercher, avant la
mise en route éventuelle du
traitement et tout au long du traitement, des
signes de dépression : asthénie matinale, troubles du
sommeil et de la
mémoire, crises de larmes,
idées tristes et noires, ainsi que céphalées
et vertiges.
En outre, quand le
dermatologue juge que l’isotrétinoïne per os n’est
pas indiquée, et quand il
propose un autre traitement, il doit
expliquer à son malade et à la
famille de ce dernier si nécessaire, les
raisons de ses choix
thérapeutiques. De toutes les façons, les
directives imposées par les
références médicales opposables
indiquent que ce médicament
doit être réservé aux acnés
nodulokystiques graves ou aux
acnés résistant aux traitements
classiques.
Enfin, si en cas d’acné l’observance
thérapeutique n’est pas toujours
bonne malgré une prise en
charge cosmétologique, c’est que bien
souvent l’affection cutanée
dont souffre l’adolescent peut permettre
à ce dernier de rester encore
en dehors des jeux de la séduction
(n’oublions pas que c’est pour
échapper aux assiduités de son père
que la célèbre héroïne d’un
conte de Perrault revêt une peau d’âne).
VIEILLISSEMENT
Tout le monde veut vivre
longtemps, mais personne ne veut vieillir.
En effet, sauf dans les romans
ou dans les films, les beaux vieillards
n’existent guère et finissent
rarement en beauté. Il est donc bien sûr
de très bon aloi de vouloir,
avec l’aide de son dermatologue, retarder
le vieillissement. Mais le
dermatologue est aussi bien placé pour
déceler, derrière une lutte
acharnée contre le temps, des souffrances
psychiques enfouies. Il est donc important de
penser à chercher les
signes d’une dépression
sous-jacente à une telle lutte. Cette dépression
est alors particulière, car
les troubles somatiques (plaintes
esthétiques, anorexie,
insomnie matinale), ainsi que l’inhibition
psychomotrice (asthénie
matinale, aboulie, troubles de la mémoire,
de l’attention, de la
concentration) sont au premier plan, alors que
les troubles psychiques, c’est-à-dire
les troubles de l’humeur et des
contenus de la pensée
(autodépréciation, anhédonie, tristesse, idées
suicidaires, irritabilité)
sont au deuxième plan. À propos des femmes
qui font une demande d’ordre
cosmétologique ou esthétique aux
alentours de la ménopause, il
faut noter que les épisodes dépressifs
ne paraissent pas plus
fréquents à la ménopause qu’à une autre
période de la vie, sauf chez
les femmes qui ont déjà eu des épisodes
dépressifs, en particulier
lors du post-partum, ou qui avaient un
syndrome prémenstruel.
De toutes les façons, une
dépression ne contre-indique pas une prise
en charge d’ordre cosmétologique.
Il faut seulement en tenir compte
lors des conseils cosmétiques
proposés et de l’exposé des résultats
escomptés.
Un essai thérapeutique
randomisé a comparé deux groupes de sujets
âgés en moyenne de 41 ans ± 4 ans. Les sujets du premier groupe
recevaient un traitement local
de trétinoïne. Les sujets du deuxième
groupe recevaient seulement l’excipient.
Après 24 semaines de
traitement, chez les sujets du
premier groupe uniquement, on a
trouvé une diminution
significative de la sensitivité dans les
relations interpersonnelles et
de l’anxiété phobique. Par ailleurs, il y
avait aussi une diminution de
l’anxiété trait et une augmentation de
la curiosité trait [6].
Bien sûr, de toutes les
façons, le traitement psychologique de la
dépression (à la fois
médicamenteux et psychothérapique) s’impose.
Ainsi, le dermatologue est
souvent l’un des principaux acteurs de
l’inscription réussie d’un
individu dans son temps. Il peut aussi,
bien souvent, représenter une
aide précieuse pour les femmes qui
désirent se dégager des
diktats véhiculés par les médias, et ainsi ne
plus confondre, par exemple,
féminité et jeunesse, ou bien plaire et
exister.
Conclusion
Le principal objectif de la
cosmétologie est bien sûr de rendre plus belle
la peau. Cependant, l’apport
de la cosmétologie en dermatologie dépasse
largement ce seul objectif.
En effet, bien souvent, la cosmétologie permet
d’améliorer la qualité de vie
du malade et l’observance de celui-ci quant
au traitement local et/ou
général de sa maladie cutanée. En outre, la
cosmétologie permet une
traversée plus harmonieuse de certains
moments cruciaux de la vie,
tels que l’adolescence et la vieillesse.
Quand il a recours à la
cosmétologie, le dermatologue aide donc le sujet,
que celui-ci souffre ou non d’une
maladie cutanée avérée, à se
réconcilier avec sa peau,
avec son corps. Cette réconciliation est souvent
le premier pas de la
réconciliation de ce sujet avec son image de soi et de
ses retrouvailles avec une
estime de soi qu’il croyait perdue.
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