Introduction
La fonction principale de la couche cornée consiste à protéger
l’organisme de la déshydratation et de la perte d’électrolytes et
d’autres biomolécules. Elle limite aussi partiellement l’influence
de
l’environnement incluant la pénétration des xénobiotiques. Ces
propriétés sont en contradiction apparente avec l’effet recherché
lors
de l’application topique d’un médicament ou d’un cosmétique. Le
plus souvent, l’effet est limité à la peau ou même à une partie de
celle-ci. Parfois cependant, un effet est recherché dans les
tissus souscutanés
jusqu’aux muscles et tendons. La peau est aujourd’hui
également utilisée comme voie d’administration transdermique
principale pour certains médicaments à visée systémique.
L’appréciation de la pénétration intracutanée et transcutanée
d’agents à visée curative ou cosmétique a donc acquis une
importance majeure, tant pour l’évaluation de l’efficacité que
celle
de la toxicité.
En Europe, les prérequis à l’introduction de nouveaux agents
chimiques tels que les pesticides comportent l’évaluation de
l’absorption transcutanée. Ils sont obtenus par les études ADME
(absorption, distribution, métabolisme, excrétion). En règle
générale,
la pénétration cutanée des xénobiotiques varie dans une échelle de
1 à 10 000. Il existe donc une perméabilité sélective de la peau
pour
la diversité des composants chimiques.
Le développement des formes à usage dermatologique, cosmétique
et transdermique a contribué à une meilleure connaissance des
mécanismes impliqués dans la pénétration cutanée [3]. Les
progrès
en ce domaine permettent d’entrevoir pour l’avenir la possibilité
d’administration transdermique de peptides, de protéines, de
vaccins et de gènes. L’immunothérapie et la thérapie génique
pourraient en tirer bénéfice.
Définitions et concepts
Sur le plan des définitions, l’absorption percutanée englobe le
processus complet du transport des substances appliquées de
manière topique. Elle combine l’adsorption à la surface cutanée,
la
diffusion et le stockage dans les diverses couches de la peau, et
la
résorption par la microcirculation. Selon un concept classique, la
pharmacocinétique et la pharmacodynamique décrivent les relations
dans le temps entre l’administration des médicaments et leur
concentration dans l’organisme, les relations entre cette dernière
et
les effets, ainsi que les mécanismes intimes par lesquels les
effets se
produisent. Ces évaluations reposent sur divers paramètres tels
que
la biodisponibilité, la fixation protéique, le volume de
distribution,
la clairance, les voies d’élimination, la connaissance des
métabolites
et des lieux d’activité pouvant correspondre à des récepteurs.
La connaissance pharmacocinétique est utile dans le choix d’une
posologie, particulièrement pour des substances à faible index
thérapeutique, ainsi que chez les patients souffrant d’un problème
de métabolisation ou d’élimination de la substance concernée. La
pharmacocinétique permet également d’estimer la vitesse
d’absorption des produits à effet rapide, retardé ou prolongé,
ainsi
qu’à établir la bioéquivalence entre deux molécules actives.
La voie transcutanée représente une modalité particulière
d’administration de certains médicaments. Pour cet aspect bien
particulier, la pharmacocinétique cutanée définit le devenir d’une
molécule administrée par voie topique. Deux phénomènes majeurs
conditionnent le devenir et l’effet d’un xénobiotique dans la
peau. Il
s’agit d’une part de l’absorption percutanée et de la résorption
au
niveau des circulations sanguine et lymphatique, et d’autre part,
de
la métabolisation au niveau dermoépidermique. Bien que la peau
soit un tissu complexe, des modélisations de l’absorption
percutanée
ont permis de conceptualiser ce processus. Si l’on considère que
les
différentes couches de la peau sont des structures homogènes, et
que la pénétration des molécules à travers elles s’effectue par
diffusion passive, la cinétique d’absorption d’une molécule à
travers
la peau dépend d’une succession de cinétiques d’ordre 1. Il existe
quatre étapes limitantes à l’absorption percutanée [8] :
– le coefficient de partage entre l’excipient de la molécule et la
couche cornée ;
– la diffusion de la molécule à travers la couche cornée, le corps
muqueux de Malpighi, et le derme ;
– la résorption au niveau des capillaires sanguins et des
vaisseaux
lymphatiques ;
– la diffusion dans les tissus sous-cutanés.
Cette conceptualisation simple n’est peut-être pas applicable sans
réserve aux territoires cutanés riches en follicules pilosébacés.
La
pénétration par la voie transfolliculaire peut être en effet
présente et
même ciblée pour certaines molécules.
Paramètres conditionnant
la pénétration d’une molécule
administrée par voie topique
Les quatre paramètres majeurs conditionnant la pénétration cutanée
sont la nature du xénobiotique, la formulation galénique, le mode
d’application sur la peau et les qualités du revêtement cutané ou
de
l’ongle au site d’application (tableau I).
XÉNOBIOTIQUE
L’absorption cutanée d’un xénobiotique y compris un actif
cosmétique dépend de ses caractéristiques physicochimiques. La
diffusion d’une molécule à travers la peau est plus intense
lorsque
sa taille est petite et qu’elle est peu polaire et anionique. Son
affinité
relative pour la couche cornée et sa solubilité dans le véhicule
jouent
également un rôle majeur. La pénétration peut être aussi affectée
par la métabolisation du xénobiotique dans la partie vivante de la
peau.
FORMULATION GALÉNIQUE
¦
Véhicule
La formulation galénique constitue l’une des facettes importantes
du développement des produits cosmétiques et dermatologiques. Il
s’agit de garantir la stabilité du produit, de faciliter l’application
topique et de contrôler la cinétique cutanée et la
biodisponibilité de
l’actif incorporé. Il faut également tenir compte de l’état de
surface
de la peau et de sa fonction barrière ou de réservoir. L’excipient
est
donc élaboré en fonction de l’objectif à atteindre qui peut être
la
facilitation, la limitation ou le ciblage de la pénétration de la
substance véhiculée dans la peau, ses follicules pilosébacés, le
muscle ou le sang.
La pénétration cutanée peut être favorisée par un mécanisme de
supersaturation augmentant le gradient de concentration vers la
peau. Le propylène glycol et les cyclodextrines peuvent jouer ce
rôle.
Les composés volatils, comme l’alcool, s’évaporent au contact de
la
peau. Il en résulte une concentration accrue de l’actif au niveau
de
la couche cornée qui peut alors jouer le rôle de réservoir. L’excipient
peut être occlusif comme dans certains systèmes transdermiques et
dans des émulsions à phase continue lipophile. Après application
et
évaporation de la phase aqueuse, la phase huileuse de l’émulsion
se
répartit à la surface de la peau en un film présumé continu.
L’occlusion diminue les échanges hydriques entre la peau et le
milieu environnant. Elle augmente ainsi l’hydratation de la couche
cornée, ce qui a pour conséquence un accroissement du passage
transcutané de certaines molécules.
¦
Adjuvant
Les promoteurs d’absorption et les systèmes vecteurs peuvent
modifier les interactions entre la molécule active et la peau. C’est
le
cas de produits tels que les tensioactifs et le propylène glycol [5, 26].
Ces composés, largement utilisés dans la formulation des produits
topiques comme émulsifiants ou cosolvants, sont capables de
modifier la fonction barrière de la peau après diffusion dans la
couche cornée. De même, certains composés tels que l’azone, le
dodécyl-L-pyroglutamate, les terpènes ou l’acide oléique, sont
utilisés pour faciliter le passage de substances à travers la
peau. Ces
activateurs de pénétration agissent selon un mécanisme comparable
en s’intercalant au niveau des lamelles lipidiques de la couche
cornée [23]. Leur présence à ce niveau perturbe l’empilement
organisé
des lipides épidermiques et augmente la fluidité des espaces
intercornéocytaires [6]. De nouvelles formes
galéniques telles que les
microsphères ou les liposomes permettent de moduler l’absorption
percutanée.
MODE D’APPLICATION
Le mode d’application du produit est un facteur influençant la
pénétration. L’occlusion physique est le modèle le mieux connu [22,
29]. L’action peut être aussi
mécanique, comme dans le cas d’un
massage. Des techniques telles que l’iontophorèse ou les ultrasons
associées à l’application de certaines molécules peuvent en
accroître
la pénétration. L’application sur la peau humide, après un bain ou
une douche, est aussi une modalité attractive lorsque la
pénétration
est souhaitée dans la peau ou au-delà.
SITE D’APPLICATION
¦
Peau
La peau est un organe stratifié formé de trois étages distincts
qui
sont la couche cornée, la couche de Malpighi et le derme. Par sa
composition et sa structure, la couche cornée constitue la
principale
barrière partielle à la pénétration de substances peu lipophiles à
travers la peau [9]. Cette couche d’une épaisseur moyenne de 15 μm
est formée de cornéocytes entourés de lamelles lipidiques. La
fonction barrière cutanée est directement liée à la présence de
cette
organisation lipidique intercornéocytaire. Il s’agit d’une matrice
formée essentiellement de sphingolipides de type céramide, de
cholestérol et d’acides gras libres. Dans la peau humaine normale,
les trois fractions sont présentes dans des proportions
équivalentes,
ce qui semble garantir leur fonction biologique. Cette structure
spécifique, dans laquelle alternent lamelles lipidiques et
molécules
d’eau, conditionne la fonction barrière, les échanges d’eau entre
l’organisme et le milieu extérieur, et l’hydratation de la couche
cornée [3].
Tableau I. – Facteurs principaux influençant l’absorption
dans la
peau humaine.
Élément Paramètre
Xénobiotique poids moléculaire
coefficient de partition eau/lipide
ionisation
concentration
distribution dans la couche cornée
Formulation solubilité - polarité
volatilité
excipient
accélérateur de pénétration
pH
Application surface de peau exposée
dose par unité de surface
durée de contact
occlusion
Peau race, âge, sexe
site anatomique
température
hydratation de la couche cornée
dégâts dans la couche cornée
métabolisme
vitesse de desquamation
Une relation directe existe entre la fonction barrière et l’état
de la
peau qui constitue l’un des facteurs déterminant le passage
transcutané d’un xénobiotique. Ainsi, lorsque la fonction barrière
est
altérée par l’environnement, divers surfactants ou une dermatose
intrinsèque, la diffusion des produits appliqués sur la peau est
facilitée [16]. De même, certains facteurs biologiques ou
anatomiques
tels que l’âge, le site d’application, le mode occlusif ou non, la
taille
et le nombre de follicules pileux, le pH et l’état d’hydratation
de la
peau sont importants à considérer car ils modifient la
pharmacocinétique cutanée [11, 18]. À titre d’exemple, l’immersion
prolongée de la peau dans l’eau produit une macération de la
couche cornée et sa perméabilité augmente vis-à-vis de certains
xénobiotiques. La teneur en lipides de la couche cornée contrôle
la
pénétration de substances lipophiles. Ces composés diffusent plus
faiblement à travers des régions à faible contenu lipidique,
telles
que la paume des mains et la plante des pieds. En revanche,
l’extraction des lipides épidermiques à l’aide de solvants
organiques
augmente la fluidité des structures lipidiques et facilite le
passage
transcutané de l’eau et des composés hydrophiles.
¦
Ongle
La structure et les propriétés physiques de l’ongle sont très
différentes de celles de la couche cornée. En particulier, la
tablette
unguéale est formée d’environ 25 couches d’onychocytes et son
épaisseur est de l’ordre de 0,5 à 1 mm. Si l’on rapporte la perte
insensible d’eau à l’épaisseur de la partie totalement cornifiée,
la
perméabilité transonychiale est supérieure à celle de la peau.
La caractéristique majeure relative à la pénétration de
xénobiotiques
réside dans le fait que la peau agit comme une barrière lipidique
alors que l’ongle se comporte d’une manière totalement opposée [27].
Pharmacocinétique cutanée
La pharmacocinétique cutanée permet de décrire en fonction du
temps le devenir de l’actif et de ses métabolites au niveau des
différents tissus cutanés et sous-cutanés. Connaître le devenir d’un
actif appliqué sur la peau est intéressant à plusieurs titres. En
cosmétique, le produit est souvent censé avoir une action qui se
limite à la surface cutanée et aux couches sous-jacentes de
l’épiderme. Cependant, certains effets se manifestent à des
niveaux
plus profonds. La pharmacocinétique cutanée présente alors un
intérêt majeur [3]. Elle permet aux formulateurs de contrôler le
devenir de l’actif et d’évaluer dans quelle mesure l’application
de ce
produit est susceptible d’interagir avec la couche cornée. Le
produit
cosmétique ne doit induire aucun effet systémique et ne doit pas
perturber les propriétés biologiques fondamentales de la peau.
La connaissance de la pharmacocinétique d’une substance
conditionne également la mise au point des nouveaux produits.
L’association actif-véhicule est optimisée afin d’obtenir la
biodisponibilité recherchée, une stabilité maximale, une toxicité
minimale, et des concentrations d’actif et de conservateur faibles
dans le produit final. Le choix des constituants doit tenir compte
non seulement des propriétés physicochimiques de l’actif, mais
aussi
du type de peau à traiter et du site d’action ciblé par le
produit. La
sélection de la formulation galénique a une grande importance. À
titre d’exemple, l’influence de l’excipient sur la
biodisponibilité a
été utilisée pour modifier la puissance des stéroïdes. Ainsi, en
fonction de son véhicule et pour une même concentration, un
stéroïde peut appartenir à des classes différentes d’activité.
L’objectif de la pharmacocinétique cutanée est de pouvoir
comprendre, modéliser et prédire le devenir d’un produit appliqué
sur la peau. Deux processus indépendants participent à ce
mécanisme. Ce sont la pénétration cutanée et le métabolisme
épidermique du xénobiotique.
MÉCANISMES DE LA PÉNÉTRATION CUTANÉE
Les mécanismes précis intervenant dans l’absorption percutanée
restent hypothétiques. Lorsqu’une substance est administrée par
voie topique, les deux modalités de pénétration sont la voie
transépidermique et la voie transfolliculaire. Dans le premier
cas, la
diffusion de la molécule s’effectue soit à travers le compartiment
intracellulaire, essentiellement constitué de protéines
hydrophiles,
soit à travers les espaces lipidiques intercellulaires. Du fait de
son
caractère amphiphile, le domaine intercellulaire hydrolipidique
constitue un canal de diffusion préférentiel pour les substances
lipoet
hydrosolubles. Les substances lipophiles diffusent
préférentiellement à travers les bicouches de lipides dans la
couche
cornée. Les composés plus hydrophiles migrent d’une part à travers
la région polaire constituée par les molécules d’eau combinées à
la
partie polaire des lipides, d’autre part en utilisant la voie
intracellulaire.
Les substances lipophiles peuvent également transiter par les
annexes cutanées représentant une porte d’entrée dans l’organisme.
Le passage transfolliculaire est en général limité, mais dans
certains
cas, cette voie de diffusion est loin d’être négligeable [15, 21].
L’iontophorèse qui augmente la pénétration transcutanée de
certains
xénobiotiques polaires [7] utilise les voies de passage
transfolliculaire
et sudoripare [4].
MÉTABOLISME CUTANÉ DES XÉNOBIOTIQUES
La peau n’est pas simplement une barrière passive envers la
diffusion de xénobiotiques dans l’organisme. Il s’agit d’un tissu
capable de métaboliser, au niveau du corps muqueux de Malpighi
et du derme, certaines molécules administrées par voie topique.
L’activité enzymatique de l’épiderme est importante et comparable
à celle du foie. Elle fait intervenir le complexe cytochrome P450
et
différents mécanismes plus ou moins spécifiques, induisant des
réactions d’oxydation, de réduction, d’hydrolyse et de
conjugaison [2]. Lorsque la diffusion de la molécule à travers
l’épiderme est lente, cette activité est susceptible d’induire un
effet
comparable à celui décrit pour un premier passage métabolique
dans le foie.
Méthodes d’évaluation
de la pénétration cutanée
La pénétration cutanée et la biodisponibilité d’un composé
administré par voie topique peuvent être évaluées de différentes
façons (tableau II). Le choix de la méthode dépend du xénobiotique
à tester, de l’origine du tissu servant au test de pénétration
(peau
humaine ou animale), du type d’étude réalisé (in vitro ou in
vivo),
et du protocole d’application envisagé (proche de l’utilisation
clinique par dépôt, lavage, occlusion, réapplication...).
Certaines instances comme la Food and Drug Administration (FDA),
l’American Academy of Dermatology (AAD), l’American
Association of Pharmacoceutical Scientists (AAPS) et l’European
Centre for the Validation of Alternative Methods (ECVAM) ont
recommandé la réalisation de certaines études de pénétration in
vitro et in vivo [13,
24].
MÉTHODES IN VIVO
Le problème majeur des études in vivo de pharmacocinétique
relatives à des produits topiques réside dans la quantification de
l’actif, généralement présent en faible quantité dans l’organisme.
Ce
Tableau II. – Hiérarchie physiologique des
méthodes évaluant
l’absorption cutanée.
Niveau de confiance in vivo in vitro
Supérieur humain
primate peau perfusée
porc peau en survie
cobaye peau non viable
rat tranches au kératome
lapin couche cornée
souris membrane artificielle
Inférieur modèle mathématique
type d’évaluation est cependant envisagé pour étudier la
biodisponibilité cutanée d’un actif administré par voie topique,
pour
établir une bioéquivalence entre deux formes galéniques, ou pour
évaluer le risque toxique local ou systémique d’une molécule.
Les tests in vivo présentent l’avantage de pouvoir étudier les
produits dermocosmétiques dans les conditions réelles d’utilisation.
À la différence des tests in vitro, les cinétiques de pénétration
sur de
longues périodes de traitement ou sur différents types de peau et
de
lésions sont réalisables in vivo. Les données de pharmacocinétique
classique et de bioéquivalence sont ainsi obtenues lors d’une
expérimentation clinique. Certaines méthodes indirectes, mais
spécifiques, sont acceptées telles que le test de blanchiment pour
les
dermocorticoïdes [10].
Toutes les études de pénétration ne peuvent pas être réalisées
chez
l’homme. C’est le cas notamment de produits en cours de
développement pour lesquels les mécanismes d’action restent à
élucider, ainsi que des substances susceptibles de présenter une
toxicité importante. Les tests in vivo sur modèle animal
permettent
non seulement d’évaluer le taux de pénétration de l’actif, mais
aussi
sa distribution tissulaire, son excrétion urinaire, son
métabolisme et
sa toxicité. Ce type d’étude pose cependant le problème de
l’extrapolation des données obtenues sur l’animal de laboratoire à
l’homme. En effet, la peau de l’animal est souvent plus perméable
que celle de l’homme [13].
En clinique, outre les études classiques de pharmacocinétique pour
lesquelles l’actif est quantifié dans le sang et les excreta, il
est
possible d’évaluer le taux de pénétration d’un composé de façon
non invasive. C’est le cas de la méthode des différences qui consiste à
extrapoler le taux de pénétration d’un produit à partir de la
quantité
restant à la surface de la peau en fin d’expérimentation [13]. De
même,
la diffusion d’une molécule à travers la couche cornée peut être
mesurée directement par spectroscopie ATR-IR, en suivant la
disparition du signal infrarouge émis par le composé [12].
La quantification d’une substance peut être également évaluée au
niveau de la couche cornée par la technique du stripping. Il s’agit de
délaminer progressivement la couche cornée à l’aide d’un adhésif,
afin de déterminer la quantité de produit présente dans les
différentes couches de cornéocytes [19, 28]. Cette méthode, dite du
réservoir, repose sur la corrélation qui existe entre la captation
à
court terme du xénobiotique par l’organisme et la perméabilité de
la
peau à l’état d’équilibre.
MÉTHODES IN VITRO
L’évaluation de la pénétration cutanée des produits topiques est
limitée par la faisabilité d’études in vivo chez l’homme et l’animal.
Les tests in vitro sont donc préférentiellement développés pour
les
tests préliminaires. Ces méthodes ne sont pas requises par les
autorités de contrôle, mais elles peuvent être combinées aux
évaluations in vivo [13]. Les évaluations de la
pénétration in vitro sont
basées sur la comparaison de deux produits ou de formulations
galéniques différentes. Les formules doivent être testées
simultanément sur la même peau et dans les mêmes conditions
opératoires. Les tests in vitro présentent l’avantage d’être
relativement simples, facilement réalisables et contrôlables. Dans
le
cas de substances toxiques pour lesquelles les tests cliniques ne
sont
pas envisageables, la pénétration dans la peau humaine ne peut
être
prédite que grâce à la réalisation de tests in vitro.
Une première catégorie de tests in vitro évalue la pénétration au
travers de membranes de diffusion de type
cellulose. Ceux-ci consistent
à déterminer sous la membrane le taux de pénétration d’un
xénobiotique qui a été appliqué à sa surface. Différents systèmes
de
cellules de diffusion sont disponibles. Ils se composent
classiquement de deux compartiments, l’un destiné à recevoir le
composé à tester, l’autre contenant un milieu récepteur. Le tout
est
séparé par une membrane artificielle. Dans le cas où le liquide
récepteur est remplacé à intervalles de temps réguliers, la
cellule de
diffusion est dite statique, par opposition aux cellules de
diffusion
dynamique pour lesquelles le liquide récepteur est perfusé en flux
continu [1].
Une deuxième catégorie de tests in vitro repose sur l’évaluation de la
pénétration au travers d’un échantillon de peau
humaine ou animale. En
pratique, l’évaluation des produits dermocosmétiques in vitro est
réalisée sur des cellules de diffusion permettant de reproduire
aussi
fidèlement que possible les conditions d’application in vivo.
L’ensemble du système est thermostatisé à une température de
32 °C. Le produit appliqué à la surface de la couche cornée est
soit
laissé en contact avec l’air, soit placé sous occlusion. Le milieu
récepteur est sélectionné en fonction des propriétés
physicochimiques de l’actif et de sa compatibilité avec le tissu
cutané. Sa composition doit être la plus proche possible du milieu
sanguin et permettre la solubilisation de la molécule testée. La
peau
d’origine humaine est généralement prélevée au dermatome à une
épaisseur standardisée (280-320 μm). Elle est parfois traitée
enzymatiquement pour isoler la couche cornée. Lorsque le
prélèvement est obtenu extemporanément à la suite d’une opération
de chirurgie plastique, il est possible de conserver les
propriétés
métaboliques du tissu à l’aide d’un milieu récepteur approprié.
Les
dosages peuvent être effectués dans le milieu réceptif ou dans
diverses couches de la peau.
Une troisième catégorie de tests in vitro repose sur l’utilisation
d’échantillons de peau
artificielle reconstruite in vitro [17]. Bien que
pleine de promesses, cette méthode n’a pas reçu à ce jour l’aval
des
experts européens [13].
Modèles mathématiques
de la pénétration cutanée
Étant donné les interactions existant entre l’actif, la peau et le
véhicule, le moyen le plus simple de modéliser le processus de
pénétration d’une substance à travers la peau consiste à appliquer
la loi de diffusion passive de Fick [8]. Celle-ci permet de
déterminer
une constante de perméabilité qui est directement liée au
coefficient
de partage de l’actif entre la couche cornée et son véhicule, au
coefficient de diffusion de l’actif dans la peau, et à l’épaisseur
du
tissu cutané. La quantité de substance absorbée par unité de temps
dépend alors, de la constante de perméabilité, de la surface
d’application et de la concentration de l’actif dans le véhicule
(tableau III). En pratique, l’imprégnation de la couche cornée par le
produit dermocosmétique est progressive et un temps de latence est
nécessaire avant d’atteindre un flux de diffusion constant. Ce
temps
de latence est typique pour chaque formulation et chaque actif. Il
traduit le temps nécessaire à l’établissement d’un gradient de
concentration de part et d’autre de l’échantillon cutané.
Il existe d’autres modèles mathématiques et cinétiques prédisant
la
pénétration cutanée d’un xénobiotique selon ses propriétés
physicochimiques [8, 13]. D’autres encore permettent d’estimer des
taux dans le plasma et certains tissus et organes [13].
Tableau III. – Loi de diffusion passive de
Fick.
DQ/dt = Kp.S.(C1-C2)
Kp = D.k/e
DQ/dt : vitesse d’absorption
Kp : constante de perméabilité
S : surface d’application
C1-C2 : différence de concentration de part et d’autre de
la couche cornée
D : coefficient de diffusion de la molécule dans la couche cornée
k : coefficient de partage de la molécule entre le véhicule et la
couche cornée
e : épaisseur de la couche cornée
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